10 février 2021
Cour d'appel de Paris
RG n° 20/02832

Pôle 1 - Chambre 3

Texte de la décision

Copies exécutoiresREPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 1 - Chambre 3



ARRET DU 10 FÉVRIER 2021



(n° , 2 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/02832 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CBOGI



Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 30 Octobre 2019 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 19/57685





APPELANTE



SOCIÉTÉ TWITTER INTERNATIONAL COMPANY Société de droit irlandais

prise en la personne de ses représentants légaux, domiciliès en cette qualité audit siège

[Adresse 10]

[Localité 9] (IRLANDE)



Représentée par Me Florence GUERRE de la SELARL SELARL PELLERIN - DE MARIA - GUERRE, avocat au barreau de PARIS, toque : L0018

Assistée par Me Alexandre VIGNOLI substituant Me Karim BEYLOUNI, avocat au barreau de PARIS, toque : J098





INTIMES



M. [K] [V]

[Adresse 7]

[Localité 8]



Représenté et assisté par Me Xavier FILET, avocat au barreau de PARIS, toque : L0190



M. [X] [Y]

[Adresse 3]

[Localité 8]



Représenté et assisté par Me Xavier FILET, avocat au barreau de PARIS, toque : L0190



M. [X] [I]

[Adresse 2]

[Localité 8]



Représenté et assisté par Me Xavier FILET, avocat au barreau de PARIS, toque : L0190



M. [C] [L]

[Adresse 6]

[Localité 8]



Représenté et assisté par Me Xavier FILET, avocat au barreau de PARIS, toque : L0190



M. [M] [O]

[Adresse 4]

[Localité 8]



Représenté et assisté par Me Xavier FILET, avocat au barreau de PARIS, toque : L0190



Association DEBOUT LA FRANCE prise en la personne de son président domicilié au siège de l'association

[Adresse 5]

[Localité 8]



Représentée et assisté par Me Xavier FILET, avocat au barreau de PARIS, toque : L0190





COMPOSITION DE LA COUR :



L'affaire a été débattue le 14 Décembre 2020, en audience publique, rapport ayant été fait par Mme Edmée BONGRAND, Conseillère conformément aux articles 804, 805 et 905 du CPC, les avocats ne s'y étant pas opposés.



Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Patrick BIROLLEAU, Premier Président de chambre

Carole CHEGARAY, Conseillère

Edmée BONGRAND, Conseillère





Greffier, lors des débats : Lauranne VOLPI





ARRÊT :



- CONTRADICTOIRE

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.



- signé par Patrick BIROLLEAU, Premier Président de chambre et par Olivier POIX, Greffier présent lors de la mise à disposition,




********



Le 4 mai 2019 [Adresse 11] à [Localité 8], alors qu'il sortait du siège du parti politique Debout la France (DLF), [E] [Y], bras droit de [K] [V] et candidat en 3ème position sur la liste conduite par ce dernier aux élections européennes du 26 mai suivant, a été victime d'une agression au couteau par un inconnu qui, après avoir vérifié son identité, l'a contraint à lui remettre son téléphone ainsi que le code d'accès confidentiel de celui-ci.



Le lendemain, M.[Y] a porté plainte pour extorsion commise avec une arme au commissariat du [Localité 8].



Constatant la diffusion sur un compte Twitter [Courriel 1] de photographies de photos personnelles et conversations privées Whatsapp, Instagram et Télégram avec les membres du parti DLF, contenues dans son téléphone portable,assorties de commentaires, faits revendiqués par le titulaire du compte Twitter [Courriel 1], M.[Y] a complété sa plainte le 15 mai 2019 pour des manoeuvres susceptibles d'influencer le vote électoral, violation du secret de la vie privée, atteinte au secret des correspondances notamment celles avec son avocat.



Par acte du 16 juillet 2019, le parti politique Debout la France, M.[K] [V], M.[E] [Y], M.[X] [I], M.de [C] [L] et M.[M] [O] ont assigné en référé les sociétés Twitter France et Twitter International Company.



Par ordonnance contradictoire rendue le 30 octobre 2019, le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris a :

- déclaré les demandes formées à l'encontre de la société Twitter France irrecevables et l'a mise hors de cause ;

- ordonné à la société Twitter International Company de communiquer à [E] [Y] dans les 15 jours de la signification de la présente décision, par l'intermédiaire de l'huissier signifiant la décision :

- l'adresse de messagerie électronique (email) associée au compte [Courriel 1] et le numéro de téléphone associé à ce compte, dont les adresses url sont relevées et listées par Debout la France en sa pièce n°5 annexée ;

-l'adresse IP correspondant à l'utilisation de ce compte et la ou les adresses IP qui se sont connectées à ce compte :

- la date et l'heure précise de création de ce compte ;

- le nom des comptes Twitter qui ont rediffusé un ou plusieurs tweets du compte [Courriel 1] par un « retweet », un « j'aime » ou un message privé Twitter, en précisant l'adresse mail associée à ce compte, le numéro de téléphone associé à ce compte, les adresses IP de connexion employées lors de la diffusion des tweets du compte [Courriel 1] et la date et l'heure de chacun des « retweets », « j'aime » ou messages privés pertinents, qu'ils soient abonnés au compte [Courriel 1] ou non;

- dit que ces mesures resteront à la charge de la société Twitter International Company ;

- débouté les parties de leurs plus amples demandes ;

- dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné la société Twitter International Company aux dépens.



Par déclaration du 5 février 2020, la société Twitter International Company a interjeté appel du chef de l'ordonnance ayant :

'ordonné à la société Twitter International Company de communiquer à [E] [Y] dans les 15 jours de la signification de la présente décision, par l'intermédiaire d l'huissier signifiant la décision :

* l'adresse de messagerie électronique (email) associée au compte [Courriel 1] et le numéro de téléphone associé à ce compte, dont les adresses url sont relevées et listées par Debout la France en sa pièce n°5 annexée ;

*l'adresse IP correspondant à l'utilisation de ce compte et la ou les adresses IP qui se sont connectées à ce compte :

* la date et l'heure précise de création de ce compte ;

* le nom des comptes Twitter qui ont rediffusé un ou plusieurs tweets du compte [Courriel 1] par un « retweet », un « j'aime » ou un message privé Twitter, en précisant l'adresse mail associée à ce compte, le numéro de téléphone associé à ce compte, les adresses IP de connexion employées lors de la diffusion des tweets du compte [Courriel 1] et la date et l'heure de chacun des « retweets », « j'aime » ou messages privés pertinents, qu'ils soient abonnés au compte [Courriel 1] ou non'.



Aux termes de ses conclusions du 9 septembre 2020, la société Twitter International Company demande à la cour de :

vu les articles 145 du code de procédure civile

vu l'article 226-15 du code pénal

vu la loi n°2004-575 du 21 juin 2004

vu le décret n°2001-219 du 25 février 2011



-infirmer l'ordonnance du 30 octobre 2019 en ce qu'elle ordonne à Twitter International de communiquer :

* l'adresse de messagerie électronique (email) associée au compte [Courriel 1] et le numéro de téléphone associé à ce compte, dont les adresses url sont relevées et listées par Debout la France en sa pièce n°5 annexée ;

*l'adresse IP correspondant à l'utilisation de ce compte et la ou les adresses IP qui se sont connectées à ce compte :

* la date et l'heure précise de création de ce compte ;

* le nom des comptes Twitter qui ont rediffusé un ou plusieurs tweets du compte [Courriel 1] par un « retweet », un « j'aime » ou un message privé Twitter, en précisant l'adresse mail associée à ce compte, le numéro de téléphone associé à ce compte, les adresses IP de connexion employées lors de la diffusion des tweets du compte [Courriel 1] et la date et l'heure de chacun des « retweets », « j'aime » ou messages privés pertinents, qu'ils soient abonnés au compte [Courriel 1] ou non

Et statuant à nouveau,

A titre principal

-dire et juger que les intimés ne justifient pas d'un motif légitime pour demander la communication des données d'identification des utilisateurs ayant simplement ' retweeté'cliqué sur ' j'aime' ou envoyé un message privé comprenant une publication du compte @Legrand Charles8,

-dire et juger que les mesures demandées concernant ces utilisateurs s'apparentent à des mesures générales d'investigation,

A titre subsidiaire

-constater que Twitter International Company ne collecte pas certaines des données demandées,

-limiter la communication de données aux informations collectées habituellement par Twitter International Company,

En tout état de cause

-condamner les intimés à payer à Twitter International Company la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.



L'appelante soutient que les intimés n'établissent pas disposer d'un intérêt légitime au sens de l'article 145 du code de procédure civile, à obtenir les éléments d'identité des utilisateurs ayant simplement 'retweeté', cliqué sur 'j'aime' ou envoyé un tweet du compte [Courriel 1] par message privé afin d'identifier l'utilisateur du compte [Courriel 1] puisque la communication des données d'identification de ce dernier compte a été ordonnée par le juge des référés.



Elle fait valoir que les utilisateurs ayant simplement 'retweeté', cliqué sur 'j'aime' ou envoyé un tweet du compte [Courriel 1] par message privé ne sont pas susceptibles de s'être rendus coupables d'une faute civile qui dériverait du délit pénal de l'article 226-15 du code pénal qui réprime la violation du secret des correspondances puisque n'ayant que ' retweeté' un contenu ou cliqué sur ' j'aime', ces utilisateurs n'ont pas participé à la divulgation d'une correspondance privée ou n'ont pas frauduleusement pris connaissance d'une correspondance privée, ce délit n'ayant vocation à s'appliquer qu'aux correspondances en cours de transmission ou parvenues à destination mais non encore appréhendées par leur destinataire.



Elle ajoute que les intimés ont indiqué dans leur assignation que les messages publiés étaient issus de sms, de conversations Whatsapp ou Telegram, ce qui signifie qu'ils en avaient eu connaissance, qu'en conséquence ces messages ne bénéficiaient plus de la protection accordée par l'article 226-15 du code pénal, en l'absence d'élément matériel.



Elle considère que les utilisateurs ayant simplement 'retweeté' un contenu déjà publié sur un compte Twitter librement accessible à savoir [Courriel 1], n'ont pas pu commettre d'acte de divulgation de correspondance au sens de l'article 226-15 du code pénal et que leur responsabilité ne pourrait être engagée à ce titre.



Elle précise que l'utilisateur ayant cliqué sur 'j'aime'ne participe pas à la diffusion d'un message au sens de la loi.



Elle affirme par ailleurs que l'élément moral de l'infraction de l'article 226-15 du code pénal n'est pas constitué en l'espèce puisque rien ne permet d'établir la connaissance par ces utilisateurs de la provenance frauduleuse des captures d'écran publiées sur le compte [Courriel 1].



Elle conclut qu'aucune faute civile ou pénale ne pouvant être démontrée à l'égard des utilisateurs qui ont simplement ' retweeté ', cliqué sur ' j'aime' ou envoyé par un message privé contenant la publication du compte [Courriel 1], la demande de communication des données des comptes visés par les intimés sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile est dépourvue de motif légitime et de toute utilité et ce d'autant que les intimés ont porté plainte le 15 mai 2019 des chefs de manoeuvres susceptibles d'influencer le vote électoral en application de l'article L 97 du code électoral, violation du secret de la vie privée, atteinte au secret des correspondances notamment celles avec son avocat afin d'identifier et de poursuivre l'utilisateur du compte et les personnes ayant rediffusé un ou plusieurs tweets de ce compte.



Elle relève par ailleurs que la mesure ordonnée au titre de l'article 145 du code de procédure civile sans condition de durée ni identification précise à partir d'une adresse URL ne remplit pas les conditions de limitation et de proportionnalité propres aux mesures d'investigation prévues à cet article.



La société Twitter avance en outre qu'en sa qualité d'hébergeur, elle est juridiquement responsable de la protection des données personnelles de ses utilisateurs et que toute divulgation l'exposerait à des sanctions pénales et qu'au surplus elle ne collecte pas certaines données dont la communication est demandée.



En application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie aux écritures de l'appelante pour un plus ample exposé des faits et moyens développés au soutien de ses prétentions, les intimés qui ont constitué avocat n'ayant pas conclu.






MOTIFS



Aux termes de l'article 145 du code de procédure civile ' s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé".



L'application de ces dispositions suppose que soit constatée l'existence d'un procès "en germe" possible et non manifestement voué à l'échec au regard des moyens soulevés par les défendeurs, sur la base d'un fondement juridique suffisamment déterminé et dont la solution peut dépendre de la mesure d'instruction sollicitée, sous réserve que celle-ci ne consiste pas en une mesure d'investigation générale.



Pour solliciter la mesure d'instruction sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, tant à l'égard du titulaire du compte Twitter [Courriel 1] à partir duquel la diffusion des images litigieuses s'est produite, qu'à l'égard des personnes ayant retweeté les publications litigieuses ou les ayant transfèrées avec la mention ' j'aime ' ou les ayant envoyées par messages privés, les demandeurs à la mesure se sont prévalus devant le premier juge de leur volonté de pouvoir les poursuivre en réparation de la faute civile résultant de la publication de tweets diffamatoires, attentatoires à la sincérité du scrutin, à la vie privée et au secret des correspondances et du délit prévu et réprimé par l'article 226-15 du code pénal.



Force est de relever que la cour n'est saisie d'aucun moyen de critique de l'ordonnance en ce qu'elle a 'ordonné à la société Twitter international Company de communiquer à [E] [Y] dans les 15 jours de la signification de la présente décision par l'intermédiaire l'huissier signifiant la décision :

-l'adresse de messagerie electronique (email )associée au compte [Courriel 1] et le numéro de téléphone associé à ce compte dont les adresses url sont relevées et listées par Debout la France en sa pièce n°5 annexée

-l'adresse IP correspondant à l'utilisation de ce compte et la ou les adresses IP qui se sont connectés à ce compte

-la date et l'heure précise de la création de ce compte' .



Elle doit donc être confirmée de ce chef.



Ne contestant pas la mesure ordonnée à l'encontre du titulaire du compte Twitter [Courriel 1], l'appelante reconnaît nécessairement à son égard l'existence d'un procès en germe non manifestement voué à l'échec sur le fondement de la faute civile en raison du caractère diffamatoire des tweets relevé par le premier juge et du délit de l'article 226-15 du code pénal.



S'agissant des personnes ayant retweeté ces publications litigieuses, les ayant transférées avec la mention' j'aime' ou les ayant envoyées par messages privés, le litige potentiel les concernant n'est manifestement pas voué à l'échec non plus, pour le moins sur le fondement d'une faute civile à raison de leur caractère diffamatoire relevé.



Les demandeurs à la mesure disposent bien d'un motif légitime à solliciter une mesure d'instruction à leur encontre.



La mesure ordonnée par le premier juge de communiquer le 'nom des comptes Twitter qui ont rediffusé un ou plusieurs tweets du compte [Courriel 1] par un retweet, un 'j'aime' ou un message privé Twitter en précisant l'adresse mail associée à ce compte, le numéro de téléphone associé à ce compte, les adresses IP de connexion employées lors de la diffusion des tweets du compte[Courriel 1] et la date et l'heure de chacun des 'Retweets' ' j'aime' ou messages privés pertinents, qu'ils soient abonnés au compte [Courriel 1] ou non' n'excède pas les mesures d'instruction admissibles au sens de l'article 145 du code de procédure civile dès lors que son champ d'investigation est limité aux seuls comptes Twitter ayant rediffusé les messages litigieux provenant d'un compte Twitter qui n'a fonctionné qu'un mois.



La société Twitter affirme qu'elle est dans l'incapacité juridique et matérielle de fournir aux intimés à la fois les numéros de téléphone et les adresses électroniques des utilisateurs visés par la mesure d'instruction au motif que les numéros de téléphone ne seraient pas une donnée obligatoirement renseignée par ces derniers.



Devant le premier juge, la société Twitter a produit un document intitulé 'politique de confidentialité de Twitter, lequel mentionne :

'Lorsque vous utilisez Twitter, même si vous ne faites que regarder des Tweets, nous recevons certaines de vos informations personnelles, telles que le type d'appareil que vous utilisez et votre adresse IP. Vous pouvez choisir de partager d'autres informations avec nous, telles que votre adresse mail, votre numéro de téléphone (...)'.



Il résulte de ce document que tant le partage de l'adresse mail que celui du numéro de téléphone est laissé à l'appréciation de l'utilisateur de Twitter .



La société Twitter ne justifie pas donc les raisons pour lesquelles elle serait en mesure de communiquer les adresses électroniques des utilisateurs de Twitter visés par la mesure d'instruction et pas leurs numéros de téléphone, pourtant soumis par ses propres documents, à la même liberté de communication.

En conséquence, l'ordonnance sera confirmée en toutes ses dispositions .



Succombant, la société Twitter International supportera la charge des dépens.





PAR CES MOTIFS



Confirme l'ordonnance entreprise,





Condamne la société Twitter International aux dépens d'appel.







LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

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