22 janvier 2021
Cour d'appel de Paris
RG n° 20/08203

Pôle 1 - Chambre 8

Texte de la décision

Copies exécutoiresREPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 1 - Chambre 8



ARRET DU 22 JANVIER 2021

(n° 23 , 8 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/08203 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CB6F2



Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 19 Juin 2020 -Tribunal de Commerce de BOBIGNY - RG n° 19/00525



APPELANTES



SAS CSF agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège,

[Adresse 7]

[Localité 2]



SAS CARREFOUR HYPERMARCHES agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège,

[Adresse 6]

[Adresse 1]

[Localité 5]



Représentées par Me Florence GUERRE de la SELARL PELLERIN - DE MARIA - GUERRE, avocat au barreau de PARIS, toque : L0018

Assistées par Me de LAMMERVILLE Diego de la société CLIFFORD CHANCE LLP, avocat au barreau de PARIS, toque : K112





INTIMEE



SNC LIDL prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège,

[Adresse 3]

[Localité 4]



Représentée par Me François TEYTAUD de l'AARPI TEYTAUD-SALEH, avocat au barreau de PARIS, toque : J125

Assistée par Me Julia BOMBARDIER du cabinet JEANTET, avocat au barreau de PARIS, toque : J04



COMPOSITION DE LA COUR :



En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 03 décembre 2020, en audience publique, les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Thomas VASSEUR, Conseiller, chargé du rapport.



Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :



Florence LAGEMI, Président,

Thomas VASSEUR, Conseiller,

Laure ALDEBERT, Conseiller,



Greffier, lors des débats : Marie GOIN





ARRÊT :



- CONTRADICTOIRE

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Florence LAGEMI, Président et par Lauranne VOLPI, Greffier, présente lors de la mise à disposition.






Soutenant que les publicités diffusées à la télévision par la société Lidl constituent des opérations commerciales interdites, les sociétés Carrefour Hypermarchés et Carrefour supermarchés France (C.S.F) ont sollicité sur requête plusieurs mesures d'instruction en vue d'établir la preuve de ces faits.



Le 18 juin 2019, les sociétés Carrefour hypermarchés et C.S.F ont déposé une requête aux fins de mesures d'instruction devant le président du tribunal de commerce de Bobigny en vue d'établir la preuve de prétendues opérations de promotions interdites réalisées par la société Lidl.



Par ordonnance en date du 25 juin 2019, il a été fait droit à la demande des sociétés Carrefour hypermarchés et C.S.F et Maître Humbert, huissier de justice, a été commis et autorisé à réaliser des mesures d'instruction dans treize magasins de la société Lidl situés en Seine-Saint-Denis aux fins, notamment, de vérifier la présence dans les rayons et réserves des magasins des produits listés dans la requête et prendre copie, sur quelque support que ce soit, pour chacun des produits listés, d'une part, de l'évolution des stocks par jour et depuis la date de disponibilité du produit annoncée dans la publicité télévisée, et, d'autre part, de la date de la dernière vente réalisée.



Les mesures de constat ont été réalisées le 3 juillet 2019.



Le 22 novembre 2019, la société Lidl a assigné les sociétés Carrefour hypermarchés et C.S.F devant le juge des référés du tribunal de commerce de Bobigny afin d'obtenir la rétractation de l'ordonnance du 25 juin 2019.



Par ordonnance du 19 juin 2020, ce magistrat a':


rétracté l'ordonnance rendue le 25 juin 2019,

annulé toutes les mesures d'instruction subséquentes qui ont été diligentées le 3 juillet 2019 par Maître Humbert, huissier de justice,

ordonné la restitution à la SNC Lidl de l'ensemble des éléments saisis et informations recueillies lors des mesures d'instruction réalisées le 3 juillet 2019 par Maître Humbert';

débouté chacune des parties de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile';

dit que les dépens sont à la charge de la SAS Carrefour hypermarchés et de la société C.S.F.




Par déclaration en date du 29 juin 2020, les sociétés Carrefour hypermarchés et C.S.F ont interjeté appel de cette décision.



Dans leurs dernières conclusions remises le 16 novembre 2020, auxquelles il est renvoyé s'agissant des moyens qui y sont développés, les appelantes demandent à la cour de':


constater que l'ordonnance entreprise préjuge du fond ;

dire et juger que la mesure d'instruction prononcée par l'ordonnance rendue le 25 juin 2019 par le président du tribunal de commerce de Bobigny sur leur requête était justifiée par un motif légitime et que l'absence de débats contradictoires était justifiée compte tenu du risque de déperdition des preuves ;

en conséquence, infirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a :

rétracté l'ordonnance rendue le 25 juin 2019 sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile';

annulé toutes les mesures d'instruction subséquentes diligentées le 3 juillet 2019 par Maître Nicolas Humbert, huissier de justice';

ordonné la restitution à la société Lidl de l'ensemble des éléments saisis le 3 juillet 2019 par Maître Nicolas Humbert';

débouté chacune des parties de leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile';

les a condamnées aux entiers dépens';

jugeant à nouveau,

débouter la société Lidl de l'ensemble de ses demandes ;

condamner la société Lidl à leur payer la somme de 25.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

condamner la société Lidl aux entiers dépens.






Dans ses dernières conclusions remises le 16 novembre 2020, auxquelles il est renvoyé s'agissant des moyens qui y sont développés, la société Lidl demande à la cour de':


dire que les mesures d'instruction prononcées par l'ordonnance rendue le 25 juin 2019 par le président du tribunal de commerce de Bobigny sur requête des sociétés Carrefour Hypermarchés et C.S.F n'étaient justifiées par un aucun motif légitime et que la dérogation au principe du contradictoire n'était pas davantage justifiée ;

en conséquence, rejeter la demande en annulation de l'ordonnance rendue le 19 juin 2020 par le président du tribunal de commerce de Bobigny';

confirmer l'ordonnance entreprise ;

et, statuant à nouveau, rétracter l'ordonnance du 25 juin 2019 rendue par le président du tribunal de commerce de Bobigny';

annuler toutes les mesures d'instruction subséquentes qui ont été diligentées le 3 juillet 2019, en exécution de l'ordonnance du 25 juin 2019, en ce compris les procès-verbaux et tout autre document dressé par les huissiers'de justice ;

confirmer la restitution à son profit de l'ensemble des éléments saisis et informations recueillies lors des mesures d'instruction réalisées le 3 juillet 2019, sur le fondement de l'ordonnance rétractée';

condamner solidairement les sociétés Carrefour hypermarchés et C.S.F à lui verser la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et aux dépens avec faculté de recouvrement direct conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.




La clôture de la procédure a été prononcée le 18 novembre 2020.




SUR CE, LA COUR



La cour rappelle, à titre liminaire, qu'elle n'est pas tenue de statuer sur la demande de constat qui n'est pas, hors les cas prévus par la loi, une prétention en ce qu'elle n'est pas susceptible d'emporter des conséquences juridiques, mais uniquement des moyens. Cette demande ne donnera donc pas lieu à mention au dispositif.



Sur la rétractation de l'ordonnance rendue sur requête le 25 juin 2019



Aux termes de l'article 145 du code de procédure civile, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé sur requête ou en référé.



L'article 493 prévoit que l'ordonnance sur requête est une décision provisoire rendue non contradictoirement dans les cas où le requérant est fondé à ne pas appeler la partie adverse.

Il résulte des articles 497 et 561 du code de procédure civile que la cour d'appel, saisie de l'appel d'une ordonnance de référé statuant sur une demande en rétractation d'une ordonnance sur requête rendue sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, est investie des attributions du juge qui l'a rendue devant lequel la contradiction est rétablie.



Cette voie de contestation n'étant que le prolongement de la procédure antérieure, le juge doit statuer en tenant compte de tous les faits s'y rapportant, ceux qui existaient au jour de la requête mais aussi ceux intervenus postérieurement à celle-ci. Il doit ainsi apprécier l'existence du motif légitime au jour du dépôt de la requête initiale, à la lumière des éléments de preuve produits à l'appui de la requête et de ceux produits ultérieurement devant lui.

Il doit également rechercher si la mesure sollicitée exigeait une dérogation au principe de la contradiction. Les circonstances justifiant cette dérogation doivent être caractérisées dans la requête ou l'ordonnance qui y fait droit.



Enfin, cette mesure doit être proportionnée et ne doit pas porter une atteinte illégitime aux droits de la partie adverse et, notamment, au droit au secret des affaires.



Sur le motif légitime



L'application des dispositions de l'article 145 du code de procédure civile suppose que soit constaté qu'il existe un procès en germe possible et non manifestement voué à l'échec au regard des moyens soulevés, sur la base d'un fondement juridique suffisamment déterminé, sans qu'il revienne au juge des référés de se prononcer sur le fond.



Selon les énonciations de la requête, les sociétés Carrefour Hypermarchés et C.S.F indiquaient, pour justifier le motif légitime, que la société Lidl diffuse très régulièrement des spots publicitaires télévisés portant sur des produits, le plus souvent non alimentaires, proposés à des prix très attractatifs ; qu'en réalité, ces produits dont le stock est extrêmement restreint, ne sont en vente que pendant un temps très limité de sorte que cette pratique est constitutive d'opérations promotionnelles ne pouvant donner lieu, en application du décret n°92-280 du 27 mars 1992 et du code de conduite défini par l'Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP), à une publicité télévisée ; que cette pratique qui perdure, a déjà été sanctionnée par cette cour qui, par arrêt du 6 février 2019, a condamné la société Lidl à leur payer la somme de 6.000.000 euros en considérant que ce comportement était constitutif d'un acte de concurrence déloyale.



La mesure d'instruction sollicitée et devant être exécutée dans les treize magasins Lidl du département de la Seine-Saint-Denis, concernait des produits alimentaires et non alimentaires ayant fait l'objet de publicités télévisées pendant la période du 1er février au 12 juin 2019 et était destinée à déterminer précisément l'état des stocks et des ventes des produits promus en publicité télévisées dans les magasins Lidl.



Il était invoqué au soutien de la requête, des contrôles de disponibilité des produits que les requérantes avaient fait réaliser par leurs salariés, sur un échantillon de 397 magasins Lidl répartis sur tout le territoire métropolitain, au cours de la semaine du 20 mai 2020, qui mettaient en évidence l'indisponibilité de la plupart des produits ayant fait l'objet de spots publicitaires.



Il était ainsi soutenu que la diffusion de ces publicités télévisées caractérise une opération commerciale de promotion interdite par la réglementation en vigueur, constitutive d'un acte de concurrence déloyale persistant en dépit de la décision de condamnation précitée, mais aussi d'une pratique commerciale trompeuse au sens de l'article L121-1 du code de la consommation ce qui justifiait, selon les requérantes, d'engager une nouvelle action judiciaire contre la société Lidl aux fins de faire cesser ces agissements et obtenir réparation de leur préjudice.



Pour solliciter la rétractation de l'ordonnance du 25 juin 2019 ayant fait droit à la requête et la confirmation de la décision entreprise ayant rétracté cette décision, la société Lidl soutient que la mesure sollicitée n'était justifiée par aucun motif légitime.



A cet égard, elle indique que les requérantes ont trompé le président du tribunal de commerce de Bobigny sur le périmètre des campagnes de publicité télévisées limitées en réalité à 'certains supermarchés concernés' au nombre de 198, listés sur son site, dont les treize magasins visés par les mesures d'instruction ne faisaient pas partie.



Elle considère ainsi que les sociétés Carrefour hypermarchés et C.S.F ont délibérément caché au magistrat cet élément en lui faisant croire que les spots publicitaires concernaient l'ensemble de ses supermarchés, sans restriction, alors que seuls les supermarchés concernés par les publicités télévisées sont tenus de conserver de façon durable en magasins les produits objets des spots publicitaires, cette obligation n'existant pas pour les autres magasins.



Estimant en outre que le caractère promotionnel d'une publicité nationale, qui ne peut concerner qu'une liste limitative de supermarchés, ne s'apprécie qu'au regard de ces seuls supermarchés, elle en déduit que les mesures d'instruction étaient dénuées de pertinence pour établir la violation alléguée de la réglementation applicable à la publicité télévisée.



Elle invoque encore l'absence de caractère probant de l'enquête, non sourcée, réalisée par les appelantes, qui n'est accompagnée d'aucune méthodologie ni justificatif et qui présente en outre un caractère trompeur puisque la plupart des supermarchés analysés n'est pas concernée par les spots télévisés.



***





L'article 8 du décret n°92-280 du 27 mars 1992 prohibe la publicité portant, notamment, dans le secteur de la distribution, sur des opérations commerciales de promotion, se déroulant entièrement ou principalement sur le territoire national, sauf dans les départements d'outre-mer et les territoires de la Polynésie française, des îles Wallis et Futuna, dans la collectivité départementale de Mayotte et en Nouvelle-Calédonie.

Ce texte définit une opération commerciale de promotion comme toute offre de produits ou de prestations de services faite aux consommateurs ou toute organisation d'événement qui présente un caractère occasionnel ou saisonnier, résultant notamment de la durée de l'offre, des prix et des conditions de vente annoncés, de l'importance du stock mis en vente, de la nature, de l'origine ou des qualités particulières des produits ou services ou des produits ou prestations accessoires offerts.



Selon le code de conduite de l'Autorité de régulation professionnelle de la publicité, le caractère occasionnel de l'offre doit être déterminé au regard, notamment, de la disponibilité du produit dans la durée, cette autorité estimant qu'une durée de quinze semaines de maintien du prix annoncé et des stocks disponibles pourra constituer une période de référence.



Il est acquis que les publicités télévisées, réalisées pendant la période du 1er février au 12 juin 2019, portant sur des produits non alimentaires offerts à la vente par la société Lidl, comportent la mention 'supermarchés concernés sur Lidl.fr' et que les treize supermarchés visés dans la requête des sociétés Carrefour hypermarchés et C.S.F ne font pas partie de la liste de ces magasins concernés.



Pour autant, contrairement à ce que soutient la société Lidl et qu'a retenu le premier juge, la mesure d'instruction sollicitée dans ces treize magasins n'apparaît pas dénuée de pertinence dès lors qu'il est acquis que la société Lidl approvisionne l'ensemble de ses magasins et, donc, ceux non concernés par les spots publicitaires télévisés, avec les produits objet de ces publicités et que celles-ci étant diffusées sur les chaînes nationales, il pourrait être considéré que l'ensemble des magasins du réseau Lidl bénéficie de ces publicités et de leurs effets à l'égard de la clientèle.



En outre, il ne saurait, à ce stade de la procédure, être statué sur le bien fondé de l'action en concurrence déloyale que les sociétés Carrefour hypermarchés et C.S.F envisagent d'engager étant relevé que la question de savoir si, comme le soutient la société Lidl, la limitation du nombre de magasins concernés par les spots publicitaires suffit à lui permettre d'être en conformité avec les dispositions réglementaires sur la publicité télévisée, relève de la seule appréciation du juge du fond. Ainsi, il n'est pas, en l'état, établi de manière évidente que l'action au fond envisagée par les appelantes est manifestement vouée à l'échec.



Au regard des pièces produites et, notamment, des copies d'écran des spots télévisés diffusés pendant la période susvisée et de l'étude réalisée au cours du mois de mai 2019 par les sociétés Carrefour Hypermarchés et CSF (pièce n°13) dans différents magasins Lidl portant, notamment, sur les produits non alimentaires, objet des publicités litigieuses, il apparaît que la mesure d'instruction sollicitée était utile aux sociétés appelantes pour rapporter la preuve des agissements dénoncés de la société Lidl.



L'étude précitée révèle en effet, l'indisponibilité d'un grand nombre de produits peu de temps après la date annoncée de leur mise en vente, susceptible de caractériser des 'ventes éphémères' constitutives d'opérations commerciales de promotion pour lesquelles la publicité est prohibée.



Ainsi, seule la mesure d'investigation sollicitée était de nature à permettre aux requérantes, dans le cadre d'une procédure au fond, de justifier de la violation alléguée des dispositions réglementaires susvisées et, par suite, des pratiques commerciales déloyales suspectées, l'étude précitée étant, ainsi que le fait justement remarquer la société Lidl, dépourvue de valeur probante pour une action au fond.



A cet égard, les critiques de la société Lidl quant à la valeur probante de cette pièce sont inopérantes dès lors que celle-ci n'est pas produite pour justifier des demandes dans le cadre d'une procédure au fond mais seulement pour étayer la pertinence des motifs allégués pour demander une mesure d'instruction par voie de requête.



Ainsi, outre qu'il ne résulte pas de l'examen de la requête et des pièces produites que les sociétés Carrefour hypermarchés et C.S.F aient trompé l'opinion du magistrat ayant ordonné les mesures d'instruction, il apparaît que celles-ci sont justifiées par l'existence d'un motif légitime.



Sur la dérogation au principe de la contradiction



L'éviction du principe de la contradiction, principe directeur du procès, nécessite que les requérantes justifient de manière concrète, les motifs pour lesquels, dans le cas d'espèce, il est impossible de procéder autrement que par surprise.



Dans la requête, les sociétés Carrefour Hypermarchés et C.S.F ont justifié la nécessité de déroger au principe de la contradiction en faisant état du risque de déperdition des preuves en cas de débat contradictoire. Elles ont invoqué, à cet égard, le stratagème utilisé dans le passé par la société Lidl, destiné à tromper les huissiers de justice chargés de procéder à des mesures de constat et consistant à conserver en réserves des produits promus en publicité télévisée qui n'avaient pas vocation à être mis en vente.



Les sociétés Carrefour hypermarchés et C.S.F démontrent par des procès-verbaux de constat réalisés les 3, 4 octobre et 10 novembre 2016 par des huissiers de justice, que ces derniers s'étant rendus dans des magasins Lidl afin de constater la disponibilité en rayons et en réserves de produits faisant l'objet de messages publicitaires télévisés, ont pu en effet relever l'absence de certains produits en rayons alors qu'ils étaient stockés en réserves, certains se trouvant dans des cartons avec une affichette orange sur laquelle était mentionnée 'Stockage réserve articles Pub TV' ou encore 'Articles en Pub TV- Colis A conserver en réserve' ainsi que, pour certains, la date de mise en vente des produits.



Il apparaît ainsi que l'effet de surprise recherché par les sociétés Carrefour Hypermarchés et C.S.F était justifié tant pour la mesure de constat sollicitée sur la disponibilité des produits listés dans la requête que pour la saisie des données, notamment, informatiques relatives à l'état des stocks et des ventes de ces produits, données par essence furtives et pouvant ainsi être aisément altérées.



Au regard de la mise en scène à laquelle a pu se livrer dans le passé la société Lidl pour tromper les huissiers de justice sur la disponibilité de produits en stock, il apparaissait donc justifié, dans un souci de plus grande efficacité de la mesure d'instruction, de procéder de manière non contradictoire.





Sur l'atteinte au secret des affaires



La mesure d'instruction ordonnée se doit de concilier le droit à la preuve, auquel prétendent les sociétés Carrefour Hypermarchés et C.S.F avec le droit au secret des affaires, auquel prétend la société Lidl.



Aussi convient-il de rechercher si l'ordonnance rendue sur requête le 25 juin 2019 procède d'un juste équilibre entre ces deux droits antagonistes en présence, en ce qu'elle améliore la situation probatoire des premières sans porter une atteinte excessive au secret des affaires de la seconde.



La société Lidl fait observer que les appelantes n'ont pas sollicité le placement sous séquestre des éléments saisis et que cette mesure n'a pas été ordonnée ce qui constitue une violation flagrante du secret des affaires en permettant aux sociétés Carrefour Hypermarchés et C.S.F d'avoir accès, sans contrôle, à des informations confidentielles stratégiques de leur concurrent, notamment, quant à la gestion de ses stocks.



S'il est exact qu'aucune mesure de séquestre n'a été prévue dans l'ordonnance du 25 juin 2019, il sera cependant relevé que la mesure d'instruction ordonnée en ce qu'elle portait sur le constat de la présence des produits listés dans l'ordonnance en rayons et en réserve ainsi que sur la saisie de pièces relatives à la vente de ces produits et à l'état des stocks limités aux produits en cause, n'était pas de nature à porter une atteinte au secret des affaires, lequel, en tout état de cause, bien que protégé, ne constitue pas en lui-même un obstacle à l'application des dispositions de l'article 145 du code de procédure civile.



En outre, et ainsi que le font justement observer les sociétés Carrefour Hypermarchés et C.S.F, le délai écoulé de plus de quatre mois entre la réalisation des mesures d'instruction et la saisine du premier juge en rétractation de l'ordonnance du 25 juin 2019, ne permet pas de considérer que la société Lidl a réellement subi une atteinte au secret des affaires. Il sera, au surplus, relevé que dans le cadre d'une précédente procédure devant le président du tribunal de commerce de Paris, celle-ci n'a pas cru devoir invoquer une telle violation ainsi qu'il résulte des conclusions qu'elle avait alors deposées devant cette juridiction et qui sont versées aux débats (pièce 52 des appelantes).



Dans ces conditions, la demande de rétractation de l'ordonnance rendue sur requête le 25 juin 2019 n'est pas justifiée et il convient en conséquence d'infirmer l'ordonnance entreprise en ses dispositions de ce chef.



Sur les dépens et les frais irrépétibles



Succombant en ses prétentions, la société Lidl supportera les dépens de première instance et d'appel et ne peut prétendre à une indemnité au titre des frais irrépétibles.



Il sera en revanche alloué aux sociétés Carrefour Hypermarchés et C.S.F, contraintes d'engager de tels frais pour assurer leur défense, la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.



PAR CES MOTIFS



Infirme en toutes ses dispositions l'ordonnance entreprise ;



Statuant à nouveau,



Dit n'y avoir lieu à rétractation de l'ordonnance rendue sur requête le 25 juin 2019 ;



Déboute en conséquence la société Lidl de l'ensemble de ses demandes ;



Condamne la société Lidl aux dépens de première instance et d'appel et à payer aux Carrefour Hypermarchés et C.S.F la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.





La Greffière, La Présidente,

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