27 novembre 2018
Cour d'appel de Paris
RG n° 17/12407

Pôle 2 - Chambre 1

Texte de la décision

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 2 - Chambre 1



ARRET DU 27 NOVEMBRE 2018



(n° 502, 6 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 17/12407 - N° Portalis 35L7-V-B7B-B3SRQ



Décision déférée à la Cour : Jugement du 18 Avril 2017 -Tribunal de Grande Instance de CRETEIL - RG n° 15/08599





APPELANTS



Monsieur [Y] [N]

[Adresse 1]

[Adresse 2]



né le [Date naissance 1] 1964 à [Localité 1] (Pakistan)





Madame [T] [A] épouse [N]

[Adresse 1]

[Adresse 2]



née le [Date naissance 2] 1972 à [Localité 1] (Pakistan)



Représentés et plaidant par Me Marie-Marthe JESSLEN, avocat au barreau de PARIS, toque : E0067





INTIMES



SCP [R] ET [B]

[Adresse 3]

[Adresse 4]



Représentée et plaidant par Me Laurent DEVAUX, avocat au barreau de PARIS, toque : R225



LA DIRECTION GENERALE DES FINANCES PUBLIQUES,

Pôle de gestion fiscale

7ème Brigade de Vérification

[Adresse 5]

[Adresse 5]



Représentée et plaidant par Me Geneviève CARALP DELION de la SCP NORMAND & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0141









COMPOSITION DE LA COUR :



L'affaire a été débattue le 25 Septembre 2018, en audience publique, devant la Cour composée de :



M. Christian HOURS, Président de chambre

Mme Marie-Claude HERVE, Conseillère

Mme Anne de LACAUSSADE, Conseillère



qui en ont délibéré,



Un rapport a été présenté à l'audience par Madame Anne de LACAUSSADE dans les conditions prévues par l'article 785 du code de procédure civile.





Greffier, lors des débats : Mme Lydie SUEUR





ARRET :



- Contradictoire



- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.



- signé par Christian HOURS, Président de chambre et par Lydie SUEUR, Greffière présent lors du prononcé.



*****



M et Mme [Y] [N] ont fait l'objet, au cours de l'année 2014, d'une procédure de vérification de leur situation personnelle par la direction générale des finances publiques (DGFP). Une proposition de rectification établie le18 décembre 2014 leur a été signifiée à chacun par la Scp [U] [R] laquelle a établi, le 24 décembre pour tentative et le 31 décembre 2014 pour signification, un procès-verbal dressé selon les règles de l'article 659 du code de procédure civile.



Il a été mentionné aux actes, tant de M. que de Mme [N] : 'Un clerc assermenté s'est transporté sur le 24 décembre 2014 à l'effet de remettre l'acte aux susnommés. Il s'est présenté à l'adresse sus-indiquée [[Adresse 1] n'a pu rencontrer le destinataire du présent acte. J'ai rencontré différents voisins qui m'ont indiqué qu'ils ne connaissaient pas l'intéressé [e] sans plus de précisions. De retour à l'étude, les recherches sur l'annuaire électronique ne nous ont pas permis d'obtenir quelconques renseignements. En conséquence, il a été constaté que [M/Mme] [N] n'a ni domicile, ni résidence, ni lieu de travail connus, et le présent acte a été converti en procès-verbal de recherches article 659 du CPC. »



Le 5 janvier 2015, M et Mme [N] ont réceptionné le pli recommandé adressé par l'huissier à leur dernière adresse connue, soit le [Adresse 1], comportant notamment copie de l'acte objet de la signification.



Par courrier du 10 avril 2015, ils ont mis en cause auprès de la DGFIP la validité des actes dressés par Maître [U] [R], en concluant à la prescription de l'action fiscale. Par courrier du 25 mai 2015, la DGFIP a maintenu les rectifications proposées en leur rappelant que l'acte d'huissier faisait foi jusqu'à inscription de faux. Le 21 juillet 2015, les époux [N] ont déposé auprès du tribunal de grande instance de Créteil un acte d'inscription de faux contre les actes de signification dressés par la Scp [U] [R]. Par lettre recommandée avec accusé de réception du même jour, ils ont adressé au parquet civil la déclaration d'inscription de faux ainsi que les pièces visées dans l'acte d'inscription de faux.



Par actes d'huissier en date des 7 et 10 août 2015, M et Mme [N] ont saisi le tribunal de grande instance de Créteil d'une procédure d'inscription en faux.

Par jugement du 18 avril 2017, la juridiction a, sous le bénéfice de l'exécution provisoire:

- débouté M et Mme [N] de l'ensemble de leurs demandes,

- donné acte à M. le directeur des finances publiques de son intention de se prévaloir de l'acte de signification des 24 et 31 décembre 2014,

- condamné solidairement M et Mme [N] aux dépens de l'instance et au paiement d'une amende civile de 20 euros,

- débouté la Scp d'huissiers [R] et [B] et M. le directeur des finances publiques de leur demandes formées en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.



La juridiction a mentionné que les prescriptions des articles 303 et suivants du code de procédure civile avaient été respectées par les époux [N]. Au fond, elle a retenu qu'aucune des mentions contenues dans les actes ne pouvait être qualifiée de fausse.



M. et Mme [N] ont interjeté appel de cette décision le 21 juin 2017.




Dans leurs conclusions récapitulatives du 10 janvier 2018, ils demandent à la cour de :

- les recevoir et les déclarer fondés en leur appel ,

- débouter les intimés de leurs demandes,

- infirmer le jugement en ce qu'il a rejeté leurs prétentions,

- les déclarer recevables en leur demande d'inscription de faux formée contre les procès-verbaux délivrés, au visa de l'article 659 du code de procédure civile, les 24 et 31 décembre 2014, par la Scp [U] [R], huissiers de Justice,

- dire et juger que ces procès-verbaux sont faux et que ces actes ne peuvent produire d'effet à leur égard,

- ordonner les mesures utiles pour que la décision soit enregistrée au rang des minutes de l'huissier de justice,

- condamner la direction générale des finances publiques et la Scp [U] [R] et [A] [B] au paiement chacun de la somme de 4 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile et, in solidum entre elles, aux dépens.



La Scp d'huissiers de justice [U] [R] demande à la cour, dans ses dernières conclusions récapitulatives du 18 juin 2018, la confirmation de la décision entreprise et la condamnation des époux [N] à lui payer la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens qui pourront être recouvrés par Me Laurent Devaux conformément à l'article 699 du code de procédure civile.



Le directeur général des finances publiques demande à la cour dans ses dernières conclusions du 13 novembre 2017 de :

- déclarer les époux [N] mal fondés en leur appel et de les débouter de toutes leurs demandes,

- confirmer la décision entreprise et ce faisant,

- acter qu'il entend se prévaloir du procès-verbal de signification dressé le 24 décembre pour tentative et le 31 décembre 2014 selon les modalités de l'article 659 du code de procédure civile,

- condamner les époux [N] au paiement en cause d'appel d'une somme de 3.000€ en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens qui pourront être recouvrés par maître Geneviève Caralp-Delion conformément à l'article 699 du code de procédure civile.



Dans son avis communiqué le 06 août 2018, le ministère public conclut à la recevabilité des appels et à la confirmation du jugement. Il indique notamment que la procédure d'inscription de faux a été respectée.

Au fond , il est d'avis que l'ensemble des éléments matériels invoqués et justifiés par les époux [N], relativement à la réalité de leur résidence à l'adresse du [Adresse 1], laquelle pouvait être vérifiée sans difficulté, démontrent l'insuffisance des vérifications accomplies par le clerc significateur qui affirme ne pas être parvenu à déterminer leur domicile, leur résidence ni leur lieu de travail. Il ajoute que si une insuffisance aussi caractérisée dénote une légèreté blâmable de l'huissier dans sa mission et peut être de nature à entraîner l'annulation des procès-verbaux considérés, l'admission d'un faux suppose que soit démontrée l'inexactitude des diligences que l'officier ministériel déclare avoir accomplies. Le ministère public indique souscrire à l'analyse des premiers juges selon laquelle rien ne permet d'établir pour aucune des mentions querellées qu'elle est par elle-même inexacte.




SUR CE



M. [Y] [N] et Mme [T] [A] son épouse rappellent que les actes de signification dressés par les huissiers de justice, officiers public, sont constitutifs d'actes authentiques ce qui leur confère une valeur probante renforcée, de sorte que leurs mentions ne peuvent être combattues lorsqu'elles sont inexactes que par la procédure d'inscription de faux des articles 303 à 316 du code de procédure civile dont ils justifient du bon respect.

Ils rappellent que la cour n'est pas saisie de la régularité du contentieux administratif les opposant à l'administration fiscale mais de la véracité ou non des mentions portées dans l'acte d'huissier de sorte que l'existence ou non d'un grief n'a pas à être examinée, pas plus que le point de savoir si les appelants ont été ou non touchés par la lettre recommandée avec accusé de réception de janvier 2015, peu important également que le faux ait été commis sciemment ou non par l'huissier. Il suffit que les mentions portées sur l'acte soit inexactes pour que le faux soit constitué.

En l'espèce, ils arguent de faux les deux procès-verbaux de l'huissier diligentés dans les formes de l'article 699 du code de procédure civile dès lors que le professionnel déclare:

- constater qu'ils n'ont « ni domicile, ni résidence, ni lieu de travail connus »,

- que « les recherches sur l'annuaire électronique [n'ont] pas permis d'obtenir quelconques renseignements ».

Ils exposent être propriétaires de leur logement et y demeurer, ajoutent que leur nom figure sur l'interphone, qu'un gardien dont la loge est voisine de leur appartement est présent et joignable dans la copropriété, que leur nom et le numéro de leur ligne téléphonique figurent dans l'annuaire et est connu de la DGFIP. Ils indiquent justifier par diverses pièces de leur présence chez eux les jours mentionnés pour les passages de l'huissier. Ils en concluent que la Scp ne s'est jamais déplacée à leur adresse et que les mentions figurant dans l'acte sont en conséquence fausses.

Ils font état de l'utilisation d'une mention pré-imprimée s'agissant des renseignements obtenus des voisins, rappellent que l'utilisation de termes généraux ne peut être reconnue comme exacte au vu des pièces qu'ils produisent. L'énonciation que les recherches ont été vaines équivaut à une absence de recherche tant la démonstration de la réalité de leur domicile est patente. Ils relèvent des contradictions entre les mentions de l'acte et les conclusions de la Scp quant à savoir qui du clerc ou de l'huissier s'est déplacé et a rencontré les voisins. Ils estiment que si l'huissier s'était présenté au domicile il aurait établi un PV 656 avec dépôt de l'acte à l'étude.



La Scp [U] [R] observe que plus de 6 mois après avoir reçu signification et eu connaissance des actes, M et Mme [N] croient pouvoir s'inscrire en faux. Elle rappelle que selon l'article 441-1 du code pénal, constitue un faux toute altération frauduleuse de la vérité, de nature à causer un préjudice et accomplie par quelque moyen que ce soit, dans un écrit ou tout autre support d'expression de la pensée qui a pour objet ou qui peut avoir pour effet d'établir la preuve d'un droit ou d'un fait ayant des conséquences juridiques.

Ils indique que l'absence, contestée, de recherches suffisantes de la part de l'huissier ne rend pas fausses les mentions de l'acte. Sur place, aucun des époux n'était présent lors des passages du clerc, aucune personne connaissant les destinataires de l'acte n'a pu être rencontrée, l'identité des voisins n'ayant pas à être indiquée. Si dès le 24 décembre le domicile des destinataires avait été confirmé par des éléments sur place, le clerc n'aurait pas eu à se déplacer de nouveau. Les recherches n'ont pas permis de déterminer un autre domicile ou une autre résidence, ce qui est logique puisqu'ils demeurent effectivement à l'adresse à laquelle le clerc s'est rendue, ou lieu de travail. Lorsque l'acte a été signifié, strictement aucun élément ne permettait à l'étude d'huissier de connaître avec certitude le lieu de résidence, le domicile ou le lieu de travail des destinataires des actes. L'acte contesté ne dit pas le contraire. La Scp ajoute qu'en tout état de cause, les destinataires de l'acte ont été touchés par l'acte signifié, dont ils indiquent eux-mêmes avoir eu une parfaite connaissance, lequel a été envoyé à la seule adresse connue par l'étude, les modalités de la signification ne modifiant en rien la situation et ne leur ayant causé aucun préjudice.



Le directeur général des finances publiques s'en rapporte aux conclusions de la Scp auteur de l'acte de signification, quant aux diligences accomplies. Il estime que pour que le faux soit reconnu, il convient d'établir que les mentions de l'acte sont inexactes et qu'il n'est pas démontré qu'elles le sont. Il ajoute que l'huissier n'a pas obligation de mentionner l'identité des voisins rencontrés. Il indique que les photographies des lieux, non datées, ne sont pas exploitables. A titre surabondant, le directeur général des finances publiques soutient que les époux [N] n'ont subi aucun grief et ne justifient d'aucun préjudice puisqu'ils ont retiré le 5 janvier 2015 le pli recommandé de l'huissier qui contenait notamment la proposition de rectification 3924 E, de sorte qu'ils ont été régulièrement informés de l'acte, les modalités de la signification ne changeant rien à la situation juridique et factuelle. Il observe que la procédure a en réalité pour objet de remettre en cause l'acte interruptif de prescription de la procédure d'examen de leur situation fiscale personnelle et ainsi de se soustraire au paiement des impôts pour lesquels ils ont été redressés.



***

Ce sont par des motifs pertinents que la cour adopte, que les premiers juges ont relevé que les prescriptions de l'article 303 du code de procédure civile relatives à la procédure pour inscription en faux ont été respectées par les époux [N].



Au fond, il convient de rappeler que l'insuffisance de recherches par l'huissier, à la supposer démontrée et qui est susceptible d'entraîner l'annulation de l'acte, ne rend pas en soi les mentions de celui-ci fausses. L'admission d'un faux suppose la démonstration de l'inexactitude des diligences que l'huissier déclare avoir accomplies.

En l'espèce, si M et Mme [N] justifient demeurer effectivement [Adresse 1], être connus de voisins qui attestent en ce sens dans le cadre de la présente procédure, de ce que les coordonnées et localisation des gardiens des bâtiments de la résidence sont affichées, ils n'établissent par aucune des pièces produites que les 24 et 31 décembre 2014, ils étaient présents effectivement à leur domicile au moment du passage de l'huissier, et n'allèguent ni n'établissent que les voisins rencontrés par l'huissier, dont ce dernier n'a pas obligation de donner l'identité, lui ont répondu les connaître, voire que les gardiens auraient confirmé leur domicile à l'huissier rencontré. Ils ne justifient par aucune pièce leur affirmation selon laquelle aucun huissier ne s'est déplacé les 24 et 31décembre 2014 et les constatations de l'huissier ne viennent pas en soi le démontrer, contrairement à ce qu'ils soutiennent.

Les époux [N] justifiant demeurer réellement à l'adresse indiquée, l'huissier n'a de fait, pas pu trouver des renseignements différents de ceux qu'il possédait, par ses recherches sur l'annuaire électronique. Il en aurait d'ailleurs été de même s'il avait contacté la DGFIP, ce qu'il ne prétend pas avoir fait.

La mention de l'absence de domicile, de résidence, et de lieu de travail connus-ce dernier point n'étant pas contesté-est la conséquence nécessaire du domicile non certifié et des recherches infructueuses, au visa des articles 654 et suivants du code de procédure civile.

Dès lors, et comme l'ont relevé à juste titre les premiers juges, les époux [N] ne justifient pas de ce que les mentions portées sur les actes de l'huissier sont fausses de sorte que les époux [N] seront déboutés de leurs demandes contraires et subséquentes, et le jugement de première instance sera confirmé en toutes ses dispositions, la condamnation des époux [N] au paiement d'une amende civile dont le montant a été exactement apprécié étant de droit en application de l'article 305 du code de procédure civile.



Les époux [N] supporteront solidairement entre eux les dépens de l'instance d'appel dont distraction au profit des conseils de la Scp [U] [R] et du directeur général des finances publiques. Ils seront en outre condamnés à verser à chacun des intimés la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.



PAR CES MOTIFS, la cour,





Confirme le jugement du tribunal de grande instance de Créteil du 18 avril 2017 en toutes ses dispositions,



Condamne M [Y] [N] et Mme [T] [N] son épouse solidairement entre eux, à verser la somme de 2 000 euros tant à la Scp d'huissiers de justice [U] [R] qu'à Monsieur le directeur général des finances publiques par application de l'article 700 du code de procédure civile,



Condamne M [Y] [N] et Mme [T] [N] son épouse solidairement entre eux, aux dépens de l'instance d'appel qui pourront être recouvrés par maître Laurent Devaux et par maître Geneviève Caralp-Delion conformément à l'article 699 du code de procédure civile.





LA GREFFIERE, LE PRESIDENT,

Vous devez être connecté pour gérer vos abonnements.

Vous devez être connecté pour ajouter cette page à vos favoris.

Vous devez être connecté pour ajouter une note.