13 décembre 2018
Cour d'appel de Paris
RG n° 17/03352

Pôle 2 - Chambre 2

Texte de la décision

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 2 - Chambre 2



ARRÊT DU 13 DÉCEMBRE 2018



(n°2018 - 375, 9 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 17/03352 - N° Portalis 35L7-V-B7B-B2VEZ



Décision déférée à la Cour : Jugement du 09 Février 2017 -Tribunal de Grande Instance de Paris - RG n° 15/14239





APPELANTE



SAS KRONENBOURG,( précédemment BRASSERIES KRONENBOURG), agissant en la personne de son représentant légal

N° SIRET : 775 614 308 00879

[Adresse 1]

[Adresse 1]



Représentée et assistée à l'audience de Me Eric ANDRIEU de la SCP PECHENARD & Associés, avocat au barreau de PARIS, toque : R047







INTIMÉE



L'ASSOCIATION NATIONALE DE PREVENTION EN ALCOOLOGIE ET ADDICTOLOGIE (ANPAA), prise en la personne de son représentant légal

[Adresse 2]

[Adresse 2]



Représentée et assistée à l'audience de Me Catherine GIAFFERI, avocat au barreau de PARIS, toque : C0107









COMPOSITION DE LA COUR :



L'affaire a été débattue le 15 Novembre 2018, en audience publique, devant la cour composée de :



Madame Marie-Hélène POINSEAUX, présidente de chambre

Madame Patricia LEFEVRE, conseillère

Madame Marie-José BOU, conseillère



qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Madame Patricia LEFEVRE, conseillère dans les conditions prévues par l'article 785 du code de procédure civile.





Greffière, lors des débats : Madame Fatima-Zohra AMARA



ARRÊT :

- contradictoire



- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.



- signé par Madame Marie-Hélène POINSEAUX, présidente de chambre et par Madame Fatima-Zohra AMARA, greffière présente lors du prononcé.




**************



L'Association nationale de prévention en alcoologie et en addictologie, association reconnue d'utilité publique, a fait dresser le 17 septembre 2015 un procès verbal de constat, décrivant plusieurs films publicitaires d'animation musicale accessibles à partir du site de la société Brasseries Kronenbourg et consacré à la bière Grimbergen.



Par acte extra-judiciaire en date du 6 octobre 2015, l'Association nationale de prévention en alcoologie et en addictologie (ANPAA) a fait assigner devant le tribunal de grande instance de Paris, la société Brasseries Kronenbourg (désormais dénommée Kronenbourg) afin de voir déclarer illicites au regard de l'article L. 3323-4 du code de la santé publique et d'ordonner le retrait du site français de la société Brasseries Kronenbourg à l'adresse http://www.grimbergen.fr, la diffusion de :

- films intitulés : La légende du Phoenix et les territoires d'une légende

- un jeu intitulé Le jeu des territoires

- diverses publicités, portant comme slogan, l'intensité d'une légende, suivi d'un verre de bière avec le nom de Grimbergen Blonde ou Blanche ou Rouge ou Poire.



Par jugement en date du 9 février 2017, le tribunal de grande instance de Paris a, sous le bénéfice de l'exécution provisoire :

- dit illicites les publicités en faveur de la boisson alcoolique Grimbergen parues sur le site, www.grimbergen.fr, éditées par la société Kronenbourg et constituées par le film intitulé la légende du Phoenix, le film intitulé les territoires d'une légende, le jeu intitulé le jeu des territoires, les publicités portant le slogan, l'intensité d'une légende et en conséquence, en a ordonné le retrait du site www.grimbergen.fr ;

- dit que chaque retrait interviendra sous astreinte de 5 000 euros par jour de retard à compter de la signification de la présente décision et ce pendant 60 jours ;

- Débouté les parties de l'ensemble de leurs demandes plus amples ou contraires ;

- condamné la société Kronenbourg à payer à l'ANPAA la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.



La société Kronenbourg a relevé appel le 13 février 2017 et aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique, le 29 octobre 2017, elle demande à la cour, d'infirmer le jugement déféré sauf en ce qu'il a débouté l'ANPAA de ses demandes de dommages et intérêts et, au visa de l'article L. 3323-4 du code de la santé publique, de juger que les films La légende du Phoenix et Les territoires d'une légende, le jeu, Le jeu des territoires et les publicités portant le slogan L'intensité d'une légende qui figuraient sur son site www.grimbergen.fr ne constituent pas des publicités illicites en faveur d'une boisson alcoolique, de débouter l'ANPAA de ses demandes et de la condamner au paiement d'une indemnité de procédure de 10 000 euros et aux entiers dépens.



Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique, le 11 octobre 2018, l'ANPAA soutient au visa des articles L.3323-2, L. 3323-4, L. 3351-7, L. 3323-7, L. 3355-1, et L. 3355-3 du code de la santé publique, des articles 1382 et suivants du code civil et de l'article 515 du code de procédure civile, la confirmation du jugement en ce qu'il a dit illicites les publicités dénoncées et en a ordonné le retrait, réclamant, en outre, que soient ordonnés l'interdiction et le retrait du slogan L'intensité d'une légende dans la presse écrite, par voie de presse, par voie d'affiches et sur tout support et qu'il soit dit que chaque retrait interviendra sous astreinte de 5 000 euros par jour de retard à compter de la signification de la présente décision, et ce, pendant 60 jours.

Elle demande à la cour d'infirmer la décision déférée, en ce qu'elle l'a déboutée de sa demande de dommages et intérêts, réclamant la condamnation de la société Kronenbourg au paiement de la somme de 70 000 euros au titre des dommages et intérêts ainsi qu'à une indemnité de procédure de 10 000 euros et aux dépens qui comprendront le coût du constat de la SCP Darricau Pecastaing du 17 septembre 2015 (809,16 euros), demandant en dernier lieu, que la société Kronenbourg soit déboutée de toutes ses demandes.



La clôture est intervenue le 7 novembre 2018.






SUR CE, LA COUR,



Considérant que la société Kronenbourg rappelle les principes gouvernant la publicité relative aux boissons alcoolisées et l'ajout à la liste des supports, par la loi du 21 juillet 2009, de la communication électronique, disant que celle-ci est légale, dès lors que les messages ne sont pas intrusifs ou interstitiels ou diffusés sur des sites principalement destinés à la jeunesse ou édités par des associations sportives ; qu'elle fait valoir que la publicité est, par nature, destinée à donner une image valorisante d'un produit et à inciter à son achat, la loi se bornant, dans un but de prévention d'une consommation excessive, d'en limiter ses modalités sans pour autant imposer qu'elle soit objective, que la notion même de publicité impose une certaine liberté de création et qu'une publicité peut avoir recours à un fond attrayant ;



Qu'analysant, ensuite, chacun de ses messages publicitaires au regard de ces principes, la société Kronenbourg soutient principalement que la légende du phoenix se réfère à l'origine historique du produit, au travers de celle de l'Abbaye [Localité 1] en Belgique comme le film les territoires d'une légende, les territoires traversés par le phoenix étant constitués des produits entrant dans la composition des quatre variétés de la gamme de bières Grimbergen (Rouge, ambrée, blanche et blonde) ; qu'elle constate l'absence de preuve d'une référence à la série télévisée Games of thrones ; que s'agissant du jeu des territoires, elle critique le jugement déféré, qui a estimé que l'association de la bière Grimbergen à un jeu en ligne, n'a que pour objectif d'inciter principalement les jeunes à consommer cette boisson, en s'adonnant à une activité ludique et dérivative alors que le code de la santé publique n'interdit pas, par principe, la mise en place d'un jeu en ligne ou l'incitation à la consommation, inhérente à la publicité mais uniquement l'incitation à la consommation excessive d'alcool ;



Qu'enfin, s'agissant du slogan l'intensité d'une légende, elle déplore également la référence au caractère incitatif de son slogan, que le tribunal déduit de l'association d'idées entre la consommation de bière Grimbergen et le fait de vivre un moment unique, magique, exceptionnel, disant que son message se rattache tout à la fois aux caractéristiques olfactives et gustatives du produit et à son origine historique et est, par conséquent, conforme aux dispositions de l'article L. 3323-4 du code de la santé publique ;



Considérant que l'ANPAA prétend que la loi Evin encadre strictement la publicité, en autorisant une publicité neutre, strictement informative, excluant tout amalgame valorisant l'alcool, notamment par association à d'autres activités, le principe étant que tout ce qui n'est pas autorisé est interdit ; que reprenant la motivation de la décision déférée, elle affirme que le film La légende du phoenix n'a d'autre objectif que de parer la bière Grimbergen des vertus supposées attribuées au phoenix et rendues ainsi accessibles à celui qui consommera cette bière, mettant en avant dans le commentaire les expressions telles que régénération mythique, forces infinies, renaissance matérielle et spirituelle, renaître toujours plus fort, pouvait vaincre le temps, protégeait ainsi les hommes à chaque étape de leur vie ; que s'agissant du film Les territoires d'une légende, l'ANPAA s'empare des avis des internautes sur la référence à la série télévisée Games of thrones ; qu'elle avance que la société Kronenbourg a eu recours à une présentation totalement stylisée et remaniée et elle lui reproche de ne pas procéder à une présentation objective des éléments relatifs à la composition du produit mais' [à] une composition totalement artistique ; que s'agissant du jeu, elle retient le caractère illicite de nombreuses mentions de ce jeu, qui plus est s'adresse à un jeune public et n'a d'autres objectifs que de retenir l'attention de l'internaute en lui permettant d'associer la bière Grimbergen à une parenthèse ludique ; que l'ANPAA reprend également la motivation de la décision déférée pour retenir l'illégalité du slogan, l'intensité d'une légende, et conteste toute référence à des éléments autorisés ;



Considérant que l'article L. 3323-2 du livre III lutte contre alcoolisme du titre III lutte contre les maladies et dépendances du code de la santé publique énonce :

La propagande ou la publicité, directe ou indirecte, en faveur des boissons alcooliques dont la fabrication et la vente ne sont pas interdites sont autorisées exclusivement (...) :

9° sur les services de communications en ligne à l'exclusion de ceux qui, par leur caractère, leur présentation ou leur objet, apparaissent comme principalement destinés à la jeunesse, ainsi que ceux édités par des associations, sociétés et fédérations sportives ou des ligues professionnelles au sens du code du sport, sous réserve que la propagande ou la publicité ne soit ni intrusive ni interstitielle ;



Que l'article L. 3323-4 du code de la santé publique précise quant à lui :

La publicité autorisée pour les boissons alcooliques est limitée à l'indication du degré volumique d'alcool, de l'origine, de la dénomination, de la composition du produit, du nom et de l'adresse du fabricant, des agents et des dépositaires ainsi que du mode d'élaboration, des modalités de vente et du mode de consommation du produit.

Cette publicité peut comporter ,en outre, des références relatives aux terroirs de production et aux distinctions obtenues, aux appellations d'origine telles que définies à l'article L. 115-1 du code de la consommation ou aux indications géographiques telles que définies dans les conventions et traités internationaux régulièrement ratifiés. Elle peut également comporter des références objectives relatives à la couleur et aux caractéristiques olfactives et gustatives du produit.

Le conditionnement ne peut être reproduit que s'il est conforme aux dispositions précédentes.

Toute publicité en faveur de boissons alcooliques, à l'exception des circulaires commerciales destinées aux personnes agissant à titre professionnel ou faisant l'objet d'envois nominatifs ainsi que les affichettes, tarifs, menus ou objets à l'intérieur des lieux de vente à caractère spécialisé, doit être assortie d'un message de caractère sanitaire précisant que l'abus d'alcool est dangereux pour la santé ;



Qu'il en ressort que la publicité, lorsqu'elle est faite en faveur de boissons alcoolisées, est autorisée sous les conditions énoncées ci-dessus ;



Que la publicité se définissant comme toute forme de communication faite dans le cadre d'une activité commerciale industrielle, artisanale ou libérale dans le but de promouvoir la fourniture de biens ou services, il ne saurait être retenu que la publicité pour l'alcool est illicite au seul motif qu'elle serait attractive ou qu'elle inciterait à l'achat ou à la consommation de boissons alcoolisées, seule l'incitation à une consommation excessive contrevenant à l'objectif de santé publique de lutte contre l'alcoolisme défini par le législateur ;



Que, s'agissant du contenu du message publicitaire qui, par nature, ne saurait être purement informatif, le texte sus-mentionné, dont il convient de rappeler qu'il constitue une incrimination pénale, n'autorise que l'indication du degré volumique d'alcool, de l'origine, de la dénomination, de la composition du produit, du nom et de l'adresse du fabricant, des agents et des dépositaires ainsi que du mode d'élaboration, des modalités de vente et du mode de consommation du produit, ainsi que des références relatives aux



terroirs de production et aux distinctions obtenues, aux appellations d'origine ou aux indications géographiques ainsi que des références objectives relatives à la couleur et aux caractéristiques olfactives et gustatives du produit ;



Qu'il s'ensuit que les mentions ne doivent être purement objectives que lorsqu'elles sont relatives à la couleur, aux caractéristiques olfactives et gustatives du produit, ce qui laisse la place à l'imagination des concepteurs des messages publicitaires lorsque la communication porte sur d'autres éléments de communication, tels que l'origine, la dénomination ou la composition du produit, ainsi que le relève l'appelante ;



Qu'enfin, l'ouverture des services de communications en ligne à la publicité pour les boissons alcoolisées autorise le recours à toutes les formes de communication possibles sur ce média, à l'exclusion des publicités intrusives ou interstitielles, dès lors que seul le contenu du message est réglementé, ce qui, au surplus, impose qu'il soit construit autour des éléments de communication autorisés ; que l'ANPAA ne peut pas limiter son analyse à des membres de phrases, dont l'un est qualifié de slogan, isolés du texte et du contenu visuel qui leur donnent sens ; qu'elle ne peut pas plus critiquer le fait qu'il s'agisse d'une oeuvre de création et non d'une information objective ;



Considérant que le film La légende du phoenix est décrit comme suit, au procès-verbal de constat dressé le 17 septembre 2015 à la demande de l'ANPAA :

Est alors présenté un film d'animation musicale d'une durée de 1,22 mm en sept épisodes à partager sur Facebook avec accès à tweeter et des bonus siglés sous le signe + permettant de découvrir des secrets à travers les civilisations perse, grecque et romaine.

Il est fait un parallèle avec l'histoire de l'abbaye [Localité 1] depuis son incendie en 1128, sa destruction en 1566, son démantèlement en 1798 (...).

Au fur et à mesure que le film se déroule, sept épisodes sont accessibles en cliquant sur le menu apparaissant.

Le texte complet est le suivant :

'Le Phoenix a marqué les civilisations à travers les âges' apparition menu épisode 1 LES PERSES, 'les Perses contaient sa longévité légendaire' apparition menu épisode 2 LES GRECS 'les Grecs vénéraient sa régénération mythique' apparition menu épisode 3 LES ROMAINS 'les romains puisaient dans ses forces infinies' apparition menu épisode 4 1142 'les hommes épris de liberté voyaient en lui la promesse d'une nouvelle vie. Fondée en 1128,

l'abbaye [Localité 1] fut ravagée dans un terrible incendie en 1142, puis détruite en 1566". apparition menu épisode 5 1566 'lors des guerres de religion' et apparition épisode 6 1798 'démantelée en 1798 A chaque destruction elle fut rebâtie. Le Phoenix devint son emblème et lui inspira sa devise « Ardet nec consumitur » (elle brûle mais ne se consume pas)' apparition menu épisode 7 La bière 'Une bière au caractère unique est née de cette abbaye et de son histoire légendaire'.

Épisode 1 LES PERSES

Apparaît après l'introduction un menu épisode 1 intitulé 'Les Perses' apparaît, je clique dessus, on accède à un nouveau film d'animation musicale présentant le Phoenix survolant des paysages symbolisant la civilisation perse avec le message vocale suivant : 'les Perses croyaient en l'existence d'un oiseau capable de renaître toujours plus fort. Le Phoenix leur donnait l'espoir que chaque jour pouvait être meilleur'Un bandeau indique «Félicitations vous avez découvert 1/7 secret du Phoenix.

Épisode 2 LES GRECS

Je clique sur 'reprendre le film' retournant ainsi sur le film initial la légende du phoenix apparaît alors un menu Episode 2 intitulé 'Les Grecs' je clique dessus j'accède à un nouveau film d'animation musicale avec le message vocal suivant : 'Pour les Grecs,

Seul le Phoenix pouvait vaincre le temps. Selon eux il apportait la renaissance

matérielle et spirituelle à qui l'honorait de sa croyance' Un bandeau indique

'Félicitations. vous avez découvert 1/7 secrets du Phoenix'

Que le constat se poursuit par la description des cinq autres épisodes ouverts et fermés ainsi qu'il est indiqué ci-dessus et dont les messages vocaux sont les suivants :

- Chez les romains le Phoenix symbolisait les cycles de mort et de résurrection. Il

protégeait ainsi les hommes à chaque étape de leur vie (épisode 3) ;

- La Guerre [Localité 1] opposant les seigneurs à leur suzerain dura presque 20 ans et s'acheva par la destruction de l'abbaye dans un terrible incendie (épisode 4) ;

- Au fil des siècles le calme revint à Grimbergen et l'abbaye fut reconstruite, mais les guerres de religion mirent fin à cette période de prospérité (épisode 5) ;

- l'abbaye [Localité 1] fut restaurée et agrandie mais quand les domaines religieux devinrent biens nationaux, les pères durent quitter leur abbaye qui fut démantelée (épisode 6) ;

- la recette de la bière a su-elle aussi résister au fil des siècles pour faire ressurgir aujourd'hui encore les saveurs inattendues que l'on découvre à chaque dégustation (épisode 7) ;



Qu'il convient d'ajouter que ce message prend la forme d'un récit narratif commentant le film dont les premières images consistent en l'ouverture d'un manuscrit enluminé à l'emblème de la brasserie, dont s'envole le phoenix qui va survoler des animations en ombres chinoises évocatrices des civilisations perse, grecque et romaine, les constructions et destructions successives de l'abbaye et la fabrication de la bière ; que ce livre ouvert apparaît lorsque le narrateur évoque la première destruction de l'abbaye, puis le choix de son emblème et il est refermé à la fin du film ;



Considérant qu'il en ressort que la société Kronenbourg communique, ainsi que le conclut le texte accompagnant son film publicitaire (une bière au caractère unique est née de cette abbaye et de son histoire légendaire), sur l'origine de ses produits, au travers de l'abbaye [Localité 1] dont la devise et l'emblème, le phoenix, sont des éléments distinctifs de sa marque figurant sur son produit sans que l'ANPAA en conteste la légalité ; qu'en effet, l'origine du produit peut être historique ou géographique et ne peut pas être limitée à son territoire actuel de production ;



Que, contrairement aux allégations de l'ANPAA, l'appelante justifie non seulement des liens historiques de son produit avec l'abbaye [Localité 1], mais également de ses liens actuels, le Père [T] [S] de l'Abbaye [Localité 1] (pièce 12 de l'appelante) attestant le 18 octobre 2018, qu'une licence de brasseur a été accordée par l'abbaye à la famille [L] en 1958, de la transmission de celle-ci, de l'implication des Pères de l'abbaye dans le développement et l'approbation des recettes des bières Grimbergen, et que la bière est brassée conformément aux anciennes recettes de l'abbaye [Localité 1] et sous la supervision de l'abbaye ;



Que dès lors, le film de la société Kronenbourg ne peut encourir de critique lorsqu'il décrit l'histoire de l'Abbaye [Localité 1] et vient expliciter le choix qu'elle a fait de son emblème et de sa devise, du fait de ses renaissances successives après de multiples destructions ; que le choix de recourir à un récit narratif évoquant, en premier lieu, ce qu'a été, à travers les âges, le phoenix, emblème de la marque et dont la société Kronenbourg peut faire usage dans sa communication, n'altère nullement le fait que le contenu du message porte sur l'origine du produit ;



Que, contrairement aux allégations de l'ANPAA, le message publicitaire rappelé ci-dessus lorsqu'il évoque le phoenix à travers les âges ne fait référence qu'aux croyances liées à cet animal mythique sans parer la bière Grimbergen des vertus supposées attribuées au Phoenix et rendues ainsi accessibles à celui qui consommera cette bière ni laisser croire que cette boisson alcoolisée est dotée de propriétés thérapeutiques ou améliorant les performances physiques ou psychiques ou intellectuelles en laissant espérer une renaissance matérielle ou spirituelle ; que d'ailleurs, le septième épisode de ce film (intitulé la bière) associe cette notion de renaissance non aux propriétés du produit mais à sa recette qui a su résister au fil des siècles ;



Que l'ANPAA se contente d'évoquer la notion de message subliminal, c'est à dire conçu pour être perçu à un niveau au-dessous du niveau de conscience, sans développer la moindre argumentation tendant à caractériser l'existence d'un tel message ;



Qu'enfin, la conclusion de ce message publicitaire : une bière au caractère unique est née de cette abbaye et de son histoire légendaire, qualifiée de slogan, met en avant la spécificité des origines du produit, étant rappelé que la communication sur les origines n'a nullement à être objective et peut parfaitement être hyperbolique ; que la cour ne peut retenir, en l'absence de démonstration pertinente en ce sens, que la formule employée, qui plus est extraite de son contexte, viendrait valoriser la consommation de cette boisson en la présentant comme un mode de vie élitiste lié aux pouvoirs extraordinaires du phoenix ou que cette publicité présente la consommation d'alcool comme une aide pour surmonter la normalité et ses problèmes ;



Que dès lors, l'ANPAA échoue dans la preuve qui lui incombe de l'illégalité de ce film publicitaire, La légende du phoenix ;



Considérant que l'huissier instrumentaire décrit comme suit, le film publicitaire dénommé sur le site Grimbergen - Le film et intitulé par les parties les territoires d'une légende :

Ce film d'animation de 57 secondes s'ouvre sur un blason au nom de Grimbergen sur lequel un rapace pose lourdement sa patte. Apparaît en gros plan l'oeil de cet oiseau qui s'envole au-dessus d'une carte représentant des territoires. Au fur et à mesure de l'envol de cet oiseau, les décors se construisent les uns à la suite des autres, sous forme de paysage ou de monuments, pour présenter quatre verres de bière de couleurs différentes (rouge, brune, blanche, jaune) portant le blason de Grimbergen agrémenté du phoenix jaune, chacun dans un décor particulier. Un territoire survolé porte le nom de 'la cascade blanche'. Le film se termine par la sortie de terre de cette abbaye, dans lequel vol un phoenix qui se pose en criant et en déployant ses ailes au pied d'un verre de bière au nom de Grimbergen. La scène finale présente quatre bouteilles de bière blanche, rouge, blonde et ambrée avec un verre empli de bière. Sur le côté apparaissent une bougie et de vieux manuscrits ainsi qu'un appareil astronomique et il est proposé de 'tester la bière Grimbergen' ;



Considérant qu'il convient, au préalable, de relever que l'huissier instrumentaire est peu disert dans sa description, et que la consultation du cd-rom annexé à son procès-verbal permet de constater d'une part, que ce qu'il qualifie dans un premier temps de rapace est l'une représentation traditionnelle du phoenix soit un héron pourpré (la pièce 35 de l'intimée) oiseau pourvu de serres, l'éclat doré lorsqu'une serre vient frapper le blason, puis ce même éclat autour de l'oeil excluant toute confusion entre un rapace et cet animal mythique, emblème de la marque Grimbergen qui se rattache à ses origines et qui s'envole dès la quatrième seconde du film ;



Que, de même, la description du dernier plan est incomplète, celui-ci, ainsi qu'il ressort de l'arrière-plan et des éléments de décors non cités (fenêtres, rayonnage de livres, plumes et instruments d'écriture), évoque la bibliothèque d'une abbaye, monument qui figure au plan précédent ; qu'il renvoie donc à la contribution monastique dans la conception du produit ;



Que l'abbaye représentée de manière stylisée dans ce film (sur la carte des territoires puis dans les derniers plans) est, sans contestation possible, celle de l'abbaye [Localité 1] ainsi que la cour peut s'en convaincre à l'examen des photographies de l'édifice reproduites dans les conclusions de l'appelante ;



Que les autres éléments ne sont critiqués par l'ANPAA (la carte représentant les territoires, les décors sous forme de paysage ou monuments, un territoire survolé portant le nom de la cascade blanche) que pour en conclure que le film n'a d'autre objectif que d'inciter le consommateur à croire aux vertus légendaires de la bière Grimbergen en s'inspirant de la série à succès Games of thrones ;



Qu'en conclusion, force est de constater que le film, s'ouvre sur le blason de la marque et l'un de ses éléments distinctifs, le phoenix, suit le vol de celui-ci au-dessus d'une maquette en mouvement sur laquelle figure l'abbaye [Localité 1], puis des décors et paysages qui se construisent les uns à la suite des autres, autour de certains des ingrédients entrant dans la composition ou venant parfumer les différentes bières ; qu'il ne développe son message qu'autour d'éléments licites : les origines et la composition du produit pour lesquelles aucune objectivité n'est requise ;



Considérant qu'enfin, l'allégation d'une inspiration tirée du générique d'une série télévisée célèbre, que l'ANPAA n'établit pas, faute d'apporter aux débats des éléments de comparaison, n'est pas, à la supposer prouvée, illicite dès lors que le message publicitaire se rapporte à des contenus autorisés par la loi, qu'il n'incite pas l'internaute à une consommation excessive et qu'il ne s'adresse pas aux mineurs, l'accès au site leur étant refusé ;



Considérant que le constat du 17 septembre 2015, se poursuit par l'évocation de la vidéo Le jeu des territoires ; qu'il est reproduit une impression d'écran de la carte ouvrant ce message intitulé Grimbergen - les territoires d'une légende sur laquelle figure, entourant l'abbaye du phoenix surmontée de la silhouette de l'abbaye [Localité 1] et du phoenix, son emblème plusieurs 'territoires', dont La cascade blanche et La crête enneigée ; que l'huissier écrit je clique sur la Cascade blanche, un bandeau annonce apparaît : comment jouer ' Cliquer sur un maximum de fleurs dans le temps imparti. Je clique sur je joue. Le décor : plusieurs cascades et un verre de bière au milieu de l'écran. Des fleurs apparaissent au fur et à mesure et disparaissent lorsque (je) clique dessus. Un score de points acquis apparaît et on me propose de retenter ma chance pour améliorer mon score. On me propose de m'inscrire pour sauvegarder mon score. Je reviens ensuite sur la carte, je clique sur la 'crête enneigée' Apparaît un fond montagneux et au milieu un verre de bière Grimbergen. On me propose d'appuyer le plus vite possible sur la barre espace pour tenter de retire le calice du rocher, Je clique sur 'Je joue' et utilise ma barre d'espacement pour faire monter le verre de bière. On me précise qu'il me reste deux essais que je peux publier sur mon mur facebook ou découvrir le site Grimbergen ;



Que les autres décors du jeu ne sont pas décrits au constat d'huissier, mais qu'il ressort des conclusions de l'ANPAA qu'ils s'organisent tous sur un arrière-fond permettant de découvrir, reconstruire des verres de bière ou reconstituer des paires identiques de verres, de bouteilles ou de packs de bières ; que l'ANPAA qui supporte la charge de la preuve de l'illicéité du message, n'apporte aux débats aucun élément ne permettant de démentir les affirmations de la société Kronenbourg quant à la référence dans les arrières fonds à l'origine, la composition des bières de la gamme Grimbergen ou à leur couleur ou à leur goût ;



Qu'ainsi qu'il est dit ci-dessus, la forme de la communication en ligne n'est pas réglementée au-delà de certaines formes (publicité intrusive ou interstitielle) et dès lors, il ne peut être fait grief à la société Kronenbourg du caractère ludique de cette communication qui permet seulement au consommateur d'accumuler des points, sans d'autre objectif d'obtenir un ou le meilleur score ;



Qu'il s'ensuit qu'en l'absence de démonstration de référence subjective aux couleurs ou aux caractéristiques gustatives ou olfactives du produit et dès lors qu'il ne constitue pas une incitation à une consommation excessive d'alcool, le jeu incriminé n'est pas illégal, le fait que la société Kronenbourg ait dénommé ses territoires (la cascade blanche, le plateau de Kriek, c'est à dire de bière, la réserve [Localité 1] etc) n'étant pas suffisant pour constituer l'incitation illicite à la consommation qu'y voit l'ANPAA ;



Considérant enfin, que l'ANPAA réclame l'interdiction du slogan L'intensité d'une légende des publicités affichées dans l'onglet saga publicitaire du site www.grimbergen.fr ;



Que l'huissier mandaté le 17 septembre 2015 ne fait aucune allusion à cet onglet ou à ce slogan et que l'ANPAA ne produit devant la cour que des publicités par voie de presse, diffusées en mai, juillet et octobre 2017, sur lesquelles le slogan est suivi d'un astérisque qui renvoie à la mention l'intensité de ses arômes (selon les produits, de fruits mûrs, d'agrumes, de fruits rouges etc) la légende de la marque née en 1128, soit une référence explicitée et objective aux caractéristiques gustatives du produit et une référence à ses origines ;



Que la société Kronenbourg affirme que ces mentions ont toujours accompagné les visuels critiqués par l'ANPAA, ce que celle-ci ne vient pas formellement démentir ;



Considérant qu'il ressort de ce qui précède que l'ANPAA échoue dans la preuve qui lui incombe du caractère illicite des messages publicitaires qu'elle incrimine, la décision déférée devant être infirmée en ce qu'elle interdit leur usage et en ordonne le retrait ; que l'ANPAA doit également être déboutée de sa demande de voir étendre l'interdiction du slogan l'intensité d'une légende à la presse écrite ;



Considérant que l'infirmation de la décision dans ses dispositions sus-mentionnées exclut que l'ANPAA puisse prétendre obtenir des dommages et intérêts du fait de la diffusion des messages incriminés, la décision devant être confirmée en ce qu'elle déboute l'ANPAA de sa demande indemnitaire ;



Considérant que l'ANPAA, partie perdante, doit être condamnée aux dépens de première instance et d'appel ainsi qu'à rembourser les frais irrépétibles de la société Kronenbourg dans la limite de 6000 euros, la décision déférée devant être infirmée en ce qu'elle met à la charge de cette société les frais répétibles et irrépétibles de première instance ;





PAR CES MOTIFS



La Cour, statuant en dernier ressort, contradictoirement et publiquement par mise à disposition de la décision au greffe,



Infirme le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Paris le 9 février 2017, sauf en ce qu'il a débouté l'Association nationale de prévention en alcoologie et en addictologie de sa demande de dommages et intérêts ;



Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,



Déboute l'Association nationale de prévention en alcoologie et en addictologie de ses demandes ;



Condamne l'Association nationale de prévention en alcoologie et en addictologie à payer à la société Kronenbourg la somme de 6 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens de première instance et d'appel.









LA GREFFIÈRELA PRÉSIDENTE

Vous devez être connecté pour gérer vos abonnements.

Vous devez être connecté pour ajouter cette page à vos favoris.

Vous devez être connecté pour ajouter une note.