27 septembre 2019
Cour d'appel de Douai
RG n° 17/01211

Sociale D salle 3

Texte de la décision

ARRÊT DU

27 Septembre 2019







N° 1586/19



N° RG 17/01211 - N° Portalis DBVT-V-B7B-QVLA



LG/VG







RO



































Jugement du

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de DUNKERQUE

en date du

27 Mars 2017

(RG F16/00326)











































GROSSE :



aux avocats



le 27/09/19





République Française

Au nom du Peuple Français



COUR D'APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

- Prud'Hommes-





APPELANT :



M. [O] [Y]

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représenté par Me David BROUWER, avocat au barreau de DUNKERQUE





INTIMÉE :



SARL EXPORT TECHNIC INDUSTRIAL

[Adresse 4]

[Localité 3]

Représentée par Me Jean-luc NINOVE, avocat au barreau de LILLE substitué par Me FERRAND







DÉBATS :à l'audience publique du 09 Mai 2019



Tenue par Leila GOUTAS

magistrat chargé d'instruire l'affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,

les parties ayant été avisées à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.



GREFFIER : Nadine BERLY



COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ







Véronique SOULIER



: PRÉSIDENT DE CHAMBRE





Leila GOUTAS



: CONSEILLER





Caroline PACHTER-WALD



: CONSEILLER









ARRÊT :Contradictoire

prononcé par sa mise à disposition au greffe le 27 Septembre 2019,

les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, signé par Véronique SOULIER, Président et par Valérie COCKENPOT, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.





ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 18 juillet 2017, avec effet différé jusqu'au 08 avril 2019




EXPOSE DU LITIGE :



Monsieur [O] [Y] est entré au service de la SARL EXPORT TECHNIC INDUSTRIAL, ci après dénommée Société ETI, le 8 novembre 2010, en qualité de tuyauteur instrumentation, ce, moyennant une rémunération mensuelle brute de 1640 euros .

La convention collective applicable à la relation contractuelle est celle des bureaux d'études, dite SYNTEC.



A compter du 18 août 2014, le salarié a été placé en arrêt maladie, lequel a été prolongé à plusieurs reprises.



Le 27 octobre 2014, Monsieur [Y] a été déclaré inapte temporairement au travail.



Le 2 février 2015, il a été soumis à une nouvelle visite médicale à l'issue de laquelle le médecin du travail a émis l'avis suivant: «Examen selon Art R4624-31. Inaptitude à prévoir au poste de tuyauteur instrumentiste. Pas de travail en hauteur. Pas de manutention manuelle de charges lourdes, pas de tâches posture agenouillée, apte à des tâches administratives».



Le 16 février 2015, Monsieur [Y] a été déclaré inapte définitivement à son poste avec les restrictions suivantes : « Pas de travail en hauteur. Pas de manutention manuelle de charges lourdes, pas de tâches posture agenouillée, apte à des tâches administratives ».



Le même jour, le salarié a bénéficié d'un nouvel arrêt de travail jusqu'au 16 mars 2015, lequel a été reconduit.



Parallèlement, suivant décision en date du 8 mars 2016, l'intéressé a été placé en invalidité 2ème catégorie à compter du 1er avril 2016.



Le 21 avril 2016, la SARL EXPORT TECHNIC INDUSTRIAL, estimant ne pas être en mesure de reclasser le salarié, a, alors mis en 'uvre une procédure de licenciement.



Le 6 mai 2016, Monsieur [Y] s'est vu notifier la rupture de son contrat de travail pour inaptitude et impossibilité de reclassement.



Contestant la légitimité de cette mesure et estimant ne pas être rempli de ses droits, le salarié a alors saisi le conseil des prud'hommes de Dunkerque afin d'obtenir la condamnation de son ancien employeur au paiement de diverses sommes et indemnités.



Suivant jugement en date du 27 mars 2017, la juridiction prud'homale a débouté Monsieur [Y] de l'intégralité de ses demandes et l'a condamné aux dépens.



Le 5 mai 2017, Monsieur [Y] a interjeté appel de cette décision dans les conditions de forme et de délai qui ne sont pas discutées entre les parties.



L'affaire été audiencée conformément aux dispositions de l'article 905 du code de procédure civile.

Par ordonnance en date du 18 juillet 2017, le président de la chambre a fixé la clôture différée au 8 avril 2019 et l'audience de plaidoirie au 9 mai 2019.

Aux termes de ses conclusions notifiées par messagerie électronique le 5 avril 2019 auxquelles la cour renvoie pour une parfaite connaissance des faits, prétentions et moyens développés, Monsieur [Y] conclut à la réformation intégrale du jugement entrepris.

Il demande à la cour de condamner la société ETI à lui régler les sommes suivantes :

-22 960,00 euros à titre de rappel de salaire à compter du 16 mars 2015.

- 2 296,00 euros au titre des congés payés afférents

-20 000,00 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réeelle et sérieuse

- 1 000,00 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens.

Suivant conclusions régulièrement transmises via la messagerie électronique, le 9 mai 2019, et auxquelles il y a lieu de se référer pour une parfaite connaissance des prétentions et moyens soulevés, la société ETI sollicite la confirmation de toutes les dispositions du jugement et le débouté de l'ensemble des prétentions adverses. Elle réclame par ailleurs une somme de 2000 euros au titre des frais non répétibles ainsi que la condamnation de Monsieur [Y] aux entiers dépens.




SUR CE, LA COUR :

Sur la demande en rappel de salaires :

Monsieur [Y], se fondant sur les dispositions de l'article L 1226-4 et L 1226-11 du code du travail expose que son employeur ne l'a pas licencié ni n'a procédé à la reprise du versement des salaires dans le délai d'un mois suivant le constat définitif de son inaptitude, comme il en avait l'obligation. Il estime que l'envoi de la prolongation de son arrêt maladie postérieurement à la seconde visite médicale ne permettait pas à la société ETI d'arguer d'une nouvelle période de suspension du contrat de travail ouvrant droit au versement de prestations de sécurité sociale, pour s'affranchir des dispositions légales précitées, celles-ci ayant un caractère impératif .

Il réclame la somme de 22 960 euros correspondant aux salaires non perçus entre le 16 mars 2015 et le 6 mai 2016 outre les congés payés afférents.

La société ETI s'oppose à cette demande, soulignant en premier lieu que le montant sollicité est erroné et qu'il convient de déduire la rémunération des mois d'avril et mai 2016, laquelle a bien été versée au salarié. Elle fait valoir par ailleurs qu'elle n'a eu connaissance de l'avis d'inaptitude que le 23 mars 2016, qu'en tout état de cause, celui-ci est dépourvu de valeur juridique puisqu'il est entaché d'irrégularités, d'une part en raison du non respect du délai de 15 jours séparant les deux visites médicales, celui-ci devant être décompté en jours, d'autre part, compte tenu de l'absence de toute étude de poste réalisée par le médecin du travail.

En application des dispositions de l'article L 1226-4 du code du travail lorsque, à l'issue d'un délai d'un mois à compter de la date de l'examen médical de reprise du travail, le salarié déclaré inapte n'est pas reclassé dans l'entreprise ou s'il n'est pas licencié, l'employeur lui verse, dès l'expiration de ce délai, le salaire correspondant à l'emploi que celui-ci occupait avant la suspension de son contrat de travail.

Ces dispositions s'appliquent également en cas d'inaptitude à tout emploi dans l'entreprise constatée par le médecin du travail.

A titre liminaire, la cour rappelle qu'il appartient au médecin du travail qui établit un avis d'aptitude ou d'inaptitude d'adresser celui-ci à l'employeur, de sorte que la preuve de cette communication n'incombe pas au salarié.

Par ailleurs, il ne ressort pas de la procédure que la société ETI ait contesté devant l'inspection du travail, l'avis d'inaptitude, elle ne peut donc ici valablement invoquer les éventuelles irrégularités affectant celui-ci.

Au surplus, le juge judiciaire n'est pas compétent pour apprécier la validité et la conformité d'un avis d'inaptitude rendu par le médecin du travail, même lorsqu'il est saisi d'une contestation d'un licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

En tout état de cause, il ressort de l'examen des pièces versées à la procédure et notamment du dossier médical de Monsieur [Y] ainsi que les mentions figurant sur les convocations établies par la médecine du travail et remises au salarié « sous couvert de l'employeur » que l'employeur a bien été informé de l'organisation des deux visites médicales et, qu'il a par ailleurs été avisé téléphoniquement des conclusions du praticien, à l'issue.

Ces constatations, ajoutées au fait qu'en première instance la société ETI n'a pas fait état d'une transmission tardive de l'avis d'inaptitude litigieux, permettent de retenir que celui-ci lui a été adressé en temps et en heure et qu'elle en avait connaissance.

Il s'ensuit que l'employeur qui n'a pas licencié Monsieur [Y] à l'issue de l'avis d'inaptitude avait l'obligation de reprendre le versement des salaires, les dispositions précitées étant impératives.

Il y aura donc lieu d'accueillir favorablement la demande en rappel de salaires après avoir retranché du total réclamé le salaire du mois d'avril 2016 qui a été effectivement été réglé au salarié ( pièce 2 intimée).

En conséquence, la société ETI sera condamnée à verser à Monsieur [Y] la somme de 21 320 euros, majorée des congés payés afférents.

Sur la qualification de la rupture et la légitimité du licenciement opéré :

Monsieur [Y] fait valoir que la société ETI s'est contentée de la décision le plaçant en invalidité 2ème catégorie et de l'avis d'inaptitude établi plus d'un an et demi auparavant pour considérer qu'elle disposait d'un motif légitime à licenciement, alors qu'un classement en invalidité ne constitue pas un motif de rupture du contrat de travail et alors qu'il lui appartenait dans une telle situation de solliciter une nouvelle visite médicale de reprise.

Il ajoute que le courrier qu'il a rédigé le 23 mars 2016 et aux termes duquel il a informé son employeur ne plus reprendre son travail du fait de son placement en invalidité ne peut s'analyser en une démission, comme le soutient la société ETI, ce, en raison de son caractère équivoque.

La société ETI , pour sa part, fait valoir que la correspondance de Monsieur [Y] s'analyse en une démission, celui-ci énonçant de façon claire et non équivoque sa volonté de cesser la relation contractuelle.

Elle estime que la lettre de licenciement postérieure n'a produit aucun effet, la rupture du contrat de travail étant déjà intervenue du fait de la démission.

Elle ajoute que dans ces conditions, le salarié n'est pas fondé à contester son licenciement, d'autant que la mesure qu'elle a prise lui a permis de percevoir une indemnité de licenciement qu'il n'aurait pu obtenir si elle s'était contentée de prendre acte de sa démission.

La démission est l'acte par lequel, le salarié, de façon claire et non équivoque, manifeste sa volonté de mettre un terme à la relation de travail. Elle n'est soumise à aucun formalisme mais ne se présume pas.

En l'espèce, il est établi que Monsieur [Y] a adressé une lettre à son employeur aux termes de laquelle il a indiqué : «Je soussigné, Monsieur [Y] [O], atteste par la présente, être en invalidité dans la catégorie 2 à partir du 1er avril 2016. De ce fait, je ne reprendrai plus le travail. »

Cette correspondance, contrairement à ce qu'avance la partie appelante ne manifeste pas le souhait du salarié de mettre un terme à son contrat de travail mais a pour but d'informer l'employeur de sa situation et de son impossibilité de reprendre ses fonctions compte tenu de son classement en invalidité 2ème catégorie.

Il ne s'agit donc pas d'une démission.

A ce titre, il importe de rappeler qu'en vertu de l'article L341-4 du code de la sécurité sociale, l'invalidité de 2ème catégorie vise les personnes invalides absolument incapables d'exercer une profession quelconque.

Cette notion ne se confond toutefois pas avec celle d'inaptitude prévue par le code du travail qui relève de la compétence du médecin du travail. Il en résulte que l'invalidité du salarié n'a aucune incidence sur son contrat de travail en cours.

Il s'ensuit que l'employeur ne peut, sous peine de discrimination, se prévaloir du placement en invalidité d'un salarié pour le licencier et doit avant de prendre une telle mesure organiser une visite médicale de reprise.

Au cas présent, force est de constater que l'appelant n'invoque pas les dispositions de l'article L 1132-1 du code du travail et la nullité de la rupture bien que la lettre de licenciement fasse référence à son inaptitude et à son placement en invalidité .

En tout état de cause, il est établi que la société ETI n'a organisé aucune visite médicale de reprise après avoir été informée du classement en invalidité 2ème catégorie de Monsieur [Y] alors que l'avis d'inaptitude rendu le 16 février 2015, contenant par ailleurs certaines restrictions, ne pouvait en tout état de cause, au regard de sa date d'établissement, fonder la rupture du contrat de travail intervenue 14 mois plus tard .

Cette seule constatation suffit à invalider le licenciement.

La cour étant tenue par les demandes des parties, il y aura de dire le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et, compte tenu de l'âge de Monsieur [Y] ( 58 ans), de son ancienneté au sein de l'entreprise ( supérieure à 6 ans), de son niveau de rémunération et des circonstances de la rupture , il y aura lieu de lui allouer la somme de 14 000 euros à titre de dommages et intérêts.



Sur les frais non répétibles:



L'équité commande d'allouer à Monsieur [O] [Y] une somme de 1 600 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ce au titre des frais non répétibles exposés en première instance et en appel.



La demande formulée à ce titre par la partie intimée sera rejetée.



La société ETI sera, en outre, condamnée aux dépens de première instance et d'appel.



PAR CES MOTIFS:



La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,



Réforme le jugement entrepris dans toutes ses dispositions,



Statuant à nouveau et y ajoutant,



- Condamne la SARL EXPORT TECHNIC INDUSTRIAL à régler à Monsieur [O] [Y] les sommes suivantes :



21 320,00 euros à titre de rappel de salaires ;

2 132,00 euros au titre des congés payés afférents.



- Dit le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.



- Condamne en conséquence la SARL EXPORT TECHNIC INDUSTRIAL à régler à Monsieur [O] [Y] la somme de 14 000 euros à titre de dommages et intérêts.



- Condamne par ailleurs la SARL EXPORT TECHNIC INDUSTRIAL à régler à Monsieur [O] [Y] une indemnité de 1600 euros au titre des frais non répétibles exposés en première instance et en appel;



- Rejette sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;



- La condamne aux dépens de première instance et d'appel.







Le greffier,Le président,







V. COCKENPOTV. SOULIER

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