25 septembre 2019
Cour d'appel de Paris
RG n° 18/00306

Pôle 6 - Chambre 9

Texte de la décision

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 9



ARRÊT DU 25 Septembre 2019

(n° , pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 18/00306 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B4X4S



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 16 Décembre 2014 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS section RG n° 12/14229







DEMANDEUR A LA SAISINE SUR RENVOI APRÈS CASSATION



M. [O] [T]

[Adresse 5]

[Localité 4]

Né le [Date naissance 1] à [Localité 6]



Comparant en personne et assisté par Me Arnaud OLIVIER, avocat au barreau de PARIS, toque : A0476







DÉFENDEUR A LA SAISINE SUR RENVOI APRÈS CASSATION



SOCIETE FROST & SULLIVAN LIMITED

[Adresse 2]

[Localité 3]

N° SIRET : B 4 180 448 48



représentée par Me Sylvie OSTRE, avocat au barreau de PARIS, toque : D0541 substitué par Me Alain BENOIT, avocat au barreau du MANS









COMPOSITION DE LA COUR :



En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 05 Juin 2019, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme Graziella HAUDUIN, présidente, chargée du rapport.



Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Graziella HAUDUIN, présidente de chambre

Mme Carole CHEGARAY, conseillère

Mme Séverine TECHER, vice-présidente placée







Greffier : Anouk ESTAVIANNE, lors des débats











ARRET :

- contradictoire

- mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile

- signé par Madame Graziella HAUDUIN, présidente et par Madame Anouk ESTAVIANNE greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.






RAPPEL DES FAITS , PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES



Vu le jugement en date du 16 décembre 2014 par lequel le conseil de prud'hommes de Paris, statuant dans le litige opposant M. [O] [T] à son ancien employeur, la société Frost et Sullivan Limited, a débouté le salarié de l'intégralité de ses demandes, l'a condamné aux dépens et a rejeté la demande formée par la société sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;



Vu l'arrêt en date du 17 juin 2016 par lequel la cour d'appel de Paris, saisie d'un appel interjeté par M. [T], a infirmé le jugement déféré en qu'il a considéré que le salarié était soumis à un régime de forfait annuel en jours entre le 14 octobre 2008 et le 2 février 2011 et l'a débouté à ce titre, a déclaré inopposable au salarié ce forfait, l'a débouté de sa demande en paiement au titre des heures supplémentaires accomplies durant cette période, a condamné la société Frost et Sullivan Limited à lui verser 16 149 euros à titre de rappel de bonus et 1 614,90 euros de congés payés y afférents, a ordonné à la société de lui remettre des documents sociaux conformes, a confirmé le jugement en ses autres dispositions, a condamné la société aux dépens et à verser à M. [T] une indemnité de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;



Vu l'arrêt en date du 6 octobre 2074 par lequel la Cour de cassation, saisie du pourvoi formé par M. [T], a cassé et annulé l'arrêt de la cour d'appel de Paris mais seulement en ce qu'il a débouté le salarié de sa demande en nullité du licenciement et de ses demandes subséquentes, a remis en conséquence les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et condamné la société Frost et Sullivan Limited aux dépens et à verser au salarié 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;



Vu la saisine régulière de la cour de céans le 22 décembre 2017 dans le délai imparti par l'article 1034 du code de procédure civile ;



Vu les conclusions et observations orales des parties à l'audience des débats du 5 juin 2019 auxquelles il est renvoyé pour l'exposé détaillé des prétentions et moyens présentés ;



Vu les conclusions visées par le greffe le 5 juin 2019, soutenues oralement à l'audience, par lesquelles le salarié appelant demande à la cour d'infirmer le jugement en ce qu'il a rejeté la demande au titre de la nullité du licenciement et ses demandes subséquentes, et, statuant à nouveau de :

A titre principal,

- Ordonner sa réintégration au sein de la société Frost et Sullivan Limited, étant précisé que la société devra lui payer une rémunération de 8.491,66 euros (sauf à parfaire) pour chaque mois écoulé entre son éviction de l'entreprise (14/11/2012) et sa réintégration, assortie des congés payés afférents soit 849,17 euros par mois écoulé, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard à l'issue d'un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

- Ordonner la remise des documents sociaux conformes à la décision à intervenir, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard à l'issue d'un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

- Ordonner à la société Frost et Sullivan Limited sa convocation à une visite médicale auprès du médecin du travail, la mise à niveau du salaire et de la classification, la réinscription à la mutuelle de l'entreprise et la mise en place d'un programme de formation visant à rattraper les formations non effectuées depuis son éviction, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à l'issue d'un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

- Réserver la compétence de la cour de céans pour la liquidation des trois

astreintes ;

- Réserver la compétence de la cour de céans en cas de difficulté(s) concernant l'exécution de la décision à intervenir ;

- Condamner la société Frost et Sullivan Limited à lui payer :

* Dommages-intérêts en réparation du préjudice fiscal : 205 000 euros

* Rattrapage forfaitaire des augmentations générales de salaires au sein de la société entre l'éviction de l'entreprise (14/11/2012) et la réintégration : 24 000 euros

A titre subsidiaire,

- Condamner la société Frost et Sullivan Limited à lui payer :

* Indemnité réparant l'intégralité du préjudice subi du fait de la nullité du licenciement : 975 000 euros

En tout état de cause,

* Dommages-intérêts en réparation du préjudice moral : 20 000 euros,

* Intérêts légaux à compter de la convocation en bureau de conciliation

* Capitalisation des intérêts (Article 1343-2 du Code civil)

* Article 700 du code de procédure civile : 12 000 euros

et les entiers dépens ;



Vu les conclusions visées par le greffe le 5 juin 2019, reprises oralement à l'audience, aux termes desquelles la société demande à la cour de confirmer le jugement, de déclarer bien fondé le licenciement de M. [O] [T] pour cause réelle et sérieuse, en conséquence, le débouter de l'intégralité de ses demandes, le condamner à lui régler la somme de 5 000 euros en vertu des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les entiers dépens ;




SUR CE



M. [O] [T], embauché à compter du 5 novembre 2008 en qualité de "principal consultant", directeur conseil France par la société Frost et Sullivan Limited, puis à partir de l'avenant du 31 janvier 2011 pour les seules activités de "principal consultant", a été victime d'un accident du travail le 24 juin 2010 et a été placé en arrêt de travail jusqu'au 5 juillet suivant. Il a été licencié pour insuffisance professionnelle le 10 août 2012. Le contrat de travail a pris fin à l'issue du préavis le 14 novembre 2012.



Il a saisi le conseil de prud'hommes de Paris le 27 décembre 2012 en sollicitant principalement le prononcé de la nullité de son licenciement et sa réintégration.



La cour de renvoi est saisie des demandes du salarié relatives à la licéité de son licenciement et à ses conséquences indemnitaires.



Sur la nullité du licenciement et ses conséquences :



En l'absence de visite de reprise prévue aux articles R. 4624-1 et R.4624-22 du code du travail dans leur rédaction alors en vigueur, le contrat de travail de M. [T] était toujours suspendu à la suite de l'accident du travail dont il a été victime le 24 juin 2010 et de son absence d'au moins huit jours pour cette cause. Son licenciement pour insuffisance professionnelle, notifié le 10 août 2012, soit pour un autre motif qu'un de ceux prévus par l'article L. 1226-9 du même code, faute grave ou impossibilité de maintenir le contrat de travail pour un motif étranger à l'accident ou à la maladie, en période de suspension du contrat de travail, doit donc être considéré comme nul, peu important à cet égard sa reprise du travail le 5 juillet 2010, sa qualification ou sa position dans la hiérarchie, son absence de démarche auprès de l'employeur ou de la médecine du travail pour voir organiser cette visite de reprise qui ne peuvent être tenues comme constituant une renonciation de l'intéressé à se prévaloir de ce droit ou son prétendu refus de se présenter aux examens de la médecine du travail en 2011 comme le soutient l'employeur sans l'établir.



Le jugement sera donc infirmé en ce qu'il a rejeté la demande du salarié de voir prononcer cette nullité.

En cas de nullité de son licenciement, et ce quelle qu'en soit la cause, le salarié est en droit de revendiquer sa réintégration dans son emploi ou à, défaut dans un emploi équivalent. L'employeur n'est libéré de cette obligation de réintégration que dans le cas où l'entreprise a disparu ou en cas d'impossibilité absolue d'y procéder.



Le caractère qualifié de choquant par l'employeur de la demande de réintégration formée par le salarié, de surcroît peu de mois après la rupture du contrat de travail, ne peut constituer un tel obstacle. Les difficultés financières invoquées par la société Frost et Sullivan Limited, en son sein et au sein du groupe auquel elle appartient, et les conséquences futures qualifiées d'irréversibles d'une éventuelle condamnation par la cour au profit de M. [T] ne le sont pas davantage.



Le licenciement de M. [T] ayant été annulé pour avoir été notifié durant une période de suspension du contrat de travail qui n'avait pas pris fin en raison de l'absence de visite de reprise et non pour violation d'un droit de nature constitutionnelle, il a droit au paiement d'une somme dans la limite du montant des salaires dont il a été privé, sous déduction des revenus tirés d'une autre activité et du revenu de remplacement qui lui a été servi durant la période entre le licenciement et la réintégration.



M. [T] prétend n'avoir pas retrouvé d'emploi. Or, sur le curriculum vitae diffusé par l'intéressé lui-même sur un site en ligne accessible à tous, soit en l'espèce Viadeo qui se définit comme un réseau social professionnel destiné à faciliter le dialogue entre professionnels, il apparaît qu'il a été engagé en 2015 en qualité de directeur de business unit au sein de l'entreprise Greenflex. Il est d'ailleurs produit au débat par M. [T] un certificat émanant de cette société établissant une période d'emploi du 16 janvier au 26 avril 2017, ce qui contredit pour partie son affirmation d'une totale inactivité durant la période d'éviction.



Il ressort également des documents pôle emploi pour la période du 11 janvier 2013, date de début de l'indemnisation, au 10 janvier 2015 la perception par M. [T] d'allocations d'aide au retour à l'emploi pour 116 508 euros. Les avis d'impôt révèlent également en 2015 un total de salaires ou assimilés perçus pour 5 970 euros, alors que l'intéressé n'a été indemnisé au titre de l'ARE que jusqu'au 10 janvier 2015 et pour 1 596 euros. pour l'année 2016 un total de 13 227 euros, enfin pour l'année 2017 un total de 26 833 euros et pour l'année 2018 aucun revenu déclaré. Il doit donc être retenu en l'état des revenus de remplacement pour un montant global de 160 942 euros jusqu'au 31 décembre 2018.



Il appartiendra à M. [T] dans le cadre du recouvrement de l'indemnité d'éviction de justifier, pour les déduire, au-delà des sommes précitées, de l'intégralité des salaires et revenus de remplacement perçus à compter du 15 novembre 2012 et jusqu'à sa réintégration.



Le salaire mensuel à prendre à considération pour calculer l'indemnité d'éviction s'élève à 8 491,66 euros, soit la rémunération perçue en moyenne par l'intéressé avant la rupture et qui ne fait l'objet d'aucune contestation particulière, même subsidiaire, par l'employeur. En revanche, la période d'éviction n'ouvrant pas droit à acquisition de jours de congés, le salaire mensuel ne sera pas augmenté, comme le revendique M. [T], d'une indemnité compensatrice de congés payés.



S'agissant des demandes de "convocation à une visite médicale auprès du médecin du travail" et de "réinscription à la mutuelle de l'entreprise", il appartient à la société de réintégrer le salarié dans le respect des obligations légales et réglementaires lui incombant, sans que la nécessité d'une astreinte ne soit justifiée.

Pour les demandes de "mise à niveau du salaire et de la classification" et de "mise en place d'un programme de formation visant à rattraper les formations non effectuées depuis son éviction", les éléments produits, les circonstances de l'espèce et l'imprécision des revendications ne permettent pas à la cour de mettre à la charge de la société employeur des obligations déterminables en l'état, si bien que ces demandes seront écartées.



La demande de "rattrapage forfaitaire des augmentations générales de salaires au sein de la société entre l'éviction de l'entreprise (14/11/2012) et la réintégration", qui repose sur la seule sommation de communiquer faite à la société Frost et Sullivan Limited (pièce n°96), n'est pas suffisamment justifiée et sera en conséquence rejetée.



Sur les autres demandes :



Au-delà de son affirmation de ce que les avertissements et le licenciement pour insuffisance de résultats l'ont profondément affecté psychologiquement, il n'est produit aucun élément justifiant de l'existence de "conséquences psychologiques" perdurant aujourd'hui en raison de la procédure en cours et du comportement de l'employeur dont rien ne permet d'établir qu'il l'a empêché de retrouver un emploi. Il convient au demeurant de rappeler que M. [T] a été employé au moins du 16 janvier au 26 avril 2017 par la société Greenflex. La manière dont la société Frost et Sullivan Limited a obtenu le curriculum vitae mis en ligne par M. [T] n'a pas non plus revêtu un caractère irrégulier et fautif, étant au surplus observé que la société a été guidée par le souci légitime de prouver que, contrairement à ce que le salarié avait prétendu, ce dernier avait au moins à une reprise trouvé un emploi. M. [T] sera en conséquence débouté de sa demande de réparation d'un préjudice moral.



Pour ce qui concerne la demande indemnitaire formée au titre du prétendu préjudice fiscal, il ne ressort pas des éléments produits, simulations, le caractère certain du préjudice qui résulterait du report d'imposition des sommes qui seront perçues par le salarié en exécution de la présente décision. La demande formée de ce chef sera en conséquence rejetée.



La demande de remise par la société de documents sociaux, au demeurant non précisés, mais qui consistent habituellement dans l'attestation destinée à pôle emploi et certificat de travail, est, dans les conditions de la présente instance qui vise à la reprise du contrat de travail, sans objet. Il convient par contre de faire droit à la demande de remise d'un bulletin de salaire récapitulant les sommes qui seront versées à M. [T] en exécution du présent arrêt. L'astreinte, dont la nécessité n'est pas justifiée, ne sera pas ordonnée.



Si une juridiction prud'homale peut par exception se réserver la liquidation d'une astreinte que la loi attribue au juge de l'exécution, elle ne peut en revanche pas déroger à la compétence de celui-ci fixée par l'article L.213-6 du code de l'organisation judiciaire et l'article R. 121-1 du code des procédures civiles d'exécution pour ce qui a trait aux autres conditions liées à l'exécution future de la présente décision. Cette demande sera aussi rejetée.



Les circonstances de la présente espèce ne justifient pas qu'il soit dérogé aux dispositions des articles L.1231-6 et L.1231-7 du code civil en application desquelles les créances indemnitaires produisent intérêts au taux légal à compter du prononcé de la décision en fixant le principe et le montant. Il convient en conséquence de dire que les sommes allouées produiront intérêts à compter du présent arrêt.



Les intérêts échus produiront intérêts à compter du jour de la demande expressément présentée en première instance, dés lors qu'ils seront dus au moins pour une année entière, conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil.



La société Frost et Sullivan Limited, qui succombe au principal, sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel, et à payer à M. [T] une indemnité de 2 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile.





PAR CES MOTIFS



La Cour,



Infirme le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté la demande de nullité du licenciement et les demandes subséquentes ;



Statuant à nouveau dans la limite de la cassation ;



Annule le licenciement de M. [O] [T] par la société Frost et Sullivan Limited ;



En conséquence :



Ordonne à la société Frost et Sullivan Limited de le réintégrer dans l'emploi précédemment occupé ou à défaut, un emploi équivalent dans le respect des obligations légales et réglementaires lui incombant s'agissant de l'organisation d'une visite médicale de reprise et la réinscription à la mutuelle de l'entreprise ;



Fixe à 8 491,66 euros le salaire de référence pour le calcul de l'indemnité d'éviction ;



Condamne la société Frost et Sullivan Limited à payer à M. [T] une indemnité d'éviction du 15 novembre 2012 à la date de réintégration, dont à déduire la totalité des salaires et revenus de remplacement perçus par le salarié entre son licenciement et sa réintégration dont il lui appartiendra de justifier à l'employeur dans un délai de deux mois suivant la notification de l'arrêt pour permettre l'exécution ;



Ordonne à la société Frost et Sullivan Limited de remettre à M. [T] un bulletin de salaire récapitulatif ;.



Déboute M. [T] de ses autres demandes ;



Dit que l'indemnité d'éviction portera intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ;



Dit que les intérêts échus produiront intérêts dés lors qu'ils seront dus au moins pour une année entière, et ce à compter de la demande de capitalisation ;



Rejette toutes autres demandes des parties ;



Condamne la société Frost et Sullivan Limited aux dépens de première instance et d'appel et à payer à M. [T] une indemnité de 2 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile.





LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE

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