21 janvier 2019
Cour d'appel de Paris
RG n° 17/14670

Pôle 5 - Chambre 10

Texte de la décision

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE


délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS











COUR D'APPEL DE PARIS





Pôle 5 - Chambre 10





ARRÊT DU 21 JANVIER 2019





(n° , 7 pages)





Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 17/14670 - N° Portalis 35L7-V-B7B-B3Z4T





Décision déférée à la Cour : Jugement du 09 Mars 2017 -Tribunal de Grande Instance de BOBIGNY - RG n° 15/14235








APPELANT





MONSIEUR LE DIRECTEUR RÉGIONAL DES FINANCES PUBLIQUES D'ILE DE FRANCE ET DU DÉPARTEMENT DE PARIS


Pôle Fiscal Parisien 1, Pôle Juridictionnel Judiciaire


Ayant ses bureaux [...]





Représenté par Me Guillaume X... de la SELARL ABM DROIT ET CONSEIL AVOCATS E.BOCCALINI & X..., avocat au barreau de VAL-DE-MARNE, toque: PC430


Représenté par M. Olivier Y..., inspecteur des finances publiques en vertu d'un pouvoir spécial








INTIME





Maître Dominique Z... , administrateur judiciaire de la succession de Madame Catherine A..., veuve F... décédée le [...]


Ayant ses bureaux [...] / BELGIQUE





Représenté par Me Marie-Catherine B..., avocat au barreau de PARIS, toque : L0010


Représenté par Me Jérôme C... de la SCP ATALLAH COLIN JOSLOVE MICHEL ET AUTRES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0008








COMPOSITION DE LA COUR :





L'affaire a été débattue le 19 Novembre 2018, en audience publique, devant la Cour composée de:


Monsieur Edouard LOOS, Président


Madame Sylvie CASTERMANS, Conseillère


Madame Christine G..., Conseillère


qui en ont délibéré,





Un rapport a été présenté à l'audience par Madame Christine G... dans les conditions prévues par l'article 785 du code de procédure civile.





Greffière, lors des débats : Mme Cyrielle BURBAN





ARRET :





- contradictoire


- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.


- signé par M. Edouard LOOS, Président et par Mme Cyrielle BURBAN, Greffière à qui la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.









FAITS ET PROCÉDURE





Le 6 décembre 1999, Mme Catherine F... s'est installée en Belgique et a déposé ses déclarations d'ISF de 2000 à 2004, en qualité de non résident.





Le 29 décembre 2004, Mme F... et ses enfants ont apporté les titres de la société PVP dont elle était usufruitière à la société de droit néérlandais 'Tupungato BV' pour une valeur de 178767000 euros.





Le 21 décembre 2011, l' administration fiscale reprochant à Madame Catherine F... de ne pas avoir déclaré dans son ISF au titre des années 2005 et suivantes les actions de la société PVP dont elle était l'usufruitière, a adressé, une proposition de rectification annulant une précédente du 8 juillet 2010, sur le fondement des dispositions de l'article 64 du livre des procédures fiscales.





Le 17 février 2012, Mme F... a contesté la proposition de rectification. Le rehaussement a été maintenu le 1er août 2012.





Le 5 avril 2013, Mme F... est décédée. Le 4 avril 2014, le comité de l'abus de droit fiscale a rendu un avis en sa défaveur.





Le 4 décembre 2014, un avis de mise en recouvrement a été émis à l'encontre des héritiers pour un montant global de 18612315 euros.





Le 14 janvier 2015, une réclamation a été adressée, rejetée par décision du 31 août 2015.





L'administrateur de la succession de Mme F... a assigné l'administration fiscale devant le tribunal de grande instance de Bobigny aux fins de contester le redressement.





Par jugement du 9 mars 2017, le tribunal de grande instance de Bobigny a :


- annulé la décision de rejet du 31 août 2015 de la direction départementale des finances publiques du Pas de Calais portant sur la réclamation formée le 14 janvier 2015 par Maître Dominique Z..., administrateur judiciaire de la succession de Madame Catherine A..., veuve F...,


- dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile et condamné la direction départementale des finances publiques du Pas de Calais aux entiers dépens.





L'administration fiscale a relevé appel de ce jugement le 20 juillet 2017.






Par conclusions signifiées le 18 janvier 2018, le directeur régional des finances publiques d'Ile de France et du département de Paris demande à la cour de :





infirmer le jugement entrepris, de confirmer les décisions de rejet du 31 août 2015 et de condamner Maître Dominique Z... aux entiers dépens de première instance et d'appel.





Par conclusions signifiées le 26 octobre 2018 , Maître Dominique Z... en sa qualité d'administrateur judiciaire de la succession de Madame Catherine A..., veuve F..., demande à la cour, au visa des articles 809 du code de procédure civile, L64 du livre des procédures fiscales, 885 L ; 1729, b) et 145 et 216 du code général des impôts, de débouter la Direction régionale des Finances Publiques d'Ile de France et du département de Paris de l'ensemble de ses demandes et de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et d'infirmer les décisions de rejet du 31 août 2015.





Il sollicite la condamnation de la direction Régionale des Finances Publiques d'Ile de France et du département de Paris à payer à Maître Dominique Z..., en sa qualité d'administrateur judiciaire de la succession de Madame Catherine A..., veuve F..., la somme de 10 000 euros au titre l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens ;





La clôture de l'instruction est intervenue par ordonnance du 29 janvier 2018.






SUR CE,





Sur l'exonération des placements prévue à l'article 885 L du code général des impôts.





L'administration fiscale critique le jugement en ce qu'il retenu que les titres de participation ne font pas l'objet d'une exclusion au titre de l'exonération prévue par l'article 885 Ldu code général des impôts, laquelle serait limitée aux seuls placements financiers réalisés en France par des non résidents.





Elle soutient par ailleurs que les objectifs invoqués, qui étaient de faciliter la transmission du groupe aux enfants, de favoriser la croissance interne et externe du groupe au travers de la holding animatrice Tupungato BV, n'ont pas été confirmés par les éléments produits ; qu'il n'existait pas d'intérêts à développer une activité aux Pays-Bas ; que les titres de la SAS PVP ont été apportés à une structure dénuée de substance, la société Tupungato BV à la suite de l'apport en 2005 et 2006, et qu'en 2007, cette dernière n'a pas généré de chiffre d'affaires ; que cette opération d'apport, n'a été inspirée par d' autre motif que celui d'éluder l'ISF et qu'elle est constitutive d'un abus de droit au sens de l'article L 64 du livre des procédures fiscales.





Les intimés répliquent que l'opération d'apport n'est pas une fraude à la loi, que l'article 885 L du code général des impôts pose le principe clair de non imposition des placements financiers, que les lois fiscales étant d'ordre public, sont d'interprétation stricte, que l'interprétation a contrario de l'administration fiscale est contestable, que les titres de Mme Catherine F... entrent nécessairement dans la catégorie des placements financiers ; que l'article 885 L n'exclut aucunement les titres de participation dans les sociétés françaises de la notion de placements financiers.





Ils ajoutent que les titres de Mme Catherine F... ne peuvent être qualifiés de titres de participation, alors que les titres détenus en usufruit ne permettent pas le contrôle de la société.





Ils font valoir que l'opération d'apport ne poursuivait pas un but exclusivement fiscal, l'objectif étant de transmettre le contrôle du groupe à M. Henri D... dont les fonctions au sein du groupe étaient centrales ; que les objectifs de croissance interne et externe du groupe poursuivis par l'opération d'apport doivent être confirmés ; que le Pays Bas sont de bons connaisseurs en matière de négoce internationnal ; qu'un autre des objectifs était de bénéficier de la législation attractive des Pays Bas ; que la société Tupungato BV exerce une activité, dispose de moyens propres, qu'il est fréquent qu'une holding ayant vocation à détenir des participations ne réalise pas de chiffre d'affaires.





Ceci exposé, L'article 885 L du code général des impôts dispose que : «Les personnes physiques qui n'ont pas en France leur domicile fiscal ne sont pas imposables sur leurs placements financiers.


Ne sont pas considérées comme placements financiers les actions ou parts détenues par ces personnes dans une société ou personne morale dont l'actif est principalement constitué d'immeubles ou de droits immobiliers situés sur le territoire français, et ce à proportion de la valeur de ces biens par rapport à l'actif total de la société. Il en est de même pour les actions, parts ou droits détenus par ces personnes dans les personnes morales ou organismes mentionnés au deuxième alinéa du 2° de l'article 750 ter. » .





L'article 885 L du code général des impôts pose le principe de l'exonération d'ISF des placements financiers pour les personnes physiques qui n'ont pas leur domicile fiscal en France.





En droit comptable, les titres de participation sont distincts des placements financiers.





L'administration fiscale, qui s'inspire du plan comptable, opère une distinction entre les placements financiers et les titres de participation et limite l'exonération d'ISF aux seuls placements financiers.





Au plan fiscal, sont considérés comme des placements financiers exonérés, des placements ou investissements en capital relevant de la catégorie de revenus de capitaux mobiliers.





En application de l'article 885 L alinéa 2, ne sont pas considérés comme des placements financiers, les titres représentatifs d'une participation, qui permettent d'exercer une certaine influence dans la société émettrice. Il en est ainsi pour les actions, parts sociales ou droits détenus par des non résidents dans les personnes morales ou organismes mentionnés à l'article 750 ter du code général des impôts.





Les titres de participation concernent les parts ou actions sociales qu'une société possède à titre durable, soit pour contrôler la société soit pour y exercer une influence. Le conseil d'Etat a précisé, en 2010, que les titres de participation sont ceux dont la possession durable est estimée utile à l'activité de l'entreprise. Au titre de l'ISF sont présumés titres de participation les titres représentant au moins 10% du capital de l'entreprise et une détention de ces titres pendant une durée d'au moins de deux ans.





Il résulte de ces éléments que le critère de distinction retenu par l'administration fiscale repose sur un fondement légal et que ce régime fiscal n'a pas été remis en cause.





En conséquence, les titres de participation sont exclus du champ d'application de l'exonération des placements financiers des non-résidents, telle que prévue par l'article 885 L du code général des impôts. Le jugement déféré sera réformé sur ce point.





S'agissant de la qualification des titres détenus en usufruit par Mme Catherine Péré E... l'administration fiscale fonde ses poursuites sur les dispositions légales et statutaires afin de démontrer que Mme Catherine F... exerçait une influence déterminante sur le fonctionnement de la société





Les dispositions de l'article 225-110 du code de commerce prévoient que:' le droit de vote attaché à l'action appartient à l'usufruitier dans les assemblées générales ordinaires.'





En l'espèce, il ressort des statuts de la société PVP qu'ils prévoyaient que l'usufruitier exerçait un droit de vote. Or, Mme Catherine F... disposait de l'usufruit de 69177 actions sur les 69 183 composant le capital social de la société PVP.





Il s'en déduit que l'administration fiscale justifie de ce que Mme Catherine F... exerçait une influence déterminante sur la gestion de la société.





Sur le but purement fiscal





Il est de règle que dans le cas où l'administration fiscale constate qu'une société holding a été installée à l'étranger dans le but évident de conférer l'apparence de valeurs étrangère à des titres de participation détenus dans des sociétés francaises par des non résidents et de permettre d'échapper à l'ISF, elle est en droit sur le fondement de l'article L64 du livre des procédures fiscales de considérer comme françaises les parts de la holding en cause.





Pour contester la fraude, la redevable invoque notamment les objectifs de faciliter la transmission du groupe à ses enfants, de favoriser la croissance interne et externe du groupe au travers de la holding animatrice Tupungato BV.





Afin de justifier du bien fondé de la rectifiation l'administration fiscale doit apporter le preuve qu' en transférant les titres de la société PVP dans la société Tupungato BV Mme Catherine F... a voulu donner l'apparence d'une participation étrangère aux titres de la société PVP, dans un but exclusivement fiscal.





Les modalités de transmission des titres de la SAS PVP sont les suivantes :





En 2004, Mme Catherine F... et ses enfants apportent les titres de PVP pour une valeur de 178767000 euros à la société Tupungato BV et en échange ils reçoivent l'intégralité des titres de cette société.


En 2005, PVP distribue 10229084 euros à la société Tupungato BV


En 2007, PVP distribue 80000000 euros à la société Tupungato BV, laquelle acquiert des valeurs mobilières pour 70391194 euros .


Puis, PVP cède les titres de participation qu'elle détenait en Argentine, 'Monte viejo Argentina' et 'Lindaflor Argentina' à la société Tupungato BV pour 31500000 euros.





Suite à une demande d'assistance administrative internationale effectuée auprès des Pays-Bas, les autorités fiscales néerlandaises ont transmis, le 22 septembre 2009, diverses informations sur la société Tupungato BV et notamment les bilans.





L'analyse des statuts ainsi que l'analyse comptable issue des bilans et comptes de résultats pour les exercices 2005, 2006 et 2007 ont montré que la holdingTupungato BV n'avait eu aucune activité aux Pays Bas au cours des exercices 2005 et 2006, hormis la perception de dividendes versés par PVP.





S'il est admis qu' une holding peut fonctionner sans avoir recours à d'importantes structures, le poste 'personnel' demeure un indice. Or, la société Tupungato BV ne comptait qu'une personne salariée, à compter du 1er avril 2007 et il s'agissait d'un contrat de 7 heures par semaine. Ce poste au titre des frais de personnel était d'un montant de 6597 euros, pour un actif de 271000000 euros, tandis que la société PVP comptait cinq salariés sur cette même période.





L'administration fiscale démontre ainsi que les titres de la SAS PVP ont été transmis à une structure dénuée de substance, la holding Tupngato BV. Avant son acquisition la société Tupungato BV était une coquille vide, l'activité de cette société est restée néante durant la période vérifiée, la gestion de la société étant réalisée par les salariés de PVP.





Cet examen des faits a été confirmé par le comité de 1'abus de droit fiscal dans son avis du 10 avril 2014. Il a constaté que la société Tupungato était jusqu'au mois d'avril 2007 dépourvue de tout moyen humain et matériel et ne réalisait aucun chiffre d'affaires.





Quant à l'objectif de transmettre le contrôle du groupe aux enfants de Mme Catherine F... et plus particulièrement à son fils M. Henri D..., il a été constaté que cet objectif avait été réalisé en 1994, en procédant à la cession de la nue- propriété à ses enfants et que l'apport de titres à la société Tupungato était intervenu sans autre modification, Mme Catherine F... conservant les mêmes pouvoirs de décision.





A compter de 2007, soit postérieurement à la période vérifiée, la société Tupungato BV a effectué des opérations, mais le financement de ses investissements consistant en une maison d'habitation située aux Pays-Bas, des vignobles argentins en 2007, des sociétés de production d'énergie en 2011, un portefeuille de valeurs mobilières et des participations détenues par PVP, est exclusivement assuré par les distributions de PVP et tous les frais sont supportés par PVP.





Le seul investissement réalisé par la société Tupungato est l'acquisition d'une maison d'habitation au Pays bas et les participations de vignobles en Argentine, provenant de PVP.





S'agissant de l'allégation selon laquelle la société holding aurait été créée dans le but de faciliter le développement de négoce de vin à l'internationnal, via les Pays Bas, l'administration a relevé d'une part que Mme Catherine F... résidait en Belgique à [...] et que cette ville n'était pas domiciliée à proximité des Pays Bas, puisqu'éloignée de plus de 200 kms, d'autre part, que la France est leader en matière de négoce de vin et que cette activité est principalement exercée, par PVP, en France.





Les vérifications de comptabilité ont montré que la SAS PVP prenait en charge tous les frais de déplacements concernant l'activité internationale de négoce de vin. Aucun élément contaire ne vient démentir ce constat.





Concernant l'intérêt d'une gestion financière aux Pays Bas, il a été constaté que l'actif de la société Tupungato était composé de titres de la société PVP détentrice d'actifs français. L'analyse des bilans a montré que la société PVP gérait son propre patrimoine et que la société Tupungato enregistrait comptablement les produits de sa participation.





Enfin, concernant les objectifs de croissance interne et externe du groupe, aucun élément comptable ne corrobore cette argumentation. L'apport des participations de PVP vient même contredire cette allégation et la société Tupungato ne justifie pas de ses liens avec les sociétés argentines.





En conséquence, l'administration fiscale démontre que sur la période concernée la société Tupungato BV n'avait pas d'existence propre et que le transfert des titres de la société PVP a été inspiré par la volonté d'éluder l'ISF.





Sur l'application de la majoration de 80%





Au termes de l'article 1719 -b du code général des impôts, les inexactitudes ou omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'Etat, entraînent l'application d'une majoration de 80% en cas d'abus de droit au sens de larticle 64 du livre des procédures fiscales.





En l'espèce, l'administration fiscale ayant rapporté la preuve que l'opération d'apport des titres de participation de la société PVP à la société Tupungato BV a été motivée par un but exclusivement fiscal, l'application d'une majoration de 80 % est en conséquence fondée.













Me Z... ès qualités d'administrateur judiciaire de la succession de Mme Catherine F..., partie perdante, au sens de l'article 696 du code de procédure civile, sera tenu de supporter la charge des dépens .





Il paraît équitable de laisser à la charge de la partie inimée les frais irrépétibles qu'elle a exposés en cause d'appel.








PAR CES MOTIFS :





La cour,





INFIRME le jugement déféré en toutes ses dispositions ;





Statuant à nouveau :





CONFIRME les décisions de rejet du 31 août 2015 ;





REJETTE toutes les demandes de Me Z... ès qualités d'administrateur judiciaire de la succession de Mme Catherine F... ;





CONDAMNE Maître Dominique Z... ès qualités aux entiers dépens.











LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT





C. BURBAN E. LOOS

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