6 janvier 2021
Cour de cassation
Pourvoi n° 19-21.718

Première chambre civile - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2021:C100026

Titres et sommaires

PROTECTION DES DROITS DE LA PERSONNE - Présomption d'innocence - Atteinte - Défaut - Cas - Proportionnalité par rapport aux droits et intérêts en cause

Le droit à la présomption d'innocence et le droit à la liberté d'expression ayant la même valeur normative, il appartient au juge saisi d'une demande de suspension de la diffusion d'une oeuvre audiovisuelle, quelle qu'en soit la modalité, jusqu'à l'intervention d'une décision de justice définitive sur la culpabilité, de mettre ces droits en balance en fonction des intérêts en jeu et de privilégier la solution la plus protectrice de l'intérêt le plus légitime. Cette mise en balance doit être effectuée en considération, notamment, de la teneur de l'expression litigieuse, de sa contribution à un débat d'intérêt général, de l'influence qu'elle peut avoir sur la conduite de la procédure pénale et de la proportionnalité de la mesure demandée. Dès lors, une cour d'appel, dont il résulte des constatations et énonciations qu'elle a procédé à la mise en balance des intérêts en présence et apprécié l'impact d'un film et des avertissements donnés aux spectateurs au regard de la procédure pénale en cours, sans retenir que la culpabilité de l'intéressé aurait été tenue pour acquise avant qu'il ne soit jugé, en déduit, à bon droit, que la suspension sollicitée constituerait une mesure disproportionnée aux intérêts en jeu

CONVENTION DE SAUVEGARDE DES DROITS DE L'HOMME ET DES LIBERTES FONDAMENTALES - Article 10 - Liberté d'expression - Exercice - Caractère abusif - Applications diverses - Atteinte à la présomption d'innocence - Défaut

CONVENTION DE SAUVEGARDE DES DROITS DE L'HOMME ET DES LIBERTES FONDAMENTALES - Article 6 - Présomption d'innocence - Atteinte - Caractérisation - Cas - Office du juge - Recherche d'un équilibre entre les droits - Protection de l'intérêt le plus légitime

Texte de la décision

CIV. 1

CF



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 6 janvier 2021




Rejet


Mme BATUT, président



Arrêt n° 26 FS-P+I

Pourvoi n° Z 19-21.718




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 6 JANVIER 2021

M. X... G..., domicilié [...] , a formé le pourvoi n° Z 19-21.718 contre l'arrêt rendu le 26 juin 2019 par la cour d'appel de Paris (pôle 1, chambre 3), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société Mandarin production, société par actions simplifiée, dont le siège est [...] ,

2°/ à la société Mars films, société par actions simplifiée, dont le siège est [...] ,

3°/ à la société Abitbol et Rousselet, société civile professionnelle, dont le siège est [...] , prise en qualité d'administrateur judiciaire de la société Mars films,

4°/ à la société Brouard-Daudé, société civile professionnelle, dont le siège est [...] , prise en qualité de mandataire judiciaire de la société Mars films,

défenderesses à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Chevalier, conseiller, les observations et les plaidoiries de la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. G..., de la SCP Piwnica et Molinié, avocat des sociétés Mandarin production, Mars films, Abitbol et Rousselet, ès qualités, et Brouard-Daudé, ès qualités, et l'avis de M. Chaumont, avocat général, à la suite duquel le président a demandé aux avocats s'ils souhaitaient présenter des observations complémentaires, après débats en l'audience publique du 10 novembre 2020 où étaient présents Mme Batut, président, M. Chevalier, conseiller rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, M. Girardet, Mme Teiller, MM. Avel, Mornet, Mme Kerner-Menay, conseillers, M. Vitse, Mme Dazzan, M. Serrier, Mmes Champ, Comte, Robin-Raschel, conseillers référendaires, M. Chaumont, avocat général, et Mme Randouin, greffier de chambre,

la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 26 juin 2019), rendu en référé, et les productions, M. G... a été mis en examen, le 27 janvier 2016, du chef d'atteintes sexuelles sur des mineurs qui auraient été commises entre 1986 et 1991 alors qu'il était prêtre dans le diocèse de Lyon. Il a également été entendu en qualité de témoin assisté concernant des viols qui auraient été commis au cours de la même période.

2. Par acte du 31 janvier 2019, il a assigné les sociétés Mandarin production, Mars films et France 3 cinéma en référé aux fins, notamment, de voir ordonner, sous astreinte, la suspension de la diffusion du film « Grâce à Dieu », prévue le 20 février 2019, quelle qu'en soit la modalité, jusqu'à l'intervention d'une décision de justice définitive sur sa culpabilité.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa huitième branche, ci-après annexé


3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen, pris en ses autres branches

Enoncé du moyen

4. M. G... fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande, alors :

« 1°/ que le droit à la liberté d'expression doit s'exercer dans le respect de la présomption d'innocence ; qu'en jugeant disproportionnée une mesure de suspension temporaire de la diffusion du film Grâce à Dieu, dont elle relevait elle-même qu'il avait « nécessairement pour conséquence de rappeler l'existence des faits pour lesquels X... G... a été mis en examen, dans des circonstances telles que la réalité des faits n'apparaît pas contestable », bien qu'elle n'ait constaté, ni la nécessité pour le cinéaste de porter atteinte à la présomption d'innocence de M. G... ni l'existence d'un quelconque risque que la mesure demandée paralyse le débat d'intérêt général auquel le film vient contribuer, la cour d'appel a violé les articles 9-1 du code civil, 6, § 2, et 10, § 2, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et de libertés fondamentales ;

2°/ que chacun a droit au respect de la présomption d'innocence, qui implique de ne pas être publiquement présenté comme coupable ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a expressément constaté que la réalité des faits imputés à M. G... dans le film Grâce à Dieu y était présentée comme certaine ; qu'en relevant cependant, pour écarter la gravité de cette atteinte portée à la présomption d'innocence, qu'à la fin du film, un carton indique que « le père G... bénéficie de la présomption d'innocence » et qu'« aucune date de procès n'a été fixée », ce qui « rappelle aux spectateurs la réalité du contexte juridique et judiciaire », sans tenir compte de l'impact particulier d'un film comparé à celui d'un message écrit apparaissant quelques secondes à l'écran, la cour d'appel a violé les articles 9-1 du code civil et 6, § 2, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

3°/ que chacun a droit au respect de la présomption d'innocence, qui implique de ne pas être publiquement présenté comme coupable ; qu'en se fondant également, pour écarter la gravité de l'atteinte portée à la présomption d'innocence bénéficiant à M. G... , sur le sujet du film, « qui n'est pas un documentaire sur le procès à venir » et relate « le vécu de victimes qui mettent le prêtre en accusation, qui expriment leur souffrance et qui combattent contre la pédophilie au sein de l'église », bien qu'elle ait elle-même constaté que ce choix avait précisément pour effet de présenter la culpabilité de M. G... comme incontestable, la cour d'appel a violé les articles 9-1 du code civil et 6, § 2, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

4°/ que le caractère partiellement fictionnel d'une oeuvre de l'esprit ne réduit pas l'atteinte susceptible d'être portée au droit à la présomption d'innocence, lorsqu'une personne réelle y est présentée sans réserve comme coupable d'actes faisant l'objet d'une procédure pénale ; qu'en se fondant également, pour écarter la gravité de l'atteinte portée à la présomption d'innocence bénéficiant à M. G..., sur le fait que le film Grâce à Dieu « débute sur un carton indiquant « ce film est une fiction, basé sur des faits réels », informant le public qu'il s'agit aussi d'une oeuvre de l'esprit », sans constater que la culpabilité de M. G... y serait clairement présentée et identifiée par le spectateur comme fictive, la cour d'appel a violé les articles 9-1 du code civil et 6, § 2, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

5°/ que l'expression publique d'un préjugé tenant pour acquise la culpabilité d'une personne pénalement poursuivie comporte en elle-même un risque d'influencer la juridiction appelée à juger, indépendamment de la composition de celle-ci ; qu'en retenant que « si un renvoi devait être ordonné, il le serait devant une juridiction correctionnelle, et donc devant des magistrats professionnels dont l'office est de s'abstraire de toute pression médiatique, de sorte que le propos du film n'est pas de nature à porter atteinte à son droit à un procès équitable », la cour d'appel a violé les articles 9-1 du code civil et 6, § 2, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

6°/ que l'impartialité du juge exige que les tribunaux soient perçus par les justiciables comme les seules instances aptes à juger de la culpabilité d'une personne pénalement poursuivie ; qu'en retenant que « si un renvoi devait être ordonné, il le serait devant une juridiction correctionnelle, et donc devant des magistrats professionnels dont l'office est de s'abstraire de toute pression médiatique, de sorte que le propos du film n'est pas de nature à porter atteinte à son droit à un procès équitable », bien que le simple fait de laisser la culpabilité d'une personne poursuivie pénalement faire l'objet d'une démonstration publique, avant tout procès, suffise à porter atteinte à l'exigence d'impartialité du juge, la cour d'appel a violé l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

7°/ que chacun a droit à un procès équitable ; qu'en retenant que « la sortie du film à la date prévue n'est pas de nature à constituer une atteinte grave au caractère équitable du procès et à la nécessité d'assurer la sérénité des débats devant le juge pénal, étant observé qu'il en irait autrement si la sortie du film devait coïncider avec les débats judiciaires », sans rechercher si la possibilité offerte à tous de télécharger ou d'acquérir une copie du film, pendant le procès, n'est pas, quant à elle, de nature à porter atteinte au droit de M. G... à un procès équitable, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 9-1 du code civil, 6, § 2, et 10, § 2, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

5. Selon l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, toute personne a droit à un procès équitable et toute personne accusée d'une infraction est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie.

6. Selon l'article 10 de cette Convention, toute personne a droit à la liberté d'expression mais son exercice peut être soumis à certaines restrictions ou sanctions prévues par la loi qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, notamment à la protection de la réputation ou des droits d'autrui pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire.

7. En vertu de l'article 9-1 du code civil, le juge peut, même en référé, sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire toutes mesures aux fins de faire cesser l'atteinte à la présomption d'innocence. Une telle atteinte est constituée à condition que l'expression litigieuse soit exprimée publiquement et contienne des conclusions définitives tenant pour acquise la culpabilité d'une personne pouvant être identifiée relativement à des faits qui font l'objet d'une enquête ou d'une instruction judiciaire, ou d'une condamnation pénale non encore irrévocable (1re Civ., 10 avril 2013, pourvoi n° 11-28.406, Bull. 2013, I, n° 77).

8. Le droit à la présomption d'innocence et le droit à la liberté d'expression ayant la même valeur normative, il appartient au juge saisi de mettre ces droits en balance en fonction des intérêts en jeu et de privilégier la solution la plus protectrice de l'intérêt le plus légitime.

9. Cette mise en balance doit être effectuée en considération, notamment, de la teneur de l'expression litigieuse, sa contribution à un débat d'intérêt général, l'influence qu'elle peut avoir sur la conduite de la procédure pénale et la proportionnalité de la mesure demandée (CEDH, arrêt du 29 mars 2016, Bédat c. Suisse [GC], n° 56925/08).

10. L'arrêt retient, d'abord, que, si le film retrace le parcours de trois personnes qui se disent victimes d'actes à caractère sexuel infligés par le prêtre en cause lorsqu'ils étaient scouts, fait état de la dénonciation de ces faits auprès des services de police et de la création d'une association rassemblant d'autres personnes se déclarant victimes de faits similaires et si, à la suite de plusieurs plaintes dont celles émanant des personnages principaux du film, M. G... fait l'objet d'une information judiciaire en cours au jour de sa diffusion en salles, ce film n'est cependant pas un documentaire sur le procès à venir et que, présenté par son auteur comme une oeuvre sur la libération de la parole de victimes de pédophilie au sein de l'église catholique, il s'inscrit dans une actualité portant sur la dénonciation de tels actes au sein de celle-ci et dans un débat d'intérêt général qui justifie que la liberté d'expression soit respectée et que l'atteinte susceptible de lui être portée pour assurer le droit à la présomption d'innocence soit limitée.

11. L'arrêt précise, ensuite, que le film débute sur un carton indiquant « Ce film est une fiction, basée sur des faits réels », informant le public qu'il s'agit d'une oeuvre de l'esprit et s'achève par un autre carton mentionnant « Le père G... bénéficie de la présomption d'innocence. Aucune date de procès n'a été fixée », que cette information à l'issue du film venant avant le générique, tous les spectateurs sont ainsi informés de cette présomption au jour de la sortie du film. Il constate, par motifs adoptés, que les éléments exposés dans le film étaient déjà connus du public. Il ajoute que l'éventuel procès de M. G... n'est pas même prévu à une date proche et qu'il n'est pas porté atteinte au droit de l'intéressé à un procès équitable.

12. Il énonce, enfin, que la suspension de la sortie du film jusqu'à l'issue définitive de la procédure pénale mettant en cause M. G... pourrait à l'évidence ne permettre sa sortie que dans plusieurs années, dans des conditions telles qu'il en résulterait une atteinte grave et disproportionnée à la liberté d'expression.

13. De ces constatations et énonciations, desquelles il résulte qu'elle a procédé à la mise en balance des intérêts en présence et apprécié l'impact du film et des avertissements donnés aux spectateurs au regard de la procédure pénale en cours, sans retenir que la culpabilité de l'intéressé aurait été tenue pour acquise avant qu'il ne soit jugé, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder aux constatations invoquées par les première et quatrième branches et à la recherche visée par la septième branche qui ne lui avait pas été demandée, a déduit, à bon droit, que la suspension de la diffusion de l'oeuvre audiovisuelle « Grâce à Dieu » jusqu'à ce qu'une décision définitive sur la culpabilité de celui-ci soit rendue constituerait une mesure disproportionnée aux intérêts en jeu.

14. Il s'ensuit que le moyen, qui manque en fait en sa troisième branche et est inopérant en ses cinquième et sixième branches qui critiquent des motifs surabondants, n'est pas fondé pour le surplus.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne M. G... aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du six janvier deux mille vingt et un.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat aux Conseils, pour M. G...

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR écarté les demandes de M. X... G... tendant à ce qu'il soit jugé que le film Grâce à Dieu porte atteinte à son droit à la présomption d'innocence et à ce que soit en conséquence ordonnée, sous astreinte, la suspension de sa diffusion, quelle qu'en soit la modalité, jusqu'à l'intervention d'une décision de justice définitive sur sa culpabilité ;

AUX MOTIFS QU'aux termes de l'article 809 du code de procédure civile, le président peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite ; que le dommage imminent s'entend du « dommage qui n'est pas encore réalisé, mais qui se produira sûrement si la situation présente doit se perpétuer » et que le trouble manifestement illicite résulte de « toute perturbation résultant d'un fait qui directement ou indirectement constitue une violation évidente de la règle de droit » ; que l'article 9-1 du code civil dispose en son premier alinéa que « chacun a droit au respect de la présomption d'innocence » et précise, à l'alinéa 2, que « le juge peut, même en référé, sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire toutes mesures, telles que l'insertion d'une rectification ou la diffusion d'un communiqué, aux fins de faire cesser l'atteinte à la présomption d'innocence » ; que la présomption d'innocence, qui concourt à la liberté de la défense, constitue une liberté fondamentale ; que son respect est affirmé par l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales ; que pour être constituée, l'atteinte à la présomption d'innocence suppose la réunion des conditions qui sont :
- l'existence d'une procédure pénale en cours et non encore terminée par une condamnation irrévocable ;
- l'imputation publique à une personne précise, d'être coupable des faits faisant l'objet de cette procédure d'enquête, d'instruction ou de poursuite, non par simple insinuation et de façon dubitative, mais par une affirmation péremptoire manifestant de la part de celui qui les exprime, un clair préjugé tenant pour acquise la culpabilité de la personne visée ;
que la reconnaissance des faits délictueux par la personne poursuivie ne la prive pas du respect au droit à la présom-ption d'innocence ; que l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales relatif à la liberté d'expression prévoit :
« 1. Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n'empêche pas les États de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d'autorisations.
2. L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions, prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire » ; que cet article, qui ne distingue pas les diverses formes d'expression, englobe la liberté d'expression artistique dont fait partie l'oeuvre cinématographique, et dont l'exercice peut se trouver limité pour assurer notamment le respect du droit à la présomption d'innocence ; que néanmoins, la liberté d'expression constitue l'un des fondements essentiels d'une société démocratique et que les exceptions prévues à l'article 10 § 2 précité appellent une interprétation étroite ; qu'en l'espèce, le film réalisé par M. Y... O..., intitulé « Grâce à Dieu », est présenté par l'auteur comme une oeuvre sur la libération de la parole de victimes de pédophilie au sein de l'église ; que son visionnage par la cour dans le cadre de l'examen des pièces régulièrement communiquées permet de constater que le film retrace le parcours de trois personnes qui se disent victimes d'actes à caractère sexuel infligés par le prêtre X... G..., nommément désigné, pendant les années où ils étaient scouts au sein du groupe [...] de 1970 à 1991, période où il officiait à la paroisse [...] du diocèse de Lyon ; que le film retrace les parcours de ces trois hommes et les difficultés personnelles auxquelles ils se sont heurtés pour parvenir à libérer leur parole et la faire entendre et reconnaître tant au sein de leurs familles respectives que de la hiérarchie de l'église catholique ; qu'il y est fait état de la dénonciation de ces faits auprès des services de la police et de la création d'une association « La parole libérée » rassemblant d'autres personnes se déclarant victimes de faits similaires ; qu'il est constant que, suite à plusieurs plaintes, dont celles émanant des personnages principaux de ce film, M. X... G... fait l'objet d'une procédure pénale, toujours en cours au jour prévu pour sa diffusion en salles, le 20 février 2019 ; que pour autant, il doit être pris en considération le fait que le film, qui n'est pas un documentaire sur le procès à venir, relate, ainsi qu'il a été dit, le vécu de victimes qui mettent le prêtre en accusation, qui expriment leur souffrance et qui combattent contre la pédophilie au sein de l'église ; que d'ailleurs il débute sur un carton indiquant : « Ce film est une fiction, basé sur des faits réels », informant le public qu'il s'agit aussi d'une oeuvre de l'esprit ; qu'en outre, l'information judiciaire ouverte le 27 janvier 2016 contre M. X... G..., pour laquelle il a été placé sous contrôle judiciaire, a fait l'objet le 29 novembre 2018 d'un avis aux parties les informant que le magistrat instructeur considérait l'affaire terminée ; que selon M. X... G... lui-même dans ses écritures, si un renvoi devait être ordonné, il le serait devant une juridiction correctionnelle, et donc devant des magistrats professionnels dont l'office est de s'abstraire de toute pression médiatique, de sorte que le propos du film n'est pas de nature à porter atteinte à son droit à un procès équitable ; que la dénonciation des actes de pédophilie au sein de l'église catholique, dont le film est le support, s'inscrit dans une actualité qui aborde ce sujet depuis plusieurs mois, actualité à laquelle l'église, par les prises de parole de ses représentants, participe pour la condamner, le pape ayant notamment décidé d'y consacrer un sommet ; qu'ainsi, le propos du film de Y... O... s'inscrit dans un débat d'intérêt général qui justifie que la liberté d'expression soit également respectée, de sorte que l'atteinte qui peut y être portée pour assurer le droit à la présomption d'innocence doit être limitée ; que la cour relève que le film se termine par un autre carton :
« Le père G... bénéficie de la présomption d'innocence.
Aucune date de procès n'a été fixée » ;
que ce rappel de la règle de droit protectrice de l'article 9-1 du code civil n'est pas vain, comme le soutient l'appelant, précisément parce qu'il clôture un film qui relate des faits uniquement du point de vue des victimes et rappelle aux spectateurs la réalité du contexte juridique et judiciaire ; que la mesure de suspension réclamée par M. G... dans l'attente d'une décision définitive sur sa culpabilité serait disproportionnée car elle reviendrait à reporter la diffusion d'une oeuvre à une échéance inconnue et qui peut s'avérer durer de plusieurs années ; qu'ainsi, l'insertion de cet encart rappelant la présomption d'innocence dont bénéficie M. X... G... est une mesure proportionnée à l'atteinte qu'il subit, de sorte que l'ordonnance sera confirmée ;

ET AUX MOTIFS ADOPTÉS QUE concernant l'atteinte à la présomption d'innocence, la première condition d'application des dispositions de l'article 9-1 du code civil est remplie, à savoir que X... G... est bien mis en examen dans une procédure pénale en cours ; que les défenderesses font valoir que le film, versé aux débats en son intégralité, est centré sur la libération de la parole des victimes de pédophilie et non sur l'affaire impliquant X... G... ; qu'à cet égard, il importe peu, contrairement à ce qui est allégué en défense, que le sujet du film ne soit pas la procédure pénale en cause, l'atteinte à la présomption d'innocence étant caractérisée dès lors que les éléments rappelés de l'affaire pénale démontrent un préjugé tenant pour acquise la culpabilité du demandeur ; que le film, qui évoque le parcours de trois personnages présentés comme des victimes de X... G... (« H... », « Y... », « C... »), et leurs évolutions respectives, a nécessairement pour conséquence de rappeler l'existence des faits pour lesquels X... G... a été mis en examen, dans des circonstances telles que la réalité des faits n'apparaît pas contestable, même s'il est aussi constant qu'il ne s'agit pas d'un documentaire visant à présenter l'affaire pénale ; que contrairement à ce qui est indiqué en défense, la circonstance que X... G... aurait largement reconnu les faits, en demandant pardon, est indifférente ; que l'article 9-1 du code civil, qui vise à garantir le caractère équitable de la procédure pénale et la sérénité des débats judiciaires, ne suppose pas que la personne concernée conteste les faits, dans la mesure où cet article doit permettre, quelle que soit la position de la personne mise en cause sur les faits, position qui peut en outre évoluer, de ne pas voir diffuser des informations qui font de sa culpabilité un acquis, alors même qu'elle est présumée innocente jusqu'à condamnation ; que, cependant, le film comporte plusieurs cartons ; qu'en début de film, un carton précise « Ce film est une fiction, basé sur des faits réels », tandis qu'en fin de film, trois cartons diffusés indiquent « Le père G... est présumé innocent jusqu'à son procès », « Le Cardinal S... et cinq autres membres du diocèse de Lyon ont comparu en janvier 2019 pour non-dénonciation d'agressions sexuelles sur mineurs de moins de 15 ans et omission de porter secours. Le jugement sera rendu le 7 mars 2019. Ils sont présumés innocents », « Le 3 août 2018, la prescription est passée de 20 à 30 ans dès la majorité des victimes » ; que, dès lors, les spectateurs sont informés, à l'issue du film, du principe de la présomption d'innocence dont bénéficie, comme toute personne, X... G... ; que cette mesure, effectuée d'office par les défenderesses, vient ainsi rappeler que la personne mise en cause, qui n'a pas été condamnée, est toujours à ce jour innocente, répondant ainsi à l'objectif de l'article 9-1 du code civil, qui commande de ne pas présenter pour acquise la culpabilité ; que cette information vient juste à la fin du film et avant le générique, ce qui permet l'information de tous les spectateurs assistant à la séance ; que doit aussi être pris en compte le fait qu'au jour de la sortie prévue du film, soit le 20 février 2019, l'éventuel procès de X... G... n'est ni fixé, ni même prévu à une date proche, puisqu'il est seulement établi que l'avis de l'article 175 a été délivré ; qu'en toute hypothèse, aucun délai strict n'encadre, pour une personne placée sous contrôle judiciaire, la date d'un futur procès ; que, dans ces circonstances, la sortie du film à la date prévue n'est pas de nature à constituer une atteinte grave au caractère équitable du procès et à la nécessité d'assurer la sérénité des débats devant le juge pénal, étant observé qu'il en irait autrement si la sortie du film devait coïncider avec les débats judiciaires ; que les mesures sollicitées en demande doivent aussi être strictement nécessaires et proportionnées ; que la mesure visant à retarder la sortie du film, jusqu'à l'issue définitive de la procédure pénale mettant en cause X... G..., pourrait à l'évidence conduire, compte tenu des divers recours possibles (chambre de l'instruction, tribunal correctionnel, chambre des appels correctionnels, Cour de cassation), à ne permettre sa sortie que dans plusieurs années, dans des conditions telles qu'il en résulterait une atteinte grave et très disproportionnée au principe de la liberté d'expression et à la liberté de création, un tel décalage aboutissant, de fait, à une impossibilité d'exploiter le film, oeuvre de l'esprit ; que cela créerait aussi des conditions économiques d'exploitation non supportables ; que la mesure qui tendrait à voir supprimer les mentions, dans les copies, des prénom et nom du demandeur, apparaît également disproportionnée, compte tenu des conséquences sur l'exploitation du film en l'état à la date du 20 février 2019, et au demeurant non nécessaire, ce simple changement n'étant pas de nature à empêcher l'identification évidente de X... G... comme auteur des supposés faits ; que la demande visant à l'insertion d'une mention avant le début du film n'apparaît pas non plus nécessaire et proportionnée, compte tenu des cartons déjà présents dans le film et rappelés ci-avant ; qu'au regard de l'ensemble de ces éléments, les demandes de X... G... seront rejetées, les éléments déjà connus du public, les rappels des faits à la fin dans le film et le caractère très disproportionné et non nécessaire, dans une société démocratique, des demandes formées commandant de ne pas faire droit aux prétentions, d'autant plus devant le juge des référés, juge de l'évidence, ce alors même que la date de l'éventuel procès de X... G... n'est pas fixée à court terme ;

1° ALORS QUE le droit à la liberté d'expression doit s'exercer dans le respect de la présomption d'innocence ; qu'en jugeant disproportionnée une mesure de suspension temporaire de la diffusion du film Grâce à Dieu, dont elle relevait elle-même qu'il avait « nécessairement pour conséquence de rappeler l'existence des faits pour lesquels X... G... a été mis en examen, dans des circonstances telles que la réalité des faits n'apparaît pas contestable », bien qu'elle n'ait constaté, ni la nécessité pour le cinéaste de porter atteinte à la présomption d'innocence de l'exposant, ni l'existence d'un quelconque risque que la mesure demandée paralyse le débat d'intérêt général auquel le film vient contribuer, la cour d'appel a violé les articles 9-1 du code civil, 6 § 2 et 10 § 2 de la Convention européenne des droits de l'homme ;

2° ALORS QUE chacun a droit au respect de la présomption d'innocence, qui implique de ne pas être publiquement présenté comme coupable ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a expressément constaté que la réalité des faits imputés à l'exposant dans le film Grâce à Dieu y était présentée comme certaine ; qu'en relevant cependant, pour écarter la gravité de cette atteinte portée à la présomption d'innocence, qu'à la fin du film, un carton indique que « le père G... bénéficie de la présomption d'innocence » et qu'« aucune date de procès n'a été fixée », ce qui « rappelle aux spectateurs la réalité du contexte juridique et judiciaire », sans tenir compte de l'impact particulier d'un film comparé à celui d'un message écrit apparaissant quelques secondes à l'écran, la cour d'appel a violé les articles 9-1 du code civil et 6 § 2 de la Convention européenne des droits de l'homme ;

3° ALORS QUE chacun a droit au respect de la présomption d'innocence, qui implique de ne pas être publiquement présenté comme coupable ; qu'en se fondant également, pour écarter la gravité de l'atteinte portée à la présomption d'innocence bénéficiant à l'exposant, sur le sujet du film, « qui n'est pas un documentaire sur le procès à venir » et relate « le vécu de victimes qui mettent le prêtre en accusation, qui expriment leur souffrance et qui combattent contre la pédophilie au sein de l'église », bien qu'elle ait elle-même constaté que ce choix avait précisément pour effet de présenter la culpabilité de M. G... comme incontestable, la cour d'appel a violé les articles 9-1 du code civil et 6 § 2 de la Convention européenne des droits de l'homme ;

4° ALORS QUE le caractère partiellement fictionnel d'une oeuvre de l'esprit ne réduit pas l'atteinte susceptible d'être portée au droit à la présomption d'innocence, lorsqu'une personne réelle y est présentée sans réserve comme coupable d'actes faisant l'objet d'une procédure pénale ; qu'en se fondant également, pour écarter la gravité de l'atteinte portée à la présomption d'innocence bénéficiant à l'exposant, sur le fait que le film Grâce à Dieu « débute sur un carton indiquant « ce film est une fiction, basé sur des faits réels », informant le public qu'il s'agit aussi d'une oeuvre de l'esprit », sans constater que la culpabilité de M. G... y serait clairement présentée et identifiée par le spectateur comme fictive, la cour d'appel a violé les articles 9-1 du code civil et 6 § 2 de la Convention européenne des droits de l'homme ;

5° ALORS QUE l'expression publique d'un préjugé tenant pour acquise la culpabilité d'une personne pénalement poursuivie comporte en elle-même un risque d'influencer la juridiction appelée à juger, indépendamment de la composition de celle-ci ; qu'en retenant que « si un renvoi devait être ordonné, il le serait devant une juridiction correctionnelle, et donc devant des magistrats professionnels dont l'office est de s'abstraire de toute pression médiatique, de sorte que le propos du film n'est pas de nature à porter atteinte à son droit à un procès équitable », la cour d'appel a violé les articles 9-1 du code civil et 6 § 2 de la Convention européenne des droits de l'homme ;

6° ALORS QUE l'impartialité du juge exige que les tribunaux soient perçus par les justiciables comme les seules instances aptes à juger de la culpabilité d'une personne pénalement poursuivie ; qu'en retenant que « si un renvoi devait être ordonné, il le serait devant une juridiction correctionnelle, et donc devant des magistrats professionnels dont l'office est de s'abstraire de toute pression médiatique, de sorte que le propos du film n'est pas de nature à porter atteinte à son droit à un procès équitable », bien que le simple fait de laisser la culpabilité d'une personne poursuivie pénalement faire l'objet d'une démonstration publique, avant tout procès, suffise à porter atteinte à l'exigence d'impartialité du juge, la cour d'appel a violé l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme ;

7° ALORS QUE chacun a droit à un procès équitable ; qu'en retenant que « la sortie du film à la date prévue n'est pas de nature à constituer une atteinte grave au caractère équitable du procès et à la nécessité d'assurer la sérénité des débats devant le juge pénal, étant observé qu'il en irait autrement si la sortie du film devait coïncider avec les débats judiciaires »
(ordonnance confirmée, p. 6, al. 4), sans rechercher si la possibilité offerte à tous de télécharger ou d'acquérir une copie du film, pendant le procès, n'est pas, quant à elle, de nature à porter atteinte au droit de l'exposant à un procès équitable, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 9-1 du code civil, 6 § 2 et 10 § 2 de la Convention européenne des droits de l'homme ;

8° ALORS QUE la protection de la présomption d'innocence justifie des atteintes nécessaires et proportionnées à la liberté d'expression ; qu'en retenant que « la mesure de suspension réclamée par M. G... dans l'attente d'une décision définitive sur sa culpabilité serait disproportionnée car elle reviendrait à reporter la diffusion d'une oeuvre à une échéance inconnue et qui peut s'avérer durer de plusieurs années », sans prendre en compte les limites de cette mesure résultant de ce que le film, sorti en salles le 20 février 2019, a d'ores et déjà pu être diffusé, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 9-1 du code civil, 6 § 2 et 10 § 2 de la Convention européenne des droits de l'homme.

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