7 décembre 2010
Cour de cassation
Pourvoi n° 09-70.996

Chambre commerciale financière et économique - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2010:CO01265

Titres et sommaires

IMPOTS ET TAXES - Redressement et vérifications (règles communes) - Visites domiciliaires (article L. 16 B du livre des procédures fiscales) - Article 164 de la loi du 4 août 2008 - Appel et recours - Personne pouvant les former - Définition

Il résulte de l'article 164 IV 1 d de la loi du 4 août 2008 qu'un appel de l'ordonnance et un recours contre les opérations de saisie peuvent être formés lorsque, à partir d'éléments obtenus par l'administration dans le cadre d'une procédure de visite et de saisie, des impositions ont été établies ou des rectifications effectuées, et qu'elles font ou sont encore susceptibles de faire l'objet, à la date de l'entrée en vigueur de la loi, d'une réclamation ou d'un recours contentieux devant le juge. Prive dès lors sa décision de base légale le premier président qui déclare irrecevables l'appel et le recours formés par une société, au motif qu'elle n'est pas visée par l'ordonnance ou par les opérations de visite et de saisie, sans rechercher si elle se trouvait dans une des situations prévues par ce texte

Texte de la décision

COMM.

CB

COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 7 décembre 2010


Cassation


Mme FAVRE, président


Arrêt n° 1265 FS-P+B

Pourvoi n° F 09-70.996





R E P U B L I Q U E F R A N C A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
_________________________


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par la société Bell Microproducts Europe Export limited, dont le siège est Cox Lane, Chessington Surrey kt9 1sj (Royaume-Uni),

contre l'ordonnance rendue le 27 octobre 2009 par le premier président de la cour d'appel de Colmar, dans le litige l'opposant au directeur général des finances publiques, représenté par le chef des services fiscaux chargé de la Direction nationale des enquêtes publiques, domicilié 6 bis rue Courtois, 93695 Pantin cedex,

défendeur à la cassation ;

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;

Vu la communication faite au procureur général ;

LA COUR, composée conformément à l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 9 novembre 2010, où étaient présents : Mme Favre, président, Mme Farthouat-Danon, conseiller référendaire rapporteur, Mme Tric, conseiller doyen, MM. Petit, Jenny, Mmes Pezard, Laporte, Bregeon, M. Le Dauphin, Mmes Mandel, Jacques, M. Grass, conseillers, Mme Michel-Amsellem, MM. Pietton, Delbano, Mmes Maitrepierre, Tréard, Schmidt, conseillers référendaires, Mme Bonhomme, avocat général, Mme Molle-de Hédouville, greffier de chambre ;

Sur le rapport de Mme Farthouat-Danon, conseiller référendaire, les observations de la SCP Hémery et Thomas-Raquin, avocat de la société Bell Microproducts Europe Export limited, de Me Foussard, avocat du directeur général des finances publiques, l'avis de Mme Bonhomme, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Attendu, selon l'ordonnance attaquée, rendue par le premier président d'une cour d'appel, que par ordonnance du 28 février 2006, le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Strasbourg a autorisé des agents de l'administration des impôts, sur le fondement de l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales, à procéder à des visites et saisies de documents, dans des locaux situés à Strasbourg, et susceptibles d'être occupés par la société Bell Microproducts SARL ou la SA ou la SAS Regus Paris, en vue de rechercher la preuve de la fraude fiscale de la société Bell Microproducts SARL, et celle de la société Freitas Lenne création ; que les opérations se sont déroulées le 2 mars 2006 ; que la société Bell Microproducts Europe Export limited a interjeté appel de l'ordonnance et formé un recours contre le déroulement des opérations ;

Sur le premier moyen :

Attendu que la société Bell Microproducts Europe Export limited fait grief à l'ordonnance d'avoir déclaré son appel et son recours irrecevables, alors, selon le moyen, que l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction antérieure à la loi LME n° 2008-776 du 4 août 2008, applicable en la cause, est contraire au principe constitutionnel de garantie des droits de la défense, de la liberté individuelle et du droit à l'inviolabilité du domicile en ce qu'il ne garantit pas aux personnes concernées par les visites et saisies ordonnées, le droit, au cours de ces opérations, d'être assistées d'un avocat ; qu'il y a lieu, dès lors, de transmettre une question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel ; qu'à la suite de la déclaration d'inconstitutionnalité qui interviendra, tant l'ordonnance attaquée que les opérations de visites et de saisies qui se sont déroulées sur son fondement se trouveront privées de base légale au regard de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et la Cour de cassation ne pourra qu'annuler les opérations litigieuses qui ont eu lieu sur le fondement d'un texte inconstitutionnel ;

Mais attendu que par arrêt du 15 juin 2010, la Cour de cassation a dit n'y avoir lieu à renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité ; que le moyen n'est pas fondé ;

Mais sur le second moyen :

Vu les articles L. 16 B du livre des procédures fiscales et 164 IV de la loi du 4 août 2008 ;

Attendu que pour déclarer irrecevables l'appel et le recours formés par la société Bell Microproducts Europe Export limited, l'arrêt retient qu'il ressort de l'article 164 IV 3 de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 que l'appel contre l'ordonnance autorisant les visites et saisies et le recours contre les opérations de visite et de saisie ne sont ouverts qu'aux personnes visées par cette ordonnance ou par les opérations de visite et de saisie, et que les personnes ainsi "visées" sont, selon les termes de l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales, d'une part, les contribuables à l'encontre desquels existent des présomptions d'agissements définis au paragraphe I de cet article, d'autre part, les occupants des lieux visités ; qu'il relève que la société de droit anglais, Bell Microproducts Europe Export limited est une personne morale distincte des deux sociétés désignées par l'ordonnance attaquée comme contribuables auteurs présumés des agissements frauduleux, et n'est pas occupante des lieux visités, et en déduit qu'elle n'a pas qualité pour interjeter appel et former le recours offert par les dispositions de l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales, peu important que des pièces saisies à l'occasion de la visite réalisée le 2 mars 2006 aient pu être utilisées par l'administration à son encontre ;

Attendu qu'en se déterminant ainsi, alors qu'un appel de l'ordonnance et un recours contre les opérations de saisie peuvent, en application de l'article 164 IV1 d de la loi du 4 août 2008, être formés lorsqu'à partir d'éléments obtenus par l'administration dans le cadre d'une procédure de visite et de saisie, des impositions ont été établies ou des rectifications effectuées, et qu'elles font ou sont encore susceptibles de faire l'objet, à la date de l'entrée en vigueur de la loi, d'une réclamation ou d'un recours contentieux devant le juge, le premier président, qui n'a pas recherché si la société Bell Microproduct Europe Export limited se trouvait dans une des situations prévues par ce texte, a privé sa décision de base légale ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'ordonnance rendue le 27 octobre 2009, entre les parties, par le premier président de la cour d'appel de Colmar ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ladite ordonnance et, pour être fait droit, les renvoie devant le premier président de la cour d'appel de Versailles ;

Condamne le directeur général des finances publiques aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande et le condamne à payer à la société Bell Microproducts Europe Export limited la somme de 2 500 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'ordonnance cassée ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du sept décembre deux mille dix.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Hémery et Thomas-Raquin, avocat aux Conseils pour la société Bell Microproducts Europe Export limited

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l'ordonnance attaquée d'avoir déclaré irrecevables l'appel et le recours formé par la société BELL MICROPRODUCTS EUROPE EXPORT LIMITED contre l'ordonnance rendue le 28 février 2006 par le Juge des Libertés et de la détention du tribunal de grande instance de STRASBOURG ayant autorisé certains fonctionnaires de l'Administration fiscale à procéder aux visites et saisies nécessités par la recherche de la preuve des agissements présumés de fraude fiscale dans les locaux de la société BELL MICROPRODUCTS ;

AUX MOTIFS QUE « l'administration conclut à l'irrecevabilité de l'appel et du recours de la société BELL MICROPRODUCTS EUROPE EXPORT, société de droit anglais, sis Cox Lane, Chessington Surrey KT9 1SJ (ANGLETERRE) pour défaut de qualité à agir ; qu'il ressort en effet de l'article 164 IV 3 de la loi n°2008-776 du 4 aoû t 2008 de modernisation de l'économie que l'appel contre l'ordonnance autorisant les visites et saisies et le recours contre les opérations de visite et de saisie, n'est ouvert qu'aux personnes visées par cette ordonnance ou par les opérations de visite et de saisie ; que les personnes ainsi « visées » sont, selon les termes de l'article L 16 B du LPF, d'une part les contribuables à l'encontre desquels existent des présomptions d'agissements définis au paragraphe I de cet article, d'autre part, les occupants des lieux visités ; qu'en l'espèce, les auteurs présumés des agissements dont la preuve était recherchée par la mise en oeuvre de la procédure de l'article L 16 B du LPF étaient désignés comme étant la SARL FREITAS LENNE CREATION sise à Croissy-beaubourg en France et la SARL BELL MICROPROCUTS sis à BOURG LA REINE en France, les lieux visités étant situés à STRASBOURG comme susceptibles d'être occupés par la société BELL MICROPRODUCTS et/ou la SAS REGUS PARIS ; qu'en l'espèce, ces lieux situés 3 Quai Kléber Tour Sébastopol et loués par la SA REGUS étaient occupés par la SARL BELL MICROPRODUCTS, ainsi qu'il ressort du procès-verbal de visite et de saisie dressé le 2 mars 2006, dont une copie a été remise au représentant de l'occupant des lieux ; que la société de droit anglais, BELL MICROPRODUCTS EUROPE EXPORT Ltd est une personne morale distincte des deux sociétés désignées par l'ordonnance attaquée comme contribuables auteurs présumés des agissements frauduleux, et elle est non occupante des lieux visités ; que dès lors, l'appelante n'a pas qualité pour interjeter appel et former le recours offert par les dispositions de l'article L 16 B du LPF, peu important que des pièces saisies à l'occasion de la visite réalisée le 2 mars 2006 aient pu être utilisées par l'administration à l'encontre de l'appelante ; que par suite, son appel sera déclaré irrecevable » ;

ALORS QUE l'article L 16 B du Livre des Procédures Fiscales, dans sa rédaction antérieure à la loi LME n°2008-77 6 du 4 août 2008, applicable en la cause, est contraire au principe constitutionnel de garantie des droits de la défense, de la liberté individuelle et du droit à l'inviolabilité du domicile en ce qu'il ne garantit pas aux personnes concernées par les visites et saisies ordonnées, le droit, au cours de ces opérations, d'être assistées d'un avocat ; qu'il y a lieu, dès lors, de transmettre une question prioritaire de constitutionnalité au Conseil Constitutionnel ; qu'à la suite de la déclaration d'inconstitutionnalité qui interviendra, tant l'ordonnance attaquée que les opérations de visites et de saisies qui se sont déroulées sur son fondement se trouveront privées de base légale au regard de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du Citoyen et la Cour de cassation ne pourra qu'annuler les opérations litigieuses qui ont eu lieu sur le fondement d'un texte inconstitutionnel.

SECOND MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l'ordonnance attaquée d'avoir déclaré irrecevables l'appel et le recours formé par la société BELL MICROPRODUCTS EUROPE EXPORT LIMITED contre l'ordonnance rendue le 28 février 2006 par le Juge des Libertés et de la détention du tribunal de grande instance de STRASBOURG ayant autorisé certains fonctionnaires de l'Administration fiscale à procéder aux visites et saisies nécessités par la recherche de la preuve des agissements présumés de fraude fiscale dans les locaux de la société BELL MICROPRODUCTS ;

AUX MOTIFS QUE « l'administration conclut à l'irrecevabilité de l'appel et du recours de la société BELL MICROPRODUCTS EUROPE EXPORT, société de droit anglais, sis Cox Lane, Chessington Surrey KT9 1SJ (ANGLETERRE) pour défaut de qualité à agir ; qu'il ressort en effet de l'article 164 IV 3 de la loi n°2008-776 du 4 aoû t 2008 de modernisation de l'économie que l'appel contre l'ordonnance autorisant les visites et saisies et le recours contre les opérations de visite et de saisie, n'est ouvert qu'aux personnes visées par cette ordonnance ou par les opérations de visite et de saisie ; que les personnes ainsi « visées » sont, selon les termes de l'article L 16 B du LPF, d'une part les contribuables à l'encontre desquels existent des présomptions d'agissements définis au paragraphe I de cet article, d'autre part, les occupants des lieux visités ; qu'en l'espèce, les auteurs présumés des agissements dont la preuve était recherchée par la mise en oeuvre de la procédure de l'article L 16 B du LPF étaient désignés comme étant la SARL FREITAS LENNE CREATION sise à Croissy-beaubourg en France et la SARL BELL MICROPROCUTS sis à BOURG LA REINE en France, les lieux visités étant situés à STRASBOURG comme susceptibles d'être occupés par la société BELL MICROPRODUCTS et/ou la SAS REGUS PARIS ; qu'en l'espèce, ces lieux situés 3 Quai Kléber Tour Sébastopol et loués par la SA REGUS étaient occupés par la SARL BELL MICROPRODUCTS, ainsi qu'il ressort du procès-verbal de visite et de saisie dressé le 2 mars 2006, dont une copie a été remise au représentant de l'occupant des lieux ; que la société de droit anglais, BELL MICROPRODUCTS EUROPE EXPORT Ltd est une personne morale distincte des deux sociétés désignées par l'ordonnance attaquée comme contribuables auteurs présumés des agissements frauduleux, et elle est non occupante des lieux visités ; que dès lors, l'appelante n'a pas qualité pour interjeter appel et former le recours offert par les dispositions de l'article L 16 B du LPF, peu important que des pièces saisies à l'occasion de la visite réalisée le 2 mars 2006 aient pu être utilisées par l'administration à l'encontre de l'appelante ; que par suite, son appel sera déclaré irrecevable » ;

ALORS QUE doit être considérée comme visée par l'ordonnance autorisant des mesures de visite et de saisie sur le fondement de l'article L 16 B du Livre des Procédures Fiscales – et partant recevable à en interjeter appel – toute personne nommément désignée par cette ordonnance, présentée comme ayant participé aux agissements de l'auteur présumé de la fraude, et ayant elle-même fait l'objet, sur la base des pièces saisies lors du déroulement des opérations de visite domiciliaire litigieuses, d'une mesure de redressement fiscal ; qu'en décidant en l'espèce que la société BELL MICROPRODUCTS EUROPE EXPORT Ltd, nommément désignée par l'ordonnance du juge des libertés et de la détention du 28 février 2006 et ayant fait l'objet d'un redressement fiscal sur la base des pièces saisies lors du déroulement des opérations autorisées par cette décision - n'aurait pas qualité pour en interjeter appel ni former un recours, la Cour d'appel a violé l'article 31 du Code de procédure civile, ensemble les articles L 16 B du Livre des procédures fiscales et 6 § 1 de la Convention européenne de Sauvegarde des droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ;

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