12 mars 2019
Cour d'appel de Grenoble
RG n° 17/05304

Chbre des Aff. Familiales

Texte de la décision

N° RG 17/05304 - N° Portalis DBVM-V-B7B-JJIY

FB/AA

N° Minute :





























































































Copie Exécutoire délivrée

le :

à



Me Nathalie FARAH



Me Valérie PALLANCA







AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE GRENOBLE



CHAMBRE DES AFFAIRES FAMILIALES



ARRET DU MARDI 12 MARS 2019





APPEL

jugement au fond, origine tribunal de grande instance de Vienne, décision attaquée en date du 28 septembre 2017, enregistrée sous le n° 13/01107 suivant déclaration d'appel du 17 novembre 2017.





APPELANTE :

Madame [J] [K] veuve [U]

née le [Date naissance 2] 1956 à [Localité 13]

de nationalité Française

[Adresse 5]

[Localité 7]



représentée par Me Nathalie FARAH, avocat au barreau de VIENNE



(bénéficie d'une aide juridictionnelle Partielle numéro 17/11336 du 15/12/2017 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de GRENOBLE)





INTIME :

Monsieur [F] [P] [U]

né le [Date naissance 1] 1961 à [Localité 16]

de nationalité Française

[Adresse 9]

[Localité 10]



représenté par Me Valérie PALLANCA, avocat au barreau de VIENNE



(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2018/546 du 19/01/2018 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de GRENOBLE)









COMPOSITION DE LA COUR :



Lors des débats et du délibéré :



Madame Patricia Gonzalez présidente

Madame Françoise Barrier, conseiller,

Madame Agnès Denjoy, conseiller.



Assistées lors des débats de Madame Abla Amari, greffier.





DEBATS :



A l'audience publique du 29 janvier 2019,

Madame Françoise Barrier a été entendue en son rapport.



Les avocats ont été entendus en leurs conclusions, puis l'affaire a été mise en délibéré pour l'arrêt être rendu à l'audience de ce jour.




Exposé du litige :



[T] [U], né le [Date naissance 11] 1931 à [Localité 15], s'est marié en premières noces avec Mme [O] [H], dont il a eu un fils, M. [F] [U], né le [Date naissance 1] 1960 à [Localité 15], avant que le couple ne divorce. Il s'est remarié le [Date mariage 4] 1985 à [Localité 14] avec Mme [J] [K] (née le [Date naissance 2] 1956 à [Localité 13]), sans contrat de mariage préalable, et est décédé à [Localité 18] le [Date décès 3] 2010.



Par acte notarié dressé le 22 octobre 1988 par Maître [R], notaire à [Localité 12], [T] [U] a fait donation à sa seconde épouse Mme [K], au cas où celle-ci lui survivrait, de la pleine propriété d'un quart et, au gré de la donataire, de l'usufruit d'un ou de trois autres quarts de l'universalité de ses biens, sans exception ni réserve.



Selon le projet d'acte de notoriété rédigé en 2012, que les parties n'ont pas signé à ce jour, et un courriel du 8 août 2013 adressé par le notaire de Mme [K] au conseil de M. [F] [U], Mme [K] entend opter, au titre de la donation dont elle est bénéficiaire, pour le quart en pleine propriété et les 3/4 en usufruit (pièces 3 et 8 de M. [F] [U]).



Le couple [T] [U]/Mme [K] était domicilié dans une maison sise [Adresse 6]), cadastrée section AD n°[Cadastre 8], où réside encore à ce jour Mme [K], que M. [F] [U] évalue à

250 000 euros. Ce bien immobilier a été acheté le 26 mai 2000 par [T] [U] et Mme [K] selon acte reçu par Maître [E], notaire à [Localité 17].



La succession de [T] [U] comprend, outre cette maison et les meubles meublants, seulement des comptes bancaires relativement peu approvisionnés.



Par acte d'huissier délivré le 13 septembre 2013, M. [F] [U] a assigné Mme [K] en partage, en vue notamment de la licitation des biens dépendant de la succession de [T] [U], Mme [K] se refusant à signer l'acte de notoriété dressé en 2012 par Maître [E], notaire à [Localité 17].



Par jugement contradictoire du 28 septembre 2017, le tribunal de grande instance de Vienne a rejeté la demande de Mme [K] tendant à se voir reconnaître le droit viager au logement visé à l'article 764 du code civil en ce qui concerne l'immeuble sis [Adresse 6], déclaré recevable l'assignation en partage délivrée par M. [F] [U], ordonné l'ouverture des opérations de compte, liquidation et partage de la succession de [T] [U], désigné Maître [L] [I], notaire à Vienne, pour dresser un projet d'état liquidatif dans le délai d'un an, désigné le juge commis à cet effet par le président du tribunal de grande instance de Vienne pour surveiller les opérations de partage, rejeté les demandes formées par les parties au titre de l'article 700 du code de procédure civile et ordonné l'emploi des dépens en frais privilégiés de partage.



Mme [K] a interjeté appel de cette décision le 17 novembre 2017, son appel portant seulement sur le rejet de sa demande tendant à bénéficier du droit viager au logement des articles 763 et 764 du code civil et le rejet de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.




Par conclusions notifiées le 12 décembre 2017, Mme [K] demande, au visa des articles 763 et 764 et suivants, 815 du code civil, la réformation du jugement frappé d'appel en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de se voir reconnaître le droit de viager au logement de l'article 764 du code civil en ce qui concerne l'immeuble situé [Adresse 5],



Faire, dès lors, application des dispositions de l'article 763 et 764 du code civil et dire qu'elle bénéficie d'un droit d'usage et d'habitation sur le bien immobilier dépendant de la succession,

Ordonner l'ouverture des opérations de compte liquidation et partage de la succession de [T] [U], décédé le [Date décès 3] 2010 à [Localité 17],

Désigner à cet effet Maître [L] [I], notaire à [Localité 17],

Rappeler que le notaire commis devra dresser un projet d'état liquidatif dans le délai d'un an à compter de sa désignation,

Constater Mme [K] bénéficie d'une donation au dernier vivant,

Débouter M. [F] [U] de sa demande de licitation de l'immeuble sis à [Localité 17],

Donner acte à Mme [K] de ce qu'elle ne s'est jamais opposée à l'ouverture de la succession de son époux,

Condamner M. [F] [U] à payer à Mme [K] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de l'instance, distraits au profit de Maître Nathalie Farah.



Selon Mme [K], il n'y a en l'espèce aucune indivision, mais un démembrement usufruit/nu-propriétaire, ce dernier ne pouvant procéder à la vente du bien sans l'accord de l'usufruitier (sachant qu'elle entend bénéficier de la totalité de l'usufruit, exposant pouvoir cumuler l'effet de la donation entre époux avec sa vocation successorale en application de l'article 1094-1 du code civil). Elle ajoute que le bien immobilier, commun aux époux, est occupé effectivement par le conjoint survivant (elle-même), qui a clairement indiqué au notaire son choix de s'y maintenir, n'ayant jamais renoncé à son droit de jouissance viager au logement, qu'elle évoque notamment dans le cadre du mail du 8 août 2013, ce qui suffit à ce qu'elle puisse en bénéficier.



Par conclusions notifiées le 28 février 2018, M. [F] [U] demande, au visa des articles 757, 763 et suivants, 815 et suivants, 1094-1 du code civil, la confirmation du jugement frappé d'appel et le rejet de la demande de Mme [K] tendant à se voir reconnaître le droit viager au logement visé à l'article 764 du code civil en ce qui concerne l'immeuble sis [Adresse 5],

Déclarer recevable l'assignation en partage introduite par M. [F] [U],

Ordonner l'ouverture des opérations de compte liquidation et partage de la succession,

Désigner à cet effet Maître [L] [I], Notaire à [Localité 17],

Rappeler que le notaire commis devra dresser un projet d'état liquidatif dans le délai d'un an à compter de sa désignation,

Condamner Mme [K] à verser la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, sur le fondement de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, Condamner Mme [K] aux entiers dépens de l'instance.



Il prétend n'avoir appris le décès de son père qu'en 2012, après les recherches d'un généalogiste, alors que Mme [K] savait où le joindre. Il expose que Mme [K] a le choix, au vu de l'acte de donation, entre :

- la pleine propriété du quart des biens (vocation légale),

- la pleine propriété du quart des biens et l'usufruit d'un quart de l'universalité des biens,

- la pleine propriété du quart des biens et l'usufruit des 3/4 de l'universalité des biens, cette dernière proposition correspondant au choix opéré par Mme [K], ce qui fait qu'il y a à la fois indivision et démembrement de propriété et qu'il est bien fondé à demander le partage. Il relève, s'agissant du droit viager au logement, que Mme [K] n'a pas demandé à en bénéficier dans le délai d'un an à compter du décès, malgré le paragraphe évoquant ce point dans l'acte de notoriété qu'elle a refusé de signer en 2012, et que son maintien dans les lieux n'est pas une acceptation tacite car la jouissance n'était pas paisible ni de bonne foi, puisqu'elle n'a pas avisé M. [F] [U] du décès de son père, d'autant que le fait de renoncer de mettre en vente la maison n'équivaut pas à réclamer l'application des dispositions de l'article 764 du code civil (Mme [K] n'ayant formé cette demande pour la première fois que dans ses conclusions récapitulatives n°2 en première instance).



Pour plus ample exposé des moyens des parties, il est expressément renvoyé, par application de l'article 455 du code de procédure civile, aux conclusions susvisées ainsi qu'aux développements infra.





Sur ce :



Sur le bénéfice pour le conjoint survivant du droit viager au logement :



Vu les articles 764 et 765-1 du code civil ;



Selon le premier juge, Mme [K], qui n'a pas manifesté son désir de bénéficier du droit viager au logement dans le délai d'un an à compter du décès (pourtant mentionné dans l'acte de notoriété qu'elle a refusé de signer en 2012), ne peut plus y prétendre, même si elle fait savoir dans un courriel en date du 8 août 2013 qu'elle refusait de vendre la maison.



Il est constant en l'espèce que Mme [K] a refusé de signer l'acte de notoriété établi en 2012, qui reprenait les dispositions des articles 763, 764 et 765-1 du code civil, mais mentionnait aussi que le conjoint survivant n'entend se prévaloir que de ses droits contractuels, à l'exclusion de ses droits légaux. Il est constant aussi que Mme [K], domiciliée avec son époux dans l'immeuble commun sis [Adresse 6]), jusqu'au décès de celui-ci, y réside encore à ce jour, n'ayant jamais quitté les lieux, ce dont elle justifie en versant aux débats diverses factures, et qu'elle a clairement fait connaître à M. [F] [U] et au notaire chargé de la succession de ce qu'elle n'entendait pas vendre la maison, souhaitant au contraire s'y maintenir (pièces 3 et 8 de M. [F] [U], 4 à 28 de Mme [K]).



Il résulte des articles 764 et 971 du code civil que le conjoint survivant ne peut être privé du droit d'habitation du logement servant d'habitation principale et d'usage du mobilier le garnissant que par la volonté du défunt exprimée dans un testament authentique reçu par deux notaires ou un notaire assisté de deux témoins, et qu'à défaut de respect de ce formalisme très strict, il ne peut être privé du droit viager au logement. Par ailleurs, l'article 765-1 du code civil, qui dispose que le conjoint dispose d'un an à partir du décès pour manifester sa volonté, n'impose aucune formalité particulière pour cette demande. Dès lors, sauf cas de renonciation expresse, le fait de se maintenir dans les lieux un an après le décès suffit à permettre au conjoint survivant de bénéficier des dispositions de l'article 764 du code civil, s'agissant alors d'une demande tacite de bénéfice du droit viager au logement.



En l'espèce, M. [F] [U] soutient que la jouissance n'était ni paisible ni de bonne foi, puisqu'il reproche à Mme [K] de ne pas l'avoir avisé du décès de son père, alors qu'elle connaissait selon lui son adresse, inchangée depuis 1998, lui-même n'ayant appris le décès qu'en mars 2012 (pièces 4, 9 et 11 de M. [F] [U]).



Or, les pièces qu'il produit font état de l'intervention d'un généalogiste, mandaté dès 2010 par le notaire chargé de la succession, ce généalogiste signalant le 27 juillet 2010 avoir trouvé l'adresse postale de M. [F] [U] (dans le cadre d'une association de réinsertion à Paris 13ème arr), sans domicile fixe et bénéficiaire du RSA, l'intéressé étant recherché par la police, sachant que le logement dont se prévaut M. [F] [U] est une chambre de 10 m2 au 8ème étage du [Adresse 9]),



où il ne peut résider en même temps que sa mère, propriétaire des lieux, même s'il justifie y recevoir les courriers de la CAF correspondant au versement de l'AAH et des factures d'électricité, dont il ne justifie pas du règlement par ses soins (pièces 5, 9 à 15 de M. [F] [U]).



Dès lors, il ne démontre pas la mauvaise foi de Mme [K], qui jouit paisiblement du logement familial de façon interrompue depuis le décès de [T] [U] et encore à ce jour, son maintien dans les lieux devant être analysé comme une demande tacite de bénéfice du droit viager au logement, quand bien même elle n'a formulé de façon expresse cette demande qu'au cours de la procédure de première instance, par conclusions notifiées le 30 août 2016 (cf le dossier du premier juge).



Le jugement frappé d'appel sera donc infirmé en ce qu'il a rejeté la demande de Mme [K] tendant à se voir reconnaître le droit viager au logement visé à l'article 764 du code civil en ce qui concerne l'immeuble sis [Adresse 6], qui lui sera au contraire octroyé, puisqu'elle dispose d'un droit d'usage et d'habitation sur le bien immobilier dépendant de la succession en application des dispositions de l'article 764 du code civil, après avoir formé tacitement sa demande en ce sens.



Sur les autres demandes des parties :



Mme [K] ayant limité son appel à la question du droit viager au logement, le surplus du dispositif du jugement n'est pas critiqué et il n'y a pas lieu de statuer sur les autres demandes des parties.



Sur les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile ou de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 :



Il n'est pas opportun de faire droit aux demandes des parties à ce titre.



Sur les dépens de l'instance :



M. [F] [U], qui succombe, supportera la totalité des dépens de l'appel, qui seront recouvrés conformément à la loi sur l'aide juridictionnelle.





PAR CES MOTIFS :



La cour, statuant publiquement, contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi,



Infirme le jugement du tribunal de grande instance de Vienne en date du 28 septembre 2017 en ce qu'il a rejeté la demande de Mme [K] tendant à se voir reconnaître un droit viager au logement en ce qui concerne l'immeuble sis [Adresse 6],



Statuant à nouveau,



Dit que Mme [K], en restant dans les lieux, a formé une demande tacite de bénéficier du droit au logement résultant des dispositions de l'article 764 du code civil,



Dit qu'elle dispose, en ce qui concerne l'immeuble commun sis [Adresse 6], d'un droit d'usage et d'habitation sur la partie du bien immobilier dépendant de la succession,



Y ajoutant,



Déboute les parties du surplus de leurs demandes,



Condamne M. [F] [U] à supporter la totalité des dépens d'appel, qui seront recouvrés conformément à la loi sur l'aide juridictionnelle.



PRONONCE par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile .



SIGNE par Madame Patricia Gonzalez, président et par Madame A. Amari, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.



Le greffier Le président

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