27 janvier 2021
Cour de cassation
Pourvoi n° 19-18.278

Première chambre civile - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2021:C100104

Titres et sommaires

DONATION - Révocation - Ingratitude - Action en révocation - Exercice - Exercice par les héritiers - Qualité à agir - Légataire universel - Détermination - Portée

Le légataire universel a qualité pour agir, sur le fondement de l'article 957, alinéa 2, du code civil, en révocation d'une donation pour cause d'ingratitude

Texte de la décision

CIV. 1

CF



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 27 janvier 2021




Cassation


Mme BATUT, président



Arrêt n° 104 FS-P

Pourvoi n° K 19-18.278





R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 27 JANVIER 2021

M. M... D..., domicilié [...] , a formé le pourvoi n° K 19-18.278 contre l'arrêt rendu le 24 avril 2019 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 2 - 4), dans le litige l'opposant à Mme I... Y..., épouse D..., domiciliée [...] , défenderesse à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Poinseaux, conseiller, les observations de la SCP Spinosi et Sureau, avocat de M. D..., de la SCP Baraduc, Duhamel et Rameix, avocat de Mme Y..., et l'avis de Mme Marilly, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 1er décembre 2020 où étaient présents Mme Batut, président, Mme Poinseaux, conseiller rapporteur, Mme Auroy, conseiller doyen, MM. Hascher, Vigneau, Mme Bozzi, M. Acquaviva, Mme Guihal, conseillers, Mmes Mouty-Tardieu, Le Cotty, Gargoullaud, Azar, M. Buat-Ménard, Mme Feydeau-Thieffry, conseillers référendaires, Mme Marilly, avocat général référendaire, et Mme Berthomier, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 24 avril 2019) et les productions, par acte authentique du 10 octobre 1981, C... T... a consenti une donation à sa fille I... Y.... Un arrêt définitif du 1er juillet 2016 a condamné celle-ci pour des violences volontaires commises sur sa mère le 23 juillet 2014.

2. C... T... est décédée le [...], laissant pour lui succéder sa fille et son petit-fils, M. D..., institué légataire universel.

3. Invoquant sa qualité d'héritier de C... T..., celui-ci a assigné Mme Y... en révocation de la donation pour cause d'ingratitude, en application de l'article 957, alinéa 2, du code civil.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. M. D... fait grief à l'arrêt de dire qu'il n'a pas qualité pour agir en révocation de la donation consentie par C... T... à sa fille Mme Y..., alors « que l'action en révocation d'une donation pour cause d'ingratitude peut être demandée par l'héritier du donateur contre le donataire, à la condition que l'action ait été intentée par le donateur ou que le donateur soit décédé dans l'année du délit ; que la notion d'héritier doit être prise dans le sens de continuateur de la personne du défunt, que sont les héritiers légaux comme les légataires universels ; qu'en jugeant que M. D..., légataire universel, n'avait pas qualité pour agir en révocation de la donation pour cause d'ingratitude, faute d'être un héritier légal, la cour d'appel a violé l'article 957 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 957, alinéa 2, du code civil :

5. Selon ce texte, la demande en révocation pour cause d'ingratitude ne pourra être demandée par le donateur contre les héritiers du donataire, ni par les héritiers du donateur contre le donataire, à moins que, dans ce dernier cas, l'action n'ait été intentée par le donateur, ou qu'il ne soit décédé dans l'année du délit.

6. Un légataire universel a la qualité d'héritier au sens de ce texte.

7. Pour déclarer irrecevable la demande de M. D..., l'arrêt retient que l'action en révocation pour cause d'ingratitude est d'une nature très particulière, à la fois patrimoniale, en ce qu'elle tend à faire revenir dans le patrimoine du donateur un bien dont il avait fait donation, et personnelle jusqu'à l'intime, en ce qu'elle se fonde sur le comportement du donataire à l'égard du donateur et sur le ressenti de ce dernier. Il en déduit que le légataire universel n'est pas un héritier au sens de l'article 957 du code civil et n'a donc pas qualité pour exercer cette action.

8. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la seconde branche du moyen, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 24 avril 2019, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Montpellier ;

Condamne Mme Y... aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par Mme Y... et la condamne à payer à M. D... la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-sept janvier deux mille vingt et un.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Spinosi et Sureau, avocat aux Conseils, pour M. D...

Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir dit que Monsieur M... D... n'a pas qualité pour agir en révocation de la donation consentie par C... T... veuve Y... à sa fille Madame I... Y... épouse D... ;

Aux motifs que, « Aux termes de l'article 955 du code civil l'action en révocation d'une donation peut être exercée par les héritiers du donateur à l'encontre du donataire a condition que l'action ait été intentée par ce dernier ou qu'il ne soit décédé dans l'année du délit.

Mme D... estime que son fils qui n'est que légataire universel n'a pas la qualité d'héritier au sens de l'article précité et qu'il ne peut donc exercer l'action en révocation.

Le code civil dans le chapitre III de la section II du titre I du livre troisième intitulé « Des héritiers » ne mentionne que les personnes auxquelles la succession est dévolue par la loi, parents et conjoint successible mais la notion d'héritier ne peut se résoudre à ces seuls héritiers désignés par la loi et peut englober ceux au bénéfice desquels le défunt a testé.

Pour autant, le législateur en faisant référence à différents endroits du code à la notion d'héritier n'a pas nécessairement visé tous ceux qui viennent à la succession à quelque titre que ce soit et il a pu être jugé, par exemple en ce qui concerne l'action prévue à l'article 322 du code civil que le légataire universel n'était pas un héritier au sens de ce texte.

Il appartient donc à la présente juridiction d'apprécier si au regard de la nature de l'action le terme d'héritier recouvre uniquement les héritiers désignés par la loi ou s'il inclut les légataires universels.

L'action en révocation pour cause d'ingratitude est une action particulière, à la fois patrimoniale en ce qu'elle tend à faire revenir dans le patrimoine du donateur un bien dont il avait fait donation, et personnelle en ce qu'elle se fonde sur le comportement du donataire à l'égard du donateur et sur le ressenti de ce dernier.

Le législateur a d'ailleurs enfermé cette action, contrairement à l'action en révocation pour inexécution des conditions, dans des délais stricts et ne l'a autorisée aux héritiers que dans le cas où le donataire avait lui-même manifesté sa volonté de voir sanctionner l'ingratitude du gratifié ou s'il était décédé dans des délais trop brefs pour avoir pu la traduire en actes.

Compte tenu de la nature très particulière de cette action qui au-delà du personnel touche à l'intime il y a lieu de considérer que le légataire universel n'est pas un héritier au sens de l'article 955 du code civil.

M. D... qui n'est pas héritier désigné par la loi de sa grand-mère n'a en conséquence pas qualité pour exercer l'action en révocation de la donation que celle-ci avait consenti à sa fille.

Au demeurant, il serait en toute hypothèse forclos dans son action. En effet ainsi que le souligne justement Mme D... dans ses écritures, si l'article 955 du code civil permet au donateur d'agir soit dans l'année où le délit a été commis soit dans l'année qui suit le jour où ce délit a pu être connu, l'héritier ne peut agir que lorsque le donateur est décédé dans l'année du délit, cette date étant insusceptible de variations et donc indépendante de l'action pénale consécutive au délit.

En l'espèce les faits se sont produits le 23 juillet 2014 et le décès de Mme Y... est intervenu le [...] sans qu'elle ait exercé l'action en révocation pour cause d'ingratitude.

Plus d'un an s'étant écoulé entre le délit et le décès de Mme Y... l'action de M. D..., à supposer qu'il ait eu qualité pour agir serait frappée de forclusion.

Il convient en conséquence de déclarer M. D... irrecevable en sa demande » ;

Alors que, d'une part, l'action en révocation d'une donation pour cause d'ingratitude peut être demandée par l'héritier du donateur contre le donataire, à la condition que l'action ait été intentée par le donateur ou que le donateur soit décédé dans l'année du délit ; que la notion d'héritier doit être prise dans le sens de continuateur de la personne du défunt, que sont les héritiers légaux comme les légataires universels ; qu'en jugeant que Monsieur M... D..., légataire universel, n'avait pas qualité pour agir en révocation de la donation pour cause d'ingratitude, faute d'être un héritier légal, la cour d'appel a violé l'article 957 du code civil ;

Alors que, d'autre part, si le point de départ du délai d'exercice de l'action en révocation pour cause d'ingratitude est fixé au jour du délit civil imputé au donataire ou au jour où ce délit aura pu être connu du disposant, ce point de départ est retardé lorsque le fait invoqué constitue une infraction pénale, jusqu'au jour où la condamnation pénale établit la réalité de ce fait, c'est à dire au jour où elle devient définitive ; que lorsque la condamnation pénale devient définitive après le décès du donateur, les héritiers, continuateurs de la personne du défunt, peuvent donc agir dans l'année suivant cette condamnation pénale ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a jugé irrecevable la demande de Monsieur M... D... en révocation pour cause d'ingratitude à raison de la forclusion de son action, considérant que les faits s'étaient produits le 23 juillet 2014 et que le décès de C... T... veuve Y... était intervenu le [...], sans qu'elle ait exercé l'action en révocation pour cause d'ingratitude ; qu'en statuant ainsi, quand la condamnation pénale définitive n'était intervenue que le 11 juillet 2016, de sorte que Monsieur M... D..., en sa qualité de continuateur de la personne de C... T... veuve Y... pouvait exercer l'action révocatoire jusqu'au 11 juillet 2017, la cour d'appel a derechef violé l'article 957 du code civil.

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