17 décembre 2018
Cour d'appel de Paris
RG n° 17/12503

Pôle 5 - Chambre 10

Texte de la décision

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 5 - Chambre 10



ARRÊT DU 17 DÉCEMBRE 2018



(n° , 6 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 17/12503 - N° Portalis 35L7-V-B7B-B3S2W



Décision déférée à la Cour : Jugement du 23 Mai 2017 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 16/02819





APPELANT



Monsieur [F] [R]

Demeurant [Adresse 1]

[Localité 1]

né le [Date naissance 1] 1941 à TUNIS / TUNISIE



Représenté par Me Dominique DUMAS de la SCP DEGROUX BRUGÈRE, avocat au barreau de PARIS, toque : P0386





INTIME



LE DIRECTEUR RÉGIONAL DES FINANCES PUBLIQUES D'ÎLES DE FRANCE ET DU DÉPARTEMENT DE PARIS

Pôle Fiscal Parisien 1, Pôle Juridictionnel Judiciaire

Ayant ses bureaux [Adresse 2]

[Localité 2]



Représentée par Me Guillaume MIGAUD, avocat au barreau de VAL-DE-MARNE, toque : PC430





COMPOSITION DE LA COUR :



L'affaire a été débattue le 05 Novembre 2018, en audience publique, devant la Cour composée de :

Monsieur Edouard LOOS, Président

Madame Sylvie CASTERMANS, Conseillère

Madame Christine SIMON-ROSSENTHAL, Conseillère

qui en ont délibéré,



Un rapport a été présenté à l'audience par Madame Christine SIMON-ROSSENTHAL dans les conditions prévues par l'article 785 du code de procédure civile.



Greffière, lors des débats : Mme Cyrielle BURBAN









ARRET :



- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par M. Edouard LOOS, président et par Mme Cyrielle BURBAN, greffière

à qui la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.






FAITS ET PROCÉDURE



Des données informatiques dont des extraits ont été transmises à l'appui de la proposition de rectification émise à l'encontre de M. [R] ont été dérobées par M. [F], ancien informaticien salarié de la filiale suisse de la banque HSBC. Ces pièces ont été obtenues par la perquisition légalement effectuée au domicile de M. [F] à [Localité 3] le 20 janvier 2009 dans le cadre de l'exécution d'une commission rogatoire internationale délivrée à l'initiative des autorités judiciaires helvétiques et ont fait l'objet d'une communication régulière à l'administration fiscale les 09 juillet 2009, 02 septembre 2009 et 12 janvier 2010, conformément aux dispositions des articles L 101 et L 135 du livre des procédures fiscales.



Le 29 janvier 2014, en application de l'article 23 du livre des procédures fiscales, l'administration fiscale a invité M. [R] à s'expliquer sur ses avoirs détenus à l'étranger, notamment sur les comptes n° [Compte bancaire 1] et [Compte bancaire 2] qu'il détenait sous le profit « Penderson Resources Ltd » de novembre 2005 à juin 2006 auprès de la banque HSBC Private Bank à concurrence de 760 733 dollars américains au mois de décembre 2005 dont elle a été informée par l'exercice de son droit de communication par le ministère public.



Le 2 octobre 2014, l'administration fiscale a émis à l'encontre de M. [R] une proposition de rectification de droits de mutation à concurrence de 339 372 euros aux termes d'une procédure de taxation d'office prévue à l'article 755 du code général des impôts, à raison de sa détention de comptes bancaires hors de France qu'il contestait le 30 octobre suivant



Le redressement a été maintenu et la somme mise en recouvrement le 31 mars 2015, l'administration fiscale rejetant le 17 novembre suivant la demande du contribuable d'un sursis de paiement.



Par exploit d'huissier du 15 janvier 2016, M. [R] a assigné l'administration fiscale devant le tribunal de grande instance de Paris aux fins de dégrèvement des suppléments d'impôts mis à sa charge.



Par jugement du 23 mai 2017, la tribunal de grande instance de Paris a rejeté les demandes de Monsieur [F] [R] et l'a condamné aux dépens.



Monsieur [F] [R] a relevé appel de ce jugement le 22 juin 2017.




Par conclusions signifiées le 21 septembre 2017, Monsieur [F] [R] demande à la cour, au visa des articles 755 et 1649 A du code général des impôts, L 10 AA, L 10 0 A, L 23 C et L50 du livre des procédures fiscales et 700 du code de procédure civile, de le déclarer recevable et bien fondé en son appel et d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il l'a débouté de l'intégralité de ses demandes et de :

- constater l'illicéité des fichiers informatiques sur lesquels l'administration fiscale s'est appuyée pour fonder ses rectifications, autrement dit l'illicéité de la seule preuve dont s'est servi l'administration dans le cadre de la procédure engagée à l'encontre de Monsieur [F] pour justifier les suppléments d'impôt mis à la charge de ce dernier ;

- constater le non-respect par l'administration fiscale des dispositions de l'article L 50 du livre des procédures fiscales qui a engagé, pour la même période et le même impôt, la procédure de l'article L 23 C du livre des procédures fiscales alors qu'un ESFP avait préalablement été diligenté ;

- prononcer le dégrèvement des suppléments d'impôt (droits de mutation à titre gratuit) irrégulièrement mis à la charge de Monsieur [F] [R] pour un montant de 399 372 euros ;



Il sollicite la condamnation de la direction générale des finances Publiques à lui verser la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.



Par conclusions signifiées le 20 novembre 2017, Monsieur le directeur de la direction nationale des vérifications de situations fiscales demande à la cour de dire Monsieur [F] [R] mal fondé en son appel, de le débouter de ses demandes et de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, de confirmer la décision de rejet du 17 novembre 2015 et la procédure de rectification mise en 'uvre par l'administration fiscale, de rejeter la demande d'indemnité de procédure et de condamner M. [R] à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.



La clôture de l'instruction est intervenue par ordonnance du 15 octobre 2018.




SUR CE,



- Sur le moyen tiré de l'illicéité de la preuve



M. [R] soutient, qu'en matière de procédure civile, le juge doit écarter des débats les preuves constituées au moyen de procédés illicites ou déloyaux.



Il fait valoir la décision du Conseil d'État du 15 avril 2015 aux termes de laquelle, « Eu égard aux exigences découlant de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, ces dispositions ne permettent pas à l'Administration de se prévaloir, pour établir l'imposition, de pièces ou documents obtenus par une autorité administrative ou judiciaire dans des conditions déclarées ultérieurement illégales par le juge.» et la réserve d'interprétation émise par le Conseil constitutionnel concernant la loi du 6 décembre 2013 instituant un nouvel article dans le livre des procédures fiscales, l'article L 10-0 AA aux termes de laquelle « Ces dispositions ne sauraient, sans porter atteinte aux exigences découlant de l'article 16 de la Déclaration de 1789, permettre aux services fiscaux et douaniers de se prévaloir de pièces ou documents obtenus par une autorité administrative ou judiciaire dans des conditions déclarées ultérieurement illégales par le juge ; que, sous cette réserve, le législateur n'a, en adoptant ces dispositions, ni porté atteinte au droit au respect de la vie privée ni méconnu les droits de la défense », décision fondée sur le principe de loyauté dans l'administration de la preuve, garantie qui, si elle s'applique à tout justiciable, ne saurait lui être soustraite lorsqu'il revêt la qualité de contribuable.



Il soutient qu'en l'espèce, l'administration fiscale s'est fondée pour engager les rectifications notifiées à son encontre, sur des fichiers informatiques qui ont été volés par un ancien salarié de la banque suisse HSBC Private Bank SA, M. [W] [F], et qui se sont trouvés en possession de l'autorité judiciaire française à la suite d'une perquisition effectuée au domicile de M. [F] sur commission rogatoire internationale des autorités judiciaires helvétiques, et ont ensuite été transmis à l'administration dans le cadre de son droit de communication (art. L 101 LPF) ; que quelle que soit la procédure par laquelle les services fiscaux ont récupéré et traité les informations qui se trouvaient sur les fichiers en cause, l'illicéité de cette preuve en raison de son origine est acquise.





Il fait valoir également le jugement rendu le 27 novembre 2015 par le tribunal fédéral pénal suisse qui a condamné Monsieur [W] [F] à cinq ans de prison ferme pour violation du secret commercial et violation du secret bancaire pour ses actes commis avant le 27 novembre 2008, et également coupable de service de renseignements économiques aggravé pour les renseignements communiqués notamment à la division nationale d'investigations financières en France ; que les informations obtenues relevaient d'un secret qui a été incontestablement violé et que l'origine des fichiers ne peut être que considérée que comme illégale puisque relevant de la commission d'une infraction constatée et condamnée.



Il invoque également le fait qu'à la suite de l'adoption par l'Union européenne de la directive 2016/943 8, la France est dans l'obligation de transposer en droit interne de nouvelles dispositions qui viennent sanctionner l'utilisation ou la divulgation d'un secret d'affaire sans le consentement de son détenteur, la date butoir étant fixée au 5 juillet 2018, deux ans après l'entrée en vigueur de la directive.



L'administration fiscale soutient que les fichiers litigieux ont été obtenus dans des conditions régulières puisque qu'ils lui ont été transmis par le ministère public en application de la procédure de l'article L 101 du livre des procédures fiscales aux termes d'une procédure régulière en France comme l'a jugé définitivement la chambre criminelle de la Cour de cassation qui a estimé que « d'une part, les fichiers informatiques contestés ne constituent pas, au sens de l'article 179 du code de procédure pénale, des actes ou pièces susceptibles d'être annulés, mais des moyens de preuve soumis à discussion contradictoire, d'autre part, les juges ont, par des motifs pertinents, estimé que l'autorité publique n'était par intervenue dans la confection ou l'obtention des pièces litigieuses qui proviennent d'une perquisition régulièrement effectuée. » Elle indique que le Conseil d'État a, dans un arrêt du 20 octobre 2016, que la seule circonstance que l'administration aurait disposé, avant l'engagement d'un contrôle fiscal, d'informations issues de documents obtenus de manière frauduleuse par un tiers est sans incidence sur la régularité de la procédure d'imposition.



Elle soutient que l'utilisation à titre de preuve du résultat de l'exploitation des pièces communiquées par l'autorité judiciaire ne saurait être analysée comme un procédé déloyal et illicite rendant ces éléments d'assiette de l'impôt irrecevables.



Ceci étant exposé, il est établi que les extraits des données informatiques utilisées par l'administration fiscale dans le cadre de la procédure de taxation d'office contre M. [R] avaient été dérobées par M. [F], ancien informaticien salarié de la filiale suisse de la banque HSBC. Ces pièces ont été obtenues par la perquisition légalement effectuée au domicile de M. [F] à [Localité 3] le 20 janvier 2009 dans le cadre de l'exécution d'une commission rogatoire internationale délivrée à l'initiative des autorités judiciaires helvétiques et ont fait l'objet d'une communication régulière à l'administration fiscale les 9 juillet 2009, 2 septembre 2009 et 12 janvier 2010, conformément aux dispositions des articles L 101 et L 135 du livre des procédures fiscales.



Ainsi, dès lors que ces documents ont été régulièrement communiquées à l'administration fiscale dans le cadre de son droit de communication prévue par le livre des procédures fiscales par le ministère public qui lui-même les a appréhendés dans le cadre d'une procédure pénale régulière et qu'elle sont été soumises au débat contradictoire entre les parties, ils ne peuvent pas être écartés au seul motif de leur origine.



La condamnation de M. [F] par la cour suisse des affaires pénales du 27 novembre 2015 pour « service de renseignements économiques aggravé » et non pour violation du secret commercial et violation du secret bancaire, infractions pour lesquelles il a été relaxé s'agissant des actes commis postérieurement au 27 novembre 2008, la procédure étant classée pour les actes antérieurs à cette date, de même que l'obligation de transposer en droit interne de nouvelles dispositions qui viendraient sanctionner l'utilisation ou la divulgation d'un secret d'affaire sans le consentement de son détenteur et qui serait imposée par une directive de l'Union Européenne sont sans incidence sur la régularité de la procédure.



Il est ajouté qu'au regard de la souveraineté de l'État français et de l'autonomie de son système pénal, la cour ne saurait tenir compte d'un jugement civil suisse qui a admis, sur la demande d'assistance formée par la France à la [Localité 4], la provenance punissable des données [F].



Il est précisé que, contrairement à ce que soutient M. [R], aucune juridiction française n'a déclaré illégales les conditions dans lesquelles l'autorité judiciaire et l'administration fiscale avaient obtenus ces documents.



La procédure fiscale est dès lors régulière.



- Sur le moyen tiré de la méconnaissance par l'administration fiscale des garanties accordées au contribuable par l'article L 50 du livre des procédures fiscales



M. [R] invoque l'article 50 du livre des procédures fiscales et expose que celui-ci prévoit une garantie fondamentale pour le contribuable aux termes de laquelle, il interdit à l'administration fiscale de procéder à des rectifications pour la même période et le même impôt lorsqu'elle a déjà procédé pour une même personne, à un examen contradictoire de sa situation fiscale personnelle.



Il fait valoir qu'avant qu'il ne reçoive la proposition de rectification à l'origine du présent contentieux, il avait déjà fait l'objet d'un ESFP pour la même période et au titre du même impôt, auquel il est suspecté s'être soustrait pour non déclaration de comptes détenus à l'étranger ; la procédure ayant débuté le 4 mai 2011 ; qu'à l'occasion du débat contradictoire qui s'était installé, l'agent qui en était en charge lui avait remis une fiche intitulée « synthèse individuelle »sur laquelle apparaissait la raison de l'engagement de cette procédure la prétendue détention de comptes étrangers, qui n'étaient autres que les comptes HSBC qui seront repris dans la demande de renseignement de janvier 2014 et la proposition de rectification du 2 octobre 2014.



Ceci étant exposé, L'article L 50 du livre des procédures fiscales dispose que « Lorsqu'elle a procédé à un examen contradictoire de la situation fiscale personnelle d'un contribuable au regard de l'impôt sur le revenu, l'administration des impôts ne peut plus procéder à des rectifications pour la même période et pour le même impôt, à moins que le contribuable ne lui ait fourni des éléments incomplets ou inexacts ou que l'administration n'ait dressé un procès-verbal de flagrance fiscale dans les conditions prévues à l'article L. 16-0 BA, au titre d'une période postérieures. »



Ainsi que le soutient l'administration fiscale M. [R] a toujours soutenu, y compris lors de son ESFP, qu'il ne possédait aucun compte à la banque HSBC Private Bank et qu'il n'était pas, de ce fait, en infraction avec l'obligation de déclarer les comptes détenus à l'étranger ainsi que le prévoit l'article 1649 du code général des impôts. Il est donc établi que ce dernier a fourni des éléments incomplets ou inexacts au service sur ce sujet à l'occasion de l'ESFP engagé en 2011 au titre des années 2008 et 2009 l'article 50 du livre des procédures fiscales.



En outre, La procédure prévue par l'article L 23 C du livre des procédures fiscales issue de la loi de finances rectificative du 29 décembre 2012, applicable aux demandes de justification de l'origine des avoirs adressées à compter du 1er janvier 2013, est indépendante de la procédure d'examen de la situation fiscale personnelle qui porte sur l'impôt sur le revenu et les prélèvements sociaux alors que le redressement en cause porte sur les droits d'enregistrement.







Contrairement à ce que soutient M. [R], nul document ne peut dire qu'à l'occasion de l'ESFP, l'administration fiscale aurait excipé des fichiers issus de la perquisition opérée chez Monsieur [W] [F].



En tout état de cause, le fait que M. [R] ait fourni au service des infirmations incomplètes ou inexactes permet à l'administration de reprendre l'imposition après le terme de la procédure d'examen de la situation fiscale personnelle.



Le jugement entrepris sera dès lors confirmé en ce qu'il a débouté M [R] de l'intégralité de ses demandes ainsi que sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile.



M. [R] succombant en son appel sera condamné aux dépens de la présente procédure et débouté de se demande d'indemnité de procédure. Il sera condamné, sur ce même fondement, à payer à l'intimée la somme de 3 000 euros.





PAR CES MOTIFS :


La cour,



CONFIRME le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Paris le 23 mai 2017 en toutes ses dispositions ;



CONDAMNE Monsieur [F] [R] aux dépens d'appel ;



DEBOUTE Monsieur [F] [R] de sa demande d'indemnité de procédure ;



CONDAMNE Monsieur [F] [R] à payer au directeur régional des finances publiques d'Ile de France et du département de paris la somme de 3 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile.







LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT



C. BURBAN E. LOOS

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