13 décembre 2018
Cour d'appel de Douai
RG n° 17/00689

CHAMBRE 2 SECTION 2

Texte de la décision

République Française

Au nom du Peuple Français





COUR D'APPEL DE DOUAI



CHAMBRE 2 SECTION 2



ARRÊT DU 13/12/2018





***





N° de MINUTE :18/

N° RG : 17/00689 - N° Portalis DBVT-V-B7B-QNSO



Jugement rendu le 30 novembre 2016 par le tribunal de commerce de Lille Métropole





APPELANTE



Société Aloes Traitement des Eaux agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

ayant son siège social [Adresse 2]

[Localité 1]

représentée et assistée par Me Aymeric Druesne, avocat au barreau de Lille



INTIMÉE



SARL Vanlaer Traitements des Eaux prise en la personne de son représentant légal, M. [I]

ayant son siège social [Adresse 1]

[Localité 2]

représentée et assistée par Me Anne-Sophie Vérité, de la SCP Yves-Marchal-Natacha Marchal-Florence Mas-Isabelle Collinet-Marchal-Anne-Sophie Vérité, avocat au barreau de Lille

ayant pour conseil Me Lucien Bedoc, avocat au barreau du Tarn et Garonne





DÉBATS à l'audience publique du 13 novembre 2018 tenue par Agnès Fallenot magistrat chargé d'instruire le dossier qui, après rapport oral de l'affaire, a entendu seule les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 786 du code de procédure civile).

Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe



GREFFIER LORS DES DÉBATS :Valérie Roelofs



COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Marie-Laure Dallery, président de chambre

Nadia Cordier, conseiller

Agnès Fallenot, conseiller



ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 13 décembre 2018 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Marie-Laure Dallery, président et Valérie Roelofs, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.





ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 2 octobre 2018




***







FAITS ET PROCEDURE



La société Aloès traitement des eaux (ci-après nommée la société Aloès) a notamment pour activité « l'étude, le conseil, la formation, l'achat, la distribution, la fabrication, la vente de produits chimiques et de services, de matériels d'installations dans le domaine du traitement des eaux ».



Une équipe composée de Mme [H] [V], responsable d'agence, de Messieurs [E] [D] et [F] [A], tous deux technico-commerciaux, et de M. [C] [S], assurait le développement commercial de la région Nord pour son compte.



Mme [V], M. [D] et M. [A] ont tous trois démissionné entre avril et septembre 2014 afin de rejoindre la société Vanlaer traitement des eaux (ci-après nommée la société Vanlaer).



Le 9 février 2015, la société Aloès a déposé une requête devant M. le président du tribunal de commerce de Lille Métropole en sollicitant la désignation d'un huissier de justice aux fins de se rendre au siège de la société Vanlaer et d'effectuer la recherche d'éléments destinés à lui permettre d'établir l'existence d'actes de concurrence déloyale.



Par ordonnance du 12 février 2015, cette mesure a été autorisée. L'huissier désigné a effectué sa mission le 23 mars 2015 et a consigné ses diligences et les pièces appréhendées dans un procès-verbal du même jour.



Par actes d'huissier successifs du 17 septembre 2015 et du 25 septembre 2015, la société Aloès a engagé une action à l'encontre de la société Vanlaer, sur le fondement de la concurrence déloyale, au visa des articles 1382 et suivants anciens du code civil.



Par jugement rendu le 30 novembre 2016, le tribunal de commerce de Lille Métropole a statué comme suit :



Dit que la société Vanlaer Traitement des eaux a commis des actes de concurrence déloyale à l'égard de la société Aloès Traitement des eaux

Condamne la société Vanlaer Traitement des eaux à payer à la société Aloès Traitement des eaux la somme de 32 000 €

Déboute la société Aloès Traitement des eaux de sa demande au titre du préjudice d'image

Déboute la société Aloès Traitement des eaux de sa demande de publication du présent jugement

Condamne la société Vanlaer Traitement des eaux à payer à la société Aloès Traitement des eaux la somme de 10 000 € au titre de l'article 700 du CPC ainsi qu'à supporter les entiers frais et dépens de l'instance, taxés et liquidés à la somme de 81.12 en ce qui concerne les frais de Greffe

Dit n'y avoir lieu à l'exécution provisoire du présent jugement

Déboute les parties de toutes leurs autres demandes plus amples ou contraires.











Le premier juge a retenu qu'en recrutant la quasi-totalité de l'équipe de la région Nord, dont la responsable, la société Vanlaer ne pouvait ignorer qu'elle allait gravement désorganiser la société Aloès ; qu'en effet, cette dernière se trouvait brutalement dépourvue de toute activité sur la région Nord, qui représentait plus de 20% de son chiffre d'affaires total annuel ; que la société Aloès n'avait pas disposé du temps nécessaire pour reconstituer une nouvelle équipe commerciale; que les anciens salariés de la société Aloès avaient utilisé les fichiers commerciaux de cette dernière pour démarcher et développer l'activité de la société Vanlaer ; que celle-ci s'était donc livrée à des actes de concurrence déloyale ; que le préjudice commercial de la société Aloès pouvait être évalué à 32.000 euros au regard des pièces versées.



Par déclaration du 30 janvier 2017, la société Aloès a relevé appel total de cette décision.






PRETENTIONS DES PARTIES



Par conclusions régularisées par le RPVA le 16 janvier 2018, la société Aloès présente les demandes suivantes :



'A titre liminaire :

Dire que seul le Juge ayant rendu l'ordonnance du 9 février 2015 autorisant la mesure de constat d'huissier est compétent pour ordonner sa rétractation,

Dire en conséquence que la Cour est incompétente rationae materiae pour statuer sur la requête aux fins de constat d'huissier,

En tout état de cause, Constater que la société Vanlaer est défaillante dans la démonstration d'un grief que lui aurait causé la requête aux fins de constats,

Constater la validité de la requête aux fins de constat.

Vu les anciens articles 1382 et suivants du Code civil,

Confirmer le jugement de première instance en ce qu'il a constaté que la société Vanlaer Traitement des eaux avait commis des actes de concurrence déloyale au préjudice de la société Aloès Traitement des eaux.

Réformer le jugement de première instance sur les préjudices et condamner en conséquence la société Vanlaer Traitement des eaux au paiement des sommes suivantes avec intérêts légaux à compter de la décision à intervenir :

-la somme de 529 000 € au titre de la réparation du préjudice économique subi par la société Aloès;

-la somme de 50 000 € au titre de la réparation de l'atteinte à l'image commerciale et à la notoriété de la société Aloès ;

Condamner la société Vanlaer Traitement des eaux au paiement de la somme de 25 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Condamner la société Vanlaer Traitement des eaux aux entiers frais et dépens exposés par la société Aloès Traitement des eaux (honoraires et frais d'huissier, expert informatique).

Ordonner la publication de la décision à intervenir dans la revue « L'Eau, l'Industrie, les Nuisances » aux frais de la société Vanlaer Traitement des eaux.'



La société Aloès fait valoir l'incompétence rationae materiae de la cour pour statuer sur la nullité de la requête et du procès verbal aux fins de constat, et rappelle que le prononcé d'une nullité de fond suppose un texte et celui d'une nullité de forme la démonstration d'un grief.



Sur le fond, elle plaide que la société Vanlaer a débauché de manière massive les salariés de son équipe en charge de son secteur Nord, en leur proposant délibérément des conditions de rémunération plus favorables. De surcroît, la société Vanlaer a contracté, en connaissance de cause, avec M. [E] [D] et Mme [H] [V] alors qu'ils étaient encore ses salariés.



La perte conséquente de chiffre d'affaires consécutive à la concurrence déloyale de la société Vanlaer n'a pas permis à la société Aloès de recruter d'autres salariés. Le travail des trois salariés débauchés a été réparti auprès d'autres salariés de la société.



Le constat d'huissier a mis en évidence que la société Vanlaer détient un nombre considérable de documents techniques et commerciaux appartenant à la société Aloès qu'elle a pu obtenir par connivence avec les trois anciens salariés de cette dernière, en violation de leur obligation de confidentialité.



Les anciens salariés de la société Aloès ont contacté de manière systématique l'ensemble des clients de cette dernière afin de leur proposer des prestations similaires au même tarif, pour le compte de la société Vanlaer, et cela concomitamment à leur démission voire antérieurement. La célérité des offres proposées aux clients d'Aloès témoigne du détournement compte tenu de la spécificité du marché des traitements des eaux industrielles, puisque les offres ne peuvent être proposées qu'après réalisation d'essais.



La clientèle des sociétés CPP Composites, Ingredia, Saint Gobain, Baudelet, Brenntag, Synthexim et de la station d'épuration de [Localité 3] a été détournée.



Les actes de concurrence déloyale se sont déroulés sur l'exercice comptable clos du 28 février 2015 et leur conséquence s'est matérialisée en termes de préjudices pour la première fois sur l'exercice clos le 28 février 2016.



L'impact sur le chiffre d'affaires est également confirmé et aggravé sur le secteur Nord sur l'exercice clos le 28 février 2017, car son activité implique en principe une récurrence avec la clientèle du fait de la formulation adaptée des produits et de la réalisation des essais et études préalables.



Sur le cumul des exercices clos le 28 février 2016 et 28 février 2017, le préjudice financier de la société Aloès est d'ores et déjà certain à hauteur de 208.700 euros.



Sur cette base, la société Aloès sollicite par conséquent une indemnité égale à une moyenne de cinq années de perte de marge brute soit la somme de 521.000 euros, portée à 529.000 euros compte des frais de formation des salariés débauchés.



Elle demande en outre la réparation de l'atteinte portée à sa notoriété et à son image commerciale, par l'octroi de dommages et intérêts et la publication du jugement de condamnation dans la revue spécialisée « L'Eau, l'Industrie, les Nuisances ».



Par conclusions régularisées par le RPVA le 16 juin 2017, la société Vanlaer présente les demandes suivantes :



'INFIRMER le jugement rendu par le Tribunal de Commerce de LILLE le 30.11.2016

DEBOUTER la SAS Aloès de l'ensemble de ses demandes

CONDAMNER la SAS Aloès à verser à la SARL Vanlaer Traitement des eaux la somme de 5000,00€ sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile'



La société Vanlaer soutient que tant la requête à fin de constat que le constat lui-même ont été établis à l'encontre de la société Vanlaer dont le numéro RCS est le 319 741 690. Or cette société a été liquidée en 2011 et par conséquent n'existe plus. Dans ces conditions, l'action de la société Aloès était mal dirigée et ne saurait aboutir à défaut d'existence. Malgré les protestations du gérant de la société Vanlaer lors de la présentation de l'huissier pour l'établissement du constat, ce dernier a tout de même procédé aux opérations. Par conséquent, la cour jugera que la requête à fin de constat et le constat sont nuls et que ce dernier doit donc être écarté des débats. Le grief est évident puisque la société Vanlaer subit les conséquences des manquements de la société Aloès qui n'a jamais agi contre la bonne personne. Elle a été contrainte de saisir son conseil alors que la procédure n'est en réalité pas dirigée contre elle.



Sur le fond, la société Vanlaer affirme que les trois salariés de la société Aloès sont partis volontairement suite à une dégradation massive de leurs conditions de travail. Elle nie les avoir débauchés, se prévalant d'une coquille dans la date de signature du contrat de travail de M. [D] et du fait que la création anticipée d'une adresse mail au bénéfice de M. [A] ne démontre pas qu'il l'ait utilisée avant le jour de son embauche. Elle réfute avoir profité de la moindre information sur les tarifs et les pratiques de la société Aloès, exposant qu'étant des concurrents directs, ils sont informés des prix pratiqués les uns par les autres. Elle évoque des pratiques commerciales sans rapport avec des actes de concurrence déloyale. Elle explique que certains clients de Mme [V] l'ont suivie et que d'autres ont lancé des appels d'offre qu'elle a pu remporter.



La société Vanlaer conclut que la société Aloès ne démontre pas de perte significative dans son chiffre d'affaires, démontrant l'absence d'actes de concurrence déloyale.






SUR CE



Sur les demandes de constat présentées par les conclusions des parties



Au préalable, il convient de souligner qu'il n'y a pas lieu de reprendre ni d'écarter dans le dispositif du présent arrêt les demandes tendant à 'constater que ....' ou 'dire que...', telles que figurant dans le dispositif des conclusions de l'appelante, dès lors qu'elles portent sur des moyens ou des éléments de fait relevant des motifs et non des chefs de la décision devant figurer dans la partie exécutoire de l'arrêt.





Sur l'étendue de la saisine



Aux termes de l'article 954 du code de procédure civile, les conclusions d'appel doivent formuler expressément les prétentions des parties et les moyens de fait et de droit sur lesquels chacune de ses prétentions est fondée avec indication pour chaque prétention des pièces invoquées. Un bordereau récapitulatif des pièces est annexé. Les prétentions sont récapitulées sous forme de dispositif. La cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif.



En conséquence, la cour n'est pas saisie des prétentions de l'intimée visant à faire juger que la requête à fin de constat et le constat sont nuls et que ce dernier doit être écarté des débats, qui figurent exclusivement dans le corps de ses écritures et ne sont pas reprises au dispositif.





Sur les chefs non contestés de la décision



Aucune critique n'est apportée par les parties sur le chef du jugement relatif au non lieu à exécution provisoire qui sera donc confirmé.











Sur l'action en indemnisation d'actes de concurrence déloyale



Aux termes des dispositions des articles 1382 et 1383 anciens du code civil, tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer. Chacun est responsable du dommage qu'il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence.

L'action en concurrence déloyale constitue une action en responsabilité civile, qui implique non seulement l'existence d'une faute commise par le défendeur mais aussi celle d'un préjudice souffert par le demandeur. Il appartient à celui qui s'en prévaut d'en apporter la preuve.



L'embauche d'un salarié d'une entreprise concurrente, qui n'est tenu d'aucun engagement de non-concurrence à l'égard de son ancien employeur, est licite dès lors que cet engagement ne s'accompagne d'aucune manoeuvre déloyale.



Par ailleurs, la libre recherche de clientèle étant de l'essence du commerce, des salariés qui sont libres de tout engagement de non concurrence peuvent démarcher la clientèle de leur ancien employeur dès lors qu'ils respectent les usages loyaux du commerce.



De même, le fait pour une clientèle de suivre spontanément auprès de son nouvel employeur un employé qui démissionne n'est pas à lui seul, en l'absence de toute manoeuvre en ce sens, constitutif d'un détournement de clientèle.



En l'espèce, il est établi qu'en 2014, l'équipe Nord de la société Aloès était constituée de quatre salariés, Mme [H] [V], responsable d'agence Nord, M. [E] [D] et M. [F] [A], technico-commerciaux, et M. [C] [S].



Mme [V], qui était employée par la société Aloès depuis le 1er juillet 2008 pour un salaire de 4 500 euros bruts outre une prime fixe d'un tiers de mois versée fin août et fin décembre et une gratification sur résultat versée en février, a donné sa démission par lettre datée du 1er avril 2014, sans préciser de motifs particuliers. Elle a ensuite changé les codes de sa messagerie professionnelle Aloès, de manière à empêcher son employeur d'y accéder. Son contrat de travail avec la société Aloès a pris fin à l'issue de son préavis, le 30 juin 2014. Elle a refusé de signer son attestation sur l'honneur selon laquelle elle n'avait pas conservé de documents de la société Aloès et s'engageait à ne plus les utiliser à l'issue de son contrat. Elle a entre-temps signé, le 11 juin 2014, un contrat de travail avec la société Vanlaer qui l'a embauchée en qualité de directrice commerciale à compter du 1er juillet 2014, pour une rémunération de 5 192 euros bruts mensuels outre un 13è mois de 5 000 euros bruts et un intéressement de 10% sur le résultat d'exploitation.



M. [D], qui était employé par la société Aloès depuis le 15 juillet 2008 pour un salaire de 2.300 euros bruts outre une prime fixe d'un tiers de mois versée fin août et fin décembre et une gratification sur résultat versée en février, a donné sa démission par lettre datée du 14 avril 2014, sans préciser de motifs particuliers, les termes de son courrier étant une copie conforme de celui de Mme [V]. Son contrat de travail avec la société Aloès a pris fin à l'issue de son préavis, le 13 juin 2014. Il a signé un contrat de travail avec la société Vanlaer, probablement daté par erreur du 17 janvier 2014 mais en tout état de cause établi le 20 mai 2014, par lequel il a été embauché à compter du 17 juin 2014 en qualité de technico-commercial, pour une rémunération de 3172 euros bruts mensuels outre un 13è mois de 3 000 euros bruts.



M. [A], qui était employé par la société Aloès depuis le 2 avril 2012 pour un salaire de 2.100 euros bruts outre une prime fixe d'un tiers de mois versée fin août et fin décembre et une gratification sur résultat versée en février, a donné sa démission par lettre datée du 29 septembre 2014, sans préciser de motifs particuliers, les termes de son courrier étant une copie conforme de celui de Mme [V]. Son contrat de travail avec la société Aloès a pris fin à l'issue de son préavis, le 28 novembre 2014. Il a signé le 1er décembre 2014 un contrat de travail avec la société Vanlaer, par lequel il a été embauché à compter du 1er décembre 2014, en qualité de technico-commercial, pour une rémunération de 2 247 euros bruts mensuels pour 151,67 heures et 320,95 euros pour 17,33 heurs supplémentaires par mois, outre un 13è mois de 2 568 euros bruts.



Ainsi, tant Mme [V] que Messieurs [D] et [A] ont été embauchés par la société Vanlaer en bénéficiant d'augmentations non négligeables de leur rémunération.



Les raisons ayant poussé ces salariés, dont la responsabilité personnelle n'est pas recherchée, à quitter la société Aloès, sont sans incidence sur le caractère fautif de leur recrutement par la société Vanlaer. Celle-ci ne pouvait ignorer que leur départ allait désorganiser gravement la société Aloès, qui a perdu en l'espace de cinq mois trois des quatre salariés qualifiés constituant son équipe pour la région Nord, qui généraient l'essentiel du chiffre d'affaires de leur employeur sur ce secteur.



Bien plus, il s'avère que Mme [V] a signé son contrat de travail avec la société Vanlaer et commencé à travailler pour son nouvel employeur alors même qu'elle travaillait toujours pour la société Aloès, comme le prouvent une série de courriels en date du 19 juin 2014, qui prouvent que Mme [V] bénéficiait déjà d'un adresse mail Vanlaer active à cette date. Dans un premier échange, après avoir informé M. [J] [B], de la société Aquatreat, de la création de l'adresse mail Vanlaer de M. [D], Mme [V] a transmis à ce dernier des éléments concernant une commande faite à la société Vanlaer en lui précisant 'tu me renvoie ton ébauche et je regarde en fin de journée'. Dans un second échange, M. [B] a adressé à M. [D] 'le fichier demandé que nous avons mis au point avec [H] pour le 'gros client'.



Par ailleurs, si M. [A] n'a signé son contrat de travail avec la société Vanlaer que le 1er décembre 2014, un mail adressé par Mme [V] à un client le17 octobre 2014, lui annonçant que M. [A] allait rejoindre la société Vanlaer début décembre, démontre que cette embauche était déjà certaine. L'adresse mail de M. [A] au sein de la société Vanlaer était d'ailleurs déjà active à la date du 23 novembre 2014, soit avant l'expiration de son préavis.



L'expertise des éléments informatiques recueillis par voie d'huissier a en outre permis de retrouver, dans les ordinateurs professionnels de Mme [V], M. [D] et M. [A], plusieurs documents techniques et commerciaux appartenant à la société Aloès, ainsi que de nombreux mails.



Lesdits mails établissent que Mme [V], M. [D] et M. [A] se sont servis des documents restés en leur possession pour déterminer quels produits de la société Vanlaer étaient équivalents aux produits de la société Aloès, copier les appels d'offre et les fiches produits établis par cette dernière, puis démarcher sa clientèle en construisant ses offres par rapport à ses pratiques habituelles, en proposant des produits équivalents à prix moindre, tout en faisant l'économie d'études techniques rendues inutiles par les informations déjà en leur possession. Ce fut notamment le cas des offres adressées en juin et juillet 2014 à la société Ingredia, en octobre 2014 à la société Saint Gobain Glass France (offre remportée sous réserve d'une 'parfaite miscibilité entre les produits Vanlaer et Aloès'), en octobre 2014 à la station d'épuration de [Localité 3], en décembre 2014 à la société Synthexim, en octobre 2014 à la société Baudelet ou en juin 2014, juillet 2014 et mars 2015 à la société CPP Composites, peu important que ces offres aient été ou pas remportées.

Dans un mail du 21 novembre 2014, Mme [V] a indiqué sans ambiguïté : 'on n'hésite pas à taper sur les clients Aloès/Eautex'. Elle a également pu répondre le 17 novembre 2014 à M. [U] [Z], ingénieur technico-commercial d'Aloès sur le secteur géographique Bretagne et Pays de la Loire, qu'elle tentait de débaucher au profit de la société Vanlaer et qui l'interrogeait sur la stratégie de cette société, que les produits des sociétés Aloès et Vanlaer étaient 'quasi en phase. Pour les prix, je vise en dessous. A ce jour, je prends les clients Aloès et je remplace les produits c'est simple, ça me permet de faire un peu de marge [...] invest justement'.



La nouvelle équipe commerciale de la société Vanlaer a également pu, grâce aux éléments indûment conservés en sa possession, répondre à des appels d'offre de nouveaux clients potentiels, sur lesquels elle savait les sociétés Aloès et Vanlaer en concurrence, en ajustant les prix et les coefficients, tel que cela a été fait par exemple pour l'appel d'offre Eurorol en septembre 2009.



Les manoeuvres déloyales ainsi commises ont été encore plus loin puisqu'aux termes d'un mail de Mme [V] à son équipe en date du 23 janvier 2015, M. [Z] a délibérément ralenti la réponse de la société Aloès sur un projet de recyclage d'eau en Bretagne, de manière à favoriser le positionnement de la nouvelle équipe de la société Vanlaer, qu'il envisageait de rejoindre.



A la suite de ce débauchage de ses salariés et du détournement de sa clientèle, la société Aloès, qui a donc perdu les 3/4 de son équipe technico-commerciale sur la région Nord, n'a donc pu ni prospecter efficacement sa clientèle traditionnelle pour tenter de la fidéliser, ni en développer une nouvelle, ni élaborer une nouvelle stratégie commerciale pour s'adapter aux pratiques déloyales de sa concurrente, au profit de laquelle elle a perdu plusieurs appels d'offre.



La société Aloès fait observer à juste titre que les actes de concurrence déloyale qu'elle a subis se sont déroulés principalement sur l'exercice comptable clos le 28 février 2015 et que leurs conséquences financières se sont donc matérialisées à compter de l'exercice clos le 28 février 2016.



Elle justifie que son chiffre d'affaires sur le secteur Nord est passé de 865 412 euros sur l'exercice 2014/2015, à 741 383 euros sur l'exercice 2015/2016 et 694 776 euros sur l'exercice 2016/2017.



Le lien entre les fautes commises par la société Vanlaer et le préjudice commercial subi par la société Aloès est parfaitement établi.



Cependant, il est évident que la baisse du chiffre d'affaires de la société Aloès ne peut être entièrement imputée aux manoeuvres déloyales de la société Vanlaer, compte tenu de la liberté de sa clientèle de se tourner vers un autre fournisseur, sur un marché particulièrement concurrentiel.



Il est de surcroît patent que les sept clients listés par l'attestation de son expert-comptable ne lui ont pas permis, à eux seuls, de réaliser les chiffres d'affaires annoncés pour la région Nord.



Il est des plus regrettables que la société Aloès n'ait pas versés aux débats l'intégralité de ses comptes pour les exercices sur lesquels elle fonde sa demande d'indemnisation, et ne communique pas son taux de marge brut moyen sur l'exercice 2014/2015, alors que ses calculs se basent sur les pertes de chiffres d'affaires constatés sur les exercices 2015/2016 et 2016/2017 en prenant pour référence l'exercice 2014/2015 et non l'exercice 2013/2014.





Son préjudice financier ne saurait davantage être fixé en tenant compte d'une durée de 5 années, la société Aloès ayant depuis lors disposé du temps nécessaire pour se réorganiser et revoir sa stratégie commerciale. A cet égard, il apparaît surprenant qu'à la date du 14 octobre 2016, elle n'ait encore pu embaucher qu'un seul nouveau technico-commercial, à compter du 2 mars 2015, pour remplacer ses salariés démissionnaires de la région Nord. Elle ne justifie pas qu'elle n'avait pas les moyens de recruter.



Enfin, la société Aloès est illégitime à solliciter le remboursement de l'ensemble des formations dispensées à Mme [V], M. [D] et M. [A] depuis leur embauche, étant observé qu'aucune n'est concomitante à leurs démissions, et qu'elle a donc pu profiter des nouvelles compétences acquises par ses salariés.



Au regard des éléments produits et précédemment rappelés, son préjudice financier sera chiffré à 150.000 euros, et son préjudice de notoriété et d'image commerciale à 50.000 euros, sommes que la société Vanlaer sera condamnée à lui verser. Le jugement entrepris sera réformé en ce sens.



La publication du présent arrêt dans la revue spécialisée 'L'Eau, l'industrie, les nuisances' n'apparaît pas comme un moyen de réparer plus amplement les préjudices subis par la société Aloès mais davantage de jeter l'opprobre sur la société Vanlaer, étant en tout état de cause rappelé la publicité de la présente décision. Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'elle l'a déboutée de sa demande en ce sens.





Sur les dépens



Aux termes de l'article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie.



L'issue du litige justifie de condamner la société Vanlaer aux dépens d'appel et de confirmer la décision entreprise en ce qu'elle l'a condamnée aux dépens de première instance, en soulignant que les honoraires et frais d'huissier ainsi que d'expertise informatique entrent dans les frais irrépétibles et non dans les dépens.





Sur les frais irrépétibles



Aux termes de l'article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.



La décision entreprise sera confirmée en ce qu'elle a condamné la société Vanlaer à payer à la société Aloès la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.



La société Vanlaer, tenue aux dépens, sera au surplus condamnée à verser à la société Aloès la somme de 2.000 euros au titre de ses frais irrépétibles d'appel.



La société Vanlaer sera enfin déboutée de sa demande de ce chef.













PAR CES MOTIFS



La cour,



Confirme le jugement rendu le 30 novembre 2016 par le tribunal de commerce de Lille Métropole en ce qu'il a :



Dit que la société Vanlaer Traitement des eaux a commis des actes de concurrence déloyale à l'égard de la société Aloès Traitement des eaux,



Débouté la société Aloès Traitement des eaux de sa demande de publication du présent jugement,



Condamné la société Vanlaer Traitement des eaux à payer à la société Aloès Traitement des eaux la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'à supporter les entiers frais et dépens de l'instance, taxés et liquidés à la somme de 81,12 euros en ce qui concerne les frais de greffe,



Dit n'y avoir lieu à l'exécution provisoire du présent jugement,



Débouté les parties de toutes leurs autres demandes plus amples ou contraires,



L'infirme pour le surplus et, statuant à nouveau,



Condamne la société Vanlaer Traitement des eaux, prise en la personne de ses représentants légaux, à payer à la société Aloès Traitement des eaux, prise en la personne de ses représentants légaux, la somme de 150 000 euros au titre de son préjudice financier ;



Condamne la société Vanlaer Traitement des eaux, prise en la personne de ses représentants légaux, à payer à la société Aloès Traitement des eaux, prise en la personne de ses représentants légaux, la somme de 50 000 euros au titre de son préjudice d'image ;



Et y ajoutant,



Condamne la société Vanlaer Traitement des eaux, prise en la personne de ses représentants légaux, à payer à la société Aloès Traitement des eaux, prise en la personne de ses représentants légaux, la somme de 2 000 euros au titre de ses frais irrépétibles ;



Condamne la société Vanlaer Traitement des eaux, prise en la personne de ses représentants légaux, aux entiers dépens d'appel.



Le greffierLe président











V. RoelofsM.L.Dallery

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