16 mai 2018
Cour d'appel de Bordeaux
RG n° 16/04220

CHAMBRE SOCIALE SECTION A

Texte de la décision

COUR D'APPEL DE BORDEAUX



CHAMBRE SOCIALE - SECTION A



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ARRÊT DU : 16 MAI 2018



(Rédacteur : Madame Catherine DUPOUY DE GORDON, Présidente)



PRUD'HOMMES



N° de rôle : 16/04220







Etablissement Public [Établissement 1]



c/



Monsieur [U] [S]

















Nature de la décision : AU FOND













Notifié par LRAR le :



LRAR non parvenue pour adresse actuelle inconnue à :



La possibilité reste ouverte à la partie intéressée de procéder par

voie de signification (acte d'huissier).



Certifié par le Greffier en Chef,





Grosse délivrée le :



à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 06 juin 2016 (R.G. n°F 15/01796) par le Conseil de prud'hommes - Formation de départage de BORDEAUX, Section Industrie, suivant déclaration d'appel du 27 juin 2016,





APPELANTE et intimé :

Etablissement Public [Établissement 1], agissant en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité au siège social pour son établissement de [Localité 1] [Adresse 1]

N° SIRET : [Établissement 1]

représenté par Me Jérôme BONNAND substituant Me Joseph AGUERA de la SCP JOSEPH AGUERA ET ASSOCIES, avocats au barreau de LYON





INTIMÉ et appelant par déclaration d'appel du 13 juillet 2016 :

Monsieur [U] [S]

né le [Date naissance 1] 1956 à [Localité 2] de nationalité Française, demeurant [Adresse 2]

représenté par Me Béatrice LEDERMANN de la SELARL AFC-LEDERMANN, avocat au barreau de BORDEAUX,

représenté par Me COUPILLAUD substituant Me Caroline DUPUY, avocats au barreau de BORDEAUX





COMPOSITION DE LA COUR :



En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 05 mars 2018 en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Catherine Dupouy de Gordon, présidente chargée d'instruire l'affaire et Madame Annie Cautres, conseillère

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Catherine Dupouy de Gordon, présidente

Madame Nathalie Pignon, présidente

Madame Annie Cautres, conseillère



Greffier lors des débats : Madame Anne-Marie Lacour-Rivière,





ARRÊT :



- contradictoire



- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.



- prorogé au 16 mai 2018 en raison de la charge de travail de la cour.




***



EXPOSE DU LITIGE



Le 6 juin 2016, le conseil de prud'hommes de Bordeaux, par jugement de départage, a débouté M. [U] [S], salarié de l'Epic de [Établissement 1] qui l'avait saisi d'une demande, selon les dernières écritures, en versement d'une somme de 100.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral de manquement à l'obligation de sécurité résultant de son exposition aux poussières d'amiante.



En revanche, il a été fait droit à la demande de M. [S] en versement d'une indemnité de départ à la retraite, à hauteur de la somme de 5840,86 euros avec intérêts légaux à compter du 21 août 2015, date à laquelle M. [S] avait saisi pour la première fois le conseil de prud'hommes de cette demande, sans faire droit toutefois à une demande de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail, reposant sur le refus de l'employeur d erégler l'indemnité en cause.



Enfin, l'Epic [Établissement 1] a été condamné aux dépens ainsi qu'à verser à M. [S] la somme de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.



L'Epic [Établissement 1] a interjeté appel le 29 juin 2016 et M. [S] a relevé appel le 13 juillet 2016.



La jonction des instances d'appel a été ordonnée par mention au dossier du 1er mars 2017.



[Établissement 1] a déposé ses conclusions d'appelant le 26 septembre 2016 et des conclusions récapitulatives le 19 juin 2017 puis ses conclusions d'intimé le 20 novembre 2017.




Ces conclusions ont été développées oralement à l'audience.



L'Epic [Établissement 1] demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il l'a condamné à verser une indemnité de départ à la retraite et il sollicite le débouté de toutes les autres demandes sauf, à titre subsidiaire, à réduire notablement les demandes indemnitaires formulées en ce qui concerne le préjudice d'exposition à l'amiante.



M. [S] a déposé des conclusions d'intimé le 6 juin 2017, développées oralement à l'audience, sollicitant la confirmation partielle du jugement pour condamner l'établissement [Établissement 1] à lui verser une indemnité de départ volontaire à la retraite d'un montant de 5840,86 euros avec intérêts au taux légal à compter de la saisine et remise d'un bulletin de paie sous astreinte de 50 € par jour de retard après expiration d'un délai d'un mois suivant la notification du jugement par le greffe, la cour se réservant la compétence pour liquider l'astreinte.



M. [S] demande par ailleurs la réformation du jugement pour condamner l'établissement [Établissement 1] à lui verser des dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail soit l'équivalent d'un mois de salaire à hauteur de 3893,91 euros, en net de cotisations, et pour condamner le même établissement à lui verser la somme de 1000 €, au lieu de la somme de 500 €, au titre de l'article 700 du code de procédure civile en première instance.



Enfin, M. [S] demande la condamnation de la partie adverse à lui verser la somme de 1500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile en appel, ainsi qu'aux dépens, demandant en outre à la cour de statuer aussi sur les demandes qu'il présente par des conclusions distinctes de Me Ledermann dont il indique qu'elle est saisie du contentieux collectif du préjudice d'anxiété.



Le 7 novembre 2017, M. [S] a effectivement déposé des conclusions, oralement développées à l'audience, au vu desquelles il demande l'infirmation du jugement en ce qu'il l'a débouté de sa demande de dommages et intérêts pour manquement de l'employeur à son obligation de sécurité de résultat et sollicite qu'il soit fait droit aux demandes de condamnation formulées en première instance, à savoir la somme de 100.000 euros nets à titre de dommages et intérêts pour préjudice d'anxiété. M. [S] demande en outre à la cour d'assortir les condamnations des intérêts légaux à compter de la saisine, y compris sur la somme de 1.500 euros nets qu'il sollicite au titre de l'article 700 du code de procédure civile.



Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens, des prétentions et de l'argumentation des parties, il est expressément renvoyé aux jugements de départage ainsi qu'aux écritures déposées, oralement reprises.





DÉCISION



Sur la demande relative à l'indemnité de retraite et l'exécution déloyale du contrat de travail



L'administration des Monnaies et Médailles a changé de statut à compter du 1er janvier 2007, par la création d'un établissement public industriel et commercial.



Il en résulte, notamment pour les ouvriers d'Etat, un statut hybride, en vertu duquel [Établissement 1] considère que n'étant pas totalement employés dans les conditions du droit privé, ils ne peuvent prétendre à la fois au dispositif appelé 'coup de chapeau', destiné à permettre au salarié de bénéficier, 6 mois avant son départ à la retraite, d'une augmentation de son salaire, laquelle majore ainsi le montant de la retraite, également calculée sur les 6 derniers mois de salaires, selon le régime applicable dans la fonction publique, et au versement de l'indemnité de départ à la retraite, prévu à l'article L 1237-9 du code du travail.



L'Epic se fonde en particulier sur l'article L 1111-1 du code du travail, selon lequel les salariés travaillant dans ce type d'établissement bénéficient des dispositions du code du travail, 'sous réserve des dispositions particulières ayant le même objet résultant du statut qui régit ce personnel.'



Il en déduit que l'usage du 'coup de chapeau' et la prime de départ à la retraite ont le même objet et ajoute qu'il ne serait pas contestable que l'usage en vigueur à [Établissement 1] est plus avantageux pour les salariés, de sorte qu'il ne pourrait être fait droit à la demande de M. [S].



Il apparaît toutefois que c'est à juste titre que celui-ci soutient que ces deux dispositifs n'ont pas le même objet, au sens de l'article L 1111-1 sus-visé, car il s'agit de deux avantages différents, certes liés au départ à la retraite, mais pouvant fonctionner de façon indépendante et selon leur mécanisme propre, étant observé d'ailleurs que les salariés ayant déjà atteint le dernier échelon indiciaire ne bénéficient pas du 'coup de chapeau', ce qui est son cas.



Les deux dispositifs ne sont donc pas assimilables et ne réalisent pas un concours de dispositions ayant le même objet. Il est donc sans incidence de tenter de comparer lequel de ces dispositifs serait le plus avantageux.



Les critiques formulées à l'égard du 'coup de chapeau'n'ont pas davantage d'incidence sur la solution du litige concernant M. [S], relatif à l'indemnité de départ à la retraite.

En outre, M. [S] relève également à juste titre d'une part que l'accord de [Établissement 1] relatif aux classifications, rémunérations et évolutions professionnelles du 16 décembre 2008 ne comporte aucune disposition relative à une indemnité de départ à la retraite, et d'autre part, que la suppression du pécule de départ en retraite, telle qu'évoquée par [Établissement 1], ne peut en toute hypothèse avoir pour effet que d'écarter tout cumul d'avantages ayant le même objet, sans remettre en cause les droits que détient M. [S] par application des dispositions légales résultant du code du travail.



Les dispositions légales et réglementaires du code du travail relatives à l'indemnité de départ à la retraite revendiquée par M. [S] ne peuvent dès lors être exclues.



En ce qui concerne le montant réclamé, M. [S] justifie, dans ses écritures devant la cour, de ce qu'il a été calculé conformément aux dispositions des articles D 1237-1 et D 1237-2 du code du travail, selon l'ancienneté et sur la base du douzième de la rémunération des douze derniers mois précédant le départ à la retraite, formule pour lui la plus avantageuse. Ce calcul n'est pas en lui-même critiqué.



Il sera donc fait droit à la demande à hauteur de la somme sollicitée, soit 5840,86 euros, par confirmation du jugement, y compris en ce qui concerne le point de départ des intérêts légaux, fixé au 21 août 2015, date à laquelle M. [S] a présenté sa demande devant le conseil de prud'hommes.



De même, les dispositions relatives à la remise d'un bulletin de paie attestant le versement de la somme en cause seront confirmées, sans qu'il soit nécessaire de prononcer une astreinte.

*



M. [S] reproche à [Établissement 1] d'avoir agi de façon déplacée à son égard, dans le cadre du refus de l'indemnité de départ à la retraite mais le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté la demande d'indemnisation pour exécution déloyale du contrat de travail, à défaut par M. [S] de rapporter la preuve d'un préjudice autre que celui d'un retard dans la perception de l'indemnité, indemnisé par les intérêts de retard à compter du 21 août 2015, alors qu'il a pris sa retraite à compter du 1er janvier 2015.



Sur la demande relative au préjudice d'anxiété



Il résulte des pièces produites, en particulier la fiche descriptive des affectations de M. [S], produite par [Établissement 1], que celui-ci a effectivement été salarié de cet établissement, pendant près de vingt-cinq ans.



L'utilisation d'amiante sur le site et la présence de poussières d'amiante en différents points du site résultent également des pièces produites, y compris par l'employeur, et cela n'est d'ailleurs pas contesté.



Enfin, il résulte explicitement des conclusions de M. [S] que celui-ci, faisant valoir l'exposition à un risque qualifié d'avéré résultant d'un travail effectué en présence d'amiante, et l'inquiétude permanente en raison des manquements reprochés à l'employeur en ce qui concerne l'obligation de sécurité du risque amiante, demande à la cour de lui accorder la réparation de son préjudice d'anxiété à hauteur de 100.000 euros.



Il convient en conséquence de rappeler tout d'abord les principes applicables à la détermination de l'existence et de l'indemnisation du préjudice d'anxiété tels que définis notamment par la jurisprudence de la Cour de cassation puisque le droit à l'indemnisation de ce préjudice spécifique résulte d'une construction jurisprudentielle.



L'article 41 de la loi du 23 décembre 1998, par l'énoncé duquel l'appelant commence ses développements, a effectivement institué, en faveur des travailleurs qui ont été particulièrement exposés à l'amiante, sans être atteints d'une maladie professionnelle liée à cette exposition, un mécanisme de départ anticipé à la retraite avec mise en place du dispositif de l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (Acaata).



Les dispositions de ce texte, ni celles d'aucun autre texte, ne comportent la mention d'un quelconque préjudice d'anxiété dont l'existence a été consacrée par un arrêt de la cour de cassation, rendu le 11 mai 2010 par la formation plénière de la chambre sociale de la cour de cassation, et confirmée par la suite, relativement à la situation des salariés qui, travaillant dans un des établissements mentionnés à l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998, et figurant sur une liste établie par arrêté ministériel pendant une période où y étaient fabriqués ou traités l'amiante ou des matériaux contenant de l'amiante, se trouvaient par le fait de l'employeur dans une situation d'inquiétude permanente face au risque de déclaration d'une maladie liée à l'amiante.



En l'espèce, [Établissement 1] ne fait pas partie des établissements répertoriés à l'article 41, même à l'issue des modifications successives dont il a fait l'objet, et ne figure pas sur la liste établie par arrêté ministériel.



Or le préjudice spécifique d'anxiété, lequel ne résulte pas de la seule exposition à un risque créé par l'amiante, naît à la date à laquelle les salariés ont connaissance de l'arrêté ministériel d'inscription de l'établissement sur la liste des établissements permettant la mise en oeuvre de l'Acaata, dans la mesure où la connaissance de l'arrêté identifie et concrétise la connaissance du risque par les salariés qui ont été particulièrement exposés.



Si des démarches ont été effectuées auprès de la Dirrecte ou du ministère des finances en vue d'une éventuelle inscription de [Établissement 1], elles n'ont en toute hypothèse pas abouti à une inscription.



En l'absence d'inscription à ce jour de l'Epic [Établissement 1], sur la liste établie par arrêté ministériel, le préjudice d'anxiété allégué n'est pas né et n'est donc pas indemnisable en justice, à défaut de l'un de ses éléments constitutifs, et cela nonobstant les attestations produites, relatant notamment sa crainte de disparaître relativement jeune, ce qui aurait une incidence sur ses projets.





Dès lors, le jugement rendu le 6 juin 2016 ne peut qu'être confirmé en ce qu'il a débouté M. [S] de sa demande d'indemnisation.



Il est sans incidence, au regard de la motivation ci-dessus quant aux éléments constitutifs du préjudice d'anxiété dont la réparation est sollicitée, que M. [S] fasse état d'une exposition à d'autres produits susceptibles d'être dangereux, classés pour certains CMR.



De même, il est sans incidence sur le débat que la faute inexcusable de [Établissement 1] ait pu être retenue à l'occasion de litiges introduits devant le Tass, reposant sur des règles juridiques différentes et réparant des préjudices en toute hypothèse différents.



Le moyen relatif à l'inégalité de traitement ne peut davantage être retenu puisque la différence de traitement entre les salariés bénéficiaires ou non des dispositions de l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 résulte d'une situation différente, selon qu'ils ont ou non travaillé dans une entreprise inscrite sur la liste établie par arrêté ministériel, et pour la période définie, lorsque c'est le cas.



Il en est de même du moyen relatif aux dispositions légales et européennes, relatives à l'obligation générale de sécurité, pour le même motif, à savoir l'absence de caractérisation d'un préjudice indemnisable, y compris sur le fondement d'un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité.



Quant aux fiches d'exposition, elles ont pour finalité de déterminer les modalités du suivi médical mis en place par l'employeur, puisque ni l'utilisation d'amiante ni la présence de poussières d'amiante durant tout ou partie de l'activité professionnelle du salarié en cause n'est contestée, mais ne sont pas susceptibles de créer par elles-même un préjudice d'anxiété indemnisable.





Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens



[Établissement 1] échoue en son appel principal et il en est de même pour M. [S] pour sa demande d'infirmation relativement à l'exécution déloyale du contrat de travail et à l'indemnisation pour l'exposition au risque amiante.



Les dépens seront donc partagés par moitié entre l'Epic [Établissement 1] et M. [S].



Ce dernier sera débouté de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile et la somme accordée de ce chef par le jugement de départage ne sera pas remise en cause.







PAR CES MOTIFS







Confirme le jugement rendu le 6 juin 2016 par le conseil de prud'hommes de Bordeaux dans toutes ses dispositions,









Y ajoutant,



Dit n'y avoir lieu à astreinte,



Déboute les parties du surplus de leurs demandes,



Déboute M. [S] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,



Partage les dépens par moitié entre l'Epic [Établissement 1] et M. [S].





Signé par Madame Catherine Dupouy de Gordon, présidente et par Anne-Marie Lacour-Rivière, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.





Anne-Marie Lacour-Rivière Catherine Dupouy de Gordon

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