29 janvier 2020
Cour d'appel de Paris
RG n° 18/27022

Pôle 2 - Chambre 7

Texte de la décision

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 2 - Chambre 7



ARRET DU 29 JANVIER 2020



(n° 7/2020, 6 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/27022 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B6Z6E



Décision déférée à la Cour : Jugement du 14 Novembre 2018 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 18/10145





APPELANTE



Madame [R] [Q]

[Adresse 2]

[Localité 2]



Représentée par Me Emmanuel PIERRAT de la SELARL CABINET PIERRAT, avocat au barreau de PARIS, toque : L0166, avocat postulant et plaidant







INTIMEES



SARL GTNCO PRODUCTIONS

[Adresse 1]

[Localité 1]

N° SIRET : 481 177 368



Représentée par Me Jean ENNOCHI, avocat au barreau de PARIS, toque : E0330, avocat postulant et plaidant



SA METROPOLE TELEVISION

[Adresse 3]

[Localité 3]

N° SIRET : 339 01 2 4 52



Représentée par Me Nicolas BRAULT, avocat au barreau de PARIS, toque : J046, avocat postulant et plaidant





COMPOSITION DE LA COUR :



L'affaire a été débattue le 18 décembre 2019, en audience publique, devant la cour composée de :

Mme Anne-Marie SAUTERAUD, Présidente

Mme Bérengère DOLBEAU, Conseillère

Mme Françoise PETUREAUX, Conseillère

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Mme DOLBEAU dans les conditions prévues par l'article 785 du code de procédure civile.





Greffier, lors des débats : Mme Margaux MORA





ARRET :



- CONTRADICTOIRE

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.



- signé par Anne-Marie SAUTERAUD, Présidente et par Margaux MORA, Greffière, présente lors de la mise à disposition.








Vu l'assignation délivrée le 1er juin 2018 à la requête de [R] [Q], à la société GTNCO et à la SA METROPOLE TELEVISION, demandant au tribunal de grande instance de Paris, au visa de l'article 9 et l'article 1240 du code civil :

- de constater l'atteinte au respect dû à l'image de [R] [Q] par la captation et la diffusion de la séquence litigieuse exploitée au cours du premier épisode de l'émission 'Wild' par les sociétés METROPOLE TELEVISION et GTNCO ;

- de constater le préjudice subi par [R] [Q] en raison du comportement fautif des sociétés METROPOLE TELEVISION et GTNCO du fait de manquements à la Convention passée avec le CSA pour l'édition de la chaîne M6 ;

- d'ordonner l'interdiction de toute exploitation de la séquence litigieuse exploitée au cours du premier épisode de l'émission « Wild » sur tout support sous astreinte de 10.000 euros par infraction constatée ;

- d'ordonner la publication du jugement à intervenir dans trois journaux ou revues à choisir par Madame [Q], aux frais avancés des sociétés défenderesses, dans la limite de 5.000 euros HT par insertion ;

- d'enjoindre aux directeurs de publication des sites www.6play.fr et www.gtnco.tv à faire

publier, en haut de la page d'accueil des sites www.6play.fr et www.gtnco.tv, ainsi que sur la page des comptes de réseaux sociaux officiels des sociétés défenderesses, pendant une durée de trente jours consécutifs, en caractère gras de corps 14, un communiqué judiciaire sous astreinte définitive de 1.000 euros par jour de retard ;

- d'ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir ;

- de condamner in solidum les sociétés METROPOLE TELEVISION et GTNCO au versement de la somme de 200.000 euros à [R] [Q] en réparation de son entier préjudice ;

- de condamner in solidum les sociétés METROPOLE TELEVISION et GTNCO au versement de la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- de condamner in solidum les sociétés METROPOLE TELEVISION et GTNCO aux entiers dépens de l'instance,



Vu le jugement contradictoire rendu le 14 novembre 2018 par la 17ème chambre civile du tribunal de grande instance de Paris, qui a :

- rejeté le moyen tiré de l'irrecevabilité de l'action ;

- débouté [R] [Q] de l'ensemble de ses demandes ;

- dit n'y avoir lieu à condamnation sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires ;

- condamné [R] [Q] aux dépens,



Vu l'appel interjeté par [R] [Q] le 28 novembre 2018,





Vu les dernières conclusions signifiées le 9 septembre 2019 par voie électronique par [R] [Q], qui demande à la cour :

- Sur les appels incidents des sociétés GTNCO et METROPOLE TELEVISION, de confirmer le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Paris en ce qu'il a jugé recevable l'action qu'elle a introduite ;

- Sur son appel principal :

- infirmer le jugement rendu en ce qu'il l'a déboutée de ses demandes ;

Statuant à nouveau, de :

- constater l'atteinte au respect dû à son image par la captation et la diffusion de la séquence litigieuse exploitée au cours du premier épisode de l'émission « Wild » par les sociétés METROPOLE TELEVISION et GTNCO ;

- constater le préjudice subi en raison du comportement fautif des sociétés METROPOLE TELEVISION et GTNCO du fait de manquements à la Convention passée avec le CSA pour l'édition de la chaîne M6 ;

- ordonner l'interdiction de toute exploitation de la séquence litigieuse exploitée au cours du premier épisode de l'émission « Wild » sur tout support sous astreinte de 10.000 euros par infraction constatée ;

- ordonner la publication du jugement à intervenir dans trois journaux ou revues aux choix de la demanderesse, aux frais avancés des sociétés défenderesses, dans la limite de 5 000 euros HT par insertion ;

- enjoindre aux directeurs de publication des sites www.6play.fr et www.gtnco.tv, à faire publier, en haut de la page d'accueil des sites www.6play.fr et www.gtnco.tv, ainsi que sur la page des comptes de réseaux sociaux officiels des sociétés défenderesses, pendant une durée de trente jours consécutifs, en caractère gras de corps 14, un communiqué judiciaire sous astreinte définitive de 1.000 euros par jour de retard ;

- condamner in solidum les sociétés METROPOLE TELEVISION et GTNCO au versement de la somme de 300.000 euros en réparation de son entier préjudice ;

- condamner in solidum les sociétés METROPOLE TELEVISION et GTNCO au versement de la somme de 15.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner in solidum les sociétés METROPOLE TELEVISION et GTNCO aux entiers dépens de l'instance.



Elle indique que ses demandes de réparation sont fondées sur l'article 9 du code civil, et que la seule atteinte à la vie privée ouvre droit à réparation, sans rechercher la responsabilité contractuelle des parties adverses.

Sur le fond, elle soutient que la cession des droits d'exploitation et de son image ne pouvait s'entendre que sous réserve du respect par la production des conditions de tournage et de diffusion auxquelles la candidate pouvait vraisemblablement s'attendre, au vu des trois conventions signées qui doivent être considérées comme un ensemble indivisible ; qu'ainsi, il était prévu que les images dégradantes des concurrents ne seraient pas communiquées ; que le caractère indigne et dégradant de la séquence litigieuse n'est pas contestable ; que la demanderesse n'a pas donné de consentement tacite, puisqu'elle s'est au contraire inquiétée auprès de l'équipe de tournage de la diffusion des sons lors de son épisode de diarrhée, ainsi que l'atteste sa coéquipière ; qu'elle a réagi par un tweet dès la diffusion de l'épisode par M6, mais n'a pas voulu faire un esclandre public lors de la soirée de présentation ; que le CSA a admis que la séquence pouvait être humiliante pour la candidate et méconnaissait les stipulations de la convention signée entre le CSA et M6.

Elle indique que son préjudice est très important au vu de la diffusion et de l'écho médiatique important de ces images, et de l'effondrement psychique qu'elle a connu suite à cette diffusion.



Vu les conclusions d'intimé et d'appelant incident signifiées par RPVA le 14 novembre 2019, aux termes desquelles la société GTNCO sollicite de la cour qu'elle :

- infirme le jugement entrepris, en ce qu'il a considéré la demande de [R] [Q] recevable ;

- juge [R] [Q] irrecevable en son action fondée sur la responsabilité extra-contractuelle ;

- confirme le jugement entrepris, en ce qu'il a débouté [R] [Q] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

- la condamne à payer à la société GTNCO la somme de 4 000 euros, conformément aux dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- fasse application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile au profit de Maître Jean ENNOCHI.



La société GTNCO expose qu'elle produit un programme audiovisuel intitulé « WILD » consistant en une course d'orientation en milieu hostile ; que [R] [Q], grande sportive et « survivaliste », a été choisie pour faire partie des 7 experts.

Elle indique que la demande de [R] [Q] au titre des articles 9 et 1240 est irrecevable, les dispositions de l'article 1240 du code civil étant inapplicables à la réparation d'un dommage se rapportant à l'exécution d'un engagement contractuel, en raison du principe du non-cumul des responsabilités contractuelle et délictuelle.

Au fond, elle soutient que [R] [Q] n'ignorait pas qu'elle était filmée et n'a manifesté aucune volonté de ne pas l'être au cours de la séquence litigieuse ; qu'elle était satisfaite de la diffusion de la séquence lors de la soirée à [Localité 4] et n'a manifesté aucune réserve à ce moment-là ; que la séquence n'est en tout état de cause ni dégradante ni indigne, et que [R] [Q] ne saurait sérieusement prétendre avoir été choquée par la diffusion des émissions litigieuses alors qu'elle a parfaitement accepté d'être filmée, se dénudant afin de recueillir, dans une gourde, ses urines dont elle expliquait les bienfaits en termes d'hydratation ; qu'enfin le préjudice invoqué n'est pas démontré par les attestations versées aux débats.



Vu les conclusions d'intimé et d'appelant incident signifiées par RPVA le 5 novembre 2019, aux termes desquelles la société METROPOLE TELEVISION sollicite de la cour qu'elle :

- réforme le jugement entrepris en ce qu'il a jugé recevable l'action fondée sur la responsabilité extra-contractuelle ;

- confirme le jugement entrepris en ce qu'il a débouté [R] [Q] de l'ensemble de ses demandes ;

- déboute [R] [Q] de l'intégralité de ses demandes ;

- condamne [R] [Q] à payer à la société METROPOLE TELEVISION une somme de 10.000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel, dont distraction au profit de Maître Nicolas BRAULT.



Elle soutient que [R] [Q] est irrecevable en son action délictuelle invoquant de prétendus dépassements ou violations des engagements contractuels qu'elle a souscrits.

Sur le fond, elle indique que la candidate a donné son consentement « sans réserves » lors de la signature le 7 juin 2017 du contrat et de l'autorisation de fixation et d'exploitation, et du Règlement de la compétition ; que ce consentement a bien été réitéré lors du tournage lors de la captation de la séquence et à l'issue de la production ; qu'elle a accepté d'évoquer et de commenter son état de santé pour les besoins de l'émission, lors de prises de vue postérieures au tournage ; qu'elle a réagi positivement au montage de l'émission lors de la diffusion à [Localité 4], et a accepté de répondre aux questions du public à l'issue de la diffusion, sans manifester la moindre critique ; qu'elle ne s'est jamais opposée à la diffusion de cette séquence, et n'a d'ailleurs manifesté aucune forme de réserve, refus ou désapprobation, y compris lors de la 1ère diffusion de la séquence ; que cette séquence, usuelle dans une émission de ce type pour illustrer un fait de course, n'est pas dégradante.

Elle précise que les dispositions de la convention liant M6 au CSA dont tente de se prévaloir [R] [Q] ne constituent en aucun cas un engagement de la chaîne vis-à-vis des participants relativement aux séquences diffusées à l'issue du tournage des émissions ; et que la simple mise en garde émise par le CSA sans examen contradictoire des allégations de [R] [Q] est sans portée et sans autorité aucune à l'égard des juridictions civiles.





Elle conteste le préjudice invoqué, indiquant que ce sont les réactions et commentaires de tiers qui sont à l'origine des préjudices allégués par Madame [Q], et non la diffusion des séquences.



Vu l'article 455 du code de procédure civile,



Vu l'ordonnance de clôture du 27 novembre 2019,



Sur la recevabilité de l'action de [R] [Q]



La Cour de cassation est venue consacrer le caractère cessible du droit à l'image et sa soumission au droit commun des contrats.



Ainsi, celui qui invoque la faute consistant à avoir outrepassé les limites de l'autorisation accordée sur son droit à l'image ne peut agir aux fins d'indemnisation du préjudice moral qui en serait résulté sur le fondement des articles 1240 et 1241 du code civil, en application du non-cumul des responsabilités contractuelle et délictuelle, seul l'article 1231-1 du code civil étant applicable.



Ce préjudice doit donc être indemnisé sur le fondement d'une responsabilité contractuelle, en application des articles 1217 et suivants du code civil, qui exclut ordinairement le recours à la responsabilité extra-contractuelle ; en effet, le créancier d'une obligation contractuelle ne peut se prévaloir contre le débiteur de cette obligation, quand bien même il y aurait intérêt, des règles de la responsabilité délictuelle.

Ainsi, même s'il a été admis que l'exploitation de l'image au-delà des termes d'un contrat peut être une faute délictuelle, encore faut-il que l'utilisation de cette image ait été faite dans un contexte différent des prévisions contractuelles, et ait nécessité un consentement spécial.



En l'espèce, ont été conclus le 7 juin 2017 entre la société GTNCO et [R] [Q] deux documents contractuels intitulés l'un 'contrat à durée déterminée d'usage (jeu)' prévoyant 'le collaborateur autorise l'exploitation par le producteur et en tant que de besoin lui cède à titre exclusif ses attributs et droits de la personnalité ainsi que ses éventuels droits de propriété intellectuels dans les conditions et selon les modalités définies dans l'autorisation de diffusion signée par le collaborateur' (article 3), et l'autre 'règlement de la compétition', dans lequel il était notamment précisé à l'article 4 : 'règles liées à la diffusion : dans le cadre de l'exploitation de la série, M6 s'engage à ne pas communiquer au public des informations ou des images dégradantes des concurrents'.

Les demandes formées par [R] [Q] sont fondées sur la violation ou le dépassement des accords qu'elle a souscrits autorisant l'exploitation de son droit à l'image dans le cadre de la diffusion de l'émission télévisée WILD, notamment des manquements à la convention passée avec le CSA pour l'édition de la chaîne M6.

Or, la séquence litigieuse a été filmée dans le contexte et pour la finalité en vue desquels a été réalisé le tournage de cette émission, et entre dans le cadre des prévisions contractuelles indiquant qu'il s'agissait d'une chronique filmée d'un jeu d'aventure. Il n'est pas démontré par [R] [Q] que l'utilisation de ces images ait été faite dans un contexte différent des prévisions contractuelles, et donc qu'il s'agirait d'une faute délictuelle détachable du contrat.

Aussi, [R] [Q], qui ne conteste pas l'existence des contrats produits, et dont les demandes se fondent sur la violation ou le dépassement des obligations contractuelles signées, notamment l'article 4 du règlement de la compétition, aurait dû agir sur le terrain contractuel et non sur le terrain délictuel, en application du principe du non-cumul de ces responsabilités.

Il y a donc lieu de constater l'irrecevabilité des demandes formées par [R] [Q] à l'encontre de la société Métropole Télévision et de la société GTNCO, sur le fondement de l'article 9 du code civil.

Le jugement sera infirmé de ce chef.



Sur les demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile



Pour des motifs tirés de considérations d'équité et de la situation économique des parties, il n'y a pas lieu de faire droit aux demandes formées par les sociétés Métropole Télévision et GTNCO sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.





PAR CES MOTIFS



Statuant publiquement et contradictoirement, par mise à disposition au greffe,



Infirme le jugement du tribunal de grande instance de Paris du 14 novembre 2018 en ce qu'il a rejeté le moyen tiré de l'irrecevabilité de l'action ;



Statuant à nouveau,



Déclare irrecevable [R] [Q] en son action fondée sur la responsabilité délictuelle ;



Déboute [R] [Q] de l'ensemble de ses demandes ;



Déboute les sociétés Métropole Télévision et GTNCO de leurs demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile ;



Condamne [R] [Q] aux entiers dépens de première instance et d'appel, avec application de l'article 699 du code de procédure civile au profit de Maître ENNOCHI et de Maître BRAULT, avocats.





LE PRÉSIDENT LE GREFFIER

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