24 octobre 2019
Cour d'appel de Versailles
RG n° 18/02751

6e chambre

Texte de la décision

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80F



6e chambre







ARRÊT N° 375



CONTRADICTOIRE



DU 24 OCTOBRE 2019



N° RG 18/02751



N° Portalis : DBV3-V-B7C-SOZH







AFFAIRE :



[E] [X]



C/



SA GROUPE CANAL +









Décision déférée à la cour : Ordonnance rendue le 01 Juin 2018 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOULOGNE-BILLANCOURT

N° Section : Référé

N° RG : 18/00072







Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées le 25 Octobre 2019 à :

- Me Slim BEN ACHOUR

- Me Alexandra LORBER LANCE

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





LE VINGT QUATRE OCTOBRE DEUX MILLE DIX NEUF,

La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :





Monsieur [E] [X]

né le [Date naissance 1] 1969 à [Localité 3] ([Localité 3])

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Localité 2]



Représenté Me Slim BEN ACHOUR, constitué/plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C1077



APPELANT



****************



La SA GROUPE CANAL +

N° SIRET : 420 624 777

[Adresse 1]

[Localité 1]



Représentée par Me Stéphanie ROBIN-BENARDAIS, avocate au barreau de PARIS, substituant Me Alexandra LORBER LANCE de la SELARL CAPSTAN LMS, constituée/plaidant, avocate au barreau de PARIS, vestiaire : K0020



INTIMÉE



****************







Composition de la cour :



L'affaire a été débattue à l'audience publique du 02 Juillet 2019, Madame Nathalie GAUTRON-AUDIC, conseiller, ayant été entendue en son rapport, devant la cour composée de :



Madame Valérie DE LARMINAT, Président,

Madame Nathalie GAUTRON-AUDIC, Conseiller,

Monsieur Hubert DE BECDELIEVRE, Magistrat honoraire,



qui en ont délibéré,



Greffier, lors des débats : Monsieur Nicolas CAMBOLAS








FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES



Par contrat à durée indéterminée du 24 juin 1996, M. [E] [X], né le [Date naissance 1] 1969, a été engagé par la société Groupe Canal+ à compter du 19 août 1996, en qualité de technicien conseil, 1er échelon, groupe V, statut employé.



Il occupe à ce jour les fonctions de chargé de logistique, suite à la suppression de son poste consécutive à la fermeture du centre de relations clients de [Localité 4] où il était affecté.



La relation de travail est soumise aux accords de l'UES Canal+.



M. [X] est titulaire de mandats syndicaux et représentatifs depuis 2001.



Estimant être victime de discriminations, notamment syndicale, le salarié a saisi le 20 février 2018 la formation de référé du conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt aux fins d'obtenir, sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, la communication par la société Groupe Canal+ d'un certain nombre d'informations lui permettant de procéder à une comparaison utile de sa situation avec celle de ses collègues de travail.



Par ordonnance du 1er juin 2018, le conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt a :

- débouté M. [X] de l'ensemble de ses demandes,

- laissé les dépens à la charge de chacune des parties pour la part lui incombant.



M. [X] a interjeté appel de la décision par déclaration du 22 juin 2018.




Par conclusions signifiées par voie électronique le 3 août 2018, il demande à la cour de :

Vu l'article 145 du code de procédure civile,

- ordonner au Groupe Canal+ de communiquer dans un délai de quinze jours suivant la notification de l'ordonnance :

- un extrait unique du registre du personnel correspondant à l'établissement d'embauche de M. [X] avec mention de tous les salariés ayant une ancienneté similaire, à plus ou moins deux ans près, avec la mise à jour des dates de changement d'emploi et de qualification conformément aux exigences de l'article D. 122-21 et D. 1221-23 du code du travail,

- les nom, prénom, sexe et date d'entrée de chacune des personnes embauchées la même année à plus ou moins deux ans près dans la même catégorie que M. [X] au même niveau de qualification au sein de l'établissement d'embauche, ainsi que :

- leurs bulletins de paie du mois de décembre de chaque année depuis leur embauche,

- leurs dates de changement de qualification, position et coefficient et leur périodicité,

- leurs qualification, position et coefficient actuels,

- les formations suivies et leurs dates,

- le salaire net imposable et brut actuel,

- leurs fiches d'évolution (système d'information ressources humaines),

- un tableau récapitulant l'ensemble des informations données ci-dessus,

- ordonner au Groupe Canal+ d'établir, pour chaque salarié du panel de comparants, un tableau récapitulant l'ensemble des informations ci-dessus,

- ordonner au Groupe Canal+ d'établir un tableau concernant l'ensemble des personnes concernées par le panel à constituer, reprenant l'ensemble des informations figurant ci-dessus,

Le tout sous astreinte de 100 euros par jour de retard et par document, à compter de l'expiration d'un délai de 15 jours suivant la notification de la présente ordonnance à intervenir,

- condamner le Groupe Canal+ à verser à M. [X] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.



Par conclusions signifiées par voie électronique le 31 août 2018, la société Groupe Canal+ demande à la cour de :

À titre principal,

- confirmer l'ordonnance rendue entre les parties le 1er juin 2018,

Et, statuant à nouveau :

- dire et juger que les conditions d'application de l'article 145 du code de procédure civile ne sont pas remplies,



En conséquence,

- dire et juger qu'il n'y a lieu à référé,

- inviter la partie appelante à mieux se pourvoir,

- débouter la partie appelante de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

À titre reconventionnel,

- condamner la partie appelante à verser à la société Groupe Canal+ la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

À titre subsidiaire,

- confirmer l'ordonnance rendue entre les parties le 1er juin 2018, en tant que de besoin, par substitution de motifs,

Et, statuant à nouveau :

- dire et juger que la société Groupe Canal+ a réalisé spontanément une communication de pièces suffisante à la solution du litige futur,

En conséquence,

- dire et juger qu'il n'y a lieu à référé,

- inviter la partie appelante à mieux se pourvoir,

- débouter la partie appelante de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

À titre reconventionnel,

- condamner la partie appelante à verser à la société Groupe Canal+ la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

À titre infiniment subsidiaire, si l'ordonnance devait être réformée,

- circonscrire la communication des pièces aux :

1. Registre unique du personnel de l'établissement d'embauche de la partie appelante, limité et expurgé comme suit :

- limité à la mention des collaborateurs :

- entrés dans les mêmes fonctions que la partie appelante,

- entrés à la période d'embauche de la partie appelante (soit plus ou moins 2 ans avant/après),

- expurgé comme suit des mentions soit personnelles soit non utiles à l'issue du litige futur :

- adresse des salariés,

- numéro de sécurité sociale,

- nationalité (élément non utile pour apprécier d'une discrimination syndicale),

- sexe (élément non utile pour apprécier d'une discrimination syndicale),

- type de document (i.e. autorisation de travail pour les salariés étrangers),

forme du contrat (contrat de qualification, contrat de professionnalisation, CDD, CDI, Intermittence'),

2. Registre unique du personnel de l'établissement d'affectation actuel de la partie appelante, limité et expurgé comme suit :

- limité à la mention des collaborateurs :

- occupant actuellement les fonctions similaires à la partie appelante de technicien conseil,

- entrés à la période d'embauche de la partie appelante (soit plus ou moins 2 ans avant/après),

- expurgé comme suit des mentions soit personnelles soit non utiles à l'issue du litige futur en discrimination syndicale :

- adresse des salariés,

- numéro de sécurité sociale,

- nationalité (élément non utile pour apprécier d'une discrimination syndicale),

- sexe (élément non utile pour apprécier d'une discrimination syndicale),

- type de document (i.e. autorisation de travail pour les salariés étrangers),

- forme du contrat (contrat de qualification, contrat de professionnalisation, CDD, CDI, Intermittence'),

3. Fiches individuelles RH des salariés ainsi identifiés sur les registres uniques du personnel et qui existent (c'est-à-dire pour les collaborateurs encore présents à l'effectif), qui ont été soit en situation comparable à la partie appelante à l'embauche, soit qui sont en situation comparable actuellement,

- accorder un délai suffisant à la société intimée pour procéder à la communication de documents ordonnée,

- débouter la partie appelante de ses plus amples demandes.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 4 octobre 2018.



Il est renvoyé aux écritures des parties pour un exposé plus ample de leurs prétentions et moyens conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.






MOTIFS DE LA DÉCISION



M. [X] sollicite, en application de l'article 145 du code de procédure civile, la communication par son employeur d'un certain nombre d'informations permettant de retracer l'évolution professionnelle depuis 2002 des salariés d'un panel appartenant à la même catégorie professionnelle, au même niveau ou à un niveau très proche de qualification/classification. Ces éléments, que l'employeur est seul à détenir et qu'il refuse depuis plusieurs mois de transmettre, en dépit des demandes formulées par les élus CGT par ailleurs délégués du personnel, permettront au salarié de comparer sa situation avec celle d'autres salariés présentant des caractéristiques comparables, d'évaluer son préjudice et d'étayer une action au fond relative à une situation de discrimination, dont la plus évidente est d'ordre syndical, n'ayant dit-il bénéficié d'aucune évolution professionnelle pendant les 21 années de sa relation de travail. M. [X] reproche à la société Groupe Canal+ d'avoir transmis un tableau comparatif totalement inexploitable puis des éléments qui ne peuvent en rien satisfaire les demandes formulées depuis le 31 juillet 2016 car les comparants sont peu nombreux, partiels et anonymes, ce qui ne permet pas d'en vérifier l'authenticité.



La société Groupe Canal+ s'oppose à cette demande et fait valoir en réplique que la mesure d'instruction sollicitée n'est pas justifiée par un motif légitime dès lors que les documents sollicités par l'appelant ne sont pas nécessaires au litige futur ; que ces documents sont, en tout état de cause, insuffisants à démontrer l'existence d'une prétendue discrimination ; que la saisine de la juridiction prud'homale vise en réalité à outrepasser les règles probatoires imposées par le code du travail en matière de discrimination ; que la demande de communication de la quasi-totalité des documents sollicités ne relève pas du pouvoir du juge des référés. La société Groupe Canal+ ajoute qu'elle a déjà délivré toutes les informations utiles pour permettre à l'appelant de procéder à la comparaison souhaitée.



Aux termes de l'article 145 du code de procédure civile, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé sur requête ou en référé.



Le juge saisi d'une telle demande doit se borner à s'assurer que les conditions de mise en oeuvre de ce texte sont réunies, à savoir :

- l'absence d'instance au fond,

- l'existence d'un motif légitime,

- l'intérêt probatoire du demandeur.



Le juge n'a pas à se prononcer sur le bien fondé d'une action au fond ou même l'opportunité d'une telle action ; il doit juste constater que la mesure sollicitée procède d'un motif légitime et qu'elle est utile et pertinente au regard d'un litige ultérieur.



En l'espèce, le juge du fond n'est pas encore saisi du procès en vue duquel la mesure d'instruction est sollicitée.



S'agissant ensuite de l'existence d'un motif légitime, la cour observe que si le 5 septembre 2016, la société Groupe Canal+ a transmis, par l'intermédiaire de son avocat, un tableau comparatif insuffisamment documenté et difficilement exploitable, elle a cependant communiqué avant l'audience prud'homale les fiches individuelles de dix salariés entrés entre 1994 et 1998 aux fonctions de technicien conseil et se trouvant dans une situation comparable à celle de M. [X] ainsi que l'extrait correspondant du registre unique du personnel. Ces documents sont certes anonymisés mais ils mentionnent le numéro de matricule du salarié concerné, ce qui permet si besoin d'en vérifier l'authenticité. En outre, les dix salariés du panel relèvent du même service et dépendent du même responsable hiérarchique, à savoir Mme [Y] [I].



Ces fiches indiquent l'âge du salarié, son niveau de formation à l'embauche, son ancienneté dans le groupe et dans le poste, l'historique de ses affectations et des postes occupés avec l'échelon correspondant, la liste des formations suivies, l'historique des salaires mensuels et annuels avec le motif de l'augmentation (augmentation générale ou individuelle, changement d'échelon), l'historique des primes versées, des rémunérations variables, des heures supplémentaires et majorées, des versements au titre de la participation et de l'intéressement.

La cour considère que le panel est assez large et que les fiches communiquées par l'employeur sont suffisamment complètes pour permettre à M. [X] de procéder à la comparaison souhaitée.



S'agissant enfin de l'intérêt probatoire du demandeur, il sera préalablement rappelé que selon l'article L. 1134-1 du code du travail, le salarié qui se prétend victime d'une discrimination directe ou indirecte présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une telle discrimination, au vu desquels il incombe à l'employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.



Dans l'hypothèse où les éléments de faits présentés par le salarié seraient considérés par le juge du fond comme laissant supposer l'existence d'une discrimination à l'égard de M. [X], il appartiendra à la société Groupe Canal+ de démontrer que les décisions qu'elle a prises à cet égard étaient justifiées par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.



Le mécanisme probatoire des dispositions du code du travail relatives à la discrimination rend donc d'autant plus inutile la production des éléments sollicités dans le cadre de la présente instance.



La demande présentée par l'appelant n'apparaît ainsi pas justifiée par un motif légitime et la décision qui l'en a débouté sera confirmée.





Sur les dépens de l'instance et les frais irrépétibles



M. [X] supportera les dépens en application des dispositions de l'article'696 du code de procédure civile.



Il sera en outre condamné à payer à la société Groupe Canal+ une indemnité sur le fondement de l'article'700 du code de procédure civile, que l'équité et la situation économique respective des parties conduisent à arbitrer à la somme de 500 euros au titre des frais irrépétibles d'appel.





PAR CES MOTIFS,



La Cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort :



CONFIRME l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions ;



Y ajoutant,



CONDAMNE M. [E] [X] à payer à la société Groupe Canal+ la somme de 500 euros au titre des frais irrépétibles d'appel ;



DÉBOUTE M. [E] [X] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;



CONDAMNE M. [E] [X] aux dépens d'appel ;





Arrêt prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, et signé par Madame Valérie DE LARMINAT, Conseiller, faisant fonction de Président, et par Monsieur Nicolas CAMBOLAS, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.





Le GREFFIER,Le PRÉSIDENT,

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