16 décembre 2020
Cour de cassation
Pourvoi n° 19-20.948

Première chambre civile - Formation restreinte hors RNSM/NA

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2020:C100812

Titres et sommaires

CONFLIT DE JURIDICTIONS - Statut personnel - Filiation naturelle - Etablissement - Loi applicable - Loi étrangère prohibant l'établissement de la filiation naturelle - Loi privant un enfant français ou résidant habituellement en France du droit d'établir sa filiation - Disposition contraire à la conception française de l'ordre public international

Il résulte des articles 3 et 311-14 du code civil que, si la filiation est en principe régie par la loi personnelle de la mère au jour de la naissance de l'enfant, la loi étrangère qui ne permet pas l'établissement d'une filiation hors mariage doit être écartée comme contraire à l'ordre public international lorsqu'elle a pour effet de priver un enfant mineur du droit d'établir sa filiation

CONFLIT DE LOIS - Application de la loi étrangère - Ordre public - Filiation naturelle - Etablissement - Loi étrangère la prohibant - Loi étrangère privant un enfant français ou résidant habituellement en France du droit d'établir sa filiation - Disposition contraire à la conception française de l'ordre public international

CONFLIT DE LOIS - Application de la loi étrangère - Mise en oeuvre par le juge français - Conditions - Contrariété à l'ordre public international - Caractérisation - Applications diverses

LOIS ET REGLEMENTS - Loi - Loi étrangère - Mise en oeuvre par le juge français - Conditions - Contrariété à l'ordre public international - Caractérisation - Applications diverses

FILIATION - Dispositions générales - Conflit de lois - Loi applicable - Loi personnelle de la mère au jour de la naissance de l'enfant - Conditions - Absence de contrariété à l'ordre public international - Caractérisation - Défaut - Cas - loi privant un enfant français ou résidant habituellement en France du droit d'établir sa filiation

Texte de la décision

CIV. 1

MY1



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 16 décembre 2020




Rejet


Mme BATUT, président



Arrêt n° 812 F-P+I

Pourvoi n° N 19-20.948




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 16 DÉCEMBRE 2020

M. I... X... , domicilié [...] , a formé le pourvoi n° N 19-20.948 contre l'arrêt rendu le 18 décembre 2018 par la cour d'appel de Paris (pôle 1, chambre 1), dans le litige l'opposant à Mme T... N..., domiciliée chez Mme O... U..., [...] , défenderesse à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Le Cotty, conseiller référendaire, les observations de la SCP Le Griel, avocat de M. X... , de Me Carbonnier, avocat de Mme N..., et l'avis de Mme Caron-Déglise, avocat général, après débats en l'audience publique du 3 novembre 2020 où étaient présents Mme Batut, président, Mme Le Cotty, conseiller référendaire rapporteur, M. Vigneau, conseiller faisant fonction de doyen, et Mme Berthomier, greffier de chambre,

la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 18 décembre 2018), l'enfant P... N... est née le [...] 2014 à Paris de Mme N..., de nationalité marocaine, sans filiation paternelle établie. Le 28 avril 2015, celle-ci, agissant en qualité de représentante légale de sa fille, a assigné M. X... devant le tribunal de grande instance de Meaux en recherche de paternité.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

2. M. X... fait grief à l'arrêt d'écarter la loi marocaine pour contrariété à l'ordre public international et, faisant application de la loi française, de déclarer recevable l'action en recherche de paternité exercée par Mme N... au nom de sa fille P... et d'ordonner une expertise biologique, alors :

« 1° / que la filiation est régie par la loi personnelle de la mère au jour de la naissance de l'enfant ; qu'une loi étrangère désignée par la règle de conflit ne peut être écartée que si elle est contraire à l'ordre public international français ; qu'en l'espèce, la cour a admis qu'il y avait lieu, en principe, de faire application de la loi marocaine, en l'occurrence le Dahir n° 1-04-22 du 3 février 2004 portant promulgation de la loi n° 70-03 portant code de la famille, la mère de l'enfant étant marocaine ; que, pour juger que cette loi était contraire à l'ordre public international français, la cour, par motifs adoptés, a retenu, au regard des textes qu'elle a visés, que « le droit marocain ne reconnaît la filiation que dans le cadre du mariage, sauf aveu du père et rapports sexuels "par erreur" (relation illégitime entre la femme et l'homme lorsque celui-ci croit à la légitimité de la relation suite à une erreur en ce qui concerne le fait, la personne ou la règle du chraâ comme dans le mariage vicié) ; qu'il n'admet pas ainsi librement le concubinage et la filiation qui pourrait en découler » ; que, cependant, la cour a ainsi elle-même constaté que, par les exceptions citées, la loi marocaine rendait possible la reconnaissance de la filiation paternelle pour des enfants conçus hors mariage ; qu'en jugeant le contraire, la cour n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, en violation des articles 3 et 311-14 du code civil ;

2°/ que la filiation est régie par la loi personnelle de la mère au jour de la naissance de l'enfant ; qu'une loi étrangère désignée par la règle de conflit ne peut être écartée que si elle est contraire à l'ordre public international français ; qu'en l'espèce, pour juger qu'il en était ainsi de la loi marocaine, qui prévoit pourtant différentes hypothèses dans lesquelles la filiation paternelle d'un enfant né hors mariage peut être établie (aveu du père, rapports sexuels par erreur, mariage vicié, reconnaissance de paternité), la cour a retenu que cette loi n'admet pas « librement » (?) le concubinage et la filiation qui peut en découler ; que, cependant, le concubinage n'est pas la seule situation où un enfant peut naître hors mariage, et son absence de reconnaissance par la loi marocaine n'a aucune incidence sur la réalité des droits qu'elle prévoit pour établir la « filiation paternelle », dans les cas qu'elle énumère, d'un enfant né hors mariage ; qu'en se déterminant ainsi, par des motifs impropres à justifier sa décision, la cour a violé les articles 3 et 311-14 du code civil ;

3°/ que le juge, appelé à déterminer le contenu de la loi étrangère par application de la règle de conflit, ne doit pas la dénaturer ; qu'en l'espèce, le Dahir n° 1-04-22 du 3 février 2004 portant promulgation de la loi n° 70-03 portant code de la famille, loi marocaine ici applicable, dispose que la filiation paternelle est présumée découler, non seulement des « rapports conjugaux », mais aussi « de l'aveu du père » et des « rapports sexuels par erreur », hypothèses se rapportant toutes deux à la conception d'enfants nés hors mariage (art. 152, 156, 158) ; qu'elle peut être établie par « l'aveu du père, le témoignage de deux adoul, la preuve déduite du ouï-dire, et par tout moyen légalement prévu, y compris l'expertise judiciaire » (art. 158) ; que l'article 157 ajoute que « lorsque la filiation paternelle est établie même à la suite d'un mariage vicié, de rapports sexuels par erreur ou d'une reconnaissance de paternité, elle produit tous ses effets » ; qu'ainsi, selon ces dispositions claires et dénuées d'ambiguïté, la loi marocaine admet avec certitude la reconnaissance de paternité pour des enfants conçus hors mariage ; qu'en jugeant le contraire, pour retenir que ces dispositions ne permettraient pas l'établissement de la paternité de l'enfant P... « à l'égard d'un homme non marié à sa mère » et que, partant, elles seraient contraires à l'ordre public international français, la cour a dénaturé cette loi étrangère, en violation de l'article 3 du code civil. »

Réponse de la Cour

3. Il résulte des articles 3 et 311-14 du code civil que, si la filiation est en principe régie par la loi personnelle de la mère au jour de la naissance de l'enfant, la loi étrangère qui ne permet pas l'établissement d'une filiation hors mariage doit être écartée comme contraire à l'ordre public international lorsqu'elle a pour effet de priver un enfant mineur du droit d'établir sa filiation.

4. Ayant relevé, par une appréciation souveraine de la loi étrangère exempte de dénaturation, que la loi marocaine, loi nationale de la mère, ne reconnaissait, s'agissant de la filiation paternelle, que la filiation légitime, ce qui rendait l'action de Mme N... en recherche de paternité hors mariage irrecevable, la cour d'appel en a exactement déduit que cette loi devait être écartée comme contraire à la conception française de l'ordre public international et qu'il convenait d'appliquer la loi française.

5. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne M. X... aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. X... et le condamne à payer à Mme N... la somme de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du seize décembre deux mille vingt.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Le Griel, avocat aux Conseils, pour M. X... .

Le pourvoi fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé le jugement rendu le 10 mars 2017 par le tribunal de grande instance de Meaux, en ce qu'il a écarté la loi marocaine pour contrariété à l'ordre public international et en ce que, faisant application de la loi française, il a déclaré recevable l'action en recherche de paternité exercée par Mme T... N... au nom de sa fille P... et ordonné une expertise,

aux motifs propres que, par des motifs pertinents que la cour adopte, le tribunal a retenu que la loi marocaine, loi nationale de Mme N... applicable à la filiation de l'enfant, devait être écartée comme contraire à la conception française de l'ordre public international, au profit de la loi française, et que M. X... ne justifiait pas d'un motif légitime pour refuser une expertise,

et aux motifs adoptés que Mme N... est de nationalité marocaine ; qu'il convient donc en principe de lui appliquer la loi de ce pays ; qu'il ressort de l'article 145 du Dhir n° 1-04-22 du 3 février 2004 portant code de la famille marocain que la filiation parentale d'origine inconnue d'un enfant peut être établie par une reconnaissance de parenté ou par une décision du juge ; que, plus précisément s'agissant de la filiation paternelle, le droit marocain ne reconnaît que la filiation légitime, ainsi qu'il en résulte de la définition de l'article 150 (« la filiation paternelle est le lien légitime qui unit le père à son enfant et qui se transmet de père en fils ») et de l'article 148 (« la filiation illégitime ne produit aucun des effets de la filiation parentale légitime vis-à-vis du père ») ; que celle-ci découle en vertu de l'article 152 du code : des rapports conjugaux entre époux tels que définis par les articles 153 et 154, de l'aveu du père dans les conditions des articles 160 à 162, des rapports sexuels « par erreur » dans les conditions prévues par les articles 155 à 157, notamment pendant les fiançailles ; que les modes de preuves sont : les rapports conjugaux, l'aveu du père, le témoignage de deux adoul, la preuve déduite du ouï-dire et par tout moyen légalement prévus, y compris l'expertise judiciaire, aux termes de l'article 158 ; qu'en l'espèce, il y a lieu de relever qu'aucun des trois cas de filiation légitime de l'article 152 n'est constitué ; que le tribunal ne saurait ainsi se situer dans le cas de la cohabitation conjugale des époux de l'article 153 ainsi que le soutient le défendeur (il lui sera au surplus fait remarquer que l'expertise mentionnée à cet article est au contraire un moyen de défense dont peut se prévaloir le mari pour contester sa paternité à condition de rapporter des preuves probantes à l'appui de sa non paternité) ; qu'il ne saurait pas plus être fait application de l'article 158 comme le soutient la demanderesse, qui n'est qu'un article définissant les modes de preuve de la filiation lorsque celle-ci est recevable à être établie, c'est-à-dire rentrant dans les cas de l'article 152 établissant les motifs de la filiation légitime ; que l'action de Mme N... semble ainsi irrecevable ; que, cependant, il conviendra d'écarter la loi marocaine pour contrariété à l'ordre public international français ; qu'en effet, il ressort des dispositions précédentes citées que le droit marocain ne reconnaît la filiation que dans le cadre du mariage, sauf aveu du père et rapports sexuels par « erreur » (relation illégitime entre la femme et l'homme lorsque celui-ci croit à la légitimité de la relation suite à une erreur en ce qui concerne le fait, la personne ou la règle du chraâ comme dans le cas du mariage vicié) ; qu'il n'admet pas ainsi librement le concubinage et la filiation qui pourrait en découler ; qu'il est contraire à l'intérêt supérieur de l'enfant P... de ne pouvoir établir sa paternité à l'égard d'un homme non marié à sa mère, en ce que cela heurte la conception française de l'égalité des filiations naturelles et légitimes ainsi que le droit à connaître ses origines (cf. Cass civ 1ère 26 octobre 2011 n° 09-73.369 n'exigeant plus que l'enfant soit Français ou réside habituellement en France) ; que la filiation litigieuse, qui a vocation à recevoir effets en France, sera par conséquent examinée au regard de la loi française ; que sur la recevabilité de l'action en recherche de paternité, l'article 327 du code civil énonce que l'action en recherche de paternité est réservée à l'enfant, l'article 328 du même code alinéa 1er précisant que le parent, même mineur, à l'égard duquel la filiation est établie a, pendant la minorité de l'enfant, seul qualité pour exercer l'action en recherche de maternité ou de paternité ; que l'article 321 du même code précise que sauf lorsqu'elles sont enfermées par la loi dans un autre délai, les actions relatives à la filiation se prescrivent par dix ans à compter du jour où la personne a été privée de l'état qu'elle réclame, ou a commencé à jouir de l'état qui lui est contesté ; qu'à l'égard de l'enfant, ce délai est suspendu pendant sa minorité ; qu'en l'espèce les délais prévus par les dispositions susvisées ne sont pas écoulés, de sorte que l'action de Mme N..., nécessairement engagée en sa qualité de représentante légale de sa fille mineure, est recevable ;

1° alors que la filiation est régie par la loi personnelle de la mère au jour de la naissance de l'enfant ; qu'une loi étrangère désignée par la règle de conflit ne peut être écartée que si elle est contraire à l'ordre public international français ; qu'en l'espèce, la cour a admis qu'il y avait lieu, en principe, de faire application de la loi marocaine, en l'occurrence le Dahir n° 1-04-22 du 3 février 2004 portant promulgation de la loi n° 70-03 portant code de la famille, la mère de l'enfant étant marocaine ; que, pour juger que cette loi était contraire à l'ordre public international français, la cour, par motifs adoptés, a retenu, au regard des textes qu'elle a visés, que « le droit marocain ne reconnaît la filiation que dans le cadre du mariage, sauf aveu du père et rapports sexuels "par erreur" (relation illégitime entre la femme et l'homme lorsque celui-ci croit à la légitimité de la relation suite à une erreur en ce qui concerne le fait, la personne ou la règle du chraâ comme dans le mariage vicié) ; qu'il n'admet pas ainsi librement le concubinage et la filiation qui pourrait en découler » ; que, cependant, la cour a ainsi elle-même constaté que, par les exceptions citées, la loi marocaine rendait possible la reconnaissance de la filiation paternelle pour des enfants conçus hors mariage ; qu'en jugeant le contraire, la cour n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, en violation des articles 3 et 311-14 du code civil ;

2° alors que la filiation est régie par la loi personnelle de la mère au jour de la naissance de l'enfant ; qu'une loi étrangère désignée par la règle de conflit ne peut être écartée que si elle est contraire à l'ordre public international français ; qu'en l'espèce, pour juger qu'il en était ainsi de la loi marocaine, qui prévoit pourtant différentes hypothèses dans lesquelles la filiation paternelle d'un enfant né hors mariage peut être établie (aveu du père, rapports sexuels par erreur, mariage vicié, reconnaissance de paternité), la cour a retenu que cette loi n'admet pas « librement » (?) le concubinage et la filiation qui peut en découler ; que, cependant, le concubinage n'est pas la seule situation où un enfant peut naître hors mariage, et son absence de reconnaissance par la loi marocaine n'a aucune incidence sur la réalité des droits qu'elle prévoit pour établir la « filiation paternelle », dans les cas qu'elle énumère, d'un enfant né hors mariage ; qu'en se déterminant ainsi, par des motifs impropres à justifier sa décision, la cour a violé les articles 3 et 311-14 du code civil ;

3° alors que le juge, appelé à déterminer le contenu de la loi étrangère par application de la règle de conflit, ne doit pas la dénaturer ; qu'en l'espèce, le Dahir n° 1-04-22 du 3 février 2004 portant promulgation de la loi n° 70-03 portant code de la famille, loi marocaine ici applicable, dispose que la filiation paternelle est présumée découler, non seulement des « rapports conjugaux », mais aussi « de l'aveu du père » et des « rapports sexuels par erreur », hypothèses se rapportant toutes deux à la conception d'enfants nés hors mariage (art. 152, 156, 158) ; qu'elle peut être établie par « l'aveu du père, le témoignage de deux adoul, la preuve déduite du ouï-dire, et par tout moyen légalement prévu, y compris l'expertise judiciaire » (art. 158) ; que l'article 157 ajoute que « lorsque la filiation paternelle est établie même à la suite d'un mariage vicié, de rapports sexuels par erreur ou d'une reconnaissance de paternité, elle produit tous ses effets » ; qu'ainsi, selon ces dispositions claires et dénuées d'ambiguïté, la loi marocaine admet avec certitude la reconnaissance de paternité pour des enfants conçus hors mariage ; qu'en jugeant le contraire, pour retenir que ces dispositions ne permettraient pas l'établissement de la paternité de l'enfant P... « à l'égard d'un homme non marié à sa mère » et que, partant, elles seraient contraires à l'ordre public international français, la cour a dénaturé cette loi étrangère, en violation de l'article 3 du code civil.

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