10 février 2021
Cour de cassation
Pourvoi n° 19-18.916

Première chambre civile - Formation restreinte hors RNSM/NA

ECLI:FR:CCASS:2021:C100139

Texte de la décision

CIV. 1

CF



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 10 février 2021




Cassation partielle


Mme BATUT, président



Arrêt n° 139 F-D

Pourvoi n° D 19-18.916




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 10 FÉVRIER 2021

M. O... N..., domicilié [...] , a formé le pourvoi n° D 19-18.916 contre l'arrêt rendu le 27 mars 2019 par la cour d'appel de Paris (pôle 3, chambre 1), dans le litige l'opposant :

1°/ à Mme C... M..., épouse J..., domiciliée [...] ,

2°/ à Mme L... M..., épouse X..., domiciliée [...] ,

3°/ à M. T... M..., domicilié [...] ,

4°/ à M. G... M..., domicilié [...] ,

5°/ à Mme H... M..., épouse W..., domiciliée [...] ,

6°/ à M. V... M..., domicilié [...] ,
7°/ à M. D... M..., domicilié [...] ,

8°/ à M. O... M..., domicilié [...] ,

9°/ à M. G... M..., domicilié [...] ,

10°/ à M. B... M..., domicilié [...] ,

11°/ à M. S... M..., domicilié [...] ,

12°/ à la société Cabinet Emmanuel Touati, société à responsabilité limitée, dont le siège est [...] ,

défendeurs à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Poinseaux, conseiller, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. N..., de Me Le Prado, avocat de Mmes C..., L... et H... M... et de MM. T..., G..., V..., D..., O..., G..., B... et S... M... après débats en l'audience publique du 15 décembre 2020 où étaient présentes Mme Batut, président, Mme Poinseaux, conseiller rapporteur, Mme Auroy, conseiller doyen, et Mme Berthomier, greffier de chambre,

la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 27 mars 2019), K... M... et F... A..., son épouse, sont respectivement décédés les [...]
et [...], laissant pour leur succéder leurs cinq enfants, R...,
G..., Q..., P... et U... et, dans l'actif de leur succession, un immeuble
de rapport composé de neuf logements, sis à Aubervilliers.

2. P... M... est décédée le [...], sans postérité et U...
N... le [...], laissant pour héritier son fils, M. O... N....

3. Le 17 mai 2013, les descendants des autres enfants prédécédés, Mmes W..., J... et L... M..., ainsi que MM. B..., S...,
G..., V..., T..., D..., O... et G... M... (les consorts M...) ont assigné la société Cabinet Touati, gestionnaire de l'immeuble, et M. O... N... en partage judiciaire des successions d'K... M..., de F... A... et de P... M....

Examen des moyens

Sur le second moyen, ci-après annexé


4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y

a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen
qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le premier moyen

Enoncé du moyen

5. M. N... fait grief à l'arrêt de juger que les consorts M..., héritiers de P... M..., pouvaient accepter au nom de cette dernière les
successions d'K... M... et de F... A... et avaient un intérêt à agir, alors « que le juge doit, en toute circonstance, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction et ne peut fonder sa décision sur un moyen de droit qu'il a relevé d'office sans avoir préalablement invité les parties à présenter leurs observations ; qu'en relevant d'office la suspension de la prescription trentenaire concernant les
successions d'K... M... et de F... A... à l'égard de leur fille P... M..., placée sous tutelle en 1974, et en jugeant que cette prescription n'était pas acquise au décès de cette dernière en 2002, de sorte
que ses neveux héritiers pouvaient exercer son droit d'option dans la succession de ses parents et avaient ainsi un intérêt à agir, sans avoir invité
préalablement les parties à s'expliquer sur ce point, la cour d'appel a violé
l'article 16 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

6. Vu l'article 16 du code de procédure civile :

7. Aux termes de ce texte, le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction.

8. Pour déclarer recevable l'action des consorts M... en leur qualité d'héritiers de P... M... et dire qu'ils ont accepté en son nom les successions d'K... M... et de F... A..., après avoir relevé que la prescription de l'exercice du droit d'option de P... M... dans la succession de ses parents n'était pas acquise au jour de son décès, l'arrêt retient que la prescription a été suspendue, en application de l'article 2235
du code civil, entre la date de son placement sous tutelle et le jour de son décès.

9. En statuant ainsi, sans avoir invité les parties à présenter leurs observations sur le moyen qu'elle relevait d'office, tiré de l'application des règles relatives à la suspension de la prescription, la cour d'appel a violé le
texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

10. La cassation à intervenir sur le premier moyen entraîne, par voie de conséquence, la cassation des chefs de dispositif de l'arrêt ordonnant l'ouverture des opérations de liquidation et partage des successions de P... M..., K... M... et F... A..., rejetant les demandes des
consorts M... et statuant sur les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il dit que M. O... N... a accepté
tacitement la succession d'U... N..., rejette les demandes de M. O... N... de voir dire qu'U... N... a accepté tacitement la succession d'K... M... et F... A... et qu'il est le seul héritier de l'actif successoral comprenant les droits et biens immobiliers sis [...] et rejette toute autre demande, l'arrêt rendu le 27 mars 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;

Condamne Mmes M..., épouse W..., M..., épouse J..., et
L... M..., MM. B..., S..., G..., V..., T..., D...,
O... et G... M... aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par Mmes W..., J... et L... M..., MM. B..., S..., G..., V..., T..., D..., O... et G... M... et les condamne in solidum à payer à M. N... la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix février deux mille vingt et un.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils, pour M. N...

PREMIER MOYEN DE CASSATION

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué D'AVOIR jugé que les consorts M..., héritiers de Mme P... M..., pouvaient accepter au nom de cette dernière les successions de M. K... M... et de Mme F... A... et avaient un intérêt à agir ;

AUX MOTIFS QU'«il résulte de l'ensemble de ces éléments que les auteurs des consorts M... n'ont pas accepté la succession de leurs parents dans le délai de trente ans à compter du décès de ces derniers, sans pour autant être censés avoir renoncé à ces successions, une telle renonciation ne se présumant pas et ne pouvant dès lors résulter de la seule absence d'acceptation ;

que la prescription trentenaire est donc acquise pour les consorts M... et leurs parents en ce qui concerne les successions d'K... M... et de F... A... ;

qu'en revanche, s'agissant de P... M..., cette prescription a été suspendue, en application des dispositions de l'article 2235 du code civil, entre la date de son placement sous tutelle par jugement du tribunal d'instance d'Aubervilliers rendu le 16 septembre 1974 (pièce 33 du cabinet Touati) et le jour de son décès, soit pendant 16 ans 2 mois et 16 jours concernant la succession de son père et 26 ans 4 mois et 15 jours concernant la succession de sa mère ; que la prescription n'était donc pas acquise au jour de son décès ; qu'il s'ensuit, qu'en l'absence de postérité, seuls les héritiers de P... M... pouvaient effectivement, en application des dispositions de l'article 781 du code civil précité, exercer le droit d'option de P... M... dans la succession de ses parents ; que sa soeur U... N... étant décédée le [...], sans exercer son droit d'option dans la succession de sa soeur, seuls les neveux de P... M... pouvaient exercer son droit d'option dans la succession de ses parents ;

qu'ainsi, étant héritiers de P... M..., les consorts M... ont un intérêt au partage de la succession de celle-ci et à ce qu'elle vienne dans la succession de ses parents »

ALORS QUE le juge doit, en toute circonstance, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction et ne peut fonder sa décision sur un moyen de droit qu'il a relevé d'office sans avoir préalablement invité les parties à présenter leurs observations ; qu'en relevant d'office la suspension de la prescription trentenaire concernant les successions d'K... M... et de F... A... à l'égard de leur fille Mme P... M..., placée sous tutelle en 1974, et en jugeant que cette prescription n'était pas acquise au décès de cette dernière en 2002, de sorte que ses neveux héritiers pouvaient exercer son droit d'option dans la succession de ses parents et avaient ainsi un intérêt à agir, sans avoir invité préalablement les parties à s'expliquer sur ce point, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile.

SECOND MOYEN DE CASSATION

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt confirmatif attaqué D'AVOIR débouté M. O... N... de sa demande tendant à juger que Mme U... N... avait tacitement accepté la succession de M. K... M... et de Mme F... A... ;

AUX MOTIFS QUE « la preuve de l'acceptation d'une succession ne se présume pas et doit être rapportée par celui qui la revendique » ;

ET AUX MOTIFS QUE « s'agissant des droits de cette dernière dans la succession de ses parents, K... M... et F... A..., il est soutenu qu'U... N... a accepté tacitement ces successions en se comportant toujours en héritier de l'immeuble successoral ; qu'à ce titre, il appert du mandat de gestion produit par le cabinet Touati que cet acte, qui n'est pas daté, dispose que Mme M... demeurant [...] confie l'administration de son immeuble sis [...] à M. Y... E..., administrateur de biens, à compter du 1er octobre 1962 (pièce 19 du cabinet Touati) ; qu'il n'en résulte pas suffisamment, en l'absence d'indication de prénom ou de date de naissance du mandant, que cet acte puisse être attribué à U... N... et ce, d'autant que M. O... N... soutient au contraire que ce premier mandat de gestion du bien successoral a été délivré par F... A... à la suite du décès de son mari, K... M..., le 2 décembre 1960 (page 6 des conclusions de M. O... N...) ;

qu'il appert également des mandats de gestion immobilière établis les 20 décembre 2002 et 18 janvier 2007 qu'ils ont été conclus, pour le premier, entre la « Succession M... représentée par Madame N... » et le cabinet Touati et, pour le second, entre la « Succession M... représentée par M. O... N... » et le cabinet Touati, ces deux mandants donnant pouvoir au mandataire de gérer les biens et droits immobiliers leur appartenant situés [...] ;

qu'en outre, le compte-rendu de gestion de cet immeuble établi le 3 juillet 2008 par le cabinet Touati a été adressé à l'attention de l'« Indivision M... / M. N... O... [...] » (pièce 34 des appelants) ; que le relevé de compte client établi le 30 juillet 2010 par la SCP Grasset-Mahe-Tixeront et la lettre du 30 juillet 2010 qu'elle a adressée à l'étude de généalogie (pièces 13 et 14 des appelants), confirment l'existence d'un compte ouvert par ladite étude notariale au nom de l'indivision M... sise [...] ainsi que celle de fonds détenus à ce titre par cette même étude ;

qu'il résulte de ces documents que les actes engagés par U... N..., puis par son fils, M. O... N..., dans le cadre de la gestion du bien immobilier successoral l'ont été au nom de la succession d'K... M... et de F... A..., et donc de l'indivision en résultant entre leurs héritiers ; qu'il n'est rapporté la preuve d'aucun acte engagé au nom propre d'U... N..., ni par la suite au nom propre de son fils ; qu'il n'est ainsi justifié d'aucun paiement à partir de leurs comptes bancaires personnels des factures de fourniture, de pose et de travaux divers établies au nom de M. O... N... à l'adresse du bien successoral (pièces 10 à 15 de M. O... N...) ; que selon les extraits de compte des 1er août 2012 au 19 décembre 2012 et 1er janvier 2006 au 20 décembre 2012 établis par le cabinet Touati, les recettes et dépenses relatives à la gestion du bien successoral, comprenant le paiement des taxes foncières, sont inscrites au compte de l'indivision M... et ne prévoient aucun destinataire des recettes (pièces 16-1 et 16-23 de M. O... N...) ; que les baux d'habitation portant sur ce même bien ont également été conclus au nom de l' « Indivision M... - M. N... O... » (pièces 16-3 à 16-5, 16-7, 16-9, 16-11, 16-13, 16-15, 16-17 de M. O... N...), tout comme le commandement de payer délivré le 23 juin 2010 à l'encontre d'un locataire du bien successoral (pièce 16-19 de M. O... N...) ; que selon l'assignation en référé délivrée le 28 janvier 2013 devant le président du tribunal d'instance d'Aubervilliers, c'est précisément l'indivision M..., représentée par M. O... N..., qui a assigné un ancien locataire en paiement de loyers et charges restant dus, M. O... N... précisant aux termes de cet acte agir en qualité de « représentant de la succession M... qui a fait bail et donné à loyer » (pièce 16-21 de M. O... N...) ; qu'enfin, le procès-verbal de constat du 24 novembre 2011 a été établi à la demande de l'indivision M... représentée par M. O... N... aux fins d'établir l'état des lieux de sortie d'un des locataires du bien successoral ;

que si par ces différents actes conservatoires, de surveillance ou d'administration pris au nom de l'indivision successorale, M. O... N... justifie de la volonté de sa mère d'abord, puis de sa propre volonté de préserver ce patrimoine successoral en conservant en particulier la valeur de l'actif héréditaire, il n'est démontré aucune intention délibérée d'U... N... d'accepter la succession de ses parents, l'ensemble des actes ayant au contraire été pris au nom de la succession, ce qui démontre l'absence de confusion entre ses biens personnels et le bien successoral ;

qu'il résulte de ce qui précède, qu'en leur qualité d'héritiers de P... M..., les consorts M... ont des droits dans l'actif successoral d'K... M... et de F... A... comprenant les droits et biens immobiliers sis [...] ;

considérant qu'en conséquence, il y a lieu de dire que M. O... N... a tacitement accepté la succession d'U... M... épouse N..., que cette dernière n'a pas accepté tacitement la succession d'K... M... et de F... A..., et que M. O... N... n'est pas le seul héritier de l'actif successoral comprenant les droits et biens immobiliers sis [...], le jugement étant réformé en ce sens » ;

1°) ALORS QUE le juge a l'obligation de ne pas dénaturer les termes clairs et précis des conclusions produites par les parties ; qu'en jugeant qu'aucun destinataire des revenus de l'immeuble dépendant de la succession n'était prévu dans les comptes du cabinet chargé de la gestion du bien successoral et qu'il n'était pas établi que Mme N... ait accompli des actes supposant son intention d'accepter la succession, quand les consorts M..., appelants, aussi bien que M. O... N..., intimé, indiquaient explicitement dans leurs conclusions que Mme U... N... avait encaissé les loyers jusqu'à son décès, la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis des conclusions d'appel de l'exposant et des conclusions adverses, en violation de l'article 4 du code de procédure civile ;

2°) ALORS QUE l'encaissement par l'héritier des loyers de l'immeuble dépendant de la succession vaut acceptation tacite de la succession ; qu'en jugeant que Mme U... N... n'avait pas accepté la succession de ses parents, quand celle-ci avait donné mandat en 2002 au cabinet Touati pour la gestion de l'immeuble dépendant de la succession et qu'elle en avait perçu les revenus jusqu'à son décès en 2006, la cour d'appel a violé l'article 784 du code civil.

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