9 novembre 2018
Cour d'appel d'Aix-en-Provence
RG n° 17/02314

18e Chambre B

Texte de la décision

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

18e Chambre B



ARRÊT AU FOND

DU 09 NOVEMBRE 2018



N° 2018/985













Rôle N° RG 17/02314 - N° Portalis DBVB-V-B7B-77MD





[T] [C]





C/



SAS KAEFER WANNER



























Copie exécutoire délivrée

le :09 novembre 2018

à :

Me Julie ANDREU

Me Romain CHERFILS







Décision déférée à la Cour :



Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de DIGNE-LES-BAINS - section I - en date du 13 Janvier 2017, enregistré au répertoire général sous le n° 13/00481.







APPELANT



Monsieur [T] [C], demeurant [Adresse 1]



représenté par Me Julie ANDREU, avocat au barreau de MARSEILLE





INTIMEE



SAS KAEFER WANNER prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié es qualités audit siège , [Adresse 2]



représentée Me Romain CHERFILS, avocat au barreau D'AIX-EN-PROVENCE, Me Hortense GEBEL, avocat au barreau de PARIS substituée par Me Julien DEVAUX, avocat au barreau de PARIS,











*-*-*-*-*



























COMPOSITION DE LA COUR





L'affaire a été débattue le 07 septembre 2018 en audience publique. Conformément à l'article 785 du code de procédure civile, Madame Marina ALBERTI, Conseiller, a fait un rapport oral à l'audience avant les plaidoiries.



La Cour était composée de :





Madame Corinne HERMEREL, Président

Mme Marina ALBERTI, Conseiller

Monsieur Yann CATTIN, Conseiller





qui en ont délibéré



Greffier lors des débats : Mme Agnès BAYLE.



Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 09 Novembre 2018..







ARRÊT



contradictoire,



Prononcé par mise à disposition au greffe le 09 Novembre 2018.





Signé par Madame Corinne HERMEREL, Président et Mme Agnès BAYLE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.


























EXPOSE DES FAITS



La société ARKEMA FRANCE (anciennement ATOFINA) est une entreprise industrielle spécialisée dans la chimie. Elle produit essentiellement des produits dérivés du chlore et de l'éthylène et exploite notamment un établissement de production sur le site de [Localité 1] (04).



La société KAEFER WANNER est issue de la fusion des sociétés WANNER et du groupe KAEFER en 2001 et est spécialisée dans les travaux d'isolation industrielle.



Monsieur [T] [C] a été salarié de la société WANNER ISOFI ISOLATION, devenue KAEFER WANNER, du 13 avril 1988 au 31 mai 1998 en qualité de calorifugeur, et a été affecté pendant toute la durée de son contrat de travail sur un établissement de la société ARKEMA situé à [Localité 1].



Par courrier en date du 16 juin 2013, Monsieur [T] [C] a saisi le conseil de prud'hommes de Digne Les Bains de diverses demandes liées à son exposition à l'amiante à l'encontre de la société KAEFER WANNER venant aux droits des sociétés WANNER INDUSTRIES et WANNER ISOFI ISOLATION, la société ARKEMA FRANCE étant ensuite mise en cause le 20 avril 2015 par courrier recommandé envoyé par le greffe.



Par jugement de départage en date du 13 janvier 2017, cette juridiction a déclaré recevables comme non prescrites les demandes de Monsieur [T] [C] à l'encontre de la société KAEFER WANNER et condamné cette dernière à lui payer la somme de 1 200 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice d'anxiété, outre 500 euros au titre de ses frais irrépétibles, a déclaré irrecevables comme prescrites les demandes à l'encontre de la société ARKEMA FRANCE et rejeté les demandes de condamnation in solidum de la société KAEFER WANNER à l'encontre de la société ARKEMA FRANCE, a rejeté la demande d'exécution provisoire, condamné la société KAEFER à supporter la charge de ses dépens ainsi que ceux de Monsieur [T] [C], et a condamné la société ARKEMA FRANCE à supporter la charge de ses dépens.



Monsieur [T] [C] a interjeté appel de cette décision le 6 février 2017 à l'encontre de la société KAEFER WANNER.



Vu les conclusions notifiées le 12 juin 2017 par Monsieur [T] [C] ;



Vu les conclusions notifiés le 26 juin 2018 par la société KAEFER WANNER .



Vu l'ordonnance de clôture rendue le 28 juin 2018.






PRETENTIONS DES PARTIES



Monsieur [T] [C], dans ses dernières écritures, conclut à la confirmation du jugement critiqué en ce qu'il a retenu la responsabilité de la société KAEFER WANNER concernant le préjudice d'anxiété subi, mais demande la réformation sur la somme allouée à ce titre, réclamant un montant de 15 000 euros de dommages et intérêts, outre une somme de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, faisant valoir qu'il a été exposé durant une dizaine d'années à de l'amiante, en sa qualité de calorifugeur.



La société KAEFER WANNER, dans ses dernières écritures, conclut à l'infirmation de la décision déférée, faisant valoir à titre principal, l'irrecevabilité de la demande de l'appelant sans autre précision sur les motifs de cette irrecevabilité soulevée. Elle ajoute que l'usine située à [Localité 1], dans laquelle a travaillé Monsieur [T] [C], est bien inscrite sur la liste des établissements susceptibles d'ouvrir droit à l'allocation de cessation anticipée des travailleurs de l'amiante, mais que celle-ci appartient à la société ARKEMA FRANCE et ne relève pas de sa responsabilité, qu'enfin elle-même n'est pas inscrite sur ladite liste pour cet établissement de [Localité 1].



A titre subsidiaire, elle conclut à la confirmation du jugement quant au montant des sommes allouées.



Elle demande enfin l'application de l'article 699 du code de procédure civile concernant les dépens avec distraction au profit de la SELARL LEXAVOUE AIX EN PROVENCE, avocats associés aux offres de droit.



Elle précise à l'audience qu'il n'y a pas lieu de tenir compte de ses conclusions notifiées et déposées le 12 juillet 2018, soit postérieurement à l'ordonnance de clôture.



Pour plus ample relation des faits, de la procédure, des prétentions et moyens des parties, il y a lieu de se référer à la décision attaquée et aux conclusions déposées.














MOTIFS



Sur la recevabilité



le jugement critiqué a déclaré la demande de Monsieur [T] [C] recevable comme non prescrite. En cause d'appel, la société intimée sollicite de nouveau de la cour qu'elle déclare l'appelant irrecevable en sa demande. Elle demande donc l'infirmation du jugement sur ce point mais ne formule aucune critique ni ne développe une quelconque motivation.



Dès lors le jugement sera confirmé sur ce point.



Sur le fond



A la demande de l'intimée, il convient de ne pas tenir compte de ses conclusions notifiées et déposées postérieurement à l'ordonnance de clôture.



Suite aux conséquences sanitaires de l'utilisation de l'amiante durant plusieurs décennies, le législateur a créé, par l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998, dite 'de financement de la sécurité sociale pour 1999", un dispositif spécifique de départ anticipé à la retraite, avec perception d'une Allocation de Cessation Anticipée d'Activité des Travailleurs de l'Amiante, autrement appelée ACAATA, en faveur des salariés qui ont été particulièrement exposés à l'amiante.



Ce dispositif s'applique aux salariés des établissements de fabrication de matériaux contenant de l'amiante, aux salariés des établissements de flocage et de calorifugeage à l'aide d'amiante, aux salariés des établissements de construction et de réparation navales, aux ouvriers dockers professionnels et personnels portuaires assurant la manutention.



En application de ce dispositif, les salariés démontrant travailler ou avoir travaillé dans un des établissements ou ports inscrits sur la liste établie par arrêté ministériel, peuvent solliciter, à partir de l'âge de 50 ans, et sous réserve de cesser toute activité professionnelle, le bénéfice de l'ACAATA. Cette allocation est ensuite versée jusqu'à ce que le salarié remplisse les conditions pour bénéficier d'une pension de retraite à taux plein.



Pour pouvoir prétendre à l'indemnisation d'un préjudice moral au titre de son exposition à l'amiante dans le cadre de l'exécution du contrat de travail, y compris sur le fondement d'un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité, il appartient donc d'abord au salarié d'établir qu'il a travaillé dans l'un des établissements (ou sites) mentionnés (ou visés) par l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998, en tout cas au juge d'en faire le constat.



En l'espèce, les établissements WANNER, WANNER ISOFI et WANNER INDUSTRIE ont été inscrits selon l'arrêté du 3 juillet 2000 pris en application de l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 sur la liste des établissements ouvrant droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (ou ACAATA) pour les adresses et périodes suivantes :

- [Adresse 3] [Localité 2]: de 1933 à 1977,

- [Adresse 4] [Localité 3] : de 1933 à 1977,

- [Adresse 5],[Localité 4] : de 1967 à 1993,

- [Adresse 6] [Localité 5] : de 1994 à 1997,

- [Adresse 7],[Localité 6] : de 1987 à 1997.



Dans le cadre d'un contrat de sous-traitance, des salariés de la société KAEFER WANNER ont été amenés à travailler sur le site de la société ELF ATOCHEM devenue ATOFINA, puis ARKEMA à [Localité 1].



Monsieur [T] [C] reconnaît avoir été salarié de la société WANNER ISOFI ISOLATION, devenue KAEFER WANNER, du 13 avril 1988 au 31 mai 1998 et avoir été affecté pendant toute la durée de son contrat de travail sur le site de la société ARKEMA situé à [Localité 1].



Ce site a été inscrit, pour la société ARKEMA, par arrêté du 30 octobre 2007 pris en application de l'article 41 modifié de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998, sur la liste des établissements de fabrication, flocage et calorifugeage à l'amiante susceptibles d'ouvrir droit à l'allocation de cessation anticipée des travailleurs de l'amiante, pour la période 1962-1994.

Le salarié qui a travaillé dans un établissement mentionné à l'article 41 de la loi 98-1194 du 23 décembre 1998 et figurant sur une liste établie par arrêté ministériel et qui, pendant la période visée par l'arrêté, a occupé un poste susceptible d'ouvrir droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante peut être indemnisé par son employeur de son préjudice d'anxiété. Il peut être indemnisé même s'il n'a pas adhéré au dispositif ou s'il ne remplit pas les autres conditions d'ouverture du droit à la préretraite. Il se trouve en effet, du fait de l'employeur, dans une situation d'inquiétude permanente face au risque de déclaration à tout moment d'une maladie liée à l'amiante, qu'il se soumette ou non à des contrôles et examens médicaux réguliers propres à réactiver cette angoisse. Le préretraité ou le salarié n'a pas à prouver son sentiment d'anxiété, le préjudice résultant de sa seule exposition au risque.



En revanche, la responsabilité de l'employeur ne peut pas être engagée si l'exposition du salarié à l'amiante résulte de son travail auprès d'une société tierce au sein de laquelle il a été mis à disposition.



Selon le certificat de travail produit aux débats, Monsieur [T] [C] a été employé par la société WANNER ISOFI devenue la SAS KAEFER WANNER du 13 avril 1988 au 31 mai 1998 en tant que compagnon professionnel, niveau 3, position 2, coefficient 230, au sein d'un établissement situé à [Localité 1].



Si cet établissement figure au nombre des établissements de la société ARKEMA listés par l'arrêté du 30 octobre 2007 comme ouvrant droit à l'ACAATA, il convient de constater qu'il

ne figure pas parmi les 5 établissements de la SAS KAEFER WANNER listés sur l'arrêté du 3 juillet 2000 pris en application de l'article 41 modifié de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998, comme susceptibles d'ouvrir droit à l'allocation de cessation anticipée des travailleurs de l'amiante.



Or, l'exposition de Monsieur [T] [C] à l'amiante résulte de son travail dans l'établissement de [Localité 1] auprès de la société ARKEMA, société tierce au sein de laquelle il a été mis à disposition par son employeur, dans le cadre d'un contrat de sous traitance. Il ne peut donc rechercher la responsabilité de son employeur la société KAEFER WANNER au titre de son préjudice d'anxiété.



Il y a lieu dès lors d'infirmer le jugement critiqué et rejeter les demandes de Monsieur [T] [C], celles-ci étant recevables mais infondées.





Sur les frais irrépétibles et les dépens



Il est équitable de laisser à la charge des parties leur frais irrépétibles.



Il convient de condamner Monsieur [T] [C], partie succombante aux entiers dépens d'instance et d'appel avec distraction au profit de la SELARL LEXAVOUE AIX EN PROVENCE en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.









PAR CES MOTIFS







La cour, statuant publiquement, après en avoir délibéré conformément à la loi, en matière prud'homale et par arrêt contradictoire,



Infirme le jugement déféré sauf en ce qu'il a déclaré recevables les demandes de Monsieur [T] [C] et rejeté les demandes de condamnation in solidum de la société KAEFER WANNER à l'encontre de la société ARKEMA FRANCE,



Statuant à nouveau et y ajoutant,



Déboute Monsieur [T] [C] de sa demande au titre du préjudice d'anxiété,



Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,



Condamne Monsieur [T] [C] aux entiers dépens d'instance et d'appel, avec distraction au profit de la SELARL LEXAVOUE AIX EN PROVENCE en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.





LE GREFFIERLE PRESIDENT

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