29 janvier 2019
Cour d'appel de Paris
RG n° 16/20822

Pôle 1 - Chambre 1

Texte de la décision

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE


délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS








COUR D'APPEL DE PARIS





Pôle 1 - Chambre 1





ARRET DU 29 JANVIER 2019





(n° , 9 pages)





Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 16/20822 - N° Portalis 35L7-V-B7A-BZ2EA





Décisions déférées à la Cour : Sentence rendue à Paris le 22 août 2016 par le tribunal arbitral composé de MM. X... et C... , arbitres, et de M. D..., président et l'ordonnance d'exequatur du 16 mars 2017 rendue par le conseiller de la mise en état








DEMANDERESSE AU RECOURS :





REPUBLIQUE BOLIVARIENNE DU VENEZUELA, représentée par le Procurador General de la República, Procuraduría General de la República,





Av. Los Illustres, cruce con calle Francisco Lazo Martí


Procuraduría Gen. de la República, piso 8, Urb. Santa Mónica


Caracas 1040


VENEZUELA





représentée et assistée de Me Luca DE MARIA de la SELARL PELLERIN - DE MARIA- GUERRE, avocat postulant du barreau de PARIS, toque : L0018








DÉFENDERESSE AU RECOURS :





Société RUSORO MINING LIMITED


prise en la personne de ses représentants légaux





1500-1055 West Georgia Street


Vancouver British Columbia (V6E 4N7)


CANADA





représentée par Me Matthieu E... de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat postulant du barreau de PARIS, toque : C2477


assistée de Me A... B..., avocat plaidant du barreau de PARIS, toque : J 053








COMPOSITION DE LA COUR :





L'affaire a été débattue le 06 décembre 2018, en audience publique, devant la Cour composée de:


Mme Dominique GUIHAL, présidente de chambre


Mme Anne BEAUVOIS, présidente


M. Jean LECAROZ, conseiller


qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience dans les conditions prévues par l'article 785 du code de procédure civile.








Greffier, lors des débats : Mme Mélanie PATE








ARRET :- CONTRADICTOIRE


- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.


- signé par Dominique GUIHAL, présidente de chambre et par Mélanie PATE, greffière présente lors du prononcé.











Rusoro Mining Ltd (Rusoro) est une société de droit de la province de Colombie britannique (Canada), dont le siège se trouve à Vancouver, qui exerce son activité dans le domaine de l'acquisition, de l'exploration et de l'exploitation de mines d'or.





Entre 2006 et 2008, Rusoro a acquis une participation majoritaire dans 24 sociétés vénézuéliennes qui détenaient, au total, 58 concessions minières et contrats pour l'exploration, le développement et l'exploitation d'or et d'autres minéraux dans le sud-est de l'Etat de Bolivar au Venezuela.





Au cours des années 2009 et 2010, la République bolivarienne du Venezuela (la République du Venezuela) a adopté diverses mesures de restriction à l'exportation d'or, ainsi que des règles relatives au contrôle des changes.





Le 16 septembre 2011, le Gouvernement vénézuélien a adopté un décret de nationalisation qui prévoyait le transfert des activités d'exploitation aurifère à des sociétés mixtes à participation publique majoritaire. A l'issue de la période de négociation et faute d'accord sur les modalités de transfert, les droits miniers de Rusoro et de ses filiales se sont trouvés éteints de plein droit le 15 mars 2012. Rusoro s'est retirée des zones d'exploitation et la République vénézuélienne en a pris possession en avril 2012.





Le 17 juillet 2012, Rusoro a déposé une demande d'arbitrage auprès du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) sur le fondement du traité bilatéral d'investissement entre le Canada et la République du Venezuela (TBI). Elle invoquait la violation des stipulations relatives à l'expropriation, au traitement juste et équitable, à la protection et à la sécurité, au traitement national, aux virements de fonds et aux restrictions à l'exportation. Elle demandait le paiement de la somme de 2.434.939.917 USD en réparation du préjudice qu'elle alléguait avoir subi.





Par une sentence rendue à Paris le 22 août 2016, le tribunal arbitral composé de MM. X... et C... , arbitres, et de M. D..., président, statuant au terme d'une procédure menée conformément au règlement du Mécanisme supplémentaire du CIRDI, a décidé :


- qu'il n'était pas compétent pour statuer sur la demande reconventionnelle de la République du Venezuela,


- que les éventuelles violations du TBI fondées sur les mesures de 2009 étaient prescrites,


- que la République du Venezuela avait violé l'article VII du TBI en expropriant l'investissement de Rusoro sans indemnité, et qu'elle était condamnée de ce chef à payer la somme de 966.500.000 USD, outre intérêts,


- qu'elle avait violé le paragraphe 6 de l'Annexe au TBI en adoptant la résolution de la banque centrale de 2010 et en imposant des restrictions supplémentaires à l'exportation d'or, et qu'elle était condamnée de ce chef à payer1.277.002 USD, outre intérêts,


- qu'elle était condamnée à payer à Rusoro la somme de 3.302.500 USD au titre des coûts liés à l'arbitrage.





Le 19 octobre 2016, la République du Venezuela a formé un recours en annulation de cette sentence.





Celle-ci a été revêtue de l'exequatur par une ordonnance du conseiller de la mise en état en date du 16 mars 2017.






Par des conclusions notifiées le 8 février 2018, la République du Venezuela demande à la cour de prononcer l'annulation de la sentence et de condamner Rusoro à lui payer la somme de 100.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile. Elle soutient, en premier lieu, que le tribunal arbitral n'était pas compétent pour se prononcer sur le litige, d'une part, parce que la condition préalable d'une tentative de règlement amiable n'avait pas été respectée, d'autre part, parce que le préjudice invoqué par Rusoro était sans lien avec une violation alléguée du TBI, enfin, parce que le champ d'application ratione temporis du TBI excluait les prétentions portant sur une violation ou un préjudice subi en raison de cette violation lorsqu'il s'était écoulé plus de trois ans entre le moment où l'investisseur aurait dû en prendre connaissance et la date d'engagement de l'arbitrage. La recourante fait valoir, en second lieu que le tribunal arbitral a méconnu sa mission dès lors qu'il n'a respecté l'accord des parties ni sur le standard d'indemnisation ni sur la date d'évaluation du préjudice en cas d'expropriation.





Par des conclusions notifiées le 19 juillet 2018, Rusoro demande à la cour de déclarer irrecevables les moyens d'incompétence du tribunal arbitral et mal fondé l'ensemble de ses moyens, de rejeter le recours en annulation, de confirmer l'ordonnance d'exequatur et de condamner la République du Venezuela à lui payer la somme de 200.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.






SUR QUOI :





Sur le premier moyen d'annulation tiré de l'incompétence du tribunal arbitral (article 1520, 1° du code de procédure civile) :





La République du Venezuela fait valoir, en premier lieu, que la lettre que Rusoro lui a envoyée le 15 décembre 2011 qui alléguait des violations du TBI ne constituait pas un avis de différend au sens de l'article XII § 2 du traité faute de préciser la nature et le montant d'un éventuel préjudice et n'a donc pas fait courir le délai de six mois prévu par ce texte pour parvenir à un règlement amiable, de sorte que le tribunal arbitral n'était pas compétent.





La recourante soutient, en deuxième lieu, que le champ d'application matérielle du TBI est circonscrit aux préjudices subis en raison de violations du TBI et qu'en l'espèce, le tribunal arbitral a accordé à Rusoro au titre de l'expropriation illégale intervenue en 2011 une indemnité qui ne reflète pas la valeur de l'entreprise à une date immédiatement antérieure à l'expropriation mais qui a été calculée sur la base de la valeur de l'entreprise entre 2006 et 2008 sans tenir compte de l'effondrement de la valeur boursière entre 2008 et 2011 provoquée par des mesures ou des circonstances, qui selon le tribunal, soit ne relevaient pas de sa compétence ratione temporis, soit ne constituaient pas des violations du TBI, de sorte que ce qui a été indemnisé n'était pas un préjudice résultant de l'expropriation.





En troisième lieu, la recourante expose que l'article XII § 3 du TBI exclut de la compétence du tribunal les prétentions portant sur une violation ou un préjudice subi en raison de cette violation s'il s'est écoulé plus de trois ans entre la date à laquelle l'investisseur a pris connaissance ou aurait dû prendre connaissance de cette violation et de ce préjudice, et la date de soumission du différend à l'arbitrage; qu'en l'espèce, la requête d'arbitrage avait été déposée le 17 juillet 2012, qu'étaient donc exclues toutes les prétentions découlant d'une violation et d'un préjudice dont Rusoro avait eu ou aurait dû avoir connaissance avant le 17 juillet 2009; que, pourtant, le tribunal arbitral avait accordé à Rusoro une indemnité fondée sur sa valeur entre 2006 et 2008 sans tenir compte de la chute de sa capitalisation boursière spécialement entre février 2008 et le 17 juillet 2009, de sorte que le tribunal arbitral avait indemnisé des préjudices connus avant le 17 juillet 2009 et consécutifs à des mesures antérieures à cette date.





Rusoro réplique que la première branche du moyen, d'une part, est irrecevable faute d'avoir été spécifiquement soumise au tribunal arbitral même si des exceptions d'incompétence pour d'autres causes avaient été présentées au cours de l'instance arbitrale, d'autre part, qu'elle ne s'analyse pas en une exception d'incompétence mais en une fin de non-recevoir qui n'entre pas dans les cas d'annulation prévus par l'article 1520 du code de procédure civile, enfin que, contrairement à ce que prétend la République du Venezuela, l'avis de différend était conforme aux prévisions du TBI.





La défenderesse soutient que la deuxième branche du moyen, d'une part, est irrecevable dès lors que la République du Venezuela a débattu des méthodes d'évaluation au cours de l'instance arbitrale sans prétendre que le tribunal n'aurait pas été compétent pour les appliquer, d'autre part, qu'elle conteste la méthode d'évaluation des dommages-intérêts, qu'elle porte, par conséquent, sur le fond de la sentence et s'appuie, non pas sur les stipulations du TBI relatives à la compétence, mais sur celles qui ont trait à la détermination du préjudice.





Rusoro fait valoir que le grief de prescription articulé par la troisième branche n'est pas une exception d'incompétence mais une fin de non-recevoir qui n'entre pas dans les cas de recours prévus par le code de procédure civile, que, du reste, le tribunal arbitral n'a indemnisé que le préjudice lié à l'expropriation de 2011 qui n'était pas prescrit et que la critique de la recourante porte sur les modalités de calcul de ce préjudice, c'est-à-dire sur le fond.








Sur le moyen pris en sa première branche :





Le moyen tiré d'une clause préalable de conciliation ne constitue pas une exception d'incompétence mais une question relative à la recevabilité des demandes, qui n'entre pas dans les cas d'ouverture du recours en annulation énumérés par l'article 1520 du code de procédure civile. Le moyen pris en sa première branche ne peut qu'être écarté.





Sur le moyen pris en sa troisième branche :





Le juge de l'annulation contrôle la décision du tribunal arbitral sur sa compétence, qu'il se soit déclaré compétent ou incompétent, en recherchant tous les éléments de droit ou de fait permettant d'apprécier la portée de la convention d'arbitrage et d'en déduire les conséquences sur le respect de la mission confiée aux arbitres. Il n'en va pas différemment lorsque les arbitres sont saisis sur le fondement des stipulations d'un traité.





En l'espèce, l'offre d'arbitrage de la République du Venezuela résulte de l'accord entre le Gouvernement du Canada et le Gouvernement de la République du Venezuela concernant la promotion et la protection des investissements, conclu le 1er juillet 1996 et entré en vigueur le 28 janvier 1998 (TBI), dont l'article XII relatif au 'Règlement des différends entre un investisseur et la partie contractante d'accueil' prévoit :





'1) Dans la mesure du possible, tout différend entre une partie contractante et un investisseur de l'autre partie contractante, découlant de la prétention de l'investisseur selon laquelle une mesure prise par la première partie contractante, ou l'omission de prendre une mesure, viole le présent Accord, et selon laquelle également l'investisseur ou une entreprise dont il est directement ou indirectement propriétaire ou actionnaire majoritaire, a subi une perte ou un préjudice en raison de cette violation, est réglé à l'amiable par les intéressés.


2) Lorsqu'un différend n'est pas réglé à l'amiable dans les six mois qui suivent le moment où il prend naissance, l'investisseur peut le soumettre à l'arbitrage conformément au paragraphe 4). Aux fins du présent paragraphe, un différend est considéré prendre naissance lorsque l'investisseur d'une partie contractante signifie à l'autre partie contractante un avis écrit selon lequel une mesure prise par la seconde partie contractante, ou l'omission de cette dernière de prendre une mesure , viole le présent Accord, et selon lequel également l'investisseur ou une entreprise dont il est directement ou indirectement propriétaire ou actionnaire majoritaire, a subi une perte ou un préjudice en raison de cette violation.


3) L'investisseur peut soumettre un différend à l'arbitrage visé au paragraphe 1), conformément au paragraphe 4), seulement si les conditions suivantes sont remplies:


a) il consent par écrit à l'arbitrage;


b) il renonce à son droit d'engager d'autres procédures devant un tribunal judiciaire ou administratif de la partie contractante en cause ou dans le cadre d'une procédure de règlement des différends, ou de les mener à terme, relativement à la mesure qui, selon lui, viole le présent Accord;


c) Dans le cas où le différend comporte des aspects fiscaux, les conditions prévues au paragraphe 14) du présent Article sont respectés;


d) trois ans ou moins se sont écoulés depuis la date à laquelle l'investisseur a pris connaissance ou aurait dû prendre connaissance pour la première fois de la prétendue violation ainsi que de la perte ou du préjudice qu'il a subi.


4) L'investisseur en cause peut soumettre le différend à l'arbitrage [du CIRDI en vertu de la Convention de Washington ou en vertu du Mécanisme supplémentaire du CIRDI ou à défaut de signature de la convention de Washington par les parties, par un arbitrage ad hoc selon les règles de la CNUDCI].


5) Chacune des parties contractantes donne, par les présentes, son consentement inconditionnel à la soumission d'un différend à l'arbitrage international conformément aux dispositions du présent Article.'





En droit international public, il est loisible à un Etat de subordonner son consentement à l'arbitrage à diverses conditions qui doivent, dès lors, être considérées comme délimitant le pouvoir de juger des arbitres. En l'espèce, il résulte des termes clairs du paragraphe 5 précité de l'article XII du TBI que les parties contractantes ont assujetti leur offre d'arbitrage au respect des conditions énumérées par cet article et, notamment, de celle énoncée par le d) du paragraphe 3) selon laquelle un tribunal arbitral constitué en vertu du TBI n'est pas compétent pour examiner les faits dommageables dont l'investisseur avait connaissance ou aurait dû avoir connaissance depuis plus de trois années à la date de la saisine. Au demeurant, les arbitres eux-mêmes ont développé ce point sous le titre : 'VI Exceptions d'incompétence' et 'VI.1 La première exception d'incompétence : le différend est prescrit'.





Il appartient, par conséquent, au juge du recours, saisi sur le fondement de l'article 1520, 1° du code de procédure civile, de vérifier si les arbitres se sont déclarés à tort compétents à l'égard de faits qui auraient été connus de l'investisseur depuis plus de trois ans lorsque le litige leur a été soumis.





En l'espèce, de 2002 à 2003 la société panaméenne Grupo Agapov a pris le contrôle de plusieurs sociétés vénézuéliennes détentrices de droits miniers dans l'Etat de Bolivar. En 2006, afin de se procurer les capitaux nécessaires à son expansion, Grupo Agapov a fusionné avec la société panaméenne Newton Ventures devenue Rusoro Mining (Panama) Inc., filiale à 100 % de la société canadienne Rusoro, cotée en bourse, dans laquelle une participation majoritaire a été prise par les actionnaires de Grupo Agapov. Par l'intermédiaire de Rusoro Mining (Panama) Inc, la société canadienne Rusoro est ainsi devenue propriétaire des filiales vénézuéliennes de Grupo Agapov.





Entre décembre 2006 et juin 2008, Rusoro a acquis directement ou indirectement des participations dans plusieurs sociétés détentrices de droits miniers au Venezuela.





A l'époque où ces investissements ont été réalisés, un contrôle des changes était en vigueur depuis 2003. Il prévoyait, d'une part, que toutes les personnes privées devaient vendre à la Banque centrale du Venezuela (BCV) à un taux de change officiel les devises étrangères obtenues en contrepartie d'exportations sauf la possibilité d'en conserver 10 % pour couvrir les frais liés aux activités d'exportation, d'autre part, que l'achat de devises étrangères était soumis à autorisation. Il existait un marché parallèle ('marché des swaps') alimenté par l'achat d'obligations souveraines émises par le Venezuela (sentence, § 140 à 143). Une loi du 17 mai 2010 a interdit le recours au marché des swaps (sentence, § 154). Toutefois, en juillet 2010, le régime de contrôle des changes applicable aux producteurs d'or a été assoupli. L'obligation de vendre les devises étrangères à la BCV au taux de change officiel a été réduite à 50 % des recettes d'exportation, le reste pouvant être conservé et employé à l'étranger (sentence, § 159).





En ce qui concerne l'exportation d'or extrait au Venezuela, le régime en vigueur à l'époque des investissements de Rusoro résultait d'une résolution de la BCV de 1996 qui posait un principe de liberté sous réserve d'inscription sur un registre, de délivrance d'une autorisation (non discrétionnaire) de la BCV et de la vente sur le marché privé national d'au moins 15 % de la production (sentence, § 138 et 139).





En avril 2009 la BCV a adopté une nouvelle résolution qui exigeait que 60 % de la production trimestrielle lui soit cédée. Elle payait le prix en VEF (bolivar fuerte) en convertissant le cours international de l'or, libellé en USD, au taux de change officiel. 10 % de la production pouvaient être vendus librement au secteur national de la transformation et 30 % pouvaient être exportés sous réserve d'autorisation (discrétionnaire) de la BCV, ou devaient être cédés à cette dernière si l'autorisation était refusée (sentence, § 144 à 147). En juin 2009 une nouvelle résolution a assoupli ce dispositif pour les seuls producteurs dans lesquels l'Etat ou ses émanations détenaient une participation majoritaire (sentence, § 149 à 151).





En juillet 2010, l'obligation de vente à la BCV a été ramenée de 60 à 50 % de la production et l'obligation de vente sur le marché national de 10 % de la production a été supprimée. Sous réserve d'autorisation, c'était donc 50 % et non plus 30 % de la production qui pouvaient être exportés.





Le 16 septembre 2011, le Gouvernement vénézuélien a adopté un décret de nationalisation qui prévoyait que les activités liées à l'exploitation aurifère ne pouvaient être exercées que par l'Etat ou des sociétés entièrement détenues par l'Etat, ou encore par des sociétés mixtes dans lesquelles l'Etat détenait une participation au moins égale à 55 % et exerçait le pouvoir de décision. Tout l'or devait être vendu à l'Etat et toutes les concessions ainsi que tous les contrats accordés avant le décret de nationalisation devaient être transférés à des sociétés mixtes au sens de ce texte.





Au terme du délai de négociation prévu par le décret, aucun accord n'étant intervenu, les droits miniers de Rusoro et de ses filiales se sont donc trouvés éteints de plein droit. Le 26 mars 2012, Rusoro a demandé au Gouvernement vénézuélien de lui transmettre un document décrivant les modalités de transfert. N'ayant pas reçu de réponse officielle, elle s'est retirée des zones d'exploitation le 31 mars 2012. La République vénézuélienne en a pris possession en avril 2012.





Le 17 juillet 2012, Rusoro a déposé une demande d'arbitrage auprès du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) sur le fondement du TBI. Elle invoquait la violation des stipulations relatives à l'expropriation, au traitement juste et équitable, à la protection et à la sécurité, au traitement national, aux virements de fonds et aux restrictions à l'exportation. Elle demandait le paiement de la somme de 2.434.939.917 USD en réparation du préjudice qu'elle alléguait avoir subi.





Il est constant que la date qu'il convient de retenir pour apprécier la compétence ratione temporis du tribunal arbitral est celle du 17 juillet 2012. Par conséquent les faits connus de l'investisseur avant le 17 juillet 2009 en sont exclus.





En l'occurrence, ainsi que le relève la sentence, les mesures de restriction des exportations d'or prises en avril et juin 2009 ont été publiées à la Gaceta Oficial de la République du Venezuela avant cette date et la connaissance que Rusoro avait, non seulement de ces décisions mais encore de leur impact négatif sur l'activité de ses filiales, est établie par un courrier adressé le 30 juin 2009 au Vice-Président de la République par lequel l'investisseur proteste contre ces mesures en soulignant qu'elles établissent 'de nouvelles règles pour la vente d'or qui portent préjudice à nos seules sociétés de production d'or' (sentence, § 213 à 216).





Par ailleurs, le tribunal arbitral reconnaît, en s'appuyant sur la définition du fait composite donnée par l'article 15 des Articles de la Commission du droit international sur la responsabilité de l'Etat pour des faits internationalement illicites, que les éléments d'une telle qualification manquent en l'espèce, dès lors qu'il n'existe entre les mesures de contrôle strict prises en 2009, les assouplissements substantiels adoptés en 2010 et la décision de nationalisation de 2011, aucune cohérence qui permettrait de parler de 'nationalisation rampante' et qui autoriserait à traiter ces décisions comme un fait illicite unique (sentence, § 221 à 232).





En conséquence, le tribunal arbitral a estimé que deux griefs formulés par Rusoro relevaient de sa compétence : d'une part, la violation du paragraphe 6 de l'annexe au TBI par la résolution de la BCV de 2010 imposant des restrictions supplémentaires à l'exportation d'or, d'autre part, la violation de l'article VII du TBI résultant de l'expropriation de l'investissement de Rusoro sans indemnité.





Les critiques que la recourante adresse à la sentence au titre de l'incompétence ratione temporis ne portent que sur la seconde de ces condamnations.





Selon l'article VII du TBI :


'Expropriation


1) Les investissements ou les revenus des investisseurs de l'une ou l'autre des parties contractantes ne peuvent être nationalisés, expropriés ni faire l'objet de mesures équivalant à la nationalisation ou à l'expropriation (ci-après appelés l' 'expropriation') dans le territoire de l'autre partie contractante, sauf à des fins publiques, compte tenu de l'application régulière de la loi, d'une manière exempte de discrimination et en contrepartie d'une indemnité suffisante versée rapidement. Le montant de l'indemnité se fonde sur la valeur réelle de l'investissement ou des revenus visés par l'expropriation immédiatement avant celle-ci ou au moment où le projet d'expropriation est divulgué, selon la première éventualité, elle est payable à compter de la date d'expropriation, elle porte intérêt au taux commercial habituel, elle est versée sans délai et elle est véritablement réalisable et librement cessible.


2) L'investisseur touché a droit, en application des lois de la partie contractante qui procède à l'expropriation, à l'examen diligent, par une autorité judiciaire ou une autre autorité indépendante de cette partie, de son dossier et de l'évaluation de son investissement ou de ses revenus, conformément aux principes énoncés dans le présent Article.'





En l'espèce, le tribunal arbitral a jugé que le décret de nationalisation énonçait clairement son objet qui était un but légitime de politique économique (sentence, § 385), qu'il n'était pas démontré d'illégalité de cet acte dans l'ordre juridique vénézuélien (§ 393) et qu'il n'y avait pas eu de discrimination (§ 397), qu'en revanche, le décret de nationalisation qui fixait un plafond d'indemnisation non prévu par le TBI, ni d'ailleurs par la législation vénézuélienne, et l'offre faite à Rusoro, qui n'atteignait même pas ce plafond en raison de l'abattement pratiqué par l'Etat au motif, non fondé, d'une acquisition illicite par Rusoro de ses droits miniers, ne respectaient pas l'exigence d'indemnisation raisonnable, étant en outre observé que le montant offert (non communiqué au tribunal car couvert par un engagement de confidentialité) n'avait même pas été consigné (§ 406 à 409).





Pour apprécier la 'valeur réelle' de l'investissement exproprié au sens de l'article VII du TBI, le tribunal arbitral a retenu une combinaison pondérée de trois méthodes :


- l'évaluation de la valeur de marché maximum d'un montant de 700,6 millions USD (pondération de 25 %);


- l'évaluation comptable de 908 millions USD (25 %);


- l'évaluation de l'investissement ajustée de 1.128,7 millions USD (50 %) (sentence, § 787 à 789).





Il en a déduit que la valeur réelle de l'investissement au 16 septembre 2011 s'établissait à la somme de 966,5 millions USD au paiement de laquelle il a condamné la République du Venezuela (sentence, § 790).





Les énonciations de la sentence explicitent les différentes valeurs retenues dans les termes suivants :


- 'Mi-août 2008, avant l'adoption des Mesures de 2009 et de 2010 par le Venezuela et l'augmentation de son risque politique, le marché des actions évaluait la valeur nette de Rusoro à 752,4 millions USD, ce qui, après exclusion de la dette nette, donnait une valeur d'entreprise d'environ 700,6 millions USD [l' 'Evaluation de la Valeur de Marché Maximum].'


(§ 768)


- 'La valeur comptable nette des actifs de Rusoro au 30 septembre 2011 (le dernier jour du trimestre au cours duquel l'expropriation a eu lieu), s'élevait à 908 millions USD [l''Evaluation comptable'].' (§ 766)


- 'Lorsque Rusoro a initialement investi quelque 774,3 millions USD dans son entreprise vénézuélienne, les cours de l'or et les valorisations des sociétés de production d'or étaient faibles (mais en augmentation). Le moment choisi par Rusoro pour effectuer son investissement était idéal : les cours de l'or et, par conséquent, également la valorisation des sociétés de production d'or ont augmenté pendant que le Demandeur détenait son investissement. Le Venezuela a choisi de procéder à l'expropriation lorsque les cours de l'or et la valeur des sociétés de production d'or avaient atteint leur niveau maximum. Ceteris paribus, c'est-à-dire en partant du principe de l'absence de toute modification des conditions micro-économiques ou macro-économiques, la simple évolution des cours de l'or, qui ont augmenté de manière significative entre l'investissement et l'expropriation, aurait entraîné une augmentation de la valeur de l'investissement, le portant à plus de 1.128,7 millions USD [l''Evaluation de l'Investissement Ajustée'].' (§ 764)





Il apparaît, par conséquent, que 25 % de l'évaluation à laquelle aboutit le tribunal arbitral procède de la valeur des actions de Rusoro en 2008, sans qu'il soit tenu aucun compte de leur variation ultérieure (Valeur de marché maximum), et que pour 50 % de ce résultat final, les arbitres ont raisonné à partir du montant initial de l'investissement réalisé de 2006 à 2008 en postulant que son évolution ultérieure n'avait été affectée que par un seul paramètre, l'évolution du cours de l'or ('Evaluation de l'investissement ajustée').





Ce raisonnement est mené 'toutes choses égales par ailleurs' alors, précisément, qu'elles ne l'étaient pas, et que, comme le reconnaît la sentence, la valeur des filiales vénézuéliennes de Rusoro avait été sensiblement amoindrie par les altération de l'environnement réglementaire survenues en 2009. En neutralisant les effets des restrictions à l'exportation d'or décidées en avril 2009, le tribunal aboutit en réalité, comme le fait exactement observer la recourante, à intégrer dans la réparation du préjudice consécutif à l'expropriation de 2011 l'indemnisation de celui qui résulte des mesures de 2009, quoiqu'il ne soit pas compris dans son champ de compétence ratione temporis.





Il en résulte que le grief d'incompétence du tribunal arbitral est fondé. Il affecte les dispositions de la sentence qui condamnent la République du Venezuela à payer à Rusoro la somme de 966.500.000 USD à titre d'indemnisation pour l'expropriation de son investissement ainsi que les intérêts sur cette somme. La deuxième branche du premier moyen, ainsi que le moyen articulé par la recourante au titre de la violation de la mission portent exclusivement sur le même objet.





Il convient par conséquent d'annuler la sentence mais seulement en ce qu'elle condamne la République du Venezuela à payer à Rusoro la somme de 966.500.000 USD pour l'expropriation sans indemnité de son investissement, ainsi que les intérêts sur cette somme.





Sur l'article 700 du code de procédure civile :





Rusoro qui succombe ne saurait bénéficier des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et sera condamnée sur ce fondement à payer à la République du Venezuaela la somme de 100.000 euros.








PAR CES MOTIFS :





Annule la sentence mais seulement en ce qu'elle condamne la République bolivarienne du Venezuela à payer à la société Rusoro Mining Ltd la somme de 966.500.000 USD pour l'expropriation sans indemnité de son investissement, ainsi que les intérêts sur cette somme.





Confirme l'ordonnance d'exequatur rendue par le conseiller de la mise en état le 16 mars 2017 pour les parties de la sentence non atteintes par l'annulation.





Rejette toute autre demande.





Condamne la société Rusoro Mining Ltd aux dépens et au paiement à la République bolivarienne du Venezuela de la somme de 100.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.





LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE

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