17 février 2021
Cour de cassation
Pourvoi n° 19-16.470

Chambre commerciale financière et économique - Formation restreinte hors RNSM/NA

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2021:CO00157

Titres et sommaires

ENTREPRISE EN DIFFICULTE (LOI DU 26 JUILLET 2005) - Procédure (dispositions générales) - Voies de recours - Exercice - Tierce opposition - Forme - Déclaration au greffe - Inobservation - Irrecevabilité

La tierce opposition à un jugement arrêtant un plan effectué par une lettre recommandée avec demande d'avis de réception, et non par une déclaration au greffe comme l'exige l'article R. 661-2 du code de commerce, est irrégulière. Ne fait pas preuve d'un formalisme excessif ni ne méconnaît les exigences du procès équitable garanti par l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la cour d'appel qui, ayant relevé que les modalités formelles de cette tierce opposition n'ont pas pour effet de priver les tiers de l'exercice de ce recours, retient que l'exigence d'une présentation au greffe n'a pas restreint l'accès ouvert au tiers opposant d'une manière ou à un point tels que son droit d'accès à un tribunal s'en est trouvé atteint dans sa substance même, que cette exigence tend à un but légitime et qu'il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre l'exigence et le but visé

ENTREPRISE EN DIFFICULTE (LOI DU 26 JUILLET 2005) - Redressement judiciaire - Plan de redressement - Jugement arrêtant le plan - Voies de recours - Tierce opposition - Forme

CONVENTION DE SAUVEGARDE DES DROITS DE L'HOMME ET DES LIBERTES FONDAMENTALES - Article 6, § 1 - Tribunal - Accès - Droit d'agir - Violation - Défaut - Cas - Tierce opposition à un jugement arrêtant un plan - Déclaration au greffe

Texte de la décision

COMM.

CH.B



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 17 février 2021




Rejet


M. RÉMERY, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 157 F-P+L

Pourvoi n° V 19-16.470







R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 17 FÉVRIER 2021

M. I... E..., domicilié [...], a formé le pourvoi n° V 19-16.470 contre l'arrêt rendu le 4 septembre 2018 par la cour d'appel de Chambéry (chambre civile, 1re section), dans le litige l'opposant :

1°/ à M. U... B..., domicilié [...] ,

2°/ à M. Y... F..., domicilié [...] , pris en qualité de commissaire à l'exécution du plan de redressement par voie de continuation de M. U... B... et de la société Hôtel Le Chamois d'Or,

3°/ à la société Hôtel Le Chamois d'Or, société à responsabilité limitée, dont le siège est [...] ,


4°/ au procureur général près la cour d'appel de Chambéry, domicilié en son [...],

défendeurs à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Bélaval, conseiller, les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat de M. E..., de la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat de M. B..., de M. F..., ès qualités, et de la société Hôtel Le Chamois d'Or, et l'avis de Mme Guinamant, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 5 janvier 2021 où étaient présents M. Rémery, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Bélaval, conseiller rapporteur, Mme Vaissette, conseiller, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Chambéry, 4 septembre 2018), la société Hôtel Le Chamois d'Or ayant été mise en redressement judiciaire le 18 décembre 2013, puis cette procédure ayant été étendue à M. B..., le 18 mars 2015, et M. F... désigné mandataire judiciaire, le tribunal de commerce d'Annecy a, par un jugement du 6 octobre 2016, arrêté un plan de redressement d'une durée de dix ans. M. E..., dont la créance était incluse dans le plan, a formé tierce-opposition à ce jugement par une lettre recommandée de son conseil adressée au greffe.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, ci-après annexé


2. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Et sur le second moyen

Enoncé du moyen

3. M. E... fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable sa tierce-opposition, alors :

« 1°/ que la déclaration est l'acte par lequel le demandeur saisit la juridiction sans que son adversaire ait été préalablement informé ; qu'elle peut être écrite ou orale, dès lors qu'elle est remise au greffe ; qu'en conditionnant la validité de la déclaration de tierce-opposition à la comparution du demandeur ou de son avocat au greffe, les juges du fond ont ajouté à la loi une condition qu'elle ne comprenait pas, violant ainsi les articles 58 du code de procédure civile et R. 661-2 du code de commerce ;

2°/ que le juge ne doit pas faire preuve d'un formalisme excessif dans l'application des règles de procédure, conduisant à une atteinte à l'équité de cette dernière ; qu'en décidant qu'en dépit du silence du texte sur les formes que devait revêtir la déclaration au greffe, une déclaration par comparution était nécessaire, les juges du fond ont violé l'article 6 paragraphe 1 de la Convention européenne des droits de l'homme ;

3°/ que constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée ; qu'en décidant que l'irrégularité de forme de la déclaration de tierce-opposition était sanctionnée par une irrecevabilité, quand une telle irrégularité s'analysait en un vice de forme sanctionné par la nullité, lorsqu'il cause un grief pour le contradicteur, les juges du fond ont violé l'article 122 du code de procédure civile ;

4°/ que le juge ne doit pas faire preuve d'un formalisme excessif dans l'application des règles de procédure, conduisant à une atteinte à l'équité de cette dernière ; qu'en décidant que le défaut de comparution personnelle au greffe était sanctionné par une fin de non-recevoir, et non par une nullité de procédure pour vice de forme, soumise à la démonstration d'un grief, les juges du fond ont violé l'article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'homme. »

Réponse de la Cour

4. En premier lieu, l'arrêt retient exactement que la lettre recommandée avec demande d'avis de réception ne peut être assimilée à la déclaration au greffe qu'exige l'article R. 661-2 du code de commerce et en déduit à bon droit que M. E... n'a pas respecté la forme requise puisqu'il a adressé au tribunal une déclaration par lettre sans que personne ne se soit présenté au greffe pour faire la déclaration.

5. En deuxième lieu, la tierce-opposition faite autrement que par déclaration au greffe étant irrecevable comme ne répondant pas au mode de saisine prescrit par la loi, et celui qui invoque l'irrecevabilité n'ayant pas, en conséquence, à justifier d'un grief, l'arrêt n'encourt pas la critique de la troisième branche.

6. En dernier lieu, la réglementation relative aux formalités à observer pour former un recours vise à assurer la bonne administration de la justice et le respect, en particulier, du principe de la sécurité juridique, les intéressés devant s'attendre à ce que ces règles soient appliquées. Toutefois, une réglementation, ou l'application qui en est faite, ne doit pas empêcher le justiciable de se prévaloir d'une voie de recours disponible, et si le droit d'exercer un recours est soumis à des conditions légales, les tribunaux doivent, en appliquant des règles de procédure, éviter à la fois un excès de formalisme qui porterait atteinte à l'équité de la procédure, et une souplesse excessive qui aboutirait à supprimer les conditions de procédure établies par les lois.

7. En l'espèce, après avoir relevé que les modalités formelles de la tierce-opposition, aussi strictes soient-elles, n'ont pas pour effet de priver les créanciers de l'exercice de ce recours, ceux-ci ayant toute latitude, en cas d'impossibilité pour eux de se déplacer au greffe, de mandater un avocat pour ce faire, et constaté que la déclaration par lettre recommandée avait été adressée au greffe par le conseil de M. E..., l'arrêt retient que l'exigence d'une présentation au greffe n'avait pas restreint l'accès ouvert à ce créancier d'une manière ou à un point tels que son droit d'accès à un tribunal s'en était trouvé atteint dans sa substance même, que cette exigence tendait à un but légitime, à savoir le traitement rapide des affaires compte tenu des enjeux économiques pour le débiteur, ses créanciers, mais aussi ses salariés, et qu'il existait un rapport raisonnable de proportionnalité entre l'exigence d'un déplacement pour faire la déclaration, assurant une fiabilité maximale sans pour autant induire des coûts importants pour les contestants, et le but visé. Par ces constatations et appréciations, la cour d'appel, qui n'a pas fait preuve d'un formalisme excessif, n'a pas méconnu les exigences du procès équitable.

8. Le moyen n'est fondé en aucune de ses branches.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne M. E... aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. E... et le condamne à payer à M. B..., la société Hôtel Le Chamois d'Or et M. F..., en sa qualité de commissaire à l'exécution du plan de ceux-ci, la somme globale de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du dix-sept février deux mille vingt et un.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Foussard et Froger, avocat aux Conseils, pour M. E....

PREMIER MOYEN DE CASSATION

L'arrêt attaqué encourt la censure

EN CE QU'il a, confirmant le jugement déféré en toutes ses dispositions, déclaré irrecevable la tierce-opposition de M. E... et mis les dépens de l'instance à sa charge ;

AUX MOTIFS QUE M. le procureur général a eu communication de l'affaire le 22 mai 2018 et n'a formulé aucune observation ;

ALORS QUE lorsqu'il y a eu communication de la procédure au ministère public, ce dernier est avisé de la date de l'audience ; que faute de communication de la date de l'audience au ministère public, l'arrêt a été rendu en violation de l'article 429 du code de procédure civile.

SECOND MOYEN DE CASSATION

L'arrêt attaqué encourt la censure

EN CE QU'il a, confirmant le jugement déféré en toutes ses dispositions, déclaré irrecevable la tierce-opposition de M. E... et mis les dépens de l'instance à sa charge ;

AUX MOTIFS QUE « M. E... persiste à désigner le recours qu'il a formé à l'encontre du jugement arrêtant le plan de redressement de M. B... comme étant une opposition, alors qu'il ne peut s'agir que d'une tierce-opposition conformément aux dispositions de l'article L 661-2 du code de commerce ; qu'en application de l'article R 661-2 du code de commerce, sauf dispositions contraires, l'opposition et la tierce-opposition sont formées contre les décisions rendues en matière de redressement judiciaire par déclaration au greffe dans le délai de dix jours à compter du prononcé de la décision ; que ces dispositions, d'ordre public, sont exclusives des règles du droit commun, et il est de jurisprudence constante que la lettre recommandée avec accusé de réception ne peut être assimilée à une déclaration au greffe, dont les formes sont particulières ; que celui qui soulève l'irrecevabilité sur ce fondement n'a pas à établir l'existence d'un grief ; qu'il n'est pas discutable, ni d'ailleurs véritablement discuté, que M. E... n'a pas respecté cette forme, puisqu'il a adressé au tribunal de commerce une lettre recommandée avec accusé de réception intitulée opposition sans que personne ne se soit présenté au greffe pour faire la déclaration, et qu'ainsi sa tierce-opposition n'est pas régulière ; que pour échapper à l'irrecevabilité ainsi encourue, il soutient que le formalisme imposé par l'article R 661-2 du code de commerce serait excessif, et comme tel contraire aux articles 6 et 13 de la convention européenne des droits de l'homme ; que les textes précités étant d'ordre public, ils s'imposent aux parties comme au juge, et aucune interprétation n'est ici possible quant à la forme requise de la déclaration au greffe ; qu'un recours effectif est bien institué par l'article L 661-2 du code de commerce, puisque les créanciers peuvent former tierce-opposition au jugement arrêtant le plan de redressement ; que les modalités formelles de la tierce-opposition, aussi strictes soient-elles, n'ont pas pour effet de priver les créanciers de ce recours, ceux-ci ayant toute latitude, en cas d'impossibilité pour eux de se déplacer au greffe, de mandater un avocat pour ce faire ; que de plus, en matière de procédures collectives, le traitement rapide des affaires est une nécessité compte-tenu des enjeux économiques pour le débiteur, ses créanciers, mais également ses salariés, ce qui justifie des règles procédurales telles qu'elles garantissent une fiabilité maximum sans pour autant induire des coûts importants pour les contestants, ce à quoi répond parfaitement la déclaration au greffe ; que seule la déclaration au greffe étant prévue par la loi pour exercer la tierce-opposition, toute autre forme est nécessairement exclue en l'absence d'autres dispositions, sous peine d'interprétations différentes selon les juridictions source d'insécurité juridique et d'inégalité entre les justiciables ; qu'ainsi, il n'est pas démontré que les dispositions précitées seraient incompatibles avec les articles 6 et 13 de la convention européenne des droits de l'homme invoqués ; qu'en conséquence, c'est à juste titre que le tribunal a déclaré la tierce-opposition irrecevable et le jugement déféré sera confirmé en toutes ses dispositions » (arrêt, pp. 3-4) ;

AUX MOTIFS ÉVENTUELLEMENT ADOPTÉS QUE « aux termes de l'article L 661-3 du code de commerce, en ses deux premiers alinéas, « Les décisions arrêtant ou modifiant le plan de sauvegarde ou de redressement ou rejetant la résolution de ce plan sont susceptibles de tierce-opposition. Le jugement statuant sur une tierce-opposition est susceptible d'appel et de pourvoi en cassation de la part du tiers-opposant » ; que le jugement d'arrêté du plan de redressement est en conséquence susceptible de faire l'objet d'une tierce-opposition ; que l'article R 661-2 du code de commerce dispose que « Sauf dispositions contraires, l'opposition et la tierce-opposition sont formées contre les décisions rendues en matière de mandat ad hoc, de conciliation, de sauvegarde, de redressement et de liquidation judiciaires, de responsabilité pour insuffisance d'actif, de faillite personnelle ou d'interdiction prévue à l'article L 653-8, par déclaration au greffe dans le délai de dix jours à compter du prononcé de la décision. Toutefois, pour les décisions soumises aux formalités d'insertion dans un journal d'annonces légales et au bulletin officiel des annonces civiles et commerciales, le délai ne court que du jour de la publication du bulletin officiel des annonces civiles et commerciales. Pour les décisions soumises à la formalité d'insertion dans un journal d'annonces légales, le délai ne court que du jour de la publication de l'insertion » ; que le texte est parfaitement clair et ne souffre d'aucune ambiguïté, la déclaration au greffe nécessitant une comparution et l'exercice du recours au sein du greffe ; que la tierce-opposition régularisée par M. E... par la voie de son conseil ne peut, de ce chef, qu'être déclarée irrecevable » (jugement, p. 3) ;

ALORS QUE, premièrement, la déclaration est l'acte par lequel le demandeur saisit la juridiction sans que son adversaire ait été préalablement informé ; qu'elle peut être écrite ou oral, dès lors qu'elle est remise au greffe ; qu'en conditionnant la validité de la déclaration de tierce-opposition à la comparution du demandeur ou de son avocat au greffe, les juges du fond ont ajouté à la loi une condition qu'elle ne comprenait pas, violant ainsi les articles 58 du code de procédure civile et R 661-2 du code de commerce ;

ALORS QUE, deuxièmement, le juge ne doit pas faire preuve d'un formalisme excessif dans l'application des règles de procédure, conduisant à une atteinte à l'équité de cette dernière ; qu'en décidant qu'en dépit du silence du texte sur les formes que devait revêtir la déclaration au greffe, une déclaration par comparution était nécessaire, les juges du fond ont violé l'article 6 para. 1 de la convention européenne des droits de l'homme ;

ALORS QUE, troisièmement, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée ; qu'en décidant que l'irrégularité de forme de la déclaration de tierce-opposition était sanctionnée par une irrecevabilité (arrêt, p. 3 antépénultième alinéa), quand une telle irrégularité s'analysait en un vice de forme sanctionné par la nullité, lorsqu'il cause un grief pour le contradicteur, les juges du fond ont violé l'article 122 du code de procédure civile ;

ALORS QUE, quatrièmement, le juge ne doit pas faire preuve d'un formalisme excessif dans l'application des règles de procédure, conduisant à une atteinte à l'équité de cette dernière ; qu'en décidant que le défaut de comparution personnelle au greffe était sanctionné par une fin de non-recevoir, et non par une nullité de procédure pour vice de forme, soumise à la démonstration d'un grief, les juges du fond ont violé l'article 6 para. 1 de la convention européenne des droits de l'homme.

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