8 décembre 2017
Cour d'appel de Paris
RG n° 16/02889

Pôle 5 - Chambre 6

Texte de la décision

Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 6



ARRET DU 08 DECEMBRE 2017



(n° , 7 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 16/02889



Décision déférée à la Cour : Jugement du 04 Janvier 2016 -Tribunal de Grande Instance de CRETEIL - RG n° 14/02329





APPELANTE



SA BANQUE POPULAIRE RIVES DE PARIS

RCS PARIS 552 002 313

Prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Adresse 2]

[Adresse 3]



Représentée par Me Frédéric LALLEMENT de la SELARL BDL Avocats, avocat au barreau de PARIS, toque : P0480

Ayant pour avocat plaidant Me Frank MAISANT, avocat au barreau de PARIS, toque : J055







INTIMEE



Madame [P] [N]

Née le [Date naissance 1] 1971 à [Localité 1]

[Adresse 4]

[Adresse 5]



Représentée par Me Caroline HATET-SAUVAL de la SCP SCP NABOUDET - HATET, avocat au barreau de PARIS, toque : L0046

Ayant pour avocat plaidant Me Jean-Yves KERROS, avocat au barreau de VAL-DE-MARNE, toque: PC 147







COMPOSITION DE LA COUR :



En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 26 Octobre 2017, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposé, devant Madame Pascale GUESDON, Conseiller, chargé du rapport.













Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :



Madame Françoise CHANDELON, Présidente de chambre

Madame Pascale GUESDON, Conseiller

Madame Christine SOUDRY, Conseiller

Greffier, lors des débats : Mme Josélita COQUIN



ARRÊT :



- Contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Françoise CHANDELON, présidente et par Madame Josélita COQUIN, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
















FAITS PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES





Saisissant le Tribunal de grande instance de Créteil, madame [P] [N] a demandé que soit annulée la résiliation de deux prêts que lui a consentis la SA BANQUE POPULAIRE RIVES DE PARIS, l'un pour l'acquisition d'un bien immobilier, et l'autre pour le financement des travaux sur ce bien. Cette résiliation par la banque a fait suite à son refus de débloquer les fonds destinés aux travaux, en arguant d'un comportement de l'emprunteur qualifié de gravement répréhensible.



Le tribunal, par jugement du 4 janvier 2016, tout en précisant qu'il s'agissait d'un prêt unique et non pas de deux prêts distincts, a considéré que ne repose sur aucun fondement contractuel le refus de déblocage des fonds au motif que les justificatifs présentés n'étaient pas suffisants, et que de surcroît, à supposer que la présentation de justificatifs pertinents puisse être exigée, la réaction de la banque résiliant unilatéralement le contrat de prêt a été disproportionnée.



La SA BANQUE POPULAIRE RIVES DE PARIS a interjeté appel de ce jugement, par déclaration en date du 27 janvier 2016.



Au terme de la procédure d'appel clôturée le 18 avril 2017 les moyens et prétentions des parties s'exposent de la manière suivante :
















Par conclusions notifiées par voie de RPVA le 16 août 2016 l'appelante explique sa position essentiellement par le fait que l'entreprise de travaux que madame [N] comptait faire intervenir n'avait pas d'existence légale, et que le devis produit, à l'entête d'une autre société, est douteux en ce qu'il a été fourni très rapidement après que la banque a refusé le premier et porte exactement la même somme que le premier, et en outre le fait que madame [N] soit personnellement liée avec le gérant de la société PEROLLO et que les devis de celui-ci comportent des imperfections amenaient à s'interroger sur la réalité des prestations alléguées. La SA BANQUE POPULAIRE RIVES DE PARIS défend le droit absolu de la banque de s'inquiéter des justificatifs produits en vue du déblocage des fonds qu'elle libère en tant que prêteur.



Elle demande à la cour l'infirmation du jugement déféré en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau



' de débouter madame [N] en toutes ses demandes, fins et conclusions,

' au visa de l'article 1153 du code civil, de condamner madame [N] à payer à la BANQUE POPULAIRE RIVES DE PARIS la somme de 212 832,54 euros avec intérêts au taux contractuel de 3,50 % l'an, à compter du 14 octobre 2013, date de la mise en demeure, jusqu'à parfait paiement, et avec capitalisation annuelle, par application de l'article 1154 du code civil,

' de condamner madame [N] à rembourser à la BANQUE POPULAIRE RIVES DE PARIS la somme de 7469,18 euros réglée à l'huissier mandaté, avec intérêts au taux légal à compter des présentes conclusions, jusqu'à parfait paiement,

' de condamner madame [N] à payer à la BANQUE POPULAIRE

RIVES DE PARIS la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et injustifiée, par application de l'article 1382 du code civil,

' de condamner madame [N] à payer à la BANQUE POPULAIRE

RIVES DE PARIS la somme de 10 000 euros par application de l'article 700 du

code de procédure civile,

' de condamner madame [N] aux entiers dépens de première instance et d'appel, dont distraction, pour ceux la concernant, au bénéfice de la SCP BOLLING, DURAND & LALLEMENT, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.



La SA BANQUE POPULAIRE RIVES DE PARIS formule une demande reconventionnelle en paiement du solde du prêt.





Par conclusions notifiées par voie de RPVA le 12 septembre 2016 l'intimée soutient avoir procédé correctement, en recherchant au plus vite une deuxième entreprise, la première ayant été rejetée par la banque car en cours de formation. C'est par souci de cohérence qu'elle a demandé expressément à cette seconde entreprise, que soit établi un devis pour la même somme, les prestations attendues étant exactement identiques. Elle considère comme totalement infondée la position de la banque, qui est allée jusqu'à la résiliation du prêt lui-même, alors que les échéances étaient honorées, et la fermeture de son compte.









En conséquence elle demande à la cour :



' de déclarer abusive, nulle et de nul effet, la résiliation unilatérale par la banque, du contrat de prêt n° 08653924 d'un montant de 299 000 euros,

' de confirmer le jugement déféré,

' de condamner la banque à rétablir le contrat de prêt dans ses conditions initiales et de débloquer la somme de 99 000 euros correspondant à la partie travaux, 'en tant que de besoin' (sic) de condamner la SA BANQUE POPULAIRE RIVES DE PARIS à lui payer une somme de 99 000 euros à ce titre augmentée des intérêts légaux à dater du 16 juin 2013,

' de rétablir madame [N] en tous ses droits sur son compte bancaire ouvert à la BANQUE POPULAIRE RIVES DE PARIS,

' de lui restituer ses moyens de paiement, de ré-ouvrir ses comptes et lui restituer ses avoirs détenus par la banque, sous peine d'astreinte de 300 euros par jour de retard,

' de débouter la SA BANQUE POPULAIRE RIVES DE PARIS de toutes ses demandes fins et conclusions (incluant la demande reconventionnelle),

' de condamner la SA BANQUE POPULAIRE RIVES DE PARIS à lui payer à titre de dommages-intérêts sur le fondement de l'article 1153 du code civil ' les travaux ont été effectifs, elle a du se débrouiller seule pour les financer, et cela a ralenti d'autres projets' les sommes suivantes :

-au titre de pertes locatives : 31 200 euros (2600 euros pendant 12 mois)

-au titre de perte de chance : 465 000 euros

-au titre du préjudice moral : 40 000 euros,

' de condamner la SA BANQUE POPULAIRE RIVES DE PARIS à lui verser la somme de 8500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

' de condamner la SA BANQUE POPULAIRE RIVES DE PARIS aux entiers dépens de première instance et d'appel, avec application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.





Par application des dispositions de l' article 455 du code de procédure civile il est renvoyé pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties à leurs dernières conclusions ci-dessus visées.






SUR CE





1° Sur la résiliation du contrat de prêt prononcée le 18 septembre 2013



Considérant que comme l'a souligné le premier juge, le contrat de prêt signé entre les parties, unique et global, ne soumet le déblocage des fonds à aucune condition ni modalité particulière, telle la présentation de facture ou devis qui seraient soumis à l'approbation du prêteur de fonds ;



Considérant néanmoins que l'article 1134 du code civil dans sa rédaction applicable au temps du contrat dispose que 'les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise. Elles doivent être exécutées de bonne foi ' ;





Considérant qu'à ce titre, la banque est légitime à vouloir s'assurer de l'absence de fraude de la part de son cocontractant, mais s'en prévalant, elle supportera la charge de la preuve de la mauvaise foi de celui-ci ;



Considérant qu'en l'espèce si la banque considère comme douteuses les conditions dans lesquelles le chantier a été initialement confié à une entreprise durablement en cours de formation et donc sans existence légale, et analyse comme suspectes les circonstances particulières dans lesquelles la reprise du chantier à été organisée (en un trait de temps et pour un montant envisagé identique à l'euro près, laissant penser qu'il n'y a pas eu changement de prestataire), force est de constater que lesdits travaux n'avaient aucun caractère fictif, que la preuve suffisante de leur effectivité est rapportée par madame [N] et que les fonds dédiés n'ont pas été utilisés à d'autre fins que celles du contrat ;



Qu'ainsi, le 'comportement gravement répréhensible'que reproche la banque à madame [N] et qui tient dans les seuls éléments qui viennent d'être exposés, ne suffit pas à caractériser une mauvaise foi de celle ci dans l'exécution du contrat et ne pouvait asseoir la résiliation du prêt telle que décidée par la banque le 18 septembre 2013 ;



Considérant qu'en conséquence il convient de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a annulé la résiliation unilatérale du prêt ; qu'ainsi le contrat de prêt reprendra effet aux conditions initiales, et il incombe à la banque de débloquer la somme de 99 000 euros affectée conventionnellement à la réalisation des travaux, laquelle somme produira intérêts à partir du 6 mars 2014, date de l'assignation ;



Qu'il s'ensuit aussi que la demande reconventionnelle en paiement formulée par la banque ne peut qu'être rejetée, et le jugement déféré sera également confirmé sur ce point;





2° Sur la réouverture du compte



Considérant qu'il revient à madame [N] de démontrer que la banque n'était pas dans les conditions lui permettant de rompre la convention d'ouverture de compte et/ou qu'elle n'en pas respecté les formalités ; que madame [N] échoue totalement à rapporter cette preuve, et ne conteste même pas que la banque ait satisfait aux exigences que lui impose en la matière le code monétaire et financier (voire même les conditions contractuelles de la convention d'ouverture de compte, au demeurant non versées au débat), d'ailleurs visées dans le courrier de préavis qui lui a été adressé ;



Que dans ces conditions c'est à juste titre que le tribunal a relevé que la banque a toujours la faculté de décider de la fermeture d'un compte, la seule obligation pesant sur elle étant de respecter les règles de procédure qui y président, ce qui en l'espèce a été le cas ;



Qu'il en découle que le motif importe peu ; qu'il sera simplement souligné que si en l'espèce il est parfaitement établi que fermeture du compte et résiliation du prêt reposait sur un motif identique (et d'ailleurs les deux questions sont abordées simultanément dans le courrier du 18 septembre 2013), il résulte des pièces mêmes de madame [N], que son compte était débiteur de manière récurrente et l'était encore au moment de la clôture pour un montant dépassant les 3 000 euros, ce qui ne faisait pas d'elle un client exemplaire ;



Considérant que le jugement déféré sera donc également confirmé, en ce qu'il a rejeté les demandes de madame [N] relativement à la réouverture du compte et par voie de conséquence celles qui en découlent, y compris en ce qui concerne la demande de restitution des avoirs que détiendrait la banque, ce dont la preuve n'est pas rapportée, ni en première instance ni à hauteur d'appel, étant rappelé encore une fois que le solde du compte de dépôt de madame [N] était débiteur au moment de sa fermeture ;





3° Sur les demandes indemnitaires





Considérant que le jugement déféré mérite d'être confirmé en ce qu'il a retenu le principe de l'existence d'un préjudice justifiant réparation, résultant de la résiliation abusive du prêt (et de l'inscription injustifiée au fichier de la Banque de France) ;



Considérant que cette indemnisation que le juge lui même qualifie de 'globale'doit cependant être revue et ventilée, d'autant que madame [N] a tenu compte de la motivation du tribunal, qui pour rejeter ses demandes indemnitaires au titre des pertes locatives notamment, a pointé l'insuffisance de la demanderesse dans l'administration de la preuve ' demande non chiffrée, aucun justificatif de la consistance des projets qui auraient été ralentis, et à hauteur d'appel affine ses demandes ;



Considérant que les fonds qui devaient être débloqués à hauteur de 99 000 euros étaient destinés à la rénovation de la surface à usage d'habitation de ce local 'mixte', de sorte qu'aucune perte locative ne se rapporte à la partie commerciale en suite du retard pris dans l'exécution de travaux de rénovation dont se plaint madame [N] ;



Considérant que madame [N] évalue à environ 70 000 euros le coût des travaux qu'elle a du financer par ses propres moyens pour pallier la carence de la banque ; qu'outre le fait que ce chiffrage n'est étayé par aucun élément objectif, il est clair que cette somme aurait de toute manière été insuffisante à faire prospérer son projet immobilier dont elle dit qu'il a été ralenti, et pour lequel le prévisionnel envisageait un investissement de 669 000 euros pour un bénéfice escompté de 381 000 euros, soit un projet sans commune mesure avec ce qui a été entravé par la position de refus de la banque ;



Qu'aussi les 465 000 euros demandés ' assez curieusement ' à titre de 'perte de chance', correspondent en fait aux pertes estimées pour ce projet ambitieux de construction et revente de deux maisons, dont le succès dépend de bien d'autres facteurs indépendamment des apports immédiats de fonds ; qu'il n'est pas établi de lien de causalité suffisant entre la faute de la banque refusant de débloquer la somme de 99 000 euros et les prétendues difficultés rencontrées par madame [N] dans l'avancement de son autre projet ; qu'ainsi madame sera déboutée de ses demandes de ce chef ;



Considérant de même, qu'à hauteur d'appel la preuve reste insuffisante concernant les pertes locatives alléguées, les attestations fournies quant à la valeur locative ne suffisant pas à faire considérer comme établi le fait qu'assurément les locations auraient trouvé preneur pour toute la période considérée et pour le montant de loyer espéré ;



Considérant à l'inverse que s'agissant du préjudice moral subi par madame [C] il résulte de manière certaine de la résiliation du contrat de prêt et de la déception tenant au fait que le projet n'avançait pas comme prévu, fait établi en ce qui concerne les travaux pour lesquels était prévue l'affectation de la somme de 99 000 euros; qu'en revanche, et pour les raisons précédemment exposées il n'existe aucun préjudice moral indemnisable relativement aux autres projets de madame [N] ou encore en raison des circonstances de la fermeture du compte, régulière ;



Que par conséquent, la somme indemnitaire accordée à ce titre sera donc considérablement modérée par rapport au montant sollicité par madame [N], et sera ramenée à la somme de 10 000 euros ;





4° Sur les dépens et frais irrépétibles



Considérant qu'au vu de l'issue du litige l'équité commande de partager les dépens et que chacune des parties conserve la charge de ses propres frais irrépétibles ;







PAR CES MOTIFS





La cour,



Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions



* sauf à préciser que la somme de 99 000 euros que la banque doit débloquer en exécution des dispositions contractuelles reprenant effet, portera intérêts au taux légal à compter du 6 mars 2014 date de l'assignation.



* et sauf en ce qui concerne l'indemnisation des préjudices de madame [P] [N], pour laquelle, infirmant le jugement déféré et statuant à nouveau :



Condamne la SA BANQUE POPULAIRE RIVES DE PARIS à payer à madame [P] [N] la somme de 10 000 euros en réparation de son préjudice moral,



Déboute madame [P] [N] du surplus de ses demandes indemnitaires,



Y ajoutant,



Partage les dépens par moitié,



Dit que chacune des parties conserve la charge de ses propres frais irrépétibles.



LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

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