21 décembre 2006
Cour de cassation
Pourvoi n° 04-30.586

Deuxième chambre civile - Formation plénière de chambre

Publié au Bulletin - Publié au Rapport

ECLI:FR:CCASS:2006:C202210

Titres et sommaires

CONVENTION DE SAUVEGARDE DES DROITS DE L'HOMME ET DES LIBERTES FONDAMENTALES - Protocole additionnel n° 1 - Article 1 - Protection de la propriété - Droit au respect de ses biens - Biens - Définition - Prestation sociale versée automatiquement

Le versement automatique d'une prestation sociale, que l'octroi de celle-ci dépende ou non du versement préalable de cotisations, engendre un intérêt patrimonial relevant du champ d'application de l'article 1er du Protocole additionnel n° 1 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales

SECURITE SOCIALE, ASSURANCES SOCIALES - Prestations (dispositions générales) - Nature - Détermination - Portée


SECURITE SOCIALE, ASSURANCES SOCIALES - Vieillesse - Pension - Majoration pour enfants - Nature - Portée

L'avantage résultant de l'article L. 351-4 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction applicable à l'espèce, étant accordé aux femmes qui ont élevé un ou plusieurs enfants, sans distinction entre celles qui ont poursuivi sans interruption leur carrière et celles qui l'ont interrompue à cette occasion, aucune discrimination justifiée par un motif objectif et raisonnable ne saurait être retenue entre une femme qui n'a pas interrompu sa carrière et un homme qui apporte la preuve qu'il a élevé un seul enfant. Il s'ensuit que celui-ci, en vertu des dispositions combinées de l'article 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 1er du Protocole n° 1, directement applicables à toute personne relevant de la juridiction des Etats signataires, doit bénéficier de la majoration de durée d'assurance visée à l'article L. 351-4 du code de la sécurité sociale

CONVENTION EUROPEENNE DES DROITS DE L'HOMME - Article 14 - Interdiction de discrimination - Compatibilité - Code de la sécurité sociale - Article L. 351-4 - Portée

Texte de la décision

CIV. 2
SECURITE SOCIALE
LM



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 21 décembre 2006




Rejet


Mme FAVRE, président



Arrêt n° 2210 FP-P+B+R

Pourvoi n° D 04-30.586







R E P U B L I Q U E F R A N C A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
_________________________


LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par la caisse régionale d'assurance maladie d'Aquitaine (CRAMA), dont le siège est 80 avenue de la Jallère, 33053 Bordeaux cedex,

contre l'arrêt rendu le 17 juin 2004 par la cour d'appel de Bordeaux (chambre sociale, section B), dans le litige l'opposant à M. [V] [X], domicilié 73 rue du Pavillon, 24750 Boulazac,

défendeur à la cassation ;

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;

Vu la communication faite au procureur général ;

LA COUR, composée conformément à l'article L. 131-6-1 du code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 29 novembre 2006, où étaient présents : Mme Favre, président, Mme Duvernier, conseiller rapporteur, M. Guerder, conseiller doyen, MM. Ollier, Thavaud, de Givry, Mazars, Loriferne, Moussa, Mme Aldigé, MM. Boval, Lacabarats, Feydeau, Héderer, conseillers, MM. Besson, Vigneau, Mme Fontaine, conseillers référendaires, Mme Laumône, greffier de chambre ;

Sur le rapport de Mme Duvernier, conseiller, les observations de la SCP Gatineau, avocat de la CRAMA, de la SCP Le Bret-Desaché, avocat de M. [X], les conclusions de Mme Barrairon, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 17 juin 2004), que M. [X] ayant, le 3 juin 2000, demandé à bénéficier de ses droits à la retraite à compter du 1er octobre 2000, la caisse régionale d'assurance maladie (CRAMA) lui a notifié qu'à cette date, il ne pourrait invoquer que cent cinquante-deux trimestres au lieu des cent cinquante-sept exigés pour l'attribution d'une pension à taux plein ; que M. [X] a alors fait valoir qu'ayant élevé seul son fils, il était en droit de revendiquer la majoration de la durée d'assurance attribuée par l'article L. 351-4 du code de la sécurité sociale aux femmes ayant élevé un ou plusieurs enfants dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article L. 342-4 dudit code ;

Attendu que la CRAMA fait grief à l'arrêt d'avoir accueilli la demande de M. [X], alors, selon le moyen :

1°/ que l'article 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales n'interdit les distinctions fondées sur le sexe qu'en ce qui concerne la jouissance des droits et libertés reconnus par les autres clauses normatives de la Convention et des Protocoles additionnels ; que l'avantage accordé en matière d'assurance viellesse par l'article L. 351-4 du code de la sécurité sociale aux femmes ayant élevé un ou plusieurs enfants ne constitue pas un bien au sens de l'article 1er du Protocole additionnel n° 1 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; qu'en affirmant, au visa de ces deux textes, que la décision de la CRAMA refusant à M. [X] le bénéfice des dispositions de l'article L. 351-4 du code de la sécurité sociale n'était pas justifiée, la cour d'appel a violé lesdits textes ;

2°/ que la violation du droit garanti par l'article 14 de la Convention de ne pas subir de discrimination dans la jouissance des droits reconnus par la Convention n'est caractérisée que lorsque les Etats imposent sans justification objective et raisonnable un traitement différent à des personnes se trouvant dans des situations analogues ; que l'existence d'une justification objective et raisonnable s'apprécie globalement et non de la situation individuelle de tel ou tel individu ; qu'en l'espèce, l'article L. 351-4 du code de la sécurité sociale, qui accorde aux femmes ayant élevé un ou plusieurs enfants un avantage en matière d'assurance vieillesse, repose sur une justification objective et raisonnable, en ce que d'une part, il poursuit le but légitime de compenser les inégalités de fait dont les femmes ont jusqu'à présent été l'objet -tenant en particulier à ce qu'elles ont interrompu leur activité professionnelle bien davantage que les hommes afin d'assurer l'éducation des enfants- et d'autre part, il respecte un rapport de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé les textes précités ;

Mais attendu qu'il résulte de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, telle qu'interprétée par la Cour européenne des droits de l'homme, que, d'une part, dès lors qu'un Etat contractant met en place une législation prévoyant le versement automatique d'une prestation sociale, que l'octroi de celle-ci dépende ou non du versement préalable de cotisations, cette législation engendre un intérêt patrimonial relevant du champ d'application de l'article 1er du Protocole additionnel n° 1, d'autre part, une différence de traitement entre hommes et femmes ayant élevé des enfants dans les mêmes circonstances ne peut être admise qu'en présence d'une justification objective et raisonnable ;

Et attendu que l'arrêt retient que l'avantage résultant de l'article L. 351-4 du code de sécurité sociale dans sa rédaction applicable à l'espèce est accordé aussi bien aux femmes qui ont poursuivi leur carrière sans interruption qu'à celles qui l'ont interrompue, qu'il n'existe aucun motif de faire une discrimination entre une femme qui n'a pas interrompu sa carrière pour élever ses enfants et un homme qui apporte la preuve qu'il a élevé seul un enfant ;

Que de ces constatations et énonciations, dont il ressort l'absence de justification objective et raisonnable de la discrimination litigieuse, la cour d'appel a exactement déduit qu'en vertu des dispositions combinées de l'article 14 de la Convention et de l'article 1er du Protocole n° 1, directement applicables à toute personne relevant de la juridiction des Etats signataires, M. [X] devait bénéficier de la majoration de durée d'assurance sollicitée ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la CRAMA aux dépens ;

Vu l'article 700 du nouveau code de procédure civile, rejette la demande de la CRAMA ; la condamne à payer à M. [X] la somme de 2 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt et un décembre deux mille six.

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