9 février 2021
Cour d'appel de Lyon
RG n° 19/05384

1ère chambre civile B

Texte de la décision

N° RG 19/05384 - N° Portalis DBVX-V-B7D-MQN2

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La SCI DU NANT représentée par son gérant M. [S] [O] [C],

La SARL [C] BASSIN BELLEGARDIEN représentée par son gérant M. [T] [C]

C/

La Société PUBLIQUE LOCALE TERRITOIRE D'INNOVATION représentée par son Directeur Général, M. [X] [G], COMMISSAIRE DU GOUVERNEMENT

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APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Juge de l'expropriation de [Localité 1]

du 03 Juillet 2019

RG : 18/00025











COUR D'APPEL DE LYON



1ère CHAMBRE CIVILE B - EXPROPRIATIONS





ARRET DU 09 Février 2021





APPELANT :



La SCI DU NANT représentée par son gérant en exercice M. [S] [O] [C], domiciliée sise

[Adresse 11]

[Localité 2]



Représentée par Me Serge DEYGAS de la SCP CARNOT AVOCATS, avocat au barreau de LYON





La SARL [C] BASSIN BELLEGARDIEN représentée par son gérant en exercice M. [T] [C] demeurant sise

[Adresse 11]

[Localité 2]



Représentée par Me Serge DEYGAS de la SCP CARNOT AVOCATS, avocat au barreau de LYON









INTIMÉ :



La Société PUBLIQUE LOCALE TERRITOIRE D'INNOVATION représentée par son Directeur Général, M. [X] [G]

[Adresse 16]

[Adresse 16]

[Localité 2]



Représentée par Me Nicolas GAUTIER de la SELARL BG AVOCATS, avocat au barreau de LYON







En présence de :



M. [P] [W], représentant M. le Directeur Régional des Finances Publiques du département de l'AIN,

Commissaire du gouvernement

[Adresse 12]

[Adresse 12]

[Localité 1]

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS ET DU DELIBERE :



Madame Agnès CHAUVE, Présidente de chambre

Madame Florence PAPIN, Conseiller,

Monsieur Dominique DEFRASNE, Conseiller,



désignés conformément à l'article L 13-1 du Code de l'expropriation, assistés pendant les débats de Myriam MEUNIER, greffier.



A l'audience, Agnès CHAUVE, a fait le rapport, conformément à l'article 785 du code de procédure civile.



DEBATS



A l'audience publique du 11 Janvier 2021



ARRET



Contradictoire



Prononcé à l'audience publique du 09 Février 2021 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du nouveau code de procédure civile ;



signé par Agnès CHAUVE, président de chambre et par Myriam MEUNIER, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.



Vu les pièces de la procédure :



- mémoires déposés par l'appelant régulièrement notifiés,



- mémoires déposés par l'intimé régulièrement notifiés,



- conclusions déposées par le commissaire du gouvernement régulièrement notifiées,



- les convocations régulièrement adressées aux parties,



L'affaire ayant été mise en délibéré après clôture des débats, l'arrêt ayant été prononcé le 09 Février 2021








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EXPOSÉ DES FAITS, PROCÉDURE ET DEMANDES DES PARTIES



A partir de l'année 2012, le Conseil Communautaire de la Communauté de communes du [Adresse 19] a initié un projet d'aménagement concerté de grande ampleur, dénommé [Adresse 22], ayant pour objet de favoriser l'implantation d'activités économiques sur le territoire français avec le territoire suisse.



Ce projet d'envergure transfrontalière nécessitait la maîtrise foncière de 65 hectares dans la commune de [Localité 14], les secteurs de [Localité 18], [Localité 21] et [Localité 17].



En janvier 2014, ce même Conseil Communautaire de la Communauté de communes du [Adresse 19] a décidé de confier l'aménagement de cette zone à la société publique locale dénommée Territoire d'innovation.



La SCI Du Nant était propriétaire d'un tènement immobilier situé à [Localité 17] à [Localité 14], composée des parcelles section AN n°[Cadastre 6], [Cadastre 3], [Cadastre 4], [Cadastre 8], [Cadastre 9] et [Cadastre 10].



A défaut d'avoir trouvé un accord amiable pour leur acquisition, la SPL Territoire d'innovation a notifié à la SCI Du Nant une offre d'acquisition des terrains précités à hauteur de 4 000 000 d'euros.



Cette proposition n'ayant pas été acceptée, la SPL Territoire d'innovation a saisi le juge de l'expropriation du tribunal de grande instance de Bourg-en-Bresse.



La SARL [C] Bassin Bellegardien a indiqué intervenir volontairement à la procédure en qualité de preneur à bail d'une partie des locaux. Elle a sollicité que l'indemnité d'éviction lui revenant soit fixée à la somme de 153 000 euros, outre le paiement des indemnités de licenciement et des frais de déménagement.



La SPL Territoire d'innovation ne s'est pas opposée à cette intervention, mais a demandé que l'indemnité d'éviction soit fixée à 110 000 euros sous réserve que la SARL [C] Bassin Bellegardien justifie de ses droits, du chiffre d'affaires allégué sur les trois dernières années et de son contrat de fourniture de carburant.



Par jugement du 3 juillet 2019, le tribunal de grande instance de Bourg-en-Bresse a :



-déclaré recevable l'intervention volontaire de la société [C] Bassin Bellegardien,

-fixé l'indemnité principale due à la SCI Du Nant à la somme de 4 900 000 euros et l'indemnité de remploi à la somme de 491 000 euros, soit un total de 5 391 000 euros,

-fixé l'indemnité principale due à la société [C] Bassin Bellegardien à la somme de 110 000 euros et l'indemnité de remploi à la somme de 9 850 euros, soit un total de 119 850 euros,

-débouté les parties de leurs demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile,

-condamné la société Territoire d'innovation aux dépens.



Par déclaration du 22 juillet 2019, la SCI du Nant et la SARL [C] Bassin Bellegardien ont interjeté appel.



Au terme de conclusions notifiées le 18 décembre 2020, la SCI Du Nant et la SARL [C] Bassin Bellegardien demandent à la cour de :



-annuler, et en toute hypothèse réformer, le jugement du juge de l'expropriation du tribunal de grande instance de Bourg-en-Bresse du 3 juillet 2019,

-évaluer le prix des parcelles cadastrées section AN n°[Cadastre 6], [Cadastre 3], [Cadastre 4], [Cadastre 8], [Cadastre 9] et [Cadastre 10] situées à [Localité 14] appartenant à la SCI Du Nant à la somme de 10 180 000 euros,

-évaluer l'indemnité de remploi pour l'expropriation de ces parcelles appartenant à la SCI Du Nant à la somme de 1 016 500 euros,

-et en conséquence, fixer le montant de l'indemnité d'expropriation à la somme de 11 196 500 euros à verser par la SPL Territoire d'innovation au bénéfice de la SCI Du Nant en contrepartie de la cession dudit bien,

-condamner la SPL Territoire d'innovation à payer à la SCI Du Nant la somme globale de 11 196 500 euros, outre intérêts de droit,

-admettre l'intervention de la SARL [C] Bassin Bellegardien,

-et en conséquence, fixer le montant de l'indemnité d'éviction de la SARL [C] Bassin Bellegardien à la somme de 153 000 euros, augmentée des indemnités de licenciement des deux salariés et des frais de déménagement,

-condamner la SPL Territoire d'innovation à payer à la SARL [C] Bassin Bellegardien la somme globale de 153 000 euros hors frais de déménagement et indemnité de licenciement, sommes qui seront donc à parfaire avant la prise de possession en fonction d'un accord conclu sur justificatifs ou par intervention d'une nouvelle décision de justice,

-réserver les frais de déménagement et indemnités de licenciement, et dire que la prise de possession du bien ne pourra intervenir qu'après fixation et versement de cette indemnité sur la base d'un accord amiable, ou à défaut par la voie judiciaire,

-débouter la SPL Territoire d'innovation de son appel incident,

-débouter la SPL Territoire d'innovation de ses prétentions nouvelles,

-condamner la SPL Territoire d'innovation à verser à la SCI du Nant une somme de 10 000 euros et à la SARL [C] Bassin Bellegardien une somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.



Au terme de conclusions notifiées le 9 novembre 2020, la SPL Territoire d'innovation demande à la cour de :



-débouter les sociétés Du Nant et [C] Bassin Bellegardien de leur appel principal,

-déclarer recevable et bien fondé son appel incident contre le jugement en ce qu'il fixe l'indemnité principale d'expropriation,

-fixer, à titre principal, la date de référence visée à l'article L322-2 du code de l'urbanisme au 5 février 2014,

-à titre subsidiaire et dans le cas où il serait jugé que l'article L322-2 du code de l'expropriation ne pourrait être pris en compte dans sa rédaction issue de la loi n°2018-1021 du 28 novembre 2018, fixer la date de référence au 22 juillet 2016 pour les parties du tènement exproprié situées dans les emplacements réservés n°201a et 201 au PLU, au 14 décembre 2007 pour l'emprise située dans l'emplacement réservé n°39 et au 11 février 2014 pour le surplus,

-réformer le jugement dont appel en ce qu'il n'applique aucune moins-value en raison de la pollution des sols,

-dire et juger qu'une moins-value doit être appliquée à l'indemnité due à la SCI Du Nant en raison de la pollution affectant les sols du terrain exproprié et fixer cette moins-value à la somme de 665 000 euros,

-fixer à la somme de 3 962 500 euros l'indemnité principale d'expropriation due à la société du Nant au titre de l'expropriation des parcelles de terrain lui appartenant et cadastrées section AN n°[Cadastre 7], [Cadastre 3], [Cadastre 5], [Cadastre 9] et [Cadastre 10],

-fixer l'indemnité de remploi à la somme de 397 250 euros,

-fixer les indemnités d'expropriation dues à la société Du Nant à la somme totale de 5 091 250 euros,

-subordonner l'indemnité due à la société [C] Bassin Bellegardien à la justification, d'une part, des chiffres d'affaires qu'elle dit avoir réalisés sur les trois dernières années, et, d'autre part, de son contrat de fourniture de carburant,

-pour autant que ces justificatifs soient apportés, fixer l'indemnité de la société [C] Bassin Bellegardien à 110 000 euros,

-rejeter les demandes présentées par la société [C] Bassin Bellegardien au titre de la prise en charge des frais de déménagement et des indemnités de licenciement,

-dire et juger qu'il n'y a pas lieu à la fixation d'une indemnité de remploi au bénéfice de la société [C] Bassin Bellegardien, à défaut de toute demande de sa part en ce sens,

-condamner solidairement la SCI Du Nant et la société [C] Bassin Bellegardien à verser chacune à la SPL Territoire d'innovation la somme de 3 000 euros au visa de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.



Au terme de conclusions notifiées le 2 décembre 2020, le Commissaire du gouvernement demande à la cour de :



-confirmer le jugement de première instance,

-fixer, au profit de la SCI Du Nant, l'indemnité principale d'expropriation à la somme de 4 900 000 euros et l'indemnité de remploi à celle de 491 000 euros, soit ensemble la somme de 5 391 000 euros, hors prise en compte de la défalcation du coût de dépollution,

-fixer, au profit de la SARL [C] Bassin Bellegardien, l'indemnité principale d'éviction commerciale à la somme de 110 000 euros et l'indemnité de remploi à celle de 9 850 euros, soit ensemble la somme de 119 850 euros.



Il est expressément référé aux écritures des parties pour plus ample exposé des faits, prétentions et moyens.






MOTIFS DE LA DÉCISION



Sur la recevabilité des conclusions du commissaire du gouvernement en première instance



Selon l'article R311-16 du code de l'expropriation, premier alinéa, «A peine d'irrecevabilité, le commissaire du Gouvernement notifie ses conclusions aux parties à l'instance par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, au moins huit jours avant la visite des lieux.»



En l'espèce, le transport des lieux s'est déroulé le 17 avril 2019 et les parties ont été entendues après remise de l'affaire, le 23 mai 2019.



Les conclusions du commissaire du gouvernement sont parvenues au greffe le 11 avril 2019 soit postérieurement au délai prévu par le texte précité.



Le commissaire du gouvernement s'il invoque un envoi dématérialisé de son mémoire n'en justifie pas. Cela étant, un tel envoi ne respectait pas les dispositions du code de l'expropriation, peu important qu'une remise de l'affaire ait été ordonnée.

En effet, les dispositions spécifiques de l'article R311-16 cité organisant la contradiction devant le juge de l'expropriation ne soumettent pas l'irrecevabilité encourue en cas de non- respect du délai de 8 jours, à la démonstration d'un grief.

Il ne justifie pas plus de l'envoi postal qu'il invoque dans le délai imparti et l'expropriée indique n'avoir reçu ses conclusions que le 10 avril.

En conséquence il convient d'infirmer le jugement entrepris et de déclarer irrecevable le mémoire du commissaire du gouvernement notifié moins de 8 jours avant le transport sur les lieux.

Toutefois la cour est saisie, par l'effet de la dévolution, de l'intégralité du litige sur la base des mémoires et pièces produites en appel, sans qu'il soit besoin d'examiner le moyen tiré du défaut de motivation du jugement comme celui du non-respect du contradictoire lesquels n'apparaissent pas suffisamment établis au vu des moyens développés.



Sur la date de référence



La date d'appréciation de la consistance des biens n'est pas discutée et se situe à la date de l'ordonnance d'expropriation soit le 12 septembre 2018.

Les biens expropriés sont estimés à la date de la décision de première instance et leur usage effectif est fixé à la date de référence.

Le premier juge a retenu comme date de référence le 22 juillet 2016, date d'approbation de la modification du PLU de la commune de [Localité 14], ce que conteste la société publique locale Territoire d'Innovation qui demande à la cour de retenir comme date de référence le 5 février 2014, date de la création de la ZAC ou à défaut et de façon distributive celle du 14 décembre 2017 pour l'emplacement réservé n°39a et du 22 juillet 2016 pour les emplacements n°201a et 201.

Les appelantes comme le commissaire du gouvernement concluent sur ce point à la confirmation du jugement.



Selon l'article L.322-2 du code de l'expropriation, les biens sont estimés à la date de la décision de première instance en fonction de leur nature et de leur usage effectif un an avant l'ouverture de l'enquête d'utilité publique qui constitue la date de référence de principe.

Par dérogation à cette disposition générale, l'article L.213-6 du code de l'urbanisme dispose que :

'Lorsqu'un bien soumis au droit de préemption fait l'objet d'une expropriation pour cause d'utilité publique, la date de référence prévue à l'article L.322-2 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique est celle prévue au a de l'article L.213-4.'



L'article L.213-4 prévoit que la date de référence prévue à l'article L.322-2 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique est, pour les biens non compris dans une zone d'aménagement différé, la date à laquelle est devenu opposable aux tiers le plus récent des actes rendant public, approuvant, révisant ou modifiant le plan d'occupation des sols, ou approuvant, révisant ou modifiant le plan local d'urbanisme et délimitant la zone dans laquelle est situé le bien.



La loi Elan du 23 novembre 2018 entrée en vigueur le 25 suivant, a ajouté à l'article L.322-2 la disposition suivante : 'lorsque le bien est situé à l'intérieur du périmètre d'une zone d'aménagement concerté mentionnée à l'article L. 311-1 du code de l'urbanisme, à la date de publication de l'acte créant la zone, si elle est antérieure d'au moins un an à la date d'ouverture de l'enquête publique préalable à la déclaration d'utilité publique.'

Cette disposition est entrée en vigueur postérieurement à l'ordonnance d'expropriation intervenue le 12 septembre 2018.



La loi applicable, s'agissant d'une atteinte au droit de propriété, est celle en vigueur à la date de l'ordonnance d'expropriation emportant dépossession de sorte que la SPL Territoire d'Innovation n'est pas fondée à voir fixer la date de référence au 4 février 2014.



S'agissant des terrains situés dans un emplacement réservé, la date de référence doit être fixée conformément à l'article L.322-6 du code de l'expropriation à savoir 'celle de l'acte le plus récent rendant opposable le plan local d'urbanisme, le document d'urbanisme en tenant lieu ou le plan d'occupation des sols et délimitant la zone dans laquelle est situé l'emplacement réservé', soit en l'espèce le 14 décembre 2007 pour les emplacements réservés créés à cette date à savoir l'emplacement réservé n°39a et non modifiés depuis et le 22 juillet 2016 pour les emplacements réservés créés dans le cadre de la mise en compatibilité du PLU à cette date, soit les emplacements réservés 201a et 201.



La date de référence des tènements non impactés par un emplacement réservé sera elle fixée au 11 février 2014, date de la dernière révision du PLU.



Sur la valorisation des parcelles AN n°[Cadastre 6], [Cadastre 3], [Cadastre 4], [Cadastre 8], [Cadastre 9] et [Cadastre 10]



Les biens expropriés sont constitués d'une maison d'habitation, de tènements bâtis à usage de commerce (anciennes concessions automobiles et une station-service exploitée par la société [C] Bassin Bellegardien) et d'un tènement unique non bâti (parcelle cadastrée AN n°[Cadastre 8]) non bâti.



La parcelle AN [Cadastre 8] de 6605 m2 consiste en un terrain disposant d'une façade 55 m2 environ sur le [Adresse 13] et d'une façade de 110 m2 [Adresse 11], et d'un côté en façade sur la [Adresse 20]. Il est recouvert d'un enrobé et se trouve partiellement encombré d'un local de lavage fermé, de trois pistes de lavage couvertes et d'une petite construction à usage de boxes et de local de préparation de véhicules dédiés à la location.



Les autres parcelles pour une contenance totale de 8709 m2 supportent différentes constructions : une ancienne concession automobile Audi, une ancienne concession automobile Volkswagen, une station-service en R+1 dans le prolongement de la concession automobile Volkswagen et une maison à usage principal d'habitation en R+2, accolée à la concession automobile Volkswagen et à proximité de l'ancienne concession Audi, composée de deux logements.



Il ressort du procès-verbal de transport sur les lieux que les locaux commerciaux ne sont pas tous exploités, certains étant vides, ce que confirme d'ailleurs le rapport d'expertise privé produit par les appelantes, rapport établi par M. [E] à la suite d'une visite des locaux le 13 juillet 2018 soit antérieurement à l'ordonnance d'expropriation du 12 septembre 2018 et trois mois après l'arrêté préfectoral du 10 avril 2018 emportant cessibilité pour cause d'utilité publique des terrains situés sur le Territoire de la commune de [Localité 14] et nécessaires au projet d'aménagement de la [Adresse 23]. Les baux produits par les appelants sont pour certains précaires : bail Kamatchy conclu le 28 août 2018 pour une période rétroactive courant du 15 juillet 2018 au 14 juillet 2019, bail du 1er mars 2018 avec la SAS AAS France Cars.



Les parties sont en discussion sur la méthode de valorisation retenue, la pondération retenue par le premier juge, les termes de comparaison, la moins-value résultant de la présence de plusieurs sources de pollution sur une des parcelles vendues.



Les appelantes reprochent au premier juge d'avoir retenu la méthode par comparaison pour déterminer l'indemnité d'expropriation sans justifier de son choix alors qu'elle proposait la méthode rentabilité ou méthode de valorisation qui a été écartée par le premier juge au motif que certains locaux seraient vides.



Les autres parties demandent à la cour de retenir la méthode de comparaison.



Contrairement à ce que soutiennent les appelantes, le premier juge a motivé sa décision d'écarter la méthode de valorisation sur le fait que certains des locaux seraient vides.



Si les deux méthodes sont envisageables, force est de constater que la méthode par valorisation revendiquée n'est étayée que par le rapport d'expertise privé non contradictoire établi par M. [E] à la demande des appelantes. Ce rapport se fonde curieusement sur les valeurs vénales et les valeurs de marché et non les baux pourtant en cours, en excluant même pour des motifs tenant 'aux relations d'associés des parties' le loyer effectivement pratiqué pour les locaux loués à usage de station-service, pour en retenir un supérieur. Il retient un taux de rentabilité de 6% tout en admettant lui-même qu'il ne s'agit pas du taux espéré, se réfère à des biens situés pour l'essentiel dans des communes autres que [Localité 14] et notamment des centres commerciaux non comparables à l'état des biens expropriés.



Ce rapport laisse trop d'incertitude sur le taux de capitalisation à fixer par référence à l'analyse des données réelles du marché immobilier local actif.



Dès lors, la méthode de comparaison par référence aux transactions les plus représentatives du marché doit être retenue.



Pour être représentative de la valeur vénale du bien, l'évaluation de celui-ci doit se faire par comparaison avec celle d'autres biens présentant des caractéristiques semblables et ayant fait l'objet de transactions à des époques proches.



A ce titre, les appelantes reprochent au premier juge de ne s'être fondé que sur les références produites par le commissaire du gouvernement sans prendre en compte un élément de comparaison pourtant majeur, à savoir le terrain situé directement au Nord du bien exproprié objet du litige, ces parcelles partageant en outre le même zonage urbanistique et la même date de référence, dont le prix de cession s'est élevé rapport au m2 à 659 euros, selon jugement d'expropriation rendu le 1er mars 2018.



Ce jugement n'est pas produit mais sa teneur n'est pas contestée par les parties.

Il n'est pas plus contesté que cette cession concerne un bien à usage mixte à savoir commercial et d'habitation, un restaurant dénommé 'le Pirate' étant exploité dans les lieux et l'étage à usage d'habitation. Le commissaire du gouvernement a cité dans ses conclusions les cinq termes de comparaison sur lesquels il a analysé la valeur de ce bien soit cinq cessions intervenues entre 2012 et 2016 toutes portant sur des biens à usage mixte.



Les biens expropriés litigieux ne présentent pas cette caractéristique puisque les locaux d'habitation font l'objet d'un bail d'habitation distinct et relèvent d'une entité physique distincte.



Ce terme de comparaison sera donc écarté.



Le jugement a fondé son évaluation en distinguant entre la parcelle cadastrée AN n°[Cadastre 8] non bâtie et le reste des parcelles supportant des locaux d'activité et un immeuble d'habitation. Il a retenu une pondération pour les locaux professionnels, pondération critiquée par les appelantes.



Celle-ci ressort tant de la méthode d'évaluation proposée par le commissaire du gouvernement que celle résultant du rapport d'expertise privé versé aux débats par les appelantes, le commissaire du gouvernement s'étant rallié sur ce point aux conclusions de M. [E] même s'il trouvait une surface légèrement inférieure pour les locaux professionnels.



Dès lors, les appelantes apparaissent mal fondées à critiquer cette pondération qui ressort de leurs propres pièces et dont le premier juge a expressément indiqué qu'il la retenait conformément à leur expert.



Le jugement a ensuite procédé à l'évaluation du bien à usage d'habitation, puis des locaux commerciaux et enfin de la parcelle cadastrée AN n°[Cadastre 8].



Cette évaluation qui distingue selon le type de bien permet d'appréhender au mieux la valeur vénale des biens expropriés.



S'agissant de l'immeuble d'habitation, il convient de relever que ce bien d'une superficie de 190 m2 a fait l'objet le 25 septembre 2013, d'une mutation à titre onéreux pour un prix de 400 000 euros. Composé de deux logements, il est loué pour partie, le second logement étant occupé par une parente de l'expropriée. Il s'agit d'un immeuble ancien en état moyen selon les constatations effectuées par l'expert privé. Si la zone dans laquelle il se situe est à proximité immédiate de [Localité 15], il n'en demeure pas moins qu'il s'agit d'une habitation accolée à un ensemble à usage commercial susceptible d'engendrer des nuisances sonores, implanté en bordure d'un axe très fréquenté, avec accès par un portail commun avec des locaux à usage commercial, et ne se situant pas dans un quartier résidentiel.



L'avis du domaine émis le 26 août 2013 sur cette mutation a estimé à 430 000 euros la valeur vénale de ce bien et n'a donc pas estimé surévaluée le prix de cession.



Le jugement a retenu une valeur de 463 600 euros conforme à l'évaluation du commissaire du gouvernement alors que les appelants sollicitent 580 000 euros et que la société publique locale Territoire d'Innovation conclut à une valeur limitée à 400 000 euros, compte-tenu de la récente mutation connue par le bien.



Le commissaire du gouvernement s'il renvoie dans ses conclusions d'appel, à ses écritures et pièces de première instance ne les produit pas.



Dès lors, la cour ne trouve aucun élément dans les pièces qui lui sont communiquées de nature à établir l'évolution à la hausse du marché immobilier local pourtant retenue par le premier juge, le rapport [E] ne citant que des offres de vente et non des cessions réalisées, offres portant sur des biens situés dans des environnements beaucoup plus résidentiels que celui dans lequel se trouve ce bien accolé à des bâtiments à usage commercial.



Aux termes des dispositions combinées des articles L. 322-9 et R. 322-4 du code de l'expropriation, le montant de l'indemnité portant sur une partie des biens expropriés ayant fait l'objet d'une mutation à titre gratuit ou onéreux, antérieure de moins de cinq ans à la date de la décision portant transfert de propriété, ne peut excéder l'estimation faite par l'autorité administrative compétente, sauf à ce que l'exproprié apporte la preuve que l'estimation de l'administration ne prend pas en compte correctement l'évolution du marché de l'immobilier. En l'espèce, l'acte de vente est intervenu moins de cinq ans avant l'ordonnance d'expropriation.



Dès lors, en application des dispositions précitées, la valeur de ce bien sera retenue pour 430 000 euros, montant de l'estimation des domaines,



S'agissant des parcelles supportant des constructions et partiellement louées, le premier juge a retenu un prix de 800 euros le m2 sur leur surface pondérée, en se fondant sur les termes de comparaison produits en première instance par le commissaire du gouvernement et qui sont repris dans les conclusions d'appel de la société expropriante dans un tableau laissant apparaître une valeur moyenne de 801,50 euros et une vente de parcelles classées également en zone UX d'une superficie de 9 369 m2 du 6 mars 2014 dans le même secteur de [Localité 17] au prix de 723 euros le m2.



Tant le commissaire du gouvernement que la société locale publique Territoire d'Innovation demandent la confirmation de cette évaluation, avec cependant pour la seconde une demande de moins-value au titre de la pollution des sols.



S'agissant de la valeur retenue au m2, les 8 références reproduites en page 26 des conclusions de la société expropriante ne sont pas contestées. Elles apparaissent pertinentes tant en termes de dates que de localisation et de zonage. Elles seront retenues sans qu'il y ait lieu ainsi qu'il a été vu précédemment de retenir le terme relatif à une mutation d'un immeuble à usage mixte.

Les valeurs proposées par l'expert privé ne peuvent être retenues car fondées non pas sur les transactions intervenues mais sur une valorisation reposant sur des hypothèses très discutables.



Les appelantes s'opposent à la demande formée au titre de la moins-value en faisant valoir qu'il s'agit d'une demande nouvelle et que la pollution était connue puisque la société expropriante avait fait un sondage de sol en 2017 et qu'une dépollution du site avait été menée par la société Total en 2010 avec pose de puits qui n'ont jamais détecté la moindre pollution en dix ans.



Aux termes des dispositions de l'article 564 du code de procédure civile, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer par compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.



En l'espèce, la société locale publique Territoire d'Innovation produit un rapport de diagnostic environnemental du milieu souterrain établi par le cabinet Burgeap le 10 septembre 2020 lequel a relevé après investigations sur les sols :



- une anomalie en mercure sur le sol brut dans les remblais au droit du stockage DIS n°1de la concession Volkswagen,



- plusieurs sources de pollution en composés hydrocarburés plus ou moins volatils au droit de la station-service en liaison avec différentes infrastructures (volucompteur, canalisations, cuve et séparateurs).



Ce rapport préconise des mesures de gestion consistant en une excavation des terres polluées avec évacuation hors site en filière spécifique, travaux qu'il estime entre 207 et 236 k euros HT tout en précisant qu'un diagnostic complémentaire devra être réalisé au droit de la station-service pour déterminer les extensions latérales et verticales de la contamination et estimer le volume des terres polluées et le surcoût de gestion associé.



Ce rapport est complété d'une note intermédiaire du 3 novembre 2020 émise également par le cabinet Burgeap sur le diagnostic environnemental complémentaire du milieu souterrain et estimation des coûts de gestion, note qui préconise en sus de l'excavation, la réalisation d'un suivi environnemental par un bureau d'études spécialisé afin de réaliser le tri des terres excavées et la gestion des remblais en cas de découverte des terres souillées, avec une réception des fronts et fond de fouille à l'issue des travaux de terrassement. Cette note sur la base d'hypothèses pour l'estimation des volumes chiffre entre 435 000 et 505 000 euros l'enveloppe estimative des travaux de dépollution et entre 25 000 et 40 000 euros le montant des travaux supplémentaires, en retenant in fine, un total de 615 715 euros y compris aléa de 20%.



Ces rapports s'ils n'ont pas été établis contradictoirement, ont été soumis à la discussion des parties et ne sont contredits par aucune pièce. Ils se basent sur des investigations menées sur le terrain. Ils seront donc retenus.



Ces deux documents qui datent de novembre 2020 caractérisent la survenance ou la révélation d'un fait qui n'était jusque là pas connu notamment dans son ampleur, les sondages menées en 2017 ne pouvant du fait de l'occupation des lieux être aussi complets qu'en 2020. Le fait qu'une action de dépollution ait été menée en 2010 par la société Total et qu'il n'y ait pas eu de détection de pollution dans les puits ne sont pas de nature à venir contredire les constatations étayées de ce nouveau rapport.



Il n'est produit aucun document de nature à établir que la société expropriante aurait eu connaissance antérieurement de l'ampleur de cette pollution.



La demande présentée par la société Territoire d'Innovation est donc recevable.



Elle est bien fondée, le propriétaire exproprié devant supporter la remise en état des sols, au regard de l'usage du terrain qui en était fait par l'exproprié mais sans prendre en compte l'usage qui en sera fait par l'expropriant. Le zonage UX du PLU qui permet l'implantation d'activités économiques nécessite un terrain propre de toute pollution aux hydrocarbures.



S'agissant de son quantum dans la mesure où les documents précités ne font état que d'estimations calculées sur la base d'hypothèses, la cour ne retiendra que la fourchette basse de cette estimation soit la somme 435 000 euros et non les 665 000 euros réclamés.



La parcelle cadastrée AN n°[Cadastre 8] a été évaluée par le premier juge à la somme de 594 450 euros soit une valeur de 90 euros le m2, sur la base des valeurs de référence communiquées par le commissaire du gouvernement. Cette valeur est contestée tant par la société expropriante qui demande qu'elle soit ramenée à 60 euros le m2 que par les appelantes qui en demandent l'augmentation sur la base de leur rapport d'expertise privée. Le commissaire du gouvernement sollicite quant à lui la confirmation de l'estimation du premier.



Cette parcelle est partiellement encombrée et d'une superficie de 6 605 m2. Elle est goudronnée à usage de parking et comprend un local de lavage fermé, trois pistes de lavages couvertes et une petite construction légère à usage de box et de local de préparation de véhicules dédiés à la location.



La société Territoire d'Innovation se prévaut de deux termes de référence pour critiquer l'évaluation retenue par le premier juge : la vente du 9 mai 2017 intervenue avec les consorts [R] et celle du 12 juin 2018 avec la société immobilière terrain Nord Aviation.



Ces références si elles se situent sur la même commune ne sont pas dans le même lieu-dit et portent sur des parcelles dont la partie principale est classée en zone UXp et une autre partie en zone N alors que la parcelle litigieuse ne fait l'objet que d'un seul zonage UX et comporte quelques équipements.



Elles ne sont donc pas de nature à venir contredire l'estimation retenue par le premier juge pas plus que le rapport d'expertise privée ne permet de le valoriser à la hausse.



La cour retient donc l'estimation du premier juge à hauteur de 90 euros le m2 soit une somme de 594 450 euros.



L'indemnité principale revenant à la SCI Du Nant s'élèvent donc pour l'indemnité principale à :

- 430 000 euros pour la maison d'habitation

- 3 831 000 euros pour les parcelles bâties à vocation professionnelle dont à déduire 435 000 euros de frais de démolition,

- 594 450 euros pour les parcelles non bâties,

soit un total de 4 420 650 euros.



L'indemnité de remploi qui doit être calculée suivant le calcul par taux progressif applicable en cette matière s'élève à : 1 000 euros (ou 20% de 5 000 euros) + 1 500 euros (ou 15% de 10 000 euros) = 441565 euros + [( 4 420 650 - 15 000) x 10%] soit un total de 444 065 euros.



Sur l'indemnité due à la société [C] Bassin Bellegardien



Le premier juge après retenu une valeur moyenne du chiffre d'affaires annuel hors taxes de 357 000 euros, en appliquant un taux de 30% a fixé cette indemnité à 110 000 euros en disant n'y avoir lieu à statuer sur les frais complémentaires sollicités au titre des frais de licenciement et de déménagement, lesquels ne sont ni déterminés ni déterminables.



La société Territoire d'Innovation ne conteste pas la méthode de calcul du premier juge mais relève que le chiffre d'affaire moyen de 357 000 euros n'est pas démontré et reproche au premier juge d'avoir accordé en sus une indemnité de remploi qui n'était pas sollicitée et qui ne l'est toujours pas en appel.



L'appelante demande la somme globale de 153 000 euros hors frais de déménagement et de licenciement, ces chefs de demande devant être réservés dans l'attente d'un accord amiable sur ceux-ci ou à défaut par voie judiciaire.



Le commissaire du gouvernement conclut à la confirmation du jugement sur ce point en relevant que les demandes au titre des frais de licenciement et déménagement comme pour dépréciation du stock et trouble commercial sont irrecevables comme étant à ce stade constitutifs d'un préjudice futur et incertain.



Il ressort du rapport [E] qui a eu communication des comptes d'exploitation des années des exercices 2015 à 2017 que le chiffre d'affaires annuel moyen s'est élevé à la somme arrondie de 357 000 euros.



Dès lors, la somme de 110 000 euros allouée par le premier juge sera confirmée.



L'indemnité de remploi n'est pas demandée en appel par la société [C] Bassin Bellegardien dont la demande à hauteur de 153 000 euros se décompose en 125 000 euros de perte du fonds de commerce, 9 400 euros de trouble commercial, 2 300 euros de perte de stock et 16 000 euros de frais et droits de mutation.



Le jugement sera donc réformé en ce qu'il a alloué une indemnité de remploi qui ne lui était pas demandée.



Les demandes au titre du trouble commercial, de la perte de stock, des frais de déménagement et de licenciement comme de frais et droit de mutation doivent être réservées dans la mesure où celles-ci sont conditionnées au départ des lieux lequel est trop récent et pour partie à la réinstallation. Elles sont dès lors prématurées et doivent être réservées.



Sur les autres demandes



La cour n'estime pas devoir faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.



Les appelantes qui succombent en leur appel seront condamnées aux dépens.



PAR CES MOTIFS



Déclare irrecevable le mémoire du commissaire du gouvernement notifié le 10 avril 2019 soit moins de 8 jours avant la date du transport sur les lieux,



Sur le fond,



Infirme le jugement sur le montant des indemnités dues à la SCI du Nant et en ce qu'il a alloué une indemnité de remploi à la société [C] Bassin Bellegardien.



Statuant à nouveau,



Fixe l'indemnité principale due à la SCI Du Nant à la somme de 4 420 650 euros et l'indemnité de remploi à la somme de 444 065 euros soit un total de 4 864 715 euros.



Fixe l'indemnité principale revenant à la société [C] Bassin Bellegardien à la somme de 110 000 euros.



Constate que la société [C] Bassin Bellegardien n'a pas formé de demande d'indemnité de remploi.



Réserve les demandes au titre du trouble commercial, de la perte de stock, des frais de déménagement et de licenciement comme de frais et droit de mutation.



Dit n'y avoir lieu de faire application de l'article 700 du code de procédure civile



Dit que les dépens du présent arrêt seront supportés par les appelantes.





LE GREFFIER,LE PRÉSIDENTE

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