22 novembre 2019
Cour d'appel de Paris
RG n° 19/08431

Pôle 1 - Chambre 8

Texte de la décision

Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 1 - Chambre 8



ARRÊT DU 22 NOVEMBRE 2019



(n°359 , 11 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/08431 - N° Portalis 35L7-V-B7D-B7Y3U



Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 04 Avril 2019 -Tribunal de Commerce de BOBIGNY - RG n° 2019R00095



APPELANTE



SOCIÉTÉ FRANÇAISE DU RADIOTELEPHONE - SFR, prise en la personne de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège



[Adresse 1]

[Adresse 1]



Représentée par Me Florence GUERRE de la SELARL SELARL PELLERIN - DE MARIA - GUERRE, avocat au barreau de PARIS, toque : L0018

Assistée par Me Sylvain JUSTIER, avocat au barreau de PARIS, toque : C477



INTIMÉE



FREE MOBILE, prise en la personne de son Président en exercice audit siège



[Adresse 2]

[Adresse 2]



Représentée par Me François TEYTAUD de l'AARPI TEYTAUD-SALEH, avocat au barreau de PARIS, toque : J125

Assistée par Me Antoine LABAEYE, avocat au barreau de PARIS, toque : L261



COMPOSITION DE LA COUR :



L'affaire a été débattue le 24 Octobre 2019, en audience publique, rapport ayant été fait par Mme Sylvie KERNER-MENAY, Président, et M. Thomas VASSEUR, Conseiller conformément aux articles 785, 786 et 905 du code de procédure civile, les avocats ne s'y étant pas opposés.



Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Sylvie KERNER-MENAY, Présidente

M. Thomas VASSEUR, Conseiller

Mme Isabelle CHESNOT, Conseillère



Qui en ont délibéré,



Greffier, lors des débats : Anaïs SCHOEPFER



ARRÊT :



- CONTRADICTOIRE

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Sylvie KERNER-MENAY, Présidente et par Lauranne VOLPI, Greffière.








EXPOSÉ DU LITIGE :





La société SFR, appelante, est un opérateur de télécommunications faisant partie du groupe Altice.



La société Free Mobile, intimée, est un opérateur français de télécommunications, filiale du groupe ILIAD.



Dans le cadre de ses offres de téléphonie mobile, la société Free Mobile offre la possibilité à ses abonnés de louer un téléphone mobile. L'abonné souscrit un contrat de location et doit restituer le mobile à la fin du contrat.



La société SFR a adopté un système différent et fournit dans la grande majorité des cas à ses abonnés des téléphones dont ils font l'acquisition.



La société Free Mobile a constaté qu'après réception des téléphones mobiles, certains abonnés titulaires des contrats ne réglaient pas le coût de location ou omettaient de restituer l'appareil à la fin du contrat de location.



Au 1er novembre 2018, la société Free Mobile a évalué à environ 300.000 le nombre de téléphones mobiles lui appartenant et ne lui ayant pas été restitués.



Elle a déposé une plainte 'pour vol massif' et a inscrit ces téléphones sur une liste noire tenue par l'association internationale GMSA à laquelle adhèrent les opérateurs et constructeurs de téléphonie. Cette association gère une base de données contenant les numéros IMEI des téléphones permettant d'y inscrire les terminaux volés ou perdus.



L'inscription sur cette base par un opérateur membre de l'association d'un numéro IMEI conduit au blocage de l'appareil lorsque son titulaire cherche à se connecter à condition que l'opérateur ait répercuté dans sa base interne (EIR) les numéros inscrits dans la base GMSA.



Selon Free Mobile, les opérateurs Orange puis Bouygues Télécom ont accepté de procéder aux blocages des appareils dont la liste des IMEI leur avait été transférée. En revanche, tel n'a pas été, selon elle, le cas de la société SFR qui malgré plusieurs sommations, et après avoir bloqué les terminaux dans un premier temps, a procédé à leur déblocage et s'est ensuite refusée de les bloquer à nouveau.



Le 9 novembre 2018 et le 27 novembre 2018, le président de Free Mobile a fait signifier par exploit d'huissier au président de SFR un courrier de mise en demeure d'avoir à bloquer les terminaux concernés soutenant 'la contrariété de cet agissement avec le droit commercial' lui reprochant le refus de blocage mais aussi le fait 'qu'elle arguerait de l'absence de blocage sur le réseau pour inciter les abonnés à résilier leur abonnement mobile'.



Le 20 décembre 2018, la société Free Mobile a présenté une requête devant le président du tribunal de commerce de Bobigny afin, à titre principal, d'obtenir la réalisation d'une saisie informatique dans les systèmes d'information de SFR et, à titre subsidiaire, d'enjoindre SFR de lui communiquer sous 4 jours ouvrés, la liste des terminaux déclarés volés actifs sur le réseau SFR.



Il a été fait droit à cette demande suivant une ordonnance du même jour enjoignant à SFR que 'l'ensemble des numéros IMEI correspondant aux 300.000 téléphones mobiles appartenant à Free Mobile et qui sont actifs sur le réseau SFR au jour d'exécution de la mesure lui soient communiqués dans un délai de 4 jours ouvrés, sous peine d'une astreinte de 10.000 euros par jour de retard'.



Le 8 janvier 2019, Free Mobile a fait exécuter l'ordonnance du 20 décembre 2018. L'huissier de justice instrumentaire a fait constaté la non communication du document sollicité dans le délai de quatre jours prescrit.



Le 23 janvier 2019, SFR a indiqué à l'huissier commis par l'ordonnance que l'ensemble des numéros IMEI en cause étaient suspendus.



Considérant que la société SFR n'avait pas déféré à l'ordonnance rendue le 20 décembre 2018 lui imposant de communiquer la liste des IMEI actifs sur son réseau, la société Free Mobile a, suivant un exploit d'huissier en date du 5 février 2019, saisi le juge de l'exécution aux fins de liquidation de l'astreinte indiquée dans l'ordonnance précitée. Ce dernier dans un jugement du 27 juin 2019, a prononcé la liquidation de l'astreinte prévue dans l'ordonnance du 20 décembre 2018 à hauteur de 10.000 euros. Un appel à l'encontre de cette décision est en cours.



Par acte d'huissier de justice en date du 28 février 2019, la société SFR a fait assigner la société Free Mobile devant le juge de la rétractation afin de dire que la société Free Mobile n'avait pas justifié des conditions requises pour agir par voie de requête en lui demandant en conséquence de :

- rétracter l'ordonnance sur requête en date du 20 décembre 2018 avec toutes les conséquences de droit et de fait ;

- annuler les constats d'huissier dressés sur la base de l'ordonnance rétractée ;

- condamner Free Mobile à payer à SFR la somme de 20.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner Free Mobile aux entiers dépens.



Par ordonnance en date du 4 avril 2019, le président du tribunal de commerce de Bobigny a :



- débouté la société SFR de sa demande de rétractation de l'ordonnance sur requête rendue le 20 décembre 2018 par le président du tribunal de céans ;

- condamné la société SFR à payer à la société Free Mobile la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- dit que les entiers dépens sont à la charge de la SA Société Française Du Radiotéléphone-SFR;



Le 16 avril 2019, la société SFR a relevé appel de l'ordonnance du 4 avril 2016 sur

l'ensemble des chefs de la décision.




Dans ses conclusions récapitulatives n°3 en date du 9 octobre 2019, la société SFR

demande à la cour de bien vouloir :



à titre principal de :

- annuler l'ordonnance du 4 avril 2019 en ce qu'elle a confirmé l'ordonnance du 20 décembre 2018 obtenue sur la base de pièces ne correspondant pas à celles annoncées dans la requête et/ou (ii) en ce qu'elle n'a pas motivé pas la nécessité de recourir à une procédure non-contradictoire ;

- statuant à nouveau, annuler ou rétracter l'ordonnance du 20 décembre 2018 avec toutes les conséquences de droit et de fait ;

- annuler les constats d'huissier dressés sur la base de l'ordonnance ainsi rétractée ;

à titre subsidiaire de :

- infirmer l'ordonnance du 4 avril 2019 après avoir constaté que les conditions pour l'octroi d'une mesure non-contradictoire n'étaient pas réunies ;

- rétracter l'ordonnance du 20 décembre 2018 avec toutes les conséquences de droit et de fait;

- annuler les constats d'huissier dressés sur la base de l'ordonnance ainsi rétractée ;

en toute hypothèse :

- condamner Free Mobile à payer à SFR la somme de 20.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner Free Mobile aux entiers dépens.



L'appelante soutient que :



sur l'annulation de l'ordonnance du 4 avril 2019



- Au visa de l'article 494 du code de procédure civile, elle rappelle que la requête doit être motivée et doit comporter l'indication précise des pièces invoquées ; en l'espèce, au soutien de sa requête du 20 décembre 2018, Free Mobile a produit en pièce n°4 un fichier censé contenir l'ensemble des numéros IMEI qu'elle avait déclaré volés et qu'elle avait déclaré dans la base GMSA pour qu'ils soient bloqués par les autres opérateurs ; or, selon elle, à l'occasion des opérations diligentées, elle vient de mettre en évidence le fait que le fichier produit par Free ne correspond pas à celui qu'elle annonçait ;

- Au visa de l'article 455 du code de procédure civile , elle rappelle que toute décision de justice doit être motivée à peine de nullité ; l'ordonnance du 4 avril 2019 ne répond pas aux exigences de l'article 455 du code de procédure civile ; le juge ne pouvait rejeté la demande de rétractation au regard du caractère non-contradictoire de la mesure ordonnée au motif qu'elle est aurait refusé de communiquer les numéros IMEI encore actifs sur son réseau ; que les mises en demeure qui lui avaient été adressées antérieurement au dépôt de la requête ne visaient pas une telle communication mais la suspension des IMEI par SFR ; que par ailleurs, elle avait répondu à celles-ci suivant un courrier du 4 janvier 2019 ; que la non exécution de l'ordonnance du 20 décembre 2018, contestée au demeurant, ne peut justifier l'existence de cette nécessité au moment où l'ordonnance a été rendue et encore moins la légitimer a posteriori ;

- que par ailleurs, l'ordonnance ne dit pas un mot sur les arguments soulevés par elle qui démontrent que l'efficacité de la mesure ne justifiait nullement qu'elle soit ordonnée de façon non contradictoire ;



sur la réformation de l'ordonnance du 4 avril 2019 au motif de l'absence de motif légitime :



- elle relève que la société Free Mobile a dénaturé les termes de sa requête en invoquant lors de la procédure de rétractation un motif légitime tenant non pas à la non suspensions par SFR des IMEI comme invoqué dans la requête mais à la nécessité de « connaître » à titre d'information les IMEI actifs sur le réseau de SFR pour rétablir « l'asymétrie d'informations entre les parties dans le cadre du différend au fond » et obtenir la cessation du blocage et l'indemnisation de son préjudice ;

- elle conteste avoir méconnu les obligations pesant sur elle aux termes de la réglementation lui imposant de procéder au blocage ; cette obligation n'est en rien applicable en l'espèce puisque SFR s'est cantonnée aux signalements réalisés par la police elle-même ;

- le motif légitime allégué est inexistant ; qu'il n'est pas établi que Free pouvait déclarer les IMEI en cause dans la base GSMA ; que ces téléphones ne sont pas volés comme ayant été remis volontairement ; de sorte que seule une qualification d'abus de confiance pourrait être retenue ; qu'il n'est pas davantage prouvé par Free Mobile que les IMEI en cause correspondent à des téléphones qui ne leur ont pas été restitués par ses clients ; qu'en tout état de cause, l'infraction de vol alléguée par Free Mobile était prescrite pour certains des téléphones ;

- il incombait à Free Mobile de déclarer les IMEI dans la Base GSMA avec diligence dans un délai raisonnable ce qu'elle n' a pas fait ; qu'elle ne peut dès lors reprocher à SFR son manque de célérité alors qu'elle a attendu plusieurs années avant de déclarer les téléphones en causse dans la base GSMA ;

- les autres opérateurs soit ceux sur le réseau desquels les téléphones mobiles volés sont susceptibles d'être utilisés, doivent ensuite suspendre les téléphones déclarés volés sur leur réseau sous des délais également raisonnables ; par ailleurs le délai de 4 jours ouvrés pour bloquer les téléphones, prévu à l'article L34-3 du code des postes et communications concerne uniquement les demandes reçues par les opérateurs directement de la police ou de la gendarmerie et accompagnées de la déclaration officielle de vol ; en l'espèce tel n'est pas le cas ;

- faute pour Free Mobile d'avoir respecté ses obligations, c'est elle et elle-seule qui a permis la commission des actes frauduleux dont elle reproche à SFR de tirer les bénéfices en permettant aux fraudeurs de revendre en toute impunité les téléphones en cause à des sous-acquéreurs de bonne foi ;

- Free s'est contentée dans sa requête de citer de manière tronquée les dispositions de la loi LOPSSI 2 qui aurait fondé le motif légitime ;

- aucun agissement ne peut lui être reproché puisqu'elle était bien en train de mettre en 'uvre la mesure de blocage lorsque l'ordonnance lui a été signifiée ; vu le volume extraordinaire d'IMEI déclarés la mesure prend nécessairement du temps ;



sur la réformation de l'ordonnance du 4 avril 2019 au motif de l'absence de nécessité d'ordonner la mesure de manière non-contradictoire :



- une ordonnance sur requête ne se justifie que « dans les cas où le requérant est fondé à ne pas appeler de partie adverse » ; en l'espèce, la condition n'est pas justifiée ; la procédure en rétractation ne peut en aucun cas justifier la dérogation au principe du contradictoire ;

- le risque de déperdition des preuves n'est pas démontré ; toute motivation générale ou abstraite conduit inexorablement à la censure de la mesure, notamment lorsqu'il est seulement allégué un risque de dépérissement des preuves sans que ce risque soit caractérisé, en l'espèce ni la requête ni l'ordonnance ne motivent un tel risque de déperdition de la preuve ;

- la mesure principale sollicitée par Free Mobile (saisie par huissier) n'a pas été ordonnée en raison de sa disproportion avec le motif légitime allégué, la mesure subsidiaire ordonnée démontre qu'il n'y avait aucune raison de l'ordonner de manière non-contradictoire, un référé d'heure à heure aurait pu être demandé ;





Dans ses dernières conclusions en date du 15 octobre 2019, la société Free Mobile demande à la cour de bien vouloir :



- débouter SFR de son appel contre l'ordonnance rendue le 4 avril 2019 par M. le Président du tribunal de commerce de Bobigny ;

- confirmer l'ordonnance rendue le 4 avril 2019 par M. le Président du tribunal de commerce de Bobigny ;

- condamner SFR à payer à Free Mobile la somme de 35.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner SFR aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître François Teytaud dans les conditions de l' article 699 du code de procédure civile .



L'intimée soutient que :



Sur l'absence de violation de l'article 494 du code de procédure civile :

- Free Mobile n'a fait qu'arrondir le nombre de terminaux concernés 300.000 au lieu de 298.510 numéros contenus dans la pièce n°4 afin de faciliter la lecture de la requête ;

- de plus, comme toute exception de nullité, ce moyen tiré d'une prétendue violation aurait dû être soulevé in limine litis, ce qui n'a pas été le cas en l'espèce ; que par ailleurs, aucune violation du principe de la contradiction ne peut être relevée, dès lors que la pièce n°4 de la requête a été soumise à M. le Président du Tribunal de commerce de Bobigny et communiquée ensuite à SFR par l'huissier de justice ;



Sur l'existence d'un motif légitime justifiant une mesure d'instruction in futurum :



- la qualification pénale relève de la seule compétence du Ministère public et n'a aucune incidence dans le cadre d'une mesure d'instruction ;

- la prescription des actions pour vol relève d'un débat sur le fond du litige et ne concerne pas le motif légitime d'obtenir la liste des terminaux déclarés volés ; en tout état de cause, au visa de l'article 10 alinéa 1 du code de procédure civile, la prescription de l'action publique n'a aucune incidence sur la recevabilité de l'action civile par la victime ;

- sur le prétendu manquement à un délai raisonnable : le délai raisonnable s'applique aux téléphones déclarés volés par les clients de l'opérateur, mais aucunement aux téléphones appartenant à l'opérateur lui-même qu'il peut reporter au sein de la base GSMA au moment où il l'estime opportun ; de plus, les requêtes ou les référés fondés sur l'article 145 du code de procédure civile ne sont pas soumis à la condition de l'urgence ;

- SFR ne démontre jamais en quoi la seule obtention de cette liste avant tout procès, sans aucune autre information, notamment personnelle, ne constituerait pas un motif légitime ; Free Mobile dispose d'un « intérêt éventuel », celui d'un éventuel procès au fond et d'un « intérêt probatoire », celui visant à définir l'objet du litige et à prouver l'ampleur des pratiques de SFR et du préjudice subi par Free Mobile, à connaître le nombre de terminaux concernés par cette absence de blocage ; en l'absence de communication de la liste, Free Mobile serait privée de son droit d'agir en justice ;

- la communication de la liste permettra également d'évaluer l'opportunité d'engager un litige au fond, en fonction de l'étendue du préjudice subi par Free Mobile ;

- SFR réaffirme que Free Mobile ne disposerait pas d'un motif légitime puisque le bien-fondé de sa demande sur le fond ne serait pas démontré, outre que cela ne constitue pas une condition de détermination d'un motif légitime, dans la position inverse, SFR n'a pas hésité à solliciter la même mesure sur le fondement seulement de quelques captures d'écran de témoignages sur Facebook ;



sur la justification de la dérogation au principe du contradictoire :



- la mesure sollicitée est justifiée afin d'empêcher toute manipulation ou dissimulation des informations par SFR qui en avait non seulement les moyens mais également l'incitation pour le faire ;

- les arguments soulevés par SFR pour contester la nécessité d'une dérogation au principe du contradictoire n'ont aucune pertinence ;

- en tout état de cause, la procédure de rétractation avait pour finalité de rétablir le contradictoire;



sur la parfaite motivation de l'ordonnance du 4 avril 2019 :



- SFR prétend que l'ordonnance du 4 avril 2019 devrait être annulée au prétexte de n'avoir pas «répondu à ses conclusions quant à l'absence de nécessité d'ordonner la mesure de communication de façon non-contradictoire » ; le juge a répondu à tous les chefs de demande et la motivation du jugement est circonstanciée et propre à l'espèce ; s'agissant en particulier de la justification du caractère non-contradictoire de la mesure, l'ordonnance fait explicitement référence au comportement de SFR et aux courriers de mise en demeure de Free Mobile des 9 et 28 novembre 2018 qui n'ont fait l'objet d'aucune réponse de SFR et d'aucune exécution ;



sur la déloyauté à l'égard du président :



- outre le fait qu'aucune déloyauté n'a été opérée à l'égard du Président, la jurisprudence de la Cour de cassation considère que la déloyauté du requérant n'est pas un motif de rétractation de l'ordonnance rendue sur requête au visa de l'article 145 ;

- Free Mobile n'a jamais menti sur le cadre réglementaire applicable dans sa requête, ni même prétendu que celui-ci devait s'appliquer pour justifier la transmission de la liste des terminaux IMEI, le délai de quatre jours n'a été indiqué qu'à titre d'information sans jamais que Free Mobile ne prétende que cela conditionne le bien-fondé de sa demande ;



sur la sommation faite par SFR de produire la remise des téléphones :



- cette injonction, qui n'a aucun intérêt pour apprécier l'existence du motif légitime d'obtenir la liste des IMEI actifs sur le réseau de SFR au 8 janvier 2019, l'injonction est parfaitement infondée.








SUR CE, LA COUR





Sur la demande de révocation de l'ordonnance de clôture du 16 octobre 2019



L'article 784 du code de procédure civile dispose que l''ordonnance de clôture ne peut être révoquée que s'il se révèle une cause grave depuis qu'elle a été rendue ; la constitution d'avocat postérieurement à la clôture ne constitue pas, en soi, une cause de révocation.



Suivant des conclusions récapitulatives n°'4 transmises le 23 octobre 2019 soit postérieurement à l'ordonnance de clôture intervenue le 16 octobre 2019, la société Free Mobile sollicite à titre principal la révocation de la dite ordonnance de clôture afin que ses dernières conclusions récapitulatives n°4 soient admises et, à titre subsidiaire, sollicite que les conclusions de la société SFR transmises le 16 octobre 2019 soient déclarées irrecevables pour non respect du principe du contradictoire.



La cour rappelle que suivant un avis de fixation adressé aux parties le 17 mai 2019, le calendrier de la procédure leur avait été notifié avec précision que l'audience de clôture interviendrait le 9 octobre 2019 à 13 heures et l'audience de plaidoirie le 24 octobre 2019 à 9h30.



La société SFR appelante a transmis des conclusions n°1 le 14 juin 2019, n°2 le 2 octobre 2019 et n°3 et 3 bis le 9 octobre à 12h29 et 12h38.



La société Free Mobile intimée a transmis des conclusions n°1 le 15 juillet 2019, n°2 le 8 octobre 2019.



Sur demande de la société SFR, la clôture a été reportée à l'audience du 16 octobre 2019 à 13 heures afin de permettre à la société Free Mobile de répondre à ses nouvelles conclusions n°3 transmises le 9 octobre 2019.



La société Free Mobile a transmis ses conclusions n°3 en réponse le 15 octobre 2019 soit dans le délai qui lui était imparti et avant la clôture reportée au 16 octobre.



En adressant à la cour de nouvelles conclusions récapitulatives n°4 le 16 octobre 2019 la société SFR n'a pas permis à son adversaire de pouvoir répliquer alors que ces conclusions contenaient des développements complémentaires sur plus de cinq pages et la transmission de 3 nouvelles pièces.



Si aucune cause grave ne justifie la révocation de l'ordonnance de clôture du 16 octobre 2019, en revanche, la transmission par la société SFR de nouvelles conclusions le jour de l'ordonnance de clôture dans le contexte rappelé doit être sanctionnée par leur rejet en ce qu'elle porte une atteinte au respect du contradictoire.



Les conclusions en réponse de la société Free du 23 octobre, sauf en ce qu'elle sollicite le rabat de la clôture et le rejet des conclusions de son adversaire de ces conclusions récapitulatives n°4 de la société SFR seront déclarées irrecevables.





Sur la demande de nullité de l'ordonnance



La société SFR soutient en premier lieu la nullité de l'ordonnance sur requête du 20 décembre 2018 au motif que contrairement à ce qu'impose l'article 494 du code de procédure civile, la requête ne comporterait pas l'indication précise des pièces invoquées.



Elle précise en effet que le nombre de 300.000 téléphones indiqué dans la requête est erroné et ne correspond ni au nombre de téléphone déclarés volés dans la base GSMA, au nombre de 307.740, ni au nombre de terminaux appartenant à Free et encore actifs sur son réseau évalué à 298.000 lors d'investigations ultérieures.



La société Free Mobile précise avoir entendu arrondir le montant des terminaux concernés et soutient que cela n'altère en rien la pièce n°4 produite.



La cour constate à la lecture de la requête déposée par la société Free Mobile qu'a été déposée à l'appui de celle-ci une pièce n°4 constitué d'une 'liste des 300.000 IMEI correspondants à des terminaux non restitués à Free Mobile'. Il résulte encore de la requête que ce nombre correspond à celui des téléphones mobiles que Free a déclaré volés et dont elle a demandé à l'association GSMA qu'ils soient inscrits sur une liste noire ou ' blacklistés' afin de mettre en oeuvre la procédure de blocage des numéros IMEI correspondant.



Par ailleurs, il a été produit à l'appui de la requête la plainte pénale déposée par Free Mobile le 15 novembre 2018 de laquelle il ressort que le nombre de téléphones déclarés volés a été de 298.510.



Il suit de ce qui précède que l'indication de la pièce produite est précise, la production d'un tableau texte et non d'un tableau sous format excel étant indifférente, et qu'aucune violation de l'article 494 du code de procédure civile n'est caractérisée.



Au demeurant, il doit être rappelé que selon une jurisprudence constante la rétractation d'une ordonnance sur requête ne peut être ordonnée au motif de la déloyauté dans l'administration de la preuve, à la supposer établie en l'espèce, cette exigence de loyauté ne figurant pas au rang des conditions légales prévues par les articles 145 et 493 du code de procédure civile.



Par ailleurs, la société SFR se référant aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile qui indique que toute décision de justice doit être motivée à peine de nullité, invoque le défaut de motivation de l'ordonnance du 4 avril 2019 qui a refusé de faire droit à sa demande de rétractation.



La cour constate que la décision attaquée comporte une motivation de 20 lignes et n'est donc pas dénuée de motivation.



La société SFR critique le fait que le premier juge a faussement soutenu qu'elle n'avait pas répondu aux mises en demeure de Free Mobile, que la société Free ne lui avait pas demandé la communication de la liste des numéros actifs sur son réseau des téléphones blackistés, qu'il a pris en compte la non exécution de la requête ou qu'il ne répond pas à son argument de la non justification du recours à une mesure non contradictoire.



Ces critiques remettent en cause non pas un défaut de motivation mais constituent une remise en cause de la décision de ne pas rétracter soumis à la cour du fait de l'appel intervenu.



Il s'ensuit que cette demande en nullité ne peut davantage prospérer sérieusement et valablement et sera rejetée.







La demande de rétractation de l'ordonnance sur requête du 20 décembre 2019



Aux termes de l'article 145 du code de procédure civile, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé sur requête ou en référé .



L'article 493 du même code prévoit que l'ordonnance sur requête est une décision provisoire rendue non contradictoirement dans les cas où le requérant est fondé à ne pas appeler la partie adverse.



Il résulte des articles 497 et 561 du code de procédure civile que la cour d'appel, saisie de l'appel d'une ordonnance de référé statuant sur une demande en rétractation d'une ordonnance sur requête prescrivant des mesures d'instruction destinées à conserver ou à établir, avant tout procès, la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, est investie des attributions du juge qui l'a rendue, devant lequel le contradictoire est rétabli. Cette voie de contestation n'étant que le prolongement de la procédure antérieure, le juge doit statuer en tenant compte de tous les faits s'y rapportant, ceux qui existaient au jour de la requête mais aussi ceux intervenus postérieurement à celle-ci .



Il doit ainsi apprécier l'existence du motif légitime au jour du dépôt de la requête, à la lumière des éléments de preuve produits à l'appui de la requête et de ceux produits ultérieurement devant lui.



Le juge doit également rechercher si la mesure sollicitée exigeait une dérogation au principe du contradictoire. Les circonstances justifiant cette dérogation doivent être caractérisées dans la requête ou l'ordonnance qui y fait droit.



Contrairement à ce qui est soutenu par la société Free Mobile, le rétablissement du contradictoire dans la phase postérieure de rétractation est sans effet sur l'exigence d'une justification au jour où l'ordonnance sur requête a été rendue. Il en va de même des éventuelles difficultés d'exécution intervenues postérieurement à l'ordonnance qui ne peuvent a posteriori venir entériner le non respect du contradictoire.



La référence à une autre procédure sur requête engagée ultérieurement par la société SFR à l'encontre de la société Free Mobile n'est pas de nature à éclairer sur les conditions exigées par la loi lors du dépôt de la requête. Il s'ensuit que les arguments avancés sur ce point par la société Free Mobiel sont inopérants.



La requête de la société Free Mobile portait à titre principal sur une demande tendant à obtenir un accès à tout système informatique afin de permettre de comparer la liste des IMEI déclarés volés avec ceux encore actifs sur le réseau SFR. Il n'a pas été fait droit à cette demande principale mais en revanche, le juge de la requête a fait droit à la demande subsidiaire et a demandé à la société SFR de communiquer à l'huissier de justice désigné : ' la liste de l'ensemble des IMEI correspondant aux 300.000 téléphones mobiles appartenant à Free Mobile et qui sont actifs sur le réseau SFR au jour de l'exécution de la mesure, dans un délai de quatre jours ouvrés sous peine d'une astreinte de 10.000 euros par jour de retard'.



Sur ce point de la dérogation au principe du contradictoire, la requête indique en page 3 que 'la requérante craint en outre légitimement, au regard de la mauvaise foi de la société SFR qui tente de se travestir en victime et qui nie systématiquement les agissements dont elle se rend coupable, que les preuves qui peuvent exister à ce jour, disparaissent'. Elle ajoute encore dans un paragraphe dédié à la dérogation au contradictoire que 'le contexte qui vient d'être exposé exige que les mesures sollicitées ne soient pas prises contradictoirement, en raison du risque de dépérissement des preuves qui résulterait du cas contraire', et d'ajouter 'si SFR venait à avoir connaissance de la présente procédure, il est en effet à craindre qu'elle effectue un blocage temporaire des terminaux concernés, quitte à autoriser leur remise en fonction quelques minutes après, sans que Free Mobile ne soit en mesure de déterminer de quels terminaux il s'agit et ainsi le préjudice qu'elle a subi en raison de l'absence de blocage le 1er novembre 2018. En raison de ce risque très important de dépérissement et/ou d'altération des éléments de preuves recherchées, la requérante ne peut donc que procéder par voie de requête pour assurer l'efficacité des mesures sollicitées'.



L'ordonnance sur requête renvoie comme la jurisprudence l'y autorise à la requête n° 2018021244.



Le juge de la requête ajoute au titre de la motivation au regard de la dérogation au principe du contradictoire que 'l'absence de contradictoire est motivé par le risque manifeste de dissimulation, destruction ou dénaturation d'élément de preuve justifiant la mise en demeure des articles 145, 493 et 875 du code de procédure civile ; (...) Que la nécessité de préserver un effet de surprise afin d'éviter l'éventuelle disparition de ces preuves nécessitent qu'une telle mesure ne soit pas prise contradictoirement'.



Il convient d'abord de relever le caractère général de la motivation du juge de la requête contraire aux exigences de préciser au regard du litige et de façon circonstanciée et développée les raisons justifiant de déroger au principe de la contradiction.



Par ailleurs, et contrairement à ce qui est indiqué dans la requête, la société SFR était parfaitement informée des critiques formulées par la société Free à son encontre à l'occasion de la demande de blocage des terminaux litigieux.



En effet, il et constant qu'antérieurement au dépôt de la requête le 20 décembre 2018, suivant un premier courrier du 9 novembre 2018, réitéré dans les mêmes formes le 27 novembre 2018, le président de Free Mobile a fait signifier par exploit d'huissier au président de SFR un courrier de mise en demeure d'avoir à bloquer les terminaux dont les numéros IMEI concernés lui a été transmise par l'association GSMA en lui reprochant des actes de concurrence déloyale par le fait qu'elle arguerait de l'absence de blocage sur son réseau pour inciter les abonnés à résilier leur abonnement mobile.



Ces courriers de mise en demeure contiennent chacun l'indication qu'à défaut d'une exécution 'sans délai à compter de la réception du courrier', la société Free Mobile n'aura d'autre choix que de l'y contraindre par 'la voie judiciaire et notamment en saisissant le tribunal des référés'.



Il convient d'ailleurs de relever que tel avait été la voie procédurale qu'entendait suivre la société Free à en lire les courriers des 9 novembre et 27 novembre 2018 cités ci-dessus.



Dans ce contexte et quand bien même les mesures sollicitées ont été différentes, et en réalité moins contraignantes que la demande de blocage sollicitée, force est d'admettre que la société SFR était parfaitement informée des reproches de concurrence déloyale formulés par SFR et était donc en mesure, si elle le souhaitait dès après la réception de ces courriers de procéder à des mesures de blocage temporaire comme soutenu par son adversaire dans la requête.



Par ailleurs, et quels que soient les longs développements sur ce point de la société Free Mobile, force est d'admettre qu'en sollicitant du juge de la requête qu'il soit demandé à la société SFR de remettre la liste des terminaux volés encore actifs sur ses réseaux dans un délai de 4 jours ouvrés à compter de l'exécution de la mesure, elle signifie que cette demande pouvait être de la même façon sollicitée devant le juge des référés et aussi ou plus rapidement en demandant une autorisation d'assigner à heure déterminée.



Ceci est confirmé par les conditions dans lesquelles l'ordonnance sur requête a été exécutée. En effet, l'huissier de justice instrumentaire a entrepris le 8 janvier 2019 de procéder à l'exécution de l'ordonnance du 20 décembre 2018, il a sur demande des responsables rencontrés au siège de la société SFR, communiqué les pièces déposées à l'appui de la requête, informé ces derniers du contenu de l'ordonnance et de la demande de communication dans un délai de quatre jours de la liste en cause avant de constater le 27 janvier 2019 que la société SFR n'avait pas déféré à cette demande.



Il s'ensuit que la dérogation au principe du contradictoire n'était nullement justifiée et, sans qu'il soit nécessaire d'examiner l'existence d'un motif légitime, il y a lieu d'infirmer la décision du juge de la rétractation qui a rejeté la demande de rétractation formulée par la société SFR.



Au surplus, le juge de la rétractation ne pouvait se baser sur le refus antérieur à l'ordonnance de la société SFR de communiquer la liste litigieuse puisqu'une telle demande n'avait pas été formulée et qu'il ne pouvait davantage, ajoutant en cela à la requête et à l'ordonnance, prendre en compte le refus d'exécuter la dite ordonnance pour considérer qu'il était justifié de procéder par voie de mesure non contradictoire.



Cette décision d'infirmation de l'ordonnance ayant refusé de rétracter l'ordonnance sur requête du 20 décembre 2018 entraîne l'annulation des procès-verbaux établis en son exécution.



La société Free Mobile qui succombe sera condamnée à payer une somme de 5.000 euros pour la première instance et l'instance d'appel sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. Elle sera également condamnée aux dépens de l'entière instance.







PAR CES MOTIFS





Dit n'y avoir lieu à révocation de l'ordonnance de clôture du 16 octobre 2019 ;



Déclare irrecevables les conclusions récapitulatives n°4 de la société Free Mobile transmises le 23 octobre 2019 ;



Rejette les conclusions récapitulatives n°4 de la société SFR transmises le 16 octobre 2019 ;



Rejette les demandes en nullité formées par la société SFR ;



Infirme l'ordonnance du juge de la rétractation en date du 4 avril 2019 en toutes ses dispositions ;



Statuant à nouveau,



Rétracte l'ordonnance rendue sur requête par le président de commerce de Bobigny le 20 décembre 2018 ;



Annule les constats dressés par Maître [H] [F], huissier de justice, les 8 et 21 janvier 2019 ;



Condamne la société Free Mobile à verser à la société SFR la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;



Condamne la société Free Mobile aux dépens de première instance et d'appel.













La Greffière, La Présidente,

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