5 septembre 2019
Cour d'appel de Paris
RG n° 17/09558

Pôle 6 - Chambre 7

Texte de la décision

Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 7



ARRÊT DU 05 SEPTEMBRE 2019



(n° , pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 17/09558 - N° Portalis 35L7-V-B7B-B3YPW



Décision déférée à la Cour : Jugement du 02 Mai 2017 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° 16/08179





APPELANTE



Madame [L] [U]

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentée par Me Patrick CHADEL, avocat au barreau de PARIS, toque : P0105





INTIMÉE



SA SOCIETE EDITRICE DU MONDE

[Adresse 4]

[Localité 3]

Représentée par Me Sarah-jane MIROU, avocat au barreau de PARIS, toque : L0199





COMPOSITION DE LA COUR :



En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 14 Juin 2019, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Bérengère DOLBEAU, Conseillère, chargée du rapport.



Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :



Madame Marie-Hélène DELTORT, Présidente de chambre

Madame Bérengère DOLBEAU, Conseillère

Monsieur François MELIN, Conseiller





Greffier, lors des débats : Mme Anna TCHADJA-ADJE





ARRÊT :



- CONTRADICTOIRE

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de rocédure civile.

- signé par Marie-Hélène DELTORT, Présidente de chambre et par Anna TCHADJA-ADJE, Greffier présent lors de la mise à disposition.












EXPOSE DU LITIGE



Mme [L] [U] a été engagée par la société Editrice du Monde (SEM) en qualité d'éditrice par contrat de travail à durée déterminée, du 12 septembre 2011 au 12 décembre 2011, renouvelé du 13 au 15 décembre inclus, au motif d'un surcroît de travail lié au lancement des cahiers de fin de semaine. Mme [L] [U] a ensuite collaboré avec la SEM, en qualité d'éditrice ou de réalisatrice, dans le cadre de 37 contrats de travail à durée déterminée conclus entre septembre 2011 et mai 2016, soit en raison d'un surcroit temporaire d'activité, soit dans le cadre de remplacements partiels de salariés absents. La dernière mission de Mme [U] s'est achevée le 2 mai 2016.



Mme [U] a saisi le Conseil de prud'hommes de Paris le 15 juillet 2016 à l'effet de voir requalifier la succession de ses contrats à durée déterminée en contrat à durée indéterminée, la rupture de sa collaboration en un licenciement, et de voir condamner la société Editrice du Monde à lui payer diverses indemnités.



Le Conseil de prud'hommes de Paris a débouté Mme [U] de l'ensemble de ses demandes par jugement du 2 mai 2017, notifié le 14 juin 2017.



Mme [U] a interjeté appel de cette décision le 7 juillet 2017.




PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES



Dans ses dernières conclusions transmises par la voie du RPVA le 6 octobre 2017, Mme [U] sollicite l'infirmation du jugement, la requalification de la succession de contrats à durée déterminée en contrat à durée indéterminée, et la condamnation de la société Editrice du Monde à lui verser les sommes suivantes :

- 3.142,80 € à titre d'indemnité de requalification :

- 47.142 € à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse :

- 6.285 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis en brut, outre 628,56 € au titre des conges payés afférents

- 16 670,75 € à titre d'indemnité légale de licenciement :

- 57.707,40 € à titre de rappel de salaire à temps plein en brut, outre la somme de 5.770,74 € au titre des conges payés afférents

- 3.000 € au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.



Elle indique que la requalification est encourue, ainsi qu'il résulte du courrier de l'inspection du travail du 27 juin 2017 ; que les contrats à durée déterminée ont eu pour objet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise ; que le 'Pôle Suppléments' n'est pas rythmé par une activité irrégulière et imprévisible, puisque ces suppléments ont une parution hebdomadaire ou mensuelle ; que la possibilité de succession de contrats à durée déterminée ne peut avoir pour effet de faire occuper par l'intéressé un poste permanent de l'entreprise, alors qu'elle a remplacé durant plusieurs mois des salariés partis en congés payés ; qu'elle justifie qu'elle occupait toujours le même poste, celui d'éditrice ou d'éditrice multimédia, effectuait les mêmes tâches et ce dans le même Pôle Suppléments manifestement en sous effectif, et ce de manière consécutive pendant 10 mois. Elle précise que le contrat à durée déterminée du 17 décembre 2012 au 30 mars 2013 ne prévoyait pas de clause de renouvellement, en violation de l'article L1242-12-2° du Code du travail.



Elle sollicite les indemnités de rupture en raison de cette requalification du contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée.



Elle sollicite un rappel de salaires au titre des périodes non travaillées entre chaque contrat, puisqu'elle s'est tenue à la disposition de son employeur durant ces périodes, et fixe la somme demandée aux salaires qu'elle aurait du percevoir déduction faite des salaires réellement perçus.







Dans ses dernières conclusions transmises par la voie du RPVA le 6 décembre 2017, la Société Editrice du Monde sollicite la confirmation du jugement, et à titre subsidiaire la limitation du montant des indemnités réclamées, outre la somme de 3 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.



Elle indique que la parution de certains suppléments dépend de l'actualité et d'événements particuliers, également traités dans le cadre du quotidien (tel que les Journées de l'Eco « Jéco» ou le Festival de [Localité 5]), ou d'une commande exceptionnelle des services Hors Média ou Culture en fonction des partenariats définis avec le service publicité ; que Mme [U] ayant conclu une succession de contrats à durée déterminée distincts et autonomes les uns par rapport aux autres, elle n'a, de fait, pas bénéficié de renouvellement systématique de contrats à durée déterminée ; que les contrats à durée déterminée sont manifestement distincts et autonomes les uns par rapport aux autres, leur succession ne peut donc pas être à elle seule de nature à emporter une requalification en contrat à durée indéterminée ; que la SEM justifie systématiquement d'un surcroît d'activité à l'appui des 14 contrats à durée déterminée conclus sur ce fondement avec Mme [U] ; que le recours aux contrats à durée déterminée conclus en remplacement de salariés absents est parfaitement fondé, le salarié remplacé étant soit en arrêt maladie, soit en congés payés ou en congé maternité ; et que le contrat à durée déterminée a été renouvelé pour la même salarié mais pour deux absences différentes (maternité et congé payé).



Elle soutient que Mme [U] n'a travaillé que 24 mois au total sur une période de 4,5 années, et ne justifie pas des préjudices invoqués ; qu'elle doit être déboutée de sa demande de rappel de salaire au titre des périodes interstitielles, les éléments communiqués n'établissant en rien qu'elle se soit tenue à la disposition de la SEM.



A titre subsidiaire, elle indique que pour les périodes interstitielles, il y a lieu de déduire l'ensemble des revenus perçus, y compris les allocations chômage.



L'ordonnance de clôture a été prononcée le 22 mai 2019.




MOTIFS



Sur la communication tardive des conclusions :



Il apparaît que des conclusions ont été transmises tardivement par la SEM le 22 mai 2019, soit le jour même de la clôture. Ces conclusions répondaient à des conclusions transmises le 21 mai 2019 par Mme [U], elle-même répondant à des conclusions transmises par la SEM le 17 mai 2019.



Or, depuis le mois de décembre 2017, aucune conclusion n'avait été échangée entre les parties, et ce n'est que quelques jours avant la clôture, voire le jour de la clôture, que les parties ont échangé ces conclusions.



Il y a donc lieu d'écarter toutes les conclusions et pièces produites tardivement, à savoir les 17, 21 et 22 mai 2019, et de ne retenir que les premières conclusions déposées au cours de l'année 2017.



Sur la demande de requalification des contrats à durée déterminée en contrat à durée indéterminée :



L'article L.1242-2 du code du travail, dans sa version applicable à l'espèce, dispose qu'un contrat de travail à durée déterminée ne peut être conclu que pour l'exécution d'une tâche précise et temporaire, et seulement dans les cas suivants :

1° Remplacement d'un salarié en cas :

a) D'absence ;

2° Accroissement temporaire de l'activité de l'entreprise ;



L'article 1242-12 du même code prévoit que le contrat de travail à durée déterminée est établi par écrit et comporte la définition précise de son motif. A défaut, il est réputé conclu pour une durée indéterminée. Il comporte notamment :

1° Le nom et la qualification professionnelle de la personne remplacée lorsqu'il est conclu au titre des 1°, 4° et 5° de l'article L1242-2

2° La date du terme et, le cas échéant, une clause de renouvellement lorsqu'il comporte un terme précis ;

3° La durée minimale pour laquelle il est conclu lorsqu'il ne comporte pas de terme précis;



Mme [U] sollicite la requalification de ses 37 contrats à durée déterminée en un contrat à durée indéterminée en application de l'article L.1242-1 du code du travail qui dispose qu'un contrat de travail à durée déterminée, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise.



Elle verse aux débats ses contrats à durée déterminée qui attestent qu'elle a toujours été embauchée au poste d'éditrice, pour un salaire de base de 2 968,20 €, soit pour des accroissements temporaires d'activité, soit pour des remplacements de salariés absents pour congés.



Au vu de la durée totale des contrats à durée déterminée de Mme [U], soit une durée de 726 jours (dont 10 mois pour le remplacement d'une même salariée en congé maternité puis en congés payés) sur une période de quatre années et demie, les contrats à durée déterminée conclus étaient distincts et autonomes, et aucun autre élément ne vient démontrer que Mme [U] occupait un emploi permanent dans l'entreprise.



Sur les 37 contrats à durée déterminée, 14 ont été conclus pour des accroissements temporaires d'activité liés à la parution de suppléments exceptionnels ou de plusieurs périodiques, notamment 'Le Monde Argent' pour le contrat du 20 février au 26 mars 2012, les suppléments Europa, biennale de [Localité 7] et Musica pour le contrat du 2 septembre au 20 septembre 2013, les suppléments 'Argent', 'CESE' et 'Education' pour le contrat du 25 novembre 2013 au 11 décembre 2013, la mise en ligne des suppléments 'Argent', 'Culture' et 'Education' pour le contrat du 23 janvier au 3 février 2014, les suppléments 'Culture', 'Mode hommes' et 'Orient Express' pour le contrat du 3 mars au 4 avril 2014, les suppléments 'Cloud' et 'Culture' pour le contrat du 19 mai au 5 juin 2015, les suppléments 'Universités' ou 'Horlogerie' pour le contrat du 2 novembre au 17 novembre 2015.



Il résulte de ces contrats et des dates de parution des suppléments que Mme [U] a été embauchée pour surcroît d'activité dans sept cas à l'occasion de suppléments exceptionnels (aucune périodicité) à savoir 'Association', 'CESE', 'Cloud', 'fondation Clément', [Localité 6], 'Musica', et Orient Express, dans quatre cas pour des suppléments à périodicité annuelle (Biennale de [Localité 7], Europa, Horlogerie, Mode), et dans les autres cas pour des périodes de sorties concomitantes de suppléments (trois suppléments à la même période).



Il y a donc lieu de constater que la SEM justifie des surcroîts d'activité pour les quatorze contrats concernés.



Sur les 37 contrats à durée déterminée, 23 ont été conclus pour des remplacements de salariés absents (congés payés, maternité, maladie). Chacun de ses contrats précise le nom du salarié remplacé et le motif de son absence. La SEM justifie par ailleurs, en produisant les fiches de paie des salariés remplacés, que ceux-ci étaient bien en congés ou en maladie aux périodes où les contrats à durée déterminée ont été conclus avec Mme [U].



Aucune irrégularité n'est donc démontrée de ce chef par Mme [U].



Mme [U] soulève par ailleurs l'irrégularité du contrat à durée déterminée du 1er au 15 avril 2013 prévu pour remplacer Mme [G], alors que le contrat précédent du 17 décembre 2012 au 30 mars 2013, conclu pour le même motif avec la même salariée, ne prévoyait pas de clause de renouvellement, en violation de l'article L.1242-12-2° du code du travail.





Toutefois, l'article L.1242-1 du code du travail prévoit que les dispositions de l'article L. 1243-11 ne font pas obstacle à la conclusion de contrats de travail à durée déterminée successifs avec le même salarié lorsque le contrat est conclu le cas du remplacement d'un salarié absent.



Ainsi, à l'issue d'un contrat conclu pour remplacer un salarié absent, il peut être immédiatement conclu un nouveau contrat à durée déterminée pour faire face à une nouvelle absence du salarié remplacé, nonobstant l'absence de clause de renouvellement, ce qui est le cas en l'espèce, les deux contrats successifs ayant été conclus pour le remplacement de Mme [G] lors de ses congés payés. Aucune irrégularité n'est démontrée.



Mme [U] soulève également l'irrégularité du contrat à durée déterminée du 21 septembre 2015 pour surcroît d'activité sans qu'aucun terme précis ne soit mentionné.

Toutefois, la page 2 du contrat mentionne sous l'article 2 intitulé 'terme du contrat' : 'le présent contrat est conclu avec un terme précis. Il prendra fin le 25 septembre 2015 au soir'.



Aucune irrégularité n'est donc démontrée de ce chef.



Il y a lieu de constater que les contrats à durée déterminée conclus avec Mme [U] sont réguliers, et qu'il n'y a pas lieu de faire droit à sa demande de requalification de ceux-ci.



Le jugement sera confirmé de ce chef, et les demandes découlant de cette requalification seront donc rejetées.



Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile :



Mme [U], qui succombe, sera donc condamnée aux entiers dépens.



Au vu de la situation financière respective de chacune des parties, il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.





PAR CES MOTIFS



La cour, statuant contradictoirement et par mise à disposition au greffe :



Ecarte les conclusions transmises tardivement les 17, 21 et 22 mai 2019 ;



Confirme le jugement en toutes ses dispositions ;



Y ajoutant :



Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile;



Condamne Mme [U] aux entiers dépens d'appel.







LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE

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