11 juin 2019
Cour d'appel de Paris
RG n° 17/20045

Pôle 2 - Chambre 5

Texte de la décision

Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 2 - Chambre 5



ARRET DU 11 JUIN 2019



(n° 2019/ 168 , 6 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 17/20045 - N° Portalis 35L7-V-B7B-B4LVT



Décision déférée à la Cour : Jugement du 25 Septembre 2017 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 16/03660



APPELANT



L'OFFICE NATIONAL D'INDEMNISATION DES ACCIDENTS MEDICAUX, DES AFFECTIONS IATROGENES ET DES INFECTIONS NOSOCOMIALES (ONIAM), agissant en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège

[Adresse 1]

[Adresse 1]

N° SIRET : 180 092 330 00026



Représenté par Me Nathalie LESENECHAL, avocat au barreau de PARIS, toque : D2090

Assisté de Me Olivier SAUMON de l'AARPI VATIER & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0082, substitué par Me Aurélie COMBE LABOISSIERE de l'AARPI VATIER & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0082





INTIMÉE



SA ALLIANZ IARD prise en la personne de son représentant légal domicilié au siège

[Adresse 2]

[Adresse 2]

N° SIRET : 542 11 0 291 04757



Représentée par Me François HASCOET de l'ASSOCIATION HASCOET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P577

Assistée de Me Julie VERDON de l'ASSOCIATION HASCOET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P577







COMPOSITION DE LA COUR :



En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 27 Mars 2019, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposé, devant Monsieur Christian BYK, Conseiller, entendu en son rapport.



Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur Gilles GUIGUESSON, Président

Monsieur Christian BYK, Conseiller

Monsieur Julien SENEL, Conseiller





Greffier, lors des débats : Madame Catherine BAJAZET







ARRÊT :



- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile

- signé par Monsieur Gilles GUIGUESSON, Président de chambre et par Madame Catherine BAJAZET, Greffière, présente lors de la mise à disposition.





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Madame [T] a été opérée d'une cholécystectomie et a été transfusée les 12 et 13 octobre 1978 de cinq culots sanguins. Le 27 juin 1981, elle a reçu deux culots sanguins à la suite d'une césarienne et trois nouveaux culots le 25 mars 1985 à la suite d'une seconde césarienne.

Dans le cadre d'un bilan de médecin préventif, sa contamination par le virus de l'hépatite C a été mise en évidence le 9 novembre 2000.



Par acte du 28 août 2009, elle a assigné notamment devant le juge des référés de BRIEY l'Etablissement Français du Sang et par ordonnance du 9 novembre 2009, le juge des référés a ordonné une expertise médicale confiée au docteur [H] [X], qui a déposé son rapport le 24 décembre 2010.



Par décision du 26 septembre 2012, l'Office National d'Indemnisation des Accidents Médicaux, des Affections Iatrogènes et des Infections Nosocomiales (ONIAM) a reconnu l'origine transfusionnelle de la contamination VHC et a procédé à une indemnisation par le versement d'une somme totale de 60.642 euros décomposée comme suit :

-50.000 euros pour les troubles dans les conditions d'existence et, aux termes d'un protocole du 22 octobre 2013, la somme de 10.642 euros au titre d'une incapacité permanente partielle. Les 19 juin et 19 septembre 2014, l'ONIAM a sollicité en vain de façon amiable auprès de la société ALLIANZ le remboursement de cette somme.



C'est dans ces conditions que, par acte du 25 février 2016, l'ONIAM a assigné la SA ALLIANZ devant le Tribunal de grande instance de PARIS qui, par jugement du 25 septembre 2017, l'a débouté de ses demandes.



Par déclaration du 31 octobre 2017, enregistrée au greffe le 6 novembre 2017, l'OFFICE NATIONAL D'INDEMNISATION DES ACCIDENTS MÉDICAUX, DES AFFECTIONS IATROGÈNES ET DES INFECTIONS NOSOCOMIALES ' ONIAM ' a interjeté appel et, aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 1er mars 2019, il sollicite l'infirmation du jugement et, statuant à nouveau, il lui demande à titre principal de condamner la société ALLIANZ à lui rembourser la somme de 60.642 euros versée à madame [T], outre intérêts au taux légal et à titre subsidiaire de la condamner à lui rembourser la somme de 30.321 euros, avec intérêts au taux légal et, en toute hypothèse, de débouter la société ALLIANZ de ses demandes et de la condamner à lui verser la somme de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles.



Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 8 novembre 2018, la société ALLIANZ IARD demande à la cour, à titre liminaire, de juger que l'action de l'ONIAM à son encontre est irrecevable car prescrite, qu'il a la qualité d'assuré substitué et qu'il ne peut à ce titre bénéficier des délais de prescription des articles L1142-28 du code de la santé publique et 2226 du code civil, seuls applicables à la victime et, par conséquent, de confirmer le jugement en ce qu'il a débouté l'ONIAM de ses demandes.

Au fond, elle lui demande de juger que l'ONIAM a la qualité d'assuré substitué et qu'il ne peut à ce titre bénéficier de la présomption d'imputabilité de l'article 102 de la loi du 4 mars 2002, qu'il ne démontre ni la réalité des transfusions intervenues les 12 et 13 octobre 1978, 27 juin 1981 et 25 mars 1985, ni l'origine transfusionnelle de la contamination de madame [T], ni que les ex-CTS de [Localité 1] et de [Localité 2] auraient fourni des produits sanguins contaminés à la victime ni que la contamination de la victime aurait eu lieu au temps des contrats d'assurance souscrits auprès d'elle et, par conséquent, de confirmer le jugement.

A titre subsidiaire, si par extraordinaire la cour devait considérer que la responsabilité des ex-CTS de [Localité 1] et de [Localité 2] est engagée et que sa garantie est due, elle demande à la cour de juger que sa condamnation ne saurait excéder la somme de 30.321 euros, correspondant à la moitié des sommes versées par l'ONIAM à madame [T], au titre de sa contamination par le virus de l'hépatite C, outre intérêts au taux légal.



Enfin et en tout état de cause, elle lui demande de condamner l'ONIAM à lui verser la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.



La clôture a été ordonnée le 4 mars 2019.



CE SUR QUOI, LA COUR



- Sur la prescription :



- Sur la prescription applicable à l'action de l'ONIAM :



Considérant que l'assureur estime l'action prescrite, à titre principal sur le fondement de la prescription biennale et, à titre subsidiaire, sur celui de la prescription quinquennale;



Considérant que l'ONIAM fait valoir qu'en l'espèce, il n'est pas subrogé dans les droits de l'EFS mais qu'il agit en vertu de l'action directe en garantie de l'article L.1221-14 du code de la santé publique, qui est une action légale sui generis en dehors de toute relation contractuelle, de sorte que la prescription biennale n'est pas applicable;



Considérant, d'une part, selon l'article 67, IV, de la loi n° 2008-1330 du 17 décembre 2008, complété par l'article 72, II, de la loi n° 2012-1404 du 17 décembre 2012, applicable aux actions juridictionnelles en cours à la date du 1er juin 2010, sous réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée, que l'ONIAM est substitué à l'EFS dans les contentieux en cours au titre des préjudices mentionnés à l'article L. 1221-14 du code de la santé publique, n'ayant pas donné lieu à une décision irrévocable et qu'il peut, lorsqu'il a indemnisé une victime et, le cas échéant, remboursé des tiers payeurs, directement demander à être garanti des sommes qu'il a versées par les assureurs des structures reprises par l'EFS ;



Considérant, d'autre part, selon l'article L. 114-1 du code des assurances, que toutes actions dérivant d'un contrat d'assurance sont prescrites par deux ans à compter de l'événement qui y donne naissance et que, lorsque l'action de l'assuré contre l'assureur a pour cause le recours d'un tiers, le délai de prescription ne court que du jour où ce tiers a exercé une action en justice contre l'assuré ou a été indemnisé par ce dernier ;



Considérant qu'il résulte de ces dispositions que, si l'ONIAM bénéficie ainsi d'une action directe contre les assureurs, celle-ci s'exerce en lieu et place de l'EFS, venant lui-même aux droits et obligations des assurés, qu'il substitue dans les procédures en cours ; que, dès lors, l'ONIAM dispose des mêmes droits que les assurés et son action se trouve soumise à la prescription biennale prévue par l'article L. 114-1 du code des assurances ;



- Sur l'opposabilité de la prescription :



Considérant que l'appelant soutient que le délai de prescription biennal lui est inopposable lorsque, comme en l'espèce, l'assureur de l'EFS ne mentionne pas dans la police d'assurance les causes interruptives de prescription;



Que pas plus, la prescription quinquennale de droit commun n'a vocation à s'appliquer à son encontre, car il est soumis à la prescription décennale.



Considérant qu'aux termes de l'article R. 112-1 du code des assurances, les polices d'assurance relevant des branches 1 à 17 de l'article R. 321-1 doivent rappeler les dispositions des titres I et II du livre Ier de la partie législative du code des assurances concernant la prescription des actions dérivant du contrat d'assurance, qu'il en résulte que l'assureur est tenu de rappeler dans le contrat d'assurance, sous peine d'inopposabilité à l'assuré, le délai de prescription édicté par l'article L. 114-1 du code des assurances, et les causes d'interruption de la prescription biennale prévues à l'article L. 114-2 du même code;



Considérant qu'en l'espèce, l'article 19 de de la police d'assurance du contrat liant l'EFS, venant aux droits et obligations du CTS de [Localité 2] et Allianz, est ainsi rédigé :

« Article 19 ' Prescription :

Toute action dérivant du présent contrat est prescrite par deux ans, à compter de l'évènement qui lui donne naissance dans les conditions déterminées par les articles L.114-1 et L.114-2 du code des assurances » ;



Qu'il résulte ainsi de la lecture de ce texte que ni les causes d'interruption de la prescription dudit contrat ni les causes d'interruption de prescription ordinaire ne sont mentionnées, de sorte que tant la prescription biennale que la prescription de droit commun sont inopposables à l'ONIAM;



Que le même constat peut être fait concernant le contrat liant l'EFS venant aux droits et obligations du CTS de [Localité 1], dont l'article 12 des conditions générales est rédigé dans les mêmes termes;



Qu'en outre et si besoin, s'agissant de la prescription quinquennale, ce délai de prescription ne saurait commencer à courir avant que ne soient entrées en vigueur les dispositions de la loi du 17 décembre 2012, prévoyant l'action de l'ONIAM contre l'assureur de l'EFS venant aux droits des CTS, de sorte que l'action introduite le 25 février 2016, soit dans un délai de 5 ans à compter du 17 décembre 2012 n'est pas prescrite;



- Sur la mise en oeuvre de l'action:



Considérant que l'ONIAM rappelle qu' il peut bénéficier de la garantie des assureurs des centres de transfusions sanguines dès lors que :

- le caractère post-transfusionnel de la contamination est admis ;

- la preuve d'une indemnisation préalable de la victime par l'ONIAM est rapportée ;

- la preuve que le centre de transfusion sanguine est fournisseur d'au moins un produit

administré identifié est fournie;



Qu'il ajoute qu'il intervient au titre de la solidarité nationale et non en qualité d'auteur responsable du dommage et qu'il serait donc tout à fait inéquitable de ne pas lui appliquer la présomption d'imputabilité prévue par le droit commun au profit des victimes de transfusions sanguines;



Qu'il appartient donc à l'assureur de prouver, s'il veut s'exonérer de la garantie due à l'ONIAM, que tous les produits qu'il a fournis n'étaient pas contaminés;



Qu'en l'espèce, les CTS de [Localité 2] et [Localité 1] sont identifiés de manière certaine, claire et non équivoque comme fournisseurs de plusieurs des produits sanguins administrés à madame [T];



Qu'en outre, la transaction amiable conclue entre l'ONIAM et la victime est opposable à l'assureur, qui doit garantir l'office des sommes qu'il a versées;



Considérant que l'assureur répond que l'ONIAM, qui ne peut se prévaloir d'une présomption légale quant à l'identité du fournisseur, doit être déclaré mal fondé en son recours en garantie contre la société ALLIANZ en sa qualité d'assureur des ex ETS de [Localité 2] et [Localité 1];



Qu'en outre, la nature « hybride » de l'action de l'ONIAM se heurte au principe de non cumul des responsabilités délictuelle et contractuelle et que l'ONIAM, en sa qualité d'assuré substitué, ne peut bénéficier de la présomption d'imputabilité de l'article 102 de la loi du 4 mars 2002 car son action est subordonnée à la preuve de l'existence d'une dette de responsabilité;



Qu'en l'espèce, il y a défaut de preuve de l'origine transfusionnelle de la contamination et incertitude portant sur l'identité du centre fournisseur des produits sanguins contaminés ainsi que sur la date de contamination ;



Qu'en tout état de cause, il n'en demeure pas moins qu'au regard des conditions de mise en 'uvre de l'article 102, l'ONIAM échoue à démontrer que la contamination « aurait pour origine une transfusion de produit sanguin », ce qui est érigé comme un critère essentiel de la présomption d'imputabilité;



Considérant que, si le législateur a confié à l'ONIAM et non plus à l'EFS, venant aux droits et obligations des établissements de transfusion sanguine, la mission d'indemniser les victimes de contaminations transfusionnelles, il n'a pas modifié le régime de responsabilité auquel ces derniers ont été soumis et a donné à l'ONIAM la possibilité de demander à être garanti des sommes versées aux victimes de dommages par les assureurs de ces structures; qu'il s'ensuit que, hors les hypothèses dans lesquelles la couverture d'assurances est épuisée, le délai de validité de la couverture est expiré et ou les assureurs peuvent se prévaloir de la prescription, leur garantie est due à l'ONIAM lorsque l'origine transfusionnelle d'une contamination est admise, que l'établissement de transfusion sanguine qu'ils assurent a fourni au moins un produit administré à la victime et que la preuve que ce produit n'était pas contaminé n'a pu être rapportée ;



Considérant, en l'espèce, que l'origine transfusionnelle de la contamination résulte du courrier du 8 octobre 2001 par lequel le service d'hémovigilance de l'EFS écrivait que 'l'examen du dossier transfusionnel (de Mme [T]) révèle effectivement des transfusions: de 5 culots globulaires les 12 et 13 octobre 1978, de 2 culots le 27 juin 1981 et de 3 culots le 25 mars 1985';



Que, par ailleurs, il est relevé par le rapport d'expertise médicale du 24 décembre 2010, qui n'est pas contesté par ALLIANZ que les culots des transfusions de 1981 et 1985 ont été fournis par les centres de transfusion de [Localité 2] et [Localité 1] et qu'ALLIANZ ne rapporte pas la preuve que ces 5 culots n'étaient pas contaminés;



Qu'il convient également de préciser que 'l'expert n'a pas objectivé d'autre mode de contamination possible en dehors des transfusions sanguines et que Mme [T] ne présente pas d'état antérieur pouvant constituer un facteur de risque de contamination, en dehors bien entendu des transfusions sanguines';



Que l'expert souligne en conséquence ce que suit : 'il n'existe aucun élément permettant de supposer que Mme [T] était atteinte du virus de l'hépatite C avant 1978';



Considérant, enfin, que les deux établissements de transfusion concernés ont fourni au moins un produit sanguin contaminé de sorte que la garantie d'ALLIANZ est due pour la somme de 60 642 euros;



- Sur le point de départ des intérêts légaux:



Considérant que l'ONIAM demande que ceux-ci courent à compter date de la saisine amiable de l'assureur ou pour le moins à compter de l'introduction de l'instance devant le Tribunal de grande instance de Paris ;



Considérant que l'assureur répond que le point de départ des intérêts ne saurait se situer à la date de la demande amiable formulée par l'ONIAM à l'encontre de la société ALLIANZ IARD, dans la mesure où la preuve de la responsabilité des anciens centres de transfusion sanguine de [Localité 1] et [Localité 2] n'était pas rapportée et que la société ALLIANZ IARD était donc bien fondée à refuser sa garantie;



Considérant que jusqu'à la présente décision la garantie d'ALLIANZ n'étant pas judiciairement acquise, il n'y a pas lieu de faire droit à la demande comme présentée, les intérêts au taux légal devant partir de la date du présent arrêt;



- Sur les frais irrépétibles:



Considérant que l'équité commande de condamner ALLIANZ à verser la somme de 2 500 euros à l'ONIAM, qu'en revanche, il n'y a pas lieu de faire droit à la demande de l'assureur;



PAR CES MOTIFS



Statuant en dernier ressort, contradictoirement et publiquement par mise à disposition au greffe,



- Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions :



- Statuant à nouveau et, y ajoutant,



- Dit la garantie de la société ALLIANZ acquise à l'ONIAM et condamne la société ALLIANZ IARD à lui payer la somme de 60 642 euros, avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt, outre la somme de 2 500 euros au titre des frais irrépétibles, en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile;



Déboute la société ALLIANZ de toutes ses demandes et la condamne aux dépens de première instance et d'appel, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.





LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT

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