20 décembre 2017
Cour d'appel de Paris
RG n° 16/03157

Pôle 2 - Chambre 1

Texte de la décision

Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS





COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 2 - Chambre 1



ARRET DU 20 DECEMBRE 2017



(n° 503 , 6 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 16/03157



Décision déférée à la Cour : Jugement du 02 Décembre 2015 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 13/14962





APPELANTS



Monsieur [J] [F]

[Adresse 1]



né le [Date naissance 1] 1946 à[Localité 1]





Monsieur [U] [F]

[Adresse 2]

[Localité 2]



né le [Date naissance 2] 1963 à [Localité 3]





SARL FLOC'HOLDING DEVELOPPEMENT à enseigne FLOC'H

[Adresse 3]

[Localité 4]



N° SIRET : 412 577 2077



Représentée par Me François DE LASTELLE de la SARL CABINET DE LASTELLE PIALOUX FREZAL, avocat au barreau de PARIS, toque : P0070

Ayant pour avocat plaidant Me Pascale BADINA, Avocat au barreau de ROUEN





INTIME



Monsieur [Y] [N]

[Adresse 4]

[Localité 5]



né le [Date naissance 3] 1959 à [Localité 6]



Représenté par Me Frédéric INGOLD de la SELARL INGOLD & THOMAS - AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : B1055

Ayant pour avocat plaidant Me Ana ATALLAH, avocat au barreau de PARIS, toque : J032





COMPOSITION DE LA COUR :



L'affaire a été débattue le 08 Novembre 2017, en audience publique, devant la Cour composée de :



M. Christian HOURS, Président de chambre, chargé du rapport

Mme Marie-Sophie RICHARD, Conseillère

Mme Marie-Claude HERVE, Conseillère



qui en ont délibéré





Greffier, lors des débats : Mme Lydie SUEUR





ARRET :



- Contradictoire



- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.



- signé par M. Christian HOURS, président et par Mme Lydie SUEUR, greffier.




*****



Dans le cadre d'une instance opposant les cohéritiers de M. [A] [F] décédé le [Date décès 1] 1995, laissant pour lui succéder son épouse et ses huit enfants, le tribunal de grande instance de Beauvais a, par jugement du 19 janvier 2004 :

- prononcé l'extinction de l'usufruit de Mme [N] [S], veuve [F] et/ou de ses ayants-droit sur les parts indivises de la SNC [F] et Fils dépendant de la succession de [A] [F] ;

- dit que MM.[J] [U] et [Q] [F], ainsi que Mme [N] [S], veuve [F] et son ayant- droit, la société Floc'holding Développement, se sont rendus coupables de recel successoral ;

- ordonné en conséquence la réintégration dans l'actif successoral, en nature subsidiairement en valeur :

' par M. [J] [F] de 14.400 actions de la société SPBL,

' par M. [U] [F] de 9.600 actions de la société SPBL,

' par Mme [N] [S], veuve [F] et la société Floc'holding Développement, de 44 800 actions de la société SPBL ainsi que de 40 % de la somme de 3 669 608,73 euros, sans préjudice de toutes autres réintégrations qui pourraient être sollicitées à l'issue des opérations d'expertise ci-dessous ordonnées ;

- ordonné la restitution des fruits et produits de ces titres et valeurs ;

- ordonné que Mme [N] [S], veuve [F], contribue au paiement des dettes constituées par le passif communautaire lié à la détention de 40 % des parts de la SNC [F] et Fils ;

- prononcé les mesures de sauvegarde suivantes qui seules bénéficieront de l'exécution provisoire :

- interdit la vente de tous actifs dépendant des sociétés SNC [F] et Fils, SBPL, SCI La Baranquine, SCEA du Manoir, SA [Adresse 5], SCEA [Adresse 6] et dit qu'il sera tiré toute conséquence de droit de la découverte de transactions effectuées en violation de cette interdiction ;

- désigné M. [V] [N] en qualité d'expert judiciaire avec pour mission de :

' dresser un état des actifs détenus directement et indirectement par [A] [F] au 1er janvier 1994 et au jour de son décès ;

' en conséquence décrire les actifs corporels et incorporels, y compris les créances, logés dans les sociétés suivantes :

- SNC [F] et fils

- SA SPBL

- SCI La Baranquine

- SCEA du Manoir

- SA [Adresse 7]

- SCEA Pot au Pot.

' décrire les immeubles dépendant de la communauté [F]/[S] aux mêmes dates en précisant l'assiette de l'usufruit du conjoint survivant ;

' dresser un état des dettes sus évoquées en précisant l'identité des créanciers et l'origine de la dette ;

' dresser le même état actif et passif concernant l'indivision post communautaire et successorale à la date des opérations d'expertise et identifier les bénéficiaires des transmissions d'actifs intervenus depuis le 1er janvier 1994 ainsi que la cause de ces opérations en donnant son avis sur la réalité et l'équilibre des contreparties reçues directement et indirectement par l'indivision ;

' chiffrer le montant des contributions respectives des indivisaires et de Madame [S] veuve [F] dans les dettes successorales.

' chiffrer les préjudices subis par l'indivision successorale du fait des man'uvres commises par les défendeurs.



Par décision du tribunal de grande instance de Beauvais du 31 mars 2004, M.[Y] [N] a été désigné comme expert en remplacement de M.[V] [N].



M.[N] a déposé une note aux parties, le 24 novembre 2005, dans laquelle il indiquait que les actifs [Localité 7] ont été cédés au préjudice de la société la Baranquine, que l'origine de la créance de Floch était inconnue et que le préjudice, très important, pouvait être estimé à la valeur des actifs [Localité 7] en 2012.



Par arrêt du 10 mai 2007, la cour d'appel d'Amiens a jugé qu'aucune dette envers la société Floc'holding n'apparaissait dans les comptes de la SCI la Baranquine et que la dette de cette dernière envers la Société bordelaise de crédit avait été ramenée à 830 000 francs en septembre 1998 et apurée à cette date. Elle relevait que la créance de 631 775 euros de la société Floc'holding était supérieure au passif de la SCI La Baranquine au 31 décembre 1994, alors que la société n'avait procédé à aucun investissement et que son résultat annuel était positif. La cour a ordonné la réintégration dans l'actif de la société la Baranquine en nature ou subsidiairement en valeur, par la société Floc'holding ou par [J] et [U] [F], des terrains dont celle-ci était propriétaire à[Localité 7], constituant les 8931/43864 émes d'un immeuble cadastré AN n°[Cadastre 1], [Cadastre 1], [Cadastre 2] et [Cadastre 3] pour une contenance totale de 4ha 38a et 64 ca, ainsi que les droits portant sur le bail à construction y attaché. La cour a appliqué les peines du recel successoral à l'encontre de MM.[J] et [U] [F] et de la société Floc'holding.



La Cour de cassation a, le 19 novembre 2008, déclaré non admis le pourvoi contre cet arrêt.



Le 15 décembre 2008, M.[N] a déposé son rapport définitif.



Recherchant la responsabilité de M.[N] dans l'exécution de la mission d'expertise qui lui a été confiée, qui aurait en particulier négligé d'exploiter les éléments dont il disposait avant que la cour d'appel ne statue le 10 mai 2007, la société Floch'holding, MM.[J] et [U] [F] ont fait assigner, le 16 octobre 2013, M.[N] en dommages et intérêts.



Par jugement du 2 décembre 2015, le tribunal de grande instance de Paris a :

- déclaré irrecevable l'action engagée par M.[J] [F], M.[U] [F] et la société Floc'holding ;

- débouté M.[N] de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive ;

- condamné M.[J] [F], M.[U] [F] et la société Floc'holding à payer à M.[N] la somme de 7 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné M.[J] [F], M.[U] [F] et la société Floc'holding aux dépens.






Dans leurs dernières écritures du 17 février 2017, MM.[F] et la société Floc'holding demandent à la cour de :

- juger leur action recevable et non prescrite ;

- statuant sur le fond, condamner M.[Y] [N] à régler à la société Floc'holding une somme de 631 775 euros de dommages intérêts au titre de sa créance sur la BARANQUINE devenue irrécouvrable, outre la somme de 20 000 euros correspondant à l'indemnité de l'article 700 à laquelle il a été condamné, outre le remboursement des dépens d'appel ;

- condamner M.[N] à régler à MM [J] et [U] [F], chacun, à titre de dommages intérêts les sommes de :

- 186 750 euros, au titre de la restitution en valeur des terrains à laquelle MM.[J] et [U] [F] ont été condamnés par la cour d'Amiens ;

- 200 000 euros en réparation de leur préjudice moral au titre de la condamnation pour recel ;

- 20 000 euros correspondant à l'indemnité de l'article 700 à laquelle ils ont été chacun, condamnés, outre le remboursement des dépens d'appel,

soit au total, une somme de 406 750 €, pour chacun d'eux, sauf à parfaire ;

- le condamner en une somme de 15 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner M. [Y] [N] aux entiers dépens dont distraction au profit de Me François Delastelle et ce conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.



L'ordonnance de clôture est intervenue le 21 février 2017.



Dans ses dernières écritures du 21 février 2017, M. [N] demande à la cour :

- d'écarter des débats lesdites conclusions et la pièce numérotée 20 des appelants comme portant atteinte au principe du contradictoire ;

- de confirmer le jugement du tribunal de grande instance du 2 décembre 2015 en qu'il a déclaré irrecevable comme prescrite l'action engagée par MM.[F] et la société Floc'holding ;

- subsidiairement, rejeter l'ensemble des demandes de MM.[F] et de la société Floc'holding, les déclarant irrecevables et en outre mal fondées ;

- pour le cas où, par extraordinaire, la cour entendrait infirmer le jugement entrepris et déclarer l'action engagée par MM.[F] et la société Floc'holding recevable, renvoyer les parties à conclure sur le fond ;

- en tout état de cause, réformer le jugement du tribunal de grande instance du 2 décembre 2015 en ce qu'il a rejeté la demande de dommages et intérêts et condamner in solidum les appelants à lui payer une somme de 150 000 euros en réparation du préjudice causé par leurs demandes abusives, ainsi que la somme de 50 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner les mêmes aux entiers dépens ;

- dire qu'il sera fait application de l'article 1154 du code civil.



Les appelants se sont opposés à cette demande au motif que les écritures contestées, prises en réplique aux conclusions adverses ne soulèvent ni moyen nouveau ni prétention nouvelles, la nouvelle pièce communiquée consistant en la copie du bordereau de communication de pièces qui avaient été antérieurement produites devant le tribunal de grande instance d'Amiens.



Les plaidoiries initialement fixées au 8 mars 2017 ont été reportées au 8 novembre 2017.



A la demande de la cour, le conseil des appelants a communiqué, le 10 novembre 2017, l'arrêt de non-admission du pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel d'Amiens du 10 mai 2007.






MOTIFS DE LA DÉCISION :



Considérant sur la demande de M.[N] tendant à écarter les conclusions des appelants du 17 février 2017, trop proches de l'ordonnance de clôture, qu'il convient d'observer que celles -ci se contentent de répliquer à ses dernières écritures et ne contiennent ni moyen nouveau, ni prétention nouvelle ; que la pièce communiquée n'est autre que la copie du bordereau de communication de pièces déjà produites antérieurement devant le tribunal de grande instance d'Amiens ; qu'en outre l'audience ayant été reportée de huit mois, M.[N], s'il avait souhaité répliquer à nouveau, avait tout loisir de le faire en sollicitant le rabat de l'ordonnance de clôture ;



Considérant dans ces conditions, qu'il n'y a pas lieu d'écarter les conclusions et la pièce 20 transmises le 17 février 2017 par les appelants ;



Considérant que les appelants soutiennent que :

- leur action n'est pas atteinte par la prescription quinquennale dès lors que son point de départ doit être placée à la date du dépôt du rapport de l'expert [N] en décembre 2008, le dommage n'étant pas réalisé tant que l'expert pouvait rectifier ses erreurs ;

- ce n'est qu'au moment du dépôt du rapport d'expertise :

- qu'ils sont en mesure de démontrer qu'ils avaient bien justifié de l'existence d'une créance de 631 775 euros de la société Floc'holding sur la SCI La Baranquine ;

- que l'expert reconnaît enfin l'erreur commise dans sa note aux parties du 23/11/2005

- que la preuve du défaut de diligence et de l'abstention fautive de l'expert est rapportée, puisque les conclusions de son rapport du 15 décembre 2008 s'appuient sur les dires des 18 novembre 2005 et du 21 février 2006 ;

- que la preuve de l'abstention fautive de l'expert est rapportée, puisqu'il ne réagit pas au courrier du 14 avril 2006, le mettant en garde sur l'exploitation malveillante de sa note devant la cour d'appel d'Amiens ;

- en conséquence, la manifestation du dommage (abstention fautive de l'expert, refus d'analyser les documents et pièces justificatives transmises, refus de réagir lorsque sa note était exploitée par la partie adverse devant la cour d'appel) ne peut pas être assimilée à celle de la réalisation du dommage puisque celle-ci n'intervient qu'au moment où l'expert reconnaît son erreur et dépose son rapport dans lequel il modifie les conclusions de sa note aux parties ;

- aucune action en responsabilité de l'expert n'était ouverte avant le dépôt du rapport définitif;



Considérant que M.[N], intimé, réplique que :

- les faits litigieux dont les appelants se prévalent dans le cadre de la présente instance consistent notamment dans les propos ou les abstentions considérées comme fautives de l'expert, en particulier dans ses notes du 25 novembre 2005, du 12 décembre 2005 ou encore du 11 décembre 2006 ;

- dès la réception de ces écrits par les appelants, ceux-ci connaissaient donc les faits qu'ils reprochent aujourd'hui à M. [N] et étaient ainsi à même d'agir contre lui si bon leur semblait et non, comme voudraient le faire croire les appelants, après la date du rapport d'expertise ;



Considérant sur ce qu'aux termes de l'article 2224 du code civil applicable au litige, les actions personnelles se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ;



Considérant que les appelants, à l'appui de leur action en responsabilité, font essentiellement grief à M.[N], de n'avoir pas, en sa qualité d'expert, pris en compte les dires qui lui avaient été adressés pour modifier les termes de sa note aux parties du 23 novembre 2005, qu'ils considèrent comme erronée et ayant induit en erreur la cour d'appel d'Amiens dans sa décision du 10 mai 2007, qui les a déclarés coupables de recel successoral ;



Considérant que les appelants ont connu au plus tard à la date de l'arrêt de la cour d'appel d'Amiens, le 10 mai 2007, que l'attitude fautive qu'ils reprochent à l'expert [N], résultant selon eux de sa carence à corriger, avant la décision de la cour, ses conclusions initiales, leur avait occasionné le préjudice dont ils se plaignent ;



Considérant que leur action, introduite, le 16 octobre 2013, soit plus de 5 ans après le 10 mai 2007, qui constitue le point de départ de la prescription, apparaît irrecevable, de sorte que le jugement entrepris doit être confirmé ;



Considérant que M.[N] ne justifie pas que les appelants aient commis un abus de leur droit d'ester en justice et de faire appel, de sorte qu'il sera débouté de sa demande de dommages et intérêts et que le jugement sera également confirmé sur ce point ;



Considérant que les appelants devront in solidum verser à M.[N] la somme de 7 500 euros pour compenser les frais qu'il a exposés et qui ne sont pas compris dans les dépens; qu'il n'y a pas lieu à anatocisme ;



Considérant que les appelant devront en outre supporter les dépens d'appel ;





PAR CES MOTIFS,





La Cour,



- dit n'y avoir lieu d'écarter les conclusions et la pièce 20 transmises le 17 février 2017 par les appelants ;



- confirme en toutes ses dispositions le jugement du 2 décembre 2015 du tribunal de grande instance de Paris ;



- y ajoutant, condamne in solidum MM. [J] [F], [U] [F] et la société Floc'holding à payer à M.[N] la somme de 7 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour compenser les frais irrépétibles qu'il a exposés en cause d'appel et à supporter les dépens d'appel ;



- déboute M.[N] de sa demande d'anotocisme.



LE GREFFIER, LE PRESIDENT,

Vous devez être connecté pour gérer vos abonnements.

Vous devez être connecté pour ajouter cette page à vos favoris.

Vous devez être connecté pour ajouter une note.