3 février 2021
Cour de cassation
Pourvoi n° 20-17.459

Chambre commerciale financière et économique - Formation restreinte hors RNSM/NA

ECLI:FR:CCASS:2021:CO00254

Texte de la décision

COMM.

COUR DE CASSATION



FB


______________________

QUESTION PRIORITAIRE
de
CONSTITUTIONNALITÉ
______________________





Audience publique du 3 février 2021




NON-LIEU A RENVOI


M. RÉMERY, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 254 F-D

Pourvoi n° R 20-17.459








R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 3 FÉVRIER 2021

Par mémoire spécial présenté le 16 novembre 2020,

1°/ M. O... L..., domicilié [...] ,

2°/ la société MMA IARD, société anonyme, dont le siège est [...] , venant aux droits de la société Covéa Risks,


ont formulé des questions prioritaires de constitutionnalité à l'occasion du pourvoi n° R 20-17.459 qu'ils ont formé contre l'arrêt rendu le 26 mai 2020 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 8), dans une instance les opposant :

1°/ à M. W... B..., domicilié [...] ,

2°/ à M. Q... D..., domicilié [...] ,

3°/ à Mme I... A..., domiciliée [...] ,

4°/ à Mme S... X..., domiciliée [...] ,

5°/ à M. U... V..., domicilié [...] ,

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Vaissette, conseiller, les observations de la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. L... et de la société MMA IARD, de la SCP Spinosi et Sureau, avocat de MM. B..., D... et V..., de Mmes A... et X..., et l'avis de M. Lecaroz, avocat général, à la suite duquel le président a demandé aux avocats s'ils souhaitaient présenter des observations complémentaires, après débats en l'audience publique du 2 février 2021 où étaient présents M. Rémery, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Vaissette, conseiller rapporteur, Mme Vallansan, conseiller, M. Lecaroz, avocat général, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 26 mai 2020), rendu sur renvoi après cassation (chambre commerciale, financière et économique, 4 juillet 2018, pourvoi n° 16-25.542), la société Générale d'importation (la société Gisa) a été mise en redressement judiciaire le 18 août 1994, son plan de cession totale a été arrêté par un jugement du 3 août 1995 et le tribunal a prononcé la clôture de la procédure le 17 décembre 2001.

2. Sur la requête présentée le 29 juillet 2004 par la Compagnie française d'assurance pour le commerce extérieur (la Coface), qui détenait des fonds pour le compte de la société Gisa, une ordonnance du 29 avril 2005 a désigné M. L... en qualité de mandataire ad hoc de la société Gisa avec pour mission de rouvrir la procédure collective de cette dernière, recevoir les fonds et procéder à leur répartition entre les créanciers.

Sur la requête de M. L..., une ordonnance du 25 juillet 2006 a rétracté la précédente et a désigné à nouveau M. L... avec pour mission de recevoir les fonds et les répartir entre les créanciers, sans réouverture de la procédure collective. M. L... a reçu la somme détenue par la Coface et l'a répartie entre les créanciers de la procédure collective.

3. Un arrêt irrévocable du 1er février 2008 ayant rétracté l'ordonnance du 25 juillet 2006, les actionnaires de la société Gisa ont assigné M. L... en paiement de dommages-intérêts en lui reprochant d'avoir commis une faute en se faisant désigner administrateur ad hoc de la société Gisa pour distribuer aux créanciers de cette société les fonds provenant de la Coface.

Enoncé de la question prioritaire de constitutionnalité

4. A l'occasion du pourvoi en cassation par eux formé contre l'arrêt du 26 mai 2020 qui a retenu la responsabilité de M. L... à l'égard des actionnaires et l'a condamné à leur payer des dommages-intérêts, M. L... et son assureur, demandent, par un mémoire distinct et motivé, de renvoyer au Conseil constitutionnel les questions prioritaires de constitutionnalité ainsi rédigées :

« 1°/ Les dispositions des articles 92 et 169 de loi n° 85-98 du 25 janvier 1985, relative au redressement et à la liquidation judiciaires des entreprises, qui prévoient la clôture de la procédure collective après adoption du plan de cession totale et qui limitent la reprise par les créanciers de leur droit de poursuite individuelle, d'une part au cas où la créance résulte d'une condamnation pénale soit pour des faits étrangers à l'activité professionnelle du débiteur, soit pour fraude fiscale, au seul bénéfice, dans ce cas, du Trésor public, d'autre part au cas de droits attachés à la personne du créancier et enfin au cas de fraude à l'égard des créanciers, de faillite personnelle, d'interdiction de diriger ou contrôler une entreprise commerciale ou une personne morale, de banqueroute ou lorsque le débiteur ou la personne morale dont il a été le dirigeant a été déclaré en état de cessation des paiements et que la procédure a été clôturée pour insuffisance d'actif, méconnaissent-elles le droit de propriété garanti par l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, en ce qu'elles empêchent les créanciers d'être payés grâce à un bien relevant de leur droit de gage mais qui a été découvert après la clôture de la procédure collective, soit en exerçant des poursuites, soit en sollicitant la réouverture de la procédure, les privant ainsi de leur droit de propriété sans prévoir une juste et préalable indemnité ? »

2°/ Les dispositions des articles 92 et 169 de loi n° 85-98 du 25 janvier 1985, relative au redressement et à la liquidation judiciaires des entreprises, qui prévoient la clôture de la procédure collective après adoption du plan de cession totale et qui limitent la reprise par les créanciers de leur droit de poursuite individuelle, d'une part au cas où la créance résulte d'une condamnation pénale soit pour des faits étrangers à l'activité professionnelle du débiteur, soit pour fraude fiscale, au seul bénéfice, dans ce cas, du Trésor public, d'autre part au cas de droits attachés à la personne du créancier et enfin au cas de fraude à l'égard des créanciers, de faillite personnelle, d'interdiction de diriger ou contrôler une entreprise commerciale ou une personne morale, de banqueroute ou lorsque le débiteur ou la personne morale dont il a été le dirigeant a été déclaré en état de cessation des paiements et que la procédure a été clôturée pour insuffisance d'actif, portent-elles une atteinte non justifiée et non proportionnée au droit de propriété des créanciers en ce qu'elles les privent de la possibilité d'être payés grâce à un bien relevant de leur droit de gage mais qui a été découvert après la clôture de la procédure collective, soit en exerçant des poursuites, soit en sollicitant la réouverture de la procédure, méconnaissant ainsi l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 ? »

Examen de la question prioritaire de constitutionnalité

5. Les dispositions contestées sont applicables au litige, en ce qu'elles conditionnent l'appréciation de la faute invoquée contre M. L....

6. Elles n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.

7. Cependant, d'une part, les questions posées, ne portant pas sur l'interprétation d'une disposition constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel n'aurait pas encore eu l'occasion de faire application, ne sont pas nouvelles.

8. D'autre part, les questions posées ne présentent pas un caractère sérieux.

9. D'abord, les dispositions législatives contestées ne régissent pas les conditions de reprise de la procédure collective qui sont prévues par l'article 170 de la loi du 25 janvier 1985, non visé par les questions, de sorte qu'elles ne peuvent, à ce titre, méconnaître le droit de propriété des créanciers.

10. Ensuite, en premier lieu, si l'article 92 de la loi du 25 janvier 1985 limite, après la clôture d'une procédure de redressement judiciaire consécutive à la réalisation de la cession de l'entreprise, le droit pour les créanciers de recouvrer l'exercice individuel de leurs actions aux seuls cas énumérés par l'article 169 de la même loi et les prive, dans les autres cas, du droit d'agir en justice contre lui, il n'en résulte aucune extinction de leurs créances, de sorte notamment que, même privés du droit d'agir contre le débiteur principal après la clôture de sa procédure collective, ils peuvent poursuivre son codébiteur ou la caution qui a garanti son engagement. En conséquence, à défaut de privation du droit de propriété, les articles 92 et 169 de la loi du 25 janvier 1985 ne méconnaissent pas l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

11. En second lieu, le principe du non-recouvrement par les créanciers de leur droit de poursuite répond au besoin de ne pas compromettre l'avenir des professionnels qui ont échoué dans leur entreprise et de leur permettre un nouveau départ, dans l'intérêt de l'activité économique et de l'emploi. Il est encadré et limité par les exceptions prévues par l'article 169 de la loi du 25 janvier 1985 qui permettent la reprise des poursuites en faveur de certains créanciers dont la situation requiert un traitement plus favorable et contre les débiteurs dont le comportement frauduleux ou malhonnête a été démontré.
Ainsi, compte tenu de l'objectif d'intérêt général poursuivi, de l'encadrement et des exceptions prévus par le législateur, les dispositions contestées ne portent pas une atteinte disproportionnée au droit de propriété tel que protégé par l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

12. En conséquence, il n'y a pas lieu de renvoyer les questions au Conseil constitutionnel.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

DIT N'Y AVOIR LIEU DE RENVOYER au Conseil constitutionnel les questions prioritaires de constitutionnalité.

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du trois février deux mille vingt et un.

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