31 octobre 2019
Cour d'appel de Versailles
RG n° 18/01560

3e chambre

Texte de la décision

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 59C



3e chambre



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 31 OCTOBRE 2019



N° RG 18/01560

- N° Portalis DBV3-V-B7C-SHD6



AFFAIRE :



SARL MAGNUM PHOTOS





C/





Société LAGARDERE MEDIA NEWS venants aux droits de la Société HACHETTE FILIPACCHI ASSOCIES









Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 29 Juin 2017 par le Tribunal de Grande Instance de NANTERRE

N° Chambre : 1

N° RG : 14/10389



Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :



à :



Me Daphné JUSTER



Me Martine DUPUIS de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE TRENTE ET UN OCTOBRE DEUX MILLE DIX NEUF,

La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :



SARL MAGNUM PHOTOS

N° SIRET : B 572 141 091

[Adresse 1]

[Localité 3]

agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège



Représentant : Me Daphné JUSTER, Postulant et Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : B0702



APPELANTE





****************





Société LAGARDERE MEDIA NEWS venants aux droits de Société HACHETTE FILIPACCHI ASSOCIES par apport partiel d'actif du 29 octobre 2018

N° SIRET : 834 289 373

[Adresse 2]

[Localité 3]

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège



Représentant : Me Martine DUPUIS de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 625 - N° du dossier 1859465

Représentant : Me Laurent MERLET de la SCP Bénazeraf - Merlet, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0327 - substitué par Me Sophie PARENT, barreau Paris



INTIMEE



****************





Composition de la cour :



En application des dispositions de l'article 786 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 19 Septembre 2019 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Françoise BAZET, Conseiller chargé du rapport et Madame Caroline DERNIAUX, conseiller,



Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :



Madame Véronique BOISSELET, Président,

Madame Françoise BAZET, Conseiller,

Madame Caroline DERNIAUX, Conseiller,



Greffier, lors des débats : Madame Claudine AUBERT,




FAITS ET PROCEDURE



La société Magnum Photos est une coopérative photographique créée en 1947 ayant pour activité la représentation de photographes et l'exploitation pour leur compte de droits de reproduction et de représentation de leurs oeuvres.



Elle expose qu'au titre de ses activités, elle a transmis à des sociétés d'édition plusieurs tirages de presse dont ses photographes sont les auteurs, aux fins de reproduction dans des titres de presse, ces tirages étant identifiables par l'apposition de tampons à leur verso indiquant 'Tirage Magnum Photo' 'épreuve à rendre' 'C Magnum Photo' 'Magnum [Localité 4] Library print to be returned reproduction print strictely for use printed matter and not exhibition or collection' 'épreuve destinée uniquement à la reproduction et en aucun cas pour exposition ou collectionneur' ou encore 'C [ZG] [DB]'.



Estimant que la remise de ces tirages constitue un simple dépôt, prêt ou mandat pour les seuls besoins de leur consultation et de leur éventuelle reproduction par les éditeurs de presse, la société Magnum Photos a cherché à en obtenir la restitution. Elle a donc pris attache, par courriel du 13 décembre 2012, avec la société Hachette Filipacchi Associés (HFA), laquelle édite notamment les magazines [Adresse 7] et Elle.



Par courriel en réponse du 19 décembre 2012, la société HFA a fait valoir que les usages de la profession tels que fixés par l'accord du 17 mai 2004 veulent que les documents originaux remis aux éditeurs soient retournés à l'agence après parution, que la pratique des éditeurs de presse magazine consistant à effectuer des tirages des photographies parues, confiées puis restituées à l'agence, ou d'en conserver un duplicata est actée dans l'article 2-4 du constat d'usages professionnels du 17 mai 2004 qui en rappelle la destination strictement documentaire et en fixe les limites, qu'elle a conservé la propriété corporelle des tirages réalisés à ses frais, qu'en outre, sur le plan de la propriété incorporelle, la société Magnum Photos n'est plus mandatée par les photographes pour de nombreux clichés dont elle sollicite la restitution.



Ce désaccord persistant malgré les échanges entre les deux sociétés, la société Magnum Photos a assigné la société HFA devant le tribunal de grande instance de Nanterre, par acte délivré le 19 juin 2013, sur le fondement des articles L. 111-1, L. 121-1 et L.121-2 du code de la propriété intellectuelle, afin d'obtenir la restitution sous astreinte des archives et des tirages de presse concernés, l'interdiction pour la société HFA de procéder à leur vente et la réparation de son préjudice.



Par jugement du 29 juin 2017, le tribunal a :



- dit n'y avoir lieu à écarter des débats les pièces n°55, 58, 74 et 75 de la société Magnum Photos,

- déclaré la société Magnum Photos recevable à agir en restitution des seuls tirages photographiques de M. [ZE], M. [HF], Mme [XN],

- dit irrecevables, car prescrites, les demandes de la société Magnum Photos en restitution des tirages de presse de photographies parus antérieurement au 19 juin 1983,

- débouté la société Magnum Photos de sa demande en restitution des tirages de presse des photographes M. [ZE], M. [HF], Mme [MI] [XN] publiés à compter du 19 juin 1983 et du surplus de ses demandes,

- dit prescrite l'action de la société HFA en restitution des tirages de presse remis à la société Magnum Photos au mois d'octobre 2008,

- condamné la société Magnum Photos à payer à la société HFA une indemnité de 20 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- rejeté les demandes plus amples ou contraires,

- condamné la société Magnum Photos aux dépens,

- dit n'y avoir lieu au prononcé de l'exécution provisoire.



Par acte du 06 mars 2018, la société Magnum Photos a interjeté appel et demande à la cour, par dernières écritures du 12 juin 2019, de :



- réformer le jugement entrepris,



- vu les mandats d'ester en justice des 42 photographes ou de leurs ayant droits versés au débat, confirmant la qualité de mandataire de la société Magnum Photos,



- déclarer Magnum Photos recevable à agir pour le compte de ses 42 photographes ou ayant droits en restitution des tirages de presse,




[L]

[VW] [D]

[CF] [Z]

[E] [W]

[UD] [B]

[XL] [C]

[AD] [F]

[U] [I]

[FR] [I]

[KP] [K]

[S] [OB]

[KT] [ZH]

[KS] [KR]

[XR] [ZI]

[PR] [UE]

[SN] [PU]

[DX] [SM]

[N] [DV]

[NZ] [PV] [CE]

[BT] [HF]

[JB] [VY]

[X] [OC]

[NY] [VV]

[HG] [IX]

[XM] [SL]

[KO] [FM]

[ZG] [DB]

[V] [PS]

[MK] [MI] [XN]

[UG] [FP]

[UB] [HI]

[HJ] [DU]

[CC] [UC]

[HH] [PW]

[H] [OE] [SK]

[JA] [ZE]

[PT] [FL]

[HG] [ML]

[VZ] [ZJ]

[CD] [SJ]

[HE] [HD]

[P] [KU]




A titre principal :



- juger que la société HFA n'a pas contribué aux frais de production des photographies mais seulement aux frais de tirages de presse.



En conséquence :



- qu'elle ne saurait être propriétaire de tirages de presse des photographes les plus éminents au motif qu'elle a, pour satisfaire sa demande, été autorisée exceptionnellement à éditer à partir de négatifs originaux les tirages 'dont elle a assuré un coût modique', pour ce qui concerne les tirages avec le tampon Magnum Photos.



A titre subsidiaire :



- constater que la société Magnum Photos offre de rembourser à la société HFA les montants des factures du laboratoire portant sur le coût des développements des supports en contrepartie de la restitution,



- juger que la société HFA est en vertu d'un contrat de prêt de dépôt ou de mandat tenue de restituer les tirages de presse édités.



A titre principal :



- constater que la société HFA n'a jamais exercé une possession continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque et à titre de propriétaire sur le support matériel des photographies de la société Magnum Photos,



- déclarer recevable, bien fondée et non prescrite l'action de la société Magnum Photos.



A titre subsidiaire :



- constater que la société HFA a reconnu le contrat de dépôt ou de prêt ou de mandat et a procédé à des restitutions partielles des tirages de presse de la société Magnum Photos, au cours des années 2001 et 2008,



- constater que la société HFA a reconnu le contrat de dépôt ou de prêt ou de mandat et a procédé à la restitution de 10 tirages de presse, conservés par le magazine Elle, à la société Magnum Photos le 31 janvier 2014, soit postérieurement à l'assignation délivrée le 19 juin 2013,



- qu'en tout état de cause, elle a donc reconnu ne pas en être propriétaire,



- condamner la société HFA à verser au débat les listings de tous les tirages de la société Magnum Photos, et ce sous astreinte de 15 000 euros, par jour de retard, à dater de la signification de la présente décision,

- condamner la société HFA à restituer à Magnum Photos, et ce sous astreinte de 15 000 euros, par jour de retard, à dater de la signification de la présente décision, l'intégralité des archives et des tirages de presse qu'elle détient, et portant au verso le tampon Photo Magnum ou Magnum Photos, ou la mention manuscrite ou tamponnée Magnum, ou encore la mention manuscrite du nom du photographe,



- condamner la société HFA à restituer à la société Magnum Photos, et ce sous astreinte de 15 000 euros, par jour de retard, à dater de la présente décision l'intégralité des tirages identifiés à ce jour correspondant aux listings des photos publiées dans [Adresse 5], établis par Magnum Photos, et visés en pièces :




65 bis 1,2,3,4 pour la période 1949 à 1959 (3 volumes)

66 bis 1,2 pour la période 1960 à 1969 (2 volumes)

67 bis 1,2 pour la période 1970 à 1979 (2 volumes)

68 bis 1,2,3,4 pour la période 1980 à 1989 (4 volumes)


et correspondant aux listing des mêmes périodes et identifiées par photographe :


53 bis modifie: listing par photographe pour la période de 1949 à 1959 : 404 photographies

54 bis modifie: listing par photographe pour la période de 1960 à 1969 : 295 photographies

55 bis modifie: listing par photographe pour la période de 1970 à 1980: 412 photographies

56 bis modifie: listing par photographe pour la période de 1980 à 1989: 502 photographies


soit un total de 1 613 photographies,



- condamner la société HFA à restituer à la société Magnum Photos, et ce sous astreinte de 15 000 euros, par jour de retard, à dater de la signification de la présente décision :




l'intégralité des tirages identifiés à ce jour dans la liste des photos manquantes à la suite de la restitution effectuée au mois d'octobre 2008, identifiés à ce jour, établi par Magnum Photos, et visées en pièces N° 30-1 à N° 35, soit un total de 74 photos.

l'intégralité des tirages identifiés à ce jour dans les listing des logs Magnum qui couvre les périodes de 1962 à 1969 pour les 3 publications concernées, et visées en pièces 52-1, 52-2, 52-3,

N° 52-1. listing des logs des parutions ELLE : 72 photos

N° 52-2. listing des logs des parutions Marie-Claire : 18 photos

N° 52-3. listing des logs des parutions [Adresse 6] : 275 photos




soit un total de 365 photos et un total général de 2 052 photographies.



A titre encore plus subsidiaire :



En cas de confirmation du jugement sur la date d'acquisition de la prescription à compter du 19 juin 1983 :



- faire droit à la demande de la société Magnum Photos concernant la restitution des tirages de presse pour la période de 1983 à 1989,





- faire interdiction à la société HFA de procéder directement ou indirectement à la vente de tous tirages de presse, comportant le tampon Photo Magnum ou Magnum Photos ou la mention manuscrite ou tamponnée 'Magnum' ou encore de la mention manuscrite du nom du photographe, et ce sous astreinte de 15 000 euros, par infraction constatée, à dater de la signification de la présente décision,



- condamner la société HFA à lui verser la somme de 25 000 euros à titre de dommages intérêts en réparation du préjudice subi,



- condamner la société HFA à lui verser la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,



- condamner la société HFA, en tous les dépens dont ceux de première instance, recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.



Par dernières écritures du 30 août 2019, la société HFA demande à la cour de :

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :




rejeté l'irrecevabilité à agir à raison des archives photographiques du magazine Marie-Claire,

jugé que l'article L. 110-4 du code de commerce n'était pas applicable à l'action en restitution engagée par l'Agence Magnum Photos,

dit irrecevables car prescrites les demandes de la société Magnum Photos en restitution des tirages de presse de photographies parus antérieurement au 19 juin 1983, et ce faisant examiné le bien fondé de ses demandes portant sur des tirages de clichés publiés postérieurement au 19 juin 1983.




- confirmer pour le surplus, en ce qu'il a :




débouté la société Magnum Photos de sa demande en restitution des tirages de presse et du surplus de ses demandes,

condamné la société Magnum Photos à payer à la société HFA aux droits de laquelle se trouve la société Lagardère Media News une indemnité de 20 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.




Et statuant à nouveau :



A titre principal :



- déclarer irrecevables les conclusions de la société Magnum Photos signifiées le 12 juin 2019 et pièces afférentes (pièces adverses n° 70 bis à 91 bis) relatives à sa recevabilité à agir au nom des photographes,



- déclarer irrecevables et mal fondées les demandes exclusivement formées à l'encontre de la société HFA,



- en tout état de cause, déclarer la société Magnum Photos irrecevable à agir pour défaut de qualité pour 17 des 42 photographes prétendument représentés en cause d'appel, à savoir : [L], [D], [F], [I], [I], [K], [IY], [PU], [DV], [CE], [HF], [OC], [FM], [ZE], [FL], [ML] et [ZJ],

- déclarer la société Magnum Photos irrecevable à agir à raison des archives photographiques du magazine Marie-Claire à l'encontre de la société Lagardère Media News, celle-ci n'étant pas détentrice desdites archives.



Subsidiairement :



- déclarer prescrites les demandes de la société Magnum Photos depuis 1999 et en tout état de cause depuis le 18 juin 2013 à minuit.



Très subsidiairement :



- juger que la société Magnum Photos ne rapporte pas la preuve qui lui incombe du 'contrat de dépôt ou de prêt' qu'elle invoque,



- juger que la société Lagardère Media News, venant aux droits de la société Hachette Filipacchi Associés, est propriétaire des tirages de presse réalisés à ses frais entre 1949 et 1989 et qu'elle bénéficie en tout état de cause de la prescription acquisitive, sa possession paisible s'étant prolongée de 1949 à juin 2013 sans la moindre restriction ni réserve,



- juger que la société Magnum Photos n'identifie pas les tirages de presse dont elle sollicite la restitution,



- en tout état de cause, juger que les tirages ne pourraient faire l'objet d'une restitution qu'en contrepartie du remboursement des frais de réalisation évalués à dire d'expert à la date du remboursement.



En conséquence :



- débouter la société Magnum Photos de toutes ses demandes fins et conclusions,



- condamner la société Magnum Photos à lui verser une somme complémentaire de 20 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.



La cour renvoie aux écritures des parties en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile pour un exposé complet de leur argumentation.



L'ordonnance de clôture a été rendue le 5 septembre 2019.



Par conclusions signifiées le 11 septembre 2019, la société Magnum Photos a demandé la révocation de l'ordonnance de clôture. L'incident a été joint au fond.



* * *



La disposition par laquelle le tribunal a dit prescrite l'action de la société HFA en restitution des tirages de presse remis à la société Magnum Photos au mois d'octobre 2008 n'est pas critiquée, l'intimée indiquant renoncer à cette demande, et sera donc confirmée.



- Sur la demande de révocation de l'ordonnance de clôture



Aux termes de l'article 784 du code de procédure civile, l'ordonnance de clôture ne peut être révoquée que s'il se révèle une cause grave depuis qu'elle a été rendue.



Force est de constater que les conclusions de la société Magnum Photos ne contiennent aucune explication sur la cause grave postérieure à la clôture qui justifierait une révocation de l'ordonnance de clôture.



Dans ces conditions, l'ordonnance de clôture du 11 septembre 2019 ne sera pas révoquée.



- Sur la demande tendant à déclarer irrecevables les conclusions signifiées par la société Magnum Photos le 12 juin 2019



La société Lagardère Media News demande à la cour, par conclusions signifiées le 30 août 2019, de déclarer irrecevables les conclusions de la société Magnum Photos signifiées le 12 juin 2019 et les pièces afférentes relatives à sa recevabilité à agir au nom des photographes, et ce au motif que la société Magnum Photos n'a pas répondu à ses conclusions portant appel incident du 31 août 2018 dans le délai de trois mois que lui impose l'article 910 du code de procédure civile.



Aux termes de l'article 914 du code de procédure civile, les parties soumettent au conseiller de la mise en état, qui est seul compétent depuis sa désignation et jusqu'à la clôture de l'instruction, leurs conclusions, spécialement adressées à ce magistrat, tendant notamment à déclarer les conclusions irrecevables en application des articles 909 et 910.



Le conseiller de la mise en état n'a pas été saisi de cet incident par voie de conclusions spécialement adressées à ce magistrat, les conclusions signifiées le 30 août 2019 étant adressées à la cour.



Il y a lieu en conséquence de déclarer cette demande irrecevable.



- Sur le changement de dénomination de la société HFA



Il sera pris acte de ce que la société Lagardère Media News vient aux droits de la société Magnum Photos par apport partiel d'actifs du 29 octobre 2018 (pièce n° 13 de l'intimée).



- Sur la qualité à agir de la société Magnum Photos



Après avoir rappelé les dispositions des articles 32,122 et 416 du code de procédure civile, le tribunal a jugé que la société Magnum Photos ne démontrait pas avoir été cessionnaire des droits d'auteur ni avoir reçu un mandat d'agir en justice en leur nom pour obtenir la restitution des tirages des photographies de 93 photographes de sorte qu'elle ne justifiait pas de sa qualité à agir pour leur compte, ne retenant sa recevabilité à agir qu'au nom de [MK] [MI] [XN], [JA] [ZE] et [AL] [HF].



Le jugement n'est pas critiqué par la société Lagardère Media News en ce qu'il a jugé que la société Magnum Photos justifiait avoir reçu mandat d'agir en justice par [MK] [MI] [XN], dont le nom ne figure pas dans la liste des 17 photographes dont l'intimée conteste que l'appelante puisse les représenter.



La société Magnum Photos reproche au tribunal de n'avoir retenu que les mandats délivrés - outre celui de [MK] [MI] [XN] non critiqué par l'intimée - par [JA] [ZE] et [AL] [HF] et demande à la cour de juger qu'elle justifie de mandats pour le compte de 42 photographes, l'appelante ayant d'elle même exclu 7 d'entre eux qui, du fait de leur grand âge, n'avaient pu délivrer de mandats : MM.[AO] [FO], [O] [OA], [FN] [XP], [FN] [UF], [MG] [OD], [CB] [DY] et [MJ] [IW].



Le tribunal a à raison observé que la société Magnum Photos devait justifier de sa qualité à agir soit en tant que cessionnaire des droits des photographes soit en qualité de représentant, en produisant un mandat spécial d'agir en justice à cette fin, la seule circonstance qu'elle soit une coopérative photographique représentant des photographes et exploitant pour leur compte leurs droits de reproduction et de représentation et qu'elle ait entretenu de longue date des relations commerciales avec la société HFA en cette qualité étant insuffisante à établir son droit d'agir en justice.



La société Lagardère Media News discute de la qualité à agir de la société Magnum Photos s'agissant de 17 photographes.



Il sera observé que, pour répondre aux critiques faites par l'intimé, la société Magnum Photos a versé aux débats la traduction des actes produits ainsi que des documents parfaitement lisibles.



L'observation développée par l'intimée quant au fait que les mandats produits sont rédigés en français alors que plus de 30 signataires sont d'origine étrangère est sans pertinence.



Les mandats délivrés par les ayants droit de photographes ont suscité de la part de la société Lagardère Media News des critiques tenant au fait que la société Magnum Photos ne démontrait pas que le mandant soit l'unique ayant droit du photographe concerné. Toutefois il importe de rappeler que les mandants ont donné mandat à la société Magnum Photos de les représenter en justice dans le cadre d'une demande tendant à la restitution de tirages entre les mains de la société Magnum Photos, laquelle les représente et exploite pour leur compte des droits de reproduction et de représentation de leurs oeuvres. Contrairement à ce qui est soutenu par l'intimée, il n'est donc pas nécessaire que l'appelante puisse justifier de mandats délivrés par l'ensemble des membres de l'indivision successorale du photographe concerné.



S'agissant d'[L] [T] [AP] dit [L], la qualité à agir de la société Magnum Photos est justifiée par la production de l'acte de notoriété, des statuts de l'association '[L] Photos' dont le conseil d'administration a désigné M. [XO] [Y], un des fils du photographe, en qualité de président ainsi que du mandat délivré par ce dernier le 21 juin 2018.

S'agissant de [HG] [ML], les mandats ont été établis par [MH] [BV] et [A], le neveu et la nièce et héritiers de son épouse, [VX] [XS], en l'absence de dispositions testamentaires.



Pour [FR] [I], en l'absence de dispositions testamentaires et en l'absence d'enfant et de conjoint, c'est son frère qui fut son héritier et qui a désigné, en cas de décès de son épouse, l'International Center Photography pour percevoir et gérer ses droits. C'est donc le CPI qui a valablement donné mandat.



S'agissant de [KP] [K] et de son épouse, [XR] [ZI], les mandats ont été valablement donnés par le directeur de la Fondation [K].



Quant à [JA] [ZE], le tribunal a tenu compte d'un écrit à son nom signé par Mme [J] [ZE], désignée en qualité de tutrice par jugement du tribunal d'instance de Paris VI ème du 19 mars 2015 pour juger que la société Magnum Photos était pleinement habilitée à requérir cette restitution. [JA] [ZE] est décédé en cours d'instance le 30 août 2016 et ses ayants droit, Mme [J] [ZE] et ses enfants ([R] -cette dernière représentée par sa mère, sa tutrice - [M], [IZ] et [UH]) ont donné mandat à la société Magnum Photos le 21 juin 2018.



Les pièces produites par la société Magnum Photos, dont les mandats, justifient qu'elle est également valablement mandatée pour agir en justice pour le compte de : [VW] [D], [AD] [F], [U] [I], [SN] [PU], [N] [DV], [NZ] [PV] [CE], [X] [OC], [KO] [FM], [BT] [HF] et [PT] [FL].



Demeure litigieux le cas du mandat concernant les oeuvres de [VZ] [ZJ]. Celle-ci a en effet, semble-t-il, légué l'essentiel de ses biens à l'Etat du Népal (pièce n° 86 bis). Le mandat est donné à la société Magnum Photos par M. [AM], directeur de [8], organisation à but non lucratif domiciliée aux Etats Unis et qui représente le Monastère [8] au Tibet (pièce 45-bis ). Il n'est pas démontré que ce monastère soit l'ayant droit de la photographe. Ce mandat ne sera donc pas retenu.



Ainsi la société Magnum Photos justifie devant la cour, ce qu'elle ne faisait pas devant les premiers juges, de ce qu'elle a qualité à agir au nom de 41 des 42 photographes qu'elle entendait représenter. Le jugement sera infirmé de ce chef.



- Sur la recevabilité de la demande en restitution des archives du magazine [ZF] [G]



Comme devant les premiers juges, la société Lagardère Media News soutient que cette demande formée par la société Magnum Photos est irrecevable au motif qu'elle ne détient pas les dites archives et qu'elle n'est pas l'éditrice de ce magazine.



Ainsi que justement retenu par le tribunal, ces moyens portent sur le bien fondé de la demande en restitution et non sur sa recevabilité.



- Sur la prescription



La société Magnum Photos a demandé au tribunal la restitution des tirages de clichés correspondant aux listings des photographies publiées dans le magazine [Adresse 6] au cours de la période allant de 1949 à 1989 ainsi que dans les magazines Elle et Marie-Claire de 1962 à 1969.



C'est à bon droit et par des motifs que la cour adopte sans réserve que le tribunal a jugé que la demande de restitution des tirages, formée par la société Magnum Photos en sa qualité de mandataire de photographes ou de leurs ayants droit relevait de la prescription civile de droit commun relative aux actions personnelles ou mobilières.



S'agissant des clichés publiés antérieurement au 19 juin 1978, la prescription trentenaire était donc acquise au jour de l'entrée en vigueur de la nouvelle loi.



En application de l'article 26 de la loi du 17 juin 2008, ses dispositions qui réduisent la prescription s'appliquent aux prescriptions à compter du jour de l' entrée en vigueur de la dite loi, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure.



Ainsi, pour les prescriptions non encore acquises en vertu des anciennes dispositions légales lors de l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, soit le 19 juin 2008, le délai pour agir expirait le 19 juin 2013 à 0 heure, sans toutefois que la durée totale ne puisse excéder 30 ans, de sorte que l'assignation délivrée délivrée le 19 juin 2013, n'a pas interrompu le délai de prescription, lequel était déjà acquis le jour-même à 0 heure.



La société Magnum Photos fait valoir qu'en application de l'article 2240 du code civil, la société Lagardère Media News a, par trois fois, interrompu la prescription par la restitution de tirages de presse, le 13 janvier 2001 par la société [Adresse 5] à [KP] [K], en octobre 2008 par [Adresse 5] à la société Magnum Photos et le 31 janvier 2014 par le magazine Elle à la société Magnum Photos.



Aux termes de l'article 2240 du code civil, la reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait interrompt le délai de prescription.



Toutefois la restitution alléguée du 13 janvier 2001 est intervenue au profit d'[KP] [K] et ne peut valoir reconnaissance d'un droit au profit de l'appelante. Celle intervenue en octobre 2008 ne peut s'analyser comme la reconnaissance d'un droit dés lors que demeurent indéterminées les circonstances exactes dans lesquelles la société HFA a remis des tirages à la société Magnum Photos. Enfin, il est constant que la restitution de janvier 2014 ne concerne pas des tirages de photographies réalisés par la société HFA mais des originaux, duplicatas et tirages que la société Magnum Photos lui avait prêtés.



L'appelante n'est donc pas fondée à invoquer le bénéfice des dispositions précitées.



Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a jugé que toute demande portant sur des tirages de clichés publiés antérieurement au 19 juin 1983 était prescrite.



- Sur la demande en restitution



Dés lors que la cour juge prescrite toute demande antérieure au 19 juin 1983, elle n'est tenue de répondre qu'aux demandes figurant, dans les conclusions de l'appelante, au paragraphe intitulé 'à titre encore plus subsidiaire : En cas de confirmation du jugement sur la date d'acquisition de la prescription à compter du 19 juin 1983" soit la demande en restitution des tirages de presse pour la période de 1983 à 1989 et celle tendant à faire interdiction à la société Lagardère Media News de procéder à la vente de tous tirages de presse. La cour n'est donc pas saisie des demandes formées par la société Magnum Photos tendant à la condamnation de l'intimée à verser aux débats sous astreinte les listings de tous les tirages de Photo Magnum et Magnum Photos, ainsi qu'à la restitution sous la même astreinte de l'intégralité des archives et des tirages de presse qu'elle détient portant au verso le tampon Photo Magnum ou Magnum Photos, ou bien encore la mention manuscrite ou tamponnée Magnum ou celle du nom du photographe. Il sera de surcroît observé que ces demandes étaient par trop indéterminées pour qu'il puisse y être répondu et qu'elles englobaient nécessairement des périodes pour lesquelles la prescription est acquise.



Aux termes des articles L.111-1 et L.111-3 du code de la propriété intellectuelle, la propriété incorporelle, dont jouit l'auteur sur son oeuvre du seul fait de sa création, est indépendante de la propriété de l'objet matériel et les droits de propriété intellectuelle subsistent en la personne de l'auteur qui ne pourra exiger du propriétaire de l'élément matériel la mise à disposition de cet objet qu'en cas d'abus notoire du propriétaire empêchant l'exercice du droit de divulgation.



Il résulte de cette dissociation entre l'oeuvre, en tant qu'objet immatériel, et son support matériel que le propriétaire du support exerce les prérogatives du propriétaire d'un objet corporel et ce en conformité avec les règles fixées par le code civil, mais n'a aucun droit de propriété intellectuelle, de sorte qu'il ne peut reproduire l'oeuvre. Le titulaire des droits d'auteur ne peut quant à lui faire obstacle à l'exercice, par le propriétaire du support, de son droit de propriété et ne peut notamment s'opposer à la vente de l'objet.



Il est constant que dans le cadre de ses relations avec les éditeurs de presse, avant l'arrivée du numérique, la société Magnum Photos en sa qualité de mandataire des photographes, adressait aux éditeurs des tirages de presse qu'elle avait édités et ce en vue de leur reproduction dans la presse. Ces tirages comportaient souvent au verso des tampons divers comme 'Tirage archive Magnum Photo' 'épreuve à rendre' '© Magnum Photo' 'Magnum [Localité 4] Library print to be returned, reproduction print strictly for use printed matter and not exhibition or collection' ou bien encore 'épreuve destinée uniquement à la reproduction et en aucun cas pour exposition ou collectionneur'.



La société Magnum Photos ne conteste pas avoir agi différemment avec la société HFA, pour répondre aux exigences de l'urgence. Elle a ainsi autorisé [Adresse 5] à éditer à ses frais les tirages de presse à partir des négatifs et des planches-contact. Il n'est pas contesté que l'éditeur restituait ensuite ces négatifs et ces planches- contacts et conservait les tirages effectués.



Il incombe à la société Magnum Photos de prouver qu'elle a la propriété des tirages alors que la société Lagardère Media News en a la possession depuis l'origine. En effet, les tirages ont été sans interruption entre les mains du Groupe Prouvost jusqu'en 1976, aux droits duquel est venue la société Cogedipresse puis la société Hachette Filipacchi Associés et enfin la société Lagardère Media News.



La détermination du propriétaire du support matériel d'une oeuvre obéit aux règles du code civil et spécialement à celles relatives au droit de propriété. Ainsi le possesseur de bonne foi du meuble corporel est et demeure propriétaire de celui-ci.



Pour s'opposer aux effets de cette possession, la société Magnum Photos ne peut valablement soutenir que la société HFA détenait ces tirages dans le cadre d'un mandat de dépôt ou de prêt. En effet, ce sont les négatifs et les planches-contacts qui faisaient l'objet d'un dépôt et non les tirages que la société HFA en a faits elle-même.



Par application de l'article L111-3 précité, dés lors que la société HFA a financé les supports vierges et les frais techniques de développement, elle est la propriétaire originaire desdits supports. Le fait que la société HFA ait pu, par le passé, procéder à des restitutions n'est pas de nature à infléchir cette réalité.



Il y a lieu de juger en conséquence que la société Magnum Photos n'est pas fondée à demander la restitution des tirages de presse pour la période allant de 1983 à 1989. Pour ces motifs, se substituant à celui des premiers juges, le jugement sera confirmé et sera complété pour le rejet des demandes concernant les photographes autres que [JA] [ZE], [BT] [HF] et Mme [XN].



- Sur la demande tendant à l'interdiction de vendre les tirages de presse



La société Magnum Photos fait valoir que la vente de tirages de presse, sans son consentement en qualité de mandataire des photographes, porte atteinte aux droits patrimoniaux et moraux des auteurs, et notamment au respect de l''uvre et au droit de divulgation, dont ils sont titulaires.



La propriété incorporelle définie par l'article L111-1 du code de la propriété intellectuelle est indépendante de la propriété de l'objet matériel. La société Magnum Photos, propriétaire des tirages, est donc en droit d'en disposer.



La société Magnum Photos n'est pas fondée à invoquer le droit de divulgation reconnu à l'auteur par application de l'article L121-2 du même code qui lui donne le pouvoir de décider de rendre ou non publique son oeuvre puisqu'il est constant que les photographies concernées ont déjà fait l'objet de publication.



Cette demande sera en conséquence rejetée.



- Sur les demandes accessoires



De ce qui précède il résulte que la demande en dommages-intérêts formée par la société Magnum Photos ne peut être que rejetée.



Les dispositions du jugement relatives aux dépens et à l'indemnité de procédure seront confirmées.



La somme allouée à la société Lagardère Media News en application de l'article 700 du code de procédure civile par les premiers juges sera jugée suffisante pour couvrir également les frais irrépétibles qu'elle a exposés en appel.



La société Magnum Photos, qui succombe, sera condamnée aux dépens d'appel.



PAR CES MOTIFS



La cour,



Dit n'y avoir lieu à révocation de l'ordonnance de clôture.



Déclare irrecevable la demande tendant ce que soient déclarées irrecevables les conclusions signifiées par la société Magnum Photos le 12 juin 2019.



Donne acte à la société Lagardère Media News qu'elle vient aux droits de la société Magnum Photos.



Infirme le jugement en ce qu'il a déclaré la société Magnum Photos recevable à agir en restitution des seuls tirages photographiques de [JA] [ZE], [AL] [HF] et [MK] [MI] [XN].



Statuant à nouveau du chef infirmé.



Dit que la société Magnum Photos est recevable à agir au nom de : [L], [VW] [D] [CF] [Z], [E] [W], [UD] [B],[XL] [C],[AD] [F],[U] [I] [FR] [I], [KP] [K], [S] [OB], [KT] [ZH], [KS] [KR] [XR] [ZI], [PR] [UE], [SN] [PU],[DX] [SM],[N] [DV],[NZ] [PV] [CE] [BT] [HF], [JB] [VY], [X] [OC],[NY] [VV],[HG] [IX][XM] [SL],[KO] [FM],[ZG] [DB],[V] [PS], [MK] [MI] [XN], [UG] [FP],[UB] [HI],[HJ] [DU],[CC] [UC],[HH] [PW],[H] [OE] [SK], [JA] [ZE],[PT] [FL],[HG] [ML],[CD] [SJ],[HE] [HD] et [P] [KU].



Confirme le jugement en ce qu'il a rejeté les demandes en restitution des tirages de presse des photographes [JA] [ZE], [AL] [HF] et [MK] [MI] [XN].



Le complétant de ce chef.



Rejette toutes les demandes en restitution des tirages de presse formées par la société Magnum Photos.



Confirme le jugement en ses autres dispositions.



Y ajoutant.



Rejette la demande en dommages-intérêts formée par la société Magnum Photos.



Dit que la somme allouée à la société Lagardère Media News en application de l'article 700 du code de procédure civile par les premiers juges couvrira les frais irrépétibles qu'elle a exposés en appel.



Condamne la société Magnum Photos aux dépens d'appel.





- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.



- signé par Madame Véronique BOISSELET, Président et par Madame Claudine AUBERT, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.



Le Greffier,Le Président,

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