7 novembre 2019
Cour d'appel de Paris
RG n° 19/12539

Pôle 5 - Chambre 9

Texte de la décision

Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 9



ARRÊT DU 07 NOVEMBRE 2019



(n° , 5 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/12539 - N° Portalis 35L7-V-B7D-CAFOA



Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 03 Juin 2019 - Juge de la mise en état de PARIS - RG n° 17/17259





APPELANT :



Monsieur [I] [F] venant aux droits de Monsieur [K] [F]

né le [Date naissance 1] 1965 à Brazzaville (Congo)

Demeurant [Adresse 2] -

[Adresse 2]



représenté par Me Frédéric INGOLD de la SELARL INGOLD & THOMAS - Avocats, avocat au barreau de PARIS, toque : B1055,

représenté par Me Marie Christine DRAI, avocat au barreau de PARIS, toque : P0418







INTIMÉ :



Monsieur [E] [R]

Demeurant [Adresse 1]

[Adresse 1]



représenté par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477,

représenté par Me Maxime DE GUILLENCHMIDT, avocat au barreau de PARIS, toque : R125







COMPOSITION DE LA COUR :



    En application des dispositions de l'article 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 10 Octobre 2019, en audience publique, devant Madame Michèle PICARD, Présidente de chambre, Madame Isabelle ROHART-MESSAGER, Conseillère et Madame Aline DELIERE, Conseillère.



           Un rapport a été présenté à l'audience dans les conditions de l'article 785 du Code de Procédure Civile.



Greffier, lors des débats : Madame Hanane AKARKACH







ARRÊT :



- contradictoire



- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.



- signé par Madame Isabelle ROHART-MESSAGER, Conseillère, pour la Présidente empêchée et par Madame Hanane AKARKACH, Greffière présente lors du prononcé.




*****



FAITS ET PROCÉDURE :





Aux termes d'un protocole de cession du 6 juillet 2005, M. [K] [F] et son épouse ont cédé à un groupe d'actionnaires les titres qu'ils détenaient au sein du groupe Sogafric. M. [E] [R] était commissaire aux comptes de plusieurs sociétés du groupe, qui a des activités en Europe et en Afrique.



Ce protocole était assorti d'une clause compromissoire. Monsieur [E] [R] a signé le protocole de cession en qualité de séquestre et non en qualité de partie à la cession. Il a participé à l'évaluation du prix des parts sociales et a agi comme facilitateur dans la formation du contrat.



Par décisions des 27 novembre 2014 et 6 mars 2015, le tribunal arbitral a rendu deux sentences dans le cadre d'une procédure initiée par les consorts [F] à l'encontre des acquéreurs des titres du groupe Sogafric, en présence de M. [R]. Les demandes des consorts [F] (fondées sur le dol et la violation de l'article 2 du protocole de cession) ont été rejetées .



Par ordonnance du 19 avril 2013, le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris a fait droit à la demande de désignation d'un expert présentée par les consorts [F] avec notamment pour mission :

- analyser la clause de prix figurant dans le pacte d 'actionnaires conclu le 26 novembre 2003, dire si sa formulation permet de déterminer un prix,

- dire, si eu égard aux principes stipulés au pacte d'actionnaires pour la détermination du prix, des ajustements auraient du être faits pour aboutir à l'évaluation des titres, dans l'affirmative, en fournir l'analyse,

- se faire expliquer par M. [R] l'analyse qu'il a suivie et les éventuels ajustements pratiques pour aboutir à l'évaluation des référentiels utilisés dans l'application de la formule de prix, et les éléments et méthodes retenus pour déterminer les valeurs de marché prises en compte,

- analyser et donner son avis sur ces explications.



Le rapport d'expertise de M. [X] [N] a été rendu le 5 mai 2017.



Le 23 novembre 2017 M. [I] [F], venant aux droits de son père, [K] [F], a assigné M. [R] devant le tribunal de grande instance de Paris afin d'obtenir, sur le fondement de la responsabilité contractuelle, l'indemnisation de préjudices résultant de fautes commises dans le cadre de l'application de la formule de prix préalable à la signature du protocole de cession d"actions.



M. [R] a saisi le juge de la mise en état d'un incident portant sur l'incompétence du tribunal de grande instance au profit d'un tribunal arbitral.



Par ordonnance du 3 juin 2019 le juge de la mise en état a retenu que :

- la clause compromissoire figurant au protocole de cession du 6 juillet 2005 n'est manifestement pas nulle pour avoir été mise en oeuvre par les consorts [F],

- il y a lieu de considérer que M. [R] est fondé à se prévaloir de l'extension des effets de la clause compromissoire figurant au protocole de cession du 6 juillet 2005.



Le juge de la mise en état a donc :

- déclaré le tribunal de grande instance de Paris incompétent,

- renvoyé les parties à mieux se pourvoir,

- condamné M. [F] aux dépens et à verser à M. [R] la somme de 2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.



M. [F] a fait appel de cette décision le 11 juillet 2019.



Il a été autorisé à assigner à jour fixe par le premier président de la cour d'appel le 16 juillet 2019 à l'audience du 10 octobre 2019.



***



M. [F] expose ses moyens et ses demandes dans ses dernières conclusions notifiées et remises au greffe le 21 août 2019 auxquelles il est renvoyé en application de l'article 455 alinéa 1 du code de procédure civile.



Il conclut à l'infirmation de l'ordonnance rendue par le juge de la mise en état et demande à la cour de juger que le Tribunal de Grande Instance de Paris est compétent matériellement et territorialement pour connaître de ses demandes.



Il réclame la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.



***



M. [R] expose ses moyens et ses demandes dans ses dernières conclusions notifiées et remises au greffe le 18 septembre 2019 auxquelles il est renvoyé en application de l'article 455 alinéa 1 du code de procédure civile.



Il conclut à la confirmation du jugement et demande à la cour de renvoyer M. [F] à mieux se pourvoir devant la juridiction arbitrale, en application de la clause compromissoire contenue dans le protocole de cession du 6 juillet 2005.



Il réclame la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.






SUR CE



Monsieur [F] soulève quatre motifs de réformation de la décision pour retenir la compétence du tribunal de grande instance.



1- M. [R] n'est pas une partie à la cession,



2- M. [R] a signé le protocole mais ce n'est pas en qualité de partie mais en qualité de séquestre (des billets à ordres, des ordres de mouvement et des actes de cession régularisés par les parties),



3- l'article 2061 ancien du code civil dispose « Sous réserve des dispositions législatives particulières, la clause compromissoire est valable dans les contrats conclus à raison d'une activité professionnelle » or M. [R] était séquestre et non évaluateur de telle sorte que la clause compromissoire ne s'applique qu'à son activité de séquestre et ne s'applique pas en l'espèce car il est visé par la procédure en sa qualité d'évaluateur,



4- M. [R] a toujours soutenu être un tiers à la cession et maintenant il se prévaut d'une clause compromissoire stipulée dans le protocole de cession, donc il y a violation du principe de l'«'estoppel'» et la clause ne peut lui être appliquée. En effet, entre 2013 et 2018 M. [R] n'a jamais contesté la compétence du tribunal de grande instance.



Il ajoute que le juge de la mise en état, en validant la tactique dilatoire de M. [R], a violé les principes de bonne administration de la justice et de célérité et l'article 6 alinéa 1 de la CEDH (principes de l'équité et du délai raisonnable). Enfin, les dispositions de l'article 1448 du code civil ne peuvent lui être opposées car les conditions ne sont pas remplies, le tribunal arbitral étant dessaisi et le juge français pouvant dès lors retenir sa compétence.



Monsieur [R] fait valoir que les effets d'une clause compromissoire doivent être étendus aux personnes directement impliquées dans l'exécution du contrat où elle figure, bien qu'elles ne soient pas signataires, dès lors que leurs situations ou leurs activités font présumer qu'elles avaient connaissance de l'existence ou de la portée de la clause. Il est intervenu dans l'exécution du protocole de cession en qualité de séquestre, a apposé sa signature sur le protocole de cession et connaît l'existence de la clause compromissoire. De plus les parties ont souhaité soumettre à l'arbitrage tout litige relatif à la « validité, l'interprétation, l'exécution ou l'inexécution ou la résiliation » du protocole de cession et ont ainsi accepté de soumettre à l'arbitrage tout litige relatif au prix de cession et donc à sa prétendue insuffisance, ce qui est le cas dans la présente instance. Il conteste la violation du principe de l'«'estoppel'» car il a toujours revendiqué être un tiers au contrat de cession, y compris dans le cadre de la présente instance où il soutient qu'en tant que tiers la clause compromissoire doit lui être appliquée. Il ajoute que l'article 2061 ancien du code civil n'est pas applicable parce qu'il ne s'appliquait pas aux arbitrages internationaux, ce qui est le cas en l'espèce. Enfin, en application de l'article 1448 du code civil seuls les arbitres sont compétents pour statuer sur leur propre compétence dès lors qu'il est manifeste que le litige rentre dans le champ d'application de la clause d'arbitrage, ce qui est le cas en l'espèce



La cour constate en premier lieu qu'il n'est pas contesté que le présent litige concerne un arbitrage international et non un arbitrage interne. Dès lors les dispositions de l'article 2061 ancien du code civil ne sont pas applicables à la présente espèce.



Il n'est pas non plus contesté que Monsieur [R] n'a signé le protocole de cession qu'en qualité de séquestre. Il ne se contredit pas en ayant affirmé devant le juge des référés être tiers à la cession et en revendiquant dans la présente procédure l'application de la clause compromissoire par l'effet de l'extension de cette clause aux tiers au contrat, extension permise dans le cadre d'un arbitrage international. Aucune pièce n'est produite qui établirait que Monsieur [R] a refusé la compétence de la juridiction arbitrale au profit de la juridiction étatique et il n'est d'ailleurs pas soutenu que les demandeurs à l'arbitrage aient souhaité à un quelconque moment de la procédure y soumettre M. [R].



Monsieur [F] sera en conséquence débouté de sa demande fondée sur l'estoppel.



En matière d'arbitrage international la clause compromissoire peut être étendue à des tiers dès lors que la demande entre dans l'objet défini par la clause et que ces tiers ont eu connaissance de cette clause et ont par la même accepté d'y être soumis. En l'espèce la clause insérée dans le protocole de cession vise 'Tous différends entre les parties sur la validité, l'interprétation, l'exécution ou l'inexécution ou la résiliation du présent protocole...' et Monsieur [R] demande lui même l'application de la clause reconnaissant ainsi avoir joué un rôle entrant dans le périmètre de la clause.





La responsabilité de Monsieur [R] est recherchée sur le fondement de la responsabilité contractuelle. Il lui est reproché d'avoir fortement et volontairement sous évalué la participation de Monsieur [F] lors de la cession des actions. Il est en effet intervenu en amont du contrat en sa qualité d'évaluateur. Il est également intervenu comme facilitateur. La sentence arbitrale du 6 mars 2015 souligne que [E] [R] tenait une place centrale dans le groupe et dans la formation du contrat puisqu'il était à la fois commissaire aux comptes, secrétaire du conseil d'administration groupe et expert indépendant. Enfin, il entretenait des liens d'associé avec le cessionnaire des actions, au sein d'une société financière Valorem Investissements.



Monsieur [F] se prévaut enfin de l'article 1448 du code de procédure civile, applicable à l'arbitrage international par l'effet des dispositions de l'article 1506 du code de procédure civile qui dispose que la juridiction étatique est compétente notamment si la juridiction arbitrale n'est pas encore saisie.



En l'espèce, le tribunal arbitral est déjà constitué et en vertu du principe 'compétence-compétence' il lui appartiendra de statuer sur sa saisine et sur sa compétence au regard du litige qui oppose Monsieur [F] à Monsieur [R], étant précisé que le principe de la concentration des moyens n'existe pas en arbitrage international et que Monsieur [F] peut donc introduire ces nouvelles demandes qui ressortent du même contrat que les demandes précédentes.



Il convient en conséquence de confirmer l'ordonnance entreprise.



La cour considère qu'il n'est pas inéquitable de laisser à chacune des parties la charge des frais qu'elle a exposé et qui ne sont pas compris dans les dépens.







PAR CES MOTIFS





La cour,



Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,



CONFIRME l'ordonnance rendue le 3 juin 2019 par le juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Paris,



DÉBOUTE les parties de leurs demandes au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,



CONDAMNE Monsieur [I] [F] aux dépens qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.





La Greffière La Conseillère, pour la Présidente empêchée



Hanane AKARKACH Isabelle ROHART-MESSAGER

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