29 octobre 2019
Cour d'appel de Pau
RG n° 17/02695

1ère Chambre

Texte de la décision

CD/MC



Numéro 19/04210





COUR D'APPEL DE PAU

1ère Chambre







ARRET DU 29/10/2019







Dossier : N° RG 17/02695 - N° Portalis DBVV-V-B7B-GUA4





Nature affaire :



Demande en réparation des dommages causés par l'activité d'un expert en diagnostic, un commissaire aux comptes, un commissaire aux apports, un commissaire à la fusion ou un expert-comptable















Affaire :



[W] [N], SCI [N] IMMOBILIER



C/



SAS ACF PAYS BASQUE

















Grosse délivrée le :



à :











RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS











A R R E T



prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 29 octobre 2019, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.







* * * * *







APRES DÉBATS



à l'audience publique tenue le 03 septembre 2019, devant :







Madame DUCHAC, Président, magistrat chargé du rapport conformément à l'article 785 du Code de procédure civile



Monsieur CASTAGNE, Conseiller



Madame ROSA-SCHALL, Conseiller





assistés de Madame FITTES-PUCHEU, Greffier, présente à l'appel des causes.





Les magistrats du siège ayant assisté aux débats ont délibéré conformément à la loi.



dans l'affaire opposant :









APPELANTS :



Monsieur [W] [N]

né le [Date naissance 1] 1959 à [Localité 5] (64)

de nationalité Française

[Adresse 7]

[Localité 3]



Représenté et assisté par Maître DOUTE, avocat au barreau de PAU







SCI [N] IMMOBILIER

[Adresse 6]

[Localité 3]



Représentée et assistée par Maître DOUTE, avocat au barreau de PAU











INTIMEE :



SAS ACF PAYS BASQUE agissant poursuites et diligences de son Président Monsieur [M] [K] domiciliée en cette qualité audit siège

[Adresse 2]

[Localité 4]





représentée et assistée de Me Jean philippe LABES de la SELARL ABL ASSOCIES, avocat au barreau de PAU



















sur appel de la décision

en date du 03 JUILLET 2017

rendue par le TRIBUNAL DE COMMERCE DE BAYONNE

RG numéro : 16/005457


























EXPOSE DU LITIGE



Le cabinet d'expertise comptable SAS ACF PAYS BASQUE a été entre 2006 et 2015, l'expert comptable de la SCI [N] IMMOBILIER dont le gérant est M. [W] [N] .



La SCI [N] IMMOBILIER considère que la responsabilité de la société ACF PAYS BASQUE est engagée du fait de déclarations tardives de TVA à la suite de deux ventes immobilières réalisées par la SCI [N] les 6 février et 28 juin 2013, ce qui a entraîné une majoration fiscale de 40 %, soit 71.813 € pour manquement délibéré et des intérêts de retard, confirmée par décision du tribunal administratif de Pau en date du 2 février 2017.



Par acte d'huissier en date du 22 juillet 2016, M.[W] [N] et la SCI [N] IMMOBILIER ont fait assigner la société ACF PAYS BASQUE devant le tribunal de commerce de Bayonne afin d'obtenir sa condamnation à lui payer la somme de 71.813 € à titre de dommages et intérêts représentant les majorations pour mauvaise foi dues au Trésor Public , et subsidiairement , pour obtenir sa condamnation à titre conservatoire à les garantir des condamnations qui seraient prononcées par la juridiction administrative à leur encontre soit 71.813 € et la somme de 3.368,54 € au titre des frais de procédure devant la juridiction administrative , outre 5.000 € en réparation de leur préjudice moral.



Par jugement en date du 3 juillet 2017 , le tribunal de commerce de Bayonne a :



- débouté la SCI [N] IMMOBILIER de sa demande de mise en cause de la responsabilité civile de la société ACF PAYS BASQUE ,

- débouté la SCI [N] IMMOBILIER de sa demande à titre conservatoire,

- déboutée la SCI [N] IMMOBILIER de sa demande de prise en charge de frais de procédure et honoraires d'avocats ,

- a débouté M.[W] [N] de sa demande d'indemnisation pour résistance abusive,

- précisé que l'exécution provisoire n'est pas prononcée,

- débouté l'ensemble des parties de leurs demandes d'indemnisation au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- dit que les dépens sont à la charge de la SCI [N] IMMOBILIER dont les frais de greffe liquidés à la somme de 77,08 €.



Suivant déclaration enregistrée au greffe de la Cour le 24 juillet 2017, la SCI [N] a relevé appel de cette décision.

Suivant déclaration enregistrée au greffe de la Cour le 5 octobre 2017, Monsieur [W] [N] a relevé appel de cette décision, indiquant que son appel porte sur le dispositif du jugement l'ayant débouté de sa demande tendant à la condamnation de la SAS ACF PAYS BASQUE à lui payer la somme de 5.000 € à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral et l'ayant débouté de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.



Les affaires ont été jointes par ordonnance en date du 7 mars 2018.






Suivant ses dernières conclusions en date du 1er février 2018, la SCI [N] IMMOBILIER demande à la Cour :



' DEBOUTER la société ACF PAYS BASQUE de toutes ses demandes, fins et conclusions.



DIRE ET JUGER que la société « ACF PAYS BASQUE » a commis une faute contractuelle, que le lien de causalité est établi, et qu'elle doit réparation des divers préjudices subis à cet effet.



En conséquence,



INFIRMER dans toutes ses dispositions le jugement rendu le 03 juillet 2017 par le Tribunal de Commerce de BAYONNE.



Dans ces conditions,



CONDAMNER la société ACF PAYS BASQUE à verser à la société [N] IMMOBILIER, la somme de 71.813 €uros représentant les majorations de mauvaise foi, outre les intérêts de retard dus au TRÉSOR PUBLIC pour versement tardif de la somme de 71.813 €uros, le sursis de paiement ayant été accordé par cette administration (Pièce N° 09).



CONDAMNER la société ACF PAYS BASQUE à verser à la Société Civile [N] IMMOBILIER, la somme de 3.368,54 €uros TTC au titre des frais engagés pour faire valoir à titre conservatoire, ses droits devant le Tribunal Administratif de PAU.



CONDAMNER la société ACF PAYS BASQUE à verser à la Société Civile [N] IMMOBILIER la somme de 9.000 €uros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile.



CONDAMNER l'intimée aux entiers dépens'.





Suivant ses dernières écritures en date du 9 novembre 2017, Monsieur [W] [N] demande à la cour de :



'DEBOUTER la société ACF PAYS BASQUE de toutes ses demandes, fins et conclusions.



DIRE ET JUGER que la société « ACF PAYS BASQUE » a commis une faute contractuelle, que le lien de causalité est établi, et qu'elle doit réparation des divers préjudices subis à cet effet.



En conséquence,



INFIRMER dans toutes ses dispositions le jugement rendu le 03 juillet 2017 par le Tribunal de Commerce de BAYONNE.



Dans ces conditions,

CONDAMNER la société ACF PAYS BASQUE à verser à Monsieur [W] [N], la somme de 5.000 €uros au titre de la réparation du préjudice moral subi.



CONDAMNER la société ACF PAYS BASQUE à verser à Monsieur [W] [N], la somme de 9.000 €uros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile.



CONDAMNER l'intimée aux entiers dépens.'





Dans ses dernières conclusions en date du 4 décembre 2017, la SAS ACF PAYS BASQUE demande à la Cour :



' A titre principal,



Confirmer le jugement rendu par le Tribunal de Commerce de Bayonne en ce qu'il a débouté la SCI [N] IMMOBILIER de sa demande de mise e ncause de la responsabilité de la société ACF PAYS BASQUE, de sa demande de prise en charge de paiement des honoraires du Cabinet d'avocat par ACF PAYS BASQUE;



le réformer en ce qu'il a débouté la demande d'indemnisation de la société ACF PAYS BASQUE au titre de l'article 700 du code de procédure civile;



En conséquence,



Condamner la SCI [N] IMMOBILIER à régler à la société ACF PAYS BASQUE la somme de 7.500 € hors taxes au titre de l'article 700 du code de procédure civile,



Condamner la SCI [N] IMMOBILIER aux entiers dépens de l'instance ainsi que ceux de première instance et autoriser la SELARLABL ASSOCIES à recouvrer lesdits dépens en application de l'article 699 du code de procédure civile'.





L'ordonnance de clôture est en date du 26 juin 2019.



La Cour, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des demandes et moyens des parties, fera expressément référence à la décision entreprise ainsi qu'aux dernières conclusions déposées.






MOTIFS



Le tribunal de commerce, pour débouter la SCI [N] IMMOBILIER et Monsieur [W] [N] a retenu que le préjudice subi par cette société, constitué par l'application des majorations de retard pour mauvaise foi d'un montant de 71.813 € est imputable à la faute de son gérant, la SCI [N] IMMOBILIER n'ayant pas les fonds disponibles pour s'acquitter en temps utiles des montants de TVA.



La SCI [N] IMMOBILIER et Monsieur [W] [N] soutiennent à l'appui de leurs appels et de leurs demandes contre la SAS ACF PAYS BASQUE :

- s'agissant de l'établissement et du dépôt des déclarations fiscales, le comptable est tenu à une obligation de résultat

- la SAS ACF PAYS BASQUE avait eu connaissance de la vente et des montants à déclarer , les actes et un extrait de la comptabilité du notaire lui ayant été adressés en temps réel par mails de l'officier ministériel

- la SCI [N] IMMOBILIER détenait les fonds nécessaires au paiement de l'impôt aux dates d'exigibilité.



En réponse, la SAS ACF PAYS BASQUE expose les moyens qui suivent:

- les parties étaient liées par une lettre de mission en date du 21 février 2006 qui mettait à la charge du client une obligation de diligence dans la délivrance des pièces et informations utiles à l'établissement des comptes et déclarations;

- l'obligation du comptable est une obligation de moyens;

- la SCI [N] IMMOBILIER et son gérant n'ont pas adressé à la SAS ACF PAYS BASQUE les pièces relatives aux ventes en cause et ne peuvent donc se prévaloir de leur négligence;

- la SCI [N] IMMOBILIER ne disposait pas des fonds nécessaires au paiement de la TVA aux dates d'exigibilité, elle ne peut donc se prévaloir de sa propre faute.

Suivant les dispositions de l'article 1134 ancien du code civil, applicable au présent litige, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.

Suivant les dispositions de l'article 1147 ancien du code civil, le débiteur d'une obligation est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution.



Les parties ont signé une lettre de mission le 21 février 2006, suivant laquelle la SAS ACF PAYS BASQUE exerce une mission de base constituée par la tenue de la comptabilité, l'établissement du bilan et compte de résultat ainsi que l'établissement des déclaratiosn fiscales obligatoires .

Le contrat prévoit également au titre des missions complémentaires facultatives, une mission de conseil en matière fiscale.

La convention précise que 'sous réserve de l'obtention des éléments nécessaires, notre mission sera exécutée dans les délais qui vous permettent de respecter vos obligations commerciales, sociales et fiscales'.



Il se déduit de ce contrat que s'agissant du dépôt dans les délais légaux des déclarations fiscales, l'expert comptable est tenu à une obligation de résultat, dés lors que les dites déclarations portent sur l'activité habituelle du client. En revanche les déclarations portant sur les opérations exceptionnelles relèvent de la mission complémentaire facultative de conseil du cabinet d'expertise qui constitue une obligation de moyens.



Les déclarations de TVA qui sont à l'origine du présent litige, concernent deux ventes immobilières :

- en date du 6 février 2013 d'un montant de 725.000 € HT, faisant naître une TVA d'un montant de 142.100 €

- en date du 28 juin 2013 d'un montant de 662.000 € HT faisant naître une TVA d'un montant de 129.752 €.



L'objet social de la SCI [N] IMMOBILIER (tel que décrit dans la décision du tribunal administratif) consiste en la location de locaux nus à usage professionnel. Les opérations de ventes immobilières conclues en février et juin 2013 sortaient donc du cadre habituel de l'activité de la SCI . L'appelante ne conteste pas que les biens faisaient en outre l'objet d'un crédit bail, lequel ajoute à la particularité de l'opération . Ces ventes dépassaient donc le cadre de la mission de base de la SAS ACF PAYS BASQUE .



Par conséquent, étant hors norme au regard de l'activité courante de la SCI [N] IMMOBILIER , la SAS ACF PAYS BASQUE était tenue à une obligation de conseil quant aux diligences relatives aux déclarations fiscales.



Il est constant que les déclarations de TVA auraient dû être établies au titre des 1er et 2ème trimestres 2013.



Les courriers électroniques produits au débat montrent que Monsieur [K], gérant de la SAS ACF PAYS BASQUE a été mis en copie par l'étude du notaire de courriels relatifs aux rendez-vous concernant la vente de février 2013 et que le gérant de la SAS ACF PAYS BASQUE a été rendu destinataire par l'étude du notaire d'une copie de chacun des actes , comportant les indications nécessaires à l'établissement de la TVA.

Il appartenait alors au cabinet d'expertise comptable d'attirer l'attention de son client sur les délais à respecter en matière de déclaration et de paiement de la TVA relative à ces opérations et les conséquences d'un éventuel retard.

En s'abstenant de le faire avant d'avoir été saisie par la SCI [N] IMMOBILIER courant novembre 2013 , la SAS ACF PAYS BASQUE a manqué à son obligation de conseil.



Cependant, en ce qui concerne le préjduice et le lien de causalité, l'examen des relevés de comptes produits au débat montre que :

- suite à la vente du 6 février 2013 , le notaire a procédé à un virement sur le compte de la SCI [N] IMMOBILIER de 290.740,21 € le 8 février 2013. Dans les jours qui ont suivi, Monsieur [F] [N] a effectué une série de virements vers ses comptes personnels pour environ 275.000 €;

- suite à la vente du 28 juin 2013, le notaire a procédé à un virement sur le compte de la SCI [N] IMMOBILIER de 751.102 € le 1er juillet 2013, Monsieur [W] [N] a ouvert, courant juillet 2013 un compte à terme de 500.000 € et viré sur son compte personnel les 17 juillet 2013 et 2 août 2013, une somme totale de 153.000 €.



Ainsi, à la date de paiement de la TVA des 1er et 2ème trimestre 2013, la SCI [N] IMMOBILIER ne disposait pas des fonds nécessaires au paiement des sommes dues au fisc (142.000 e et 129.752 €), ce que le gérant savait pertinement puisque c'est lui qui a procédé aux virements à son profit.



Par ailleurs, bien que le comptable ait omis d'alerter la SCI [N] IMMOBILIER sur la nécessité de procéder aux déclarations de TVA dans les délais, cette société avait de son côté necessairement connaissance du caractère impératif de l'obligation fiscale, le tribunal administratif ayant relevé à cet égard que la SCI [N] IMMOBILIER est un professionnel, qu'elle a elle-même opté pour l'assujetissement à la TVA des deux cessions immobilières et que ses obligations lui avaient déjà été rappelées à l'occasion d'un précédent contrôle intervenu en 2006. C'est donc en connaissance de cause que les virements ci dessus décrits ont été opérés.



Par suite, le préjudice allégué par la SCI [N] IMMOBILIER consitué par les pénalités de retard ainsi que la majoration de 40 % pour manquement délibéré à l'obligation fiscale, ne résulte que de sa propre faute par l'intermédiairede son gérant, à savoir l'absence de fonds disponibles dans les comptes de la société, les sommes issues de la vente ayant été affectées à d'autres fins, et ce, en connaissance de cause.

Par conséquent, la SCI [N] IMMOBILIER et son gérant ne sauraient faire supporter à la SAS ACF PAYS BASQUE les conséquences dommageables de leur propre faute.

La décision dont appel sera donc confirmée en ce qu'elle a débouté la SCI [N] IMMOBILIER et Monsieur [W] [N] de leurs demandes de dommages et intérêts contre la SAS ACF PAYS BASQUE.



Sur les dépens et les frais non répétibles



La SCI [N] IMMOBILIER et Monsieur [W] [N] qui succombent supporteront les dépens de première instance et d'appel in solidum .



Au regard de l'équité, la décision déférée sera réformée en ce qu'elle a débouté la SAS ACF PAYS BASQUE de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La SCI [N] IMMOBILIER et Monsieur [W] [N] seront condamnés in solidum à payer à la SAS ACF PAYS BASQUE la somme de 2.000 € au titre des fris de première instance et celle de 5.000 € au titre des frais d'appel.



PAR CES MOTIFS



La Cour,

statuantpubliquement, par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,



Confirme la décision déférée, sauf en ce qui concerne les frais non répétibles et les dépens,



Statuant à nouveau de ces chefs,



Condamne in solidum la SCI [N] IMMOBILIER et Monsieur [W] [N] à payer à la SAS ACF PAYS BASQUE la somme de 2.000 € au titre des frais de première instance et celle de 5.000 € au titre des frais d'appel.



Condamne in solidum la SCI [N] IMMOBILIER et Monsieur [W] [N] aux dépens de première instance et d'appel dont distraction au profit de la SELARL ABL ASSOCIES,



Le présent arrêt a été signé par Mme Caroline DUCHAC, Président, et par Mme Julie FITTES-PUCHEU, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.



LE GREFFIER,LE PRESIDENT



Julie FITTES-PUCHEU Caroline DUCHAC

Vous devez être connecté pour gérer vos abonnements.

Vous devez être connecté pour ajouter cette page à vos favoris.

Vous devez être connecté pour ajouter une note.