30 janvier 2020
Cour d'appel de Paris
RG n° 17/06987

Pôle 6 - Chambre 5

Texte de la décision

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 6 - Chambre 5



ARRET DU 30 JANVIER 2020



(n° 2020/ , 6 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 17/06987 - N° Portalis 35L7-V-B7B-B3KQE



Décision déférée à la Cour : Jugement du 03 Novembre 2016 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° 15/10338



APPELANT



Monsieur [W] [Z]

né le [Date anniversaire 1] 1983 à [Localité 1] (TONGA)

[Adresse 1]

[Adresse 2]

[Adresse 3]



Représenté par Me Samuel CHEVRET, avocat au barreau de PARIS, toque : A0729



INTIMEE



La société SASP RCF RUGBY dénommée initialement 'Racing Metro 92"

N° SIRET : 414 084 111

[Adresse 4]

[Adresse 4]



Représentée par Me Quilina VIZZAVONA MOULONGUET, avocat au barreau de PARIS, toque : D0553





COMPOSITION DE LA COUR :



L'affaire a été débattue le 28 Novembre 2019, en audience publique, devant la Cour composée de :



Madame Marie-Christine HERVIER, Présidente de chambre

Madame Béatrice CHAMPEAU-RENAULT, Présidente de chambre

Madame Isabelle MONTAGNE, Conseillère



qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Madame Marie-Christine HERVIER, Présidente de chambre, dans les conditions prévues par l'article 785 du code de procédure civile.





Greffier : Madame Pauline MAHEUX, lors des débats



ARRÊT :



- contradictoire,

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

- signé par Madame Marie-Christine HERVIER, Présidente de chambre et par Madame Marine BRUNIE, Greffière, présente lors de la mise à disposition.




EXPOSE DU LITIGE :



Par contrat à durée déterminée signé le 11 juin 2015, daté du 10, M. [W] [Z] a été engagé par la SASP RCF Rugby (ci-après le club) en qualité de joueur de rugby à compter du 1er juillet 2015 pour une durée couvrant deux saisons sportives renouvelable par tacite reconduction pour une saison supplémentaire sauf dénonciation par l'une des deux parties, moyennant une rémunération mensuelle brute de 15'100 euros sur 12 mois pour la saison 2015/2016 et de 18'000 euros brut sur 12 mois à compter du 1er juillet 2016 outre des primes d'éthique et d'assiduité versées mensuellement.



La convention collective applicable à la relation de travail est celle du rugby professionnel. Les relations entre les parties sont également régies par les règlements généraux de la ligue nationale de rugby et ceux de la Fédération française du rugby.



M. [Z] s'est vu remettre un badge d'accès au club, une tenue, un livret d'accueil et le règlement intérieur du club. Un logement et un véhicule ont également été mis à sa disposition.



L'article 2.2.1. du chapitre1, titre II de la convention collective nationale prévoit que préalablement à la date d'entrée en vigueur prévue au contrat, le club doit 'effectuer sous la responsabilité du médecin du club, un certificat médical établissant l'absence de contre-indication à la pratique du rugby dans les compétitions professionnelles'.



Le contrat de travail précisait à cet égard que « Les parties étant dans l'incapacité matérielle de réaliser l'examen médical avant le 1er juillet 2015, l'entrée en vigueur du présent contrat est conditionnée au passage d'un examen médical démontrant, conformément au règlement médical de la LNR, l'absence de contre-indication à la pratique du rugby professionnel. Cet examen devra être réalisé au plus tard, dès l'arrivée du joueur au sein du club. ».



Enfin, l'article 7 du contrat précisait que « Tout contrat, avenant accord entre un club et un joueur non homologué est dépourvu d'existence et d'effets, sous réserve des cas de refus d'homologation pour raisons financières, pour lesquels il sera fait application des dispositions de la convention collective du rugby professionnel. ».



M. [Z] a passé différents examens médicaux les 11 et 12 juin 2015 dont les résultats ont été étudiés par le médecin du club le 10 juillet 2015 lequel après avoir reçu M. [Z] le 13 juillet 2015 ne délivrait pas de certificat faisant état d'une absence de contre-indication à la pratique du rugby professionnel. Malgré différents entretiens médicaux avec des médecins experts de la ligue aucun certificat faisant état d'une absence de contre-indication à la pratique professionnelle n'a été délivré.



L'homologation du contrat de travail n'a pas été sollicitée par la société RCF Rugby et le 16 juillet 2015, celle-ci priait M. [Z] de quitter le club. Celui-ci se présentait au club le 23 juillet 2015 accompagné d'un huissier de justice lequel constatait l'interdiction d'entrer dans les lieux et la sommation de restituer les clés du logement et du véhicule faites à son requérant, ce à quoi celui-ci obtempérait quelques jours plus tard. Par courrier du 31 juillet 2015, la société RCF Rugby notifiait à M. [Z] que le contrat de travail n'était jamais entré en vigueur.



Soutenant que le contrat de travail avait pris effet et que la rupture des relations contractuelles s'inscrivait dans le cadre d'une rupture abusive d'un contrat de travail, M. [Z] a saisi le conseil de prud'hommes de Paris le 24 août 2015 afin d'obtenir la condamnation de la société RCF Rugby à lui payer des rappels de salaire et des dommages-intérêts pour rupture abusive du contrat de travail.





Par jugement du 3 novembre 2016 auquel il convient de se reporter pour l'exposé de la procédure antérieure et des demandes initiales des parties, le conseil de prud'hommes de Paris, section activités diverses, a débouté M. [Z] de l'ensemble de ses demandes et l'a condamné aux dépens.



M. [Z] a régulièrement relevé appel du jugement le 9 mai 2017.



Aux termes de ses dernières conclusions n°5 transmises par voie électronique le 27 novembre 2019 auxquelles il convient de se reporter pour un plus ample exposé des prétentions et moyens en application de l'article 455 du code de procédure civile, M. [Z] demande à la cour de :

- infirmer le jugement,

- écarter des débats les pièces 1, 16, 17 et 18 communiquées par la SASP RCF Rugby,

- condamner la SASP RCF Rugby à lui verser les sommes de :

* 13'263,33 euros brut à titre de rappel de salaire outre 1 591,60 euros brut au titre des congés payés y afférents,

* 740'235,84 euros de dommages-intérêts pour rupture abusive du contrat de travail, subsidiairement 475'086,27euros,

- dire que les intérêts au taux légal sont dus à compter de la saisine du conseil de prud'hommes,

- condamner la SASP RCF Rugby à lui transmettre les bulletins de paie et documents de fin de contrat conformes à la décision à intervenir sous astreinte de 50 euros par jour de retard passé le délai de 15 jours à compter de la décision,

- condamner la SASP RCF Rugby à lui payer la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et la condamner aux dépens.



Aux termes de ses dernières conclusions récapitulatives transmises par voie électronique le 27 novembre 2019 auxquelles il convient de se reporter pour un plus ample exposé des prétentions et moyens en application de l'article 455 du code de procédure civile, la société RCF Rugby, dénommée Racing 92, prie la cour de confirmer le jugement en ce qu'il a jugé que le contrat été caduc, débouter M. [Z] de ses demandes, le condamner à lui payer la somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, subsidiairement si la cour devait considérer que le contrat n'était pas caduc, limiter la condamnation qui serait prononcée à son encontre à la somme de 397'200 euros.



L'ordonnance de clôture est intervenue le 28 novembre 2019. L'affaire est venue pour plaider à l'audience du 28 novembre 2019.




MOTIVATION :



Sur la demande aux fins de voir écarter des débats les pièces 1,16,17 et 18 du bordereau de communication de pièces de la société RCF Rugby :



Cette demande est fondée sur la violation du secret médical énoncé à l'article R. 4127-4 du code de la santé publique et compte tenu du caractère médical de ces pièces, communiquées par l'intimée sans l'accord de M. [Z], il y sera fait droit.



Sur le fond :



M. [Z] soutient que la rupture des relations contractuelles s'inscrit non pas dans le cadre d'une caducité du contrat de travail pour défaut de réalisation de la condition suspensive d'obtention d'un certificat médical attestant de l'absence de contre-indication à la pratique du rugby comme le soutient la société RCF Rugby et l'a retenu le conseil de prud'hommes mais comme une rupture anticipée et abusive d'un contrat de travail à durée déterminée dès lors que le contrat avait reçu un commencement d'exécution, qu'au surplus, il n'existe aucune preuve de son inaptitude physique, le médecin du travail n'ayant pas délivré d'avis et qu'enfin le défaut d'homologation ne peut non plus lui être opposé puisque le club ne l'a pas sollicitée auprès de la Ligue nationale de rugby.



Sur le commencement d'exécution du contrat de travail :



M. [Z] soutient que le contrat de travail a reçu un commencement d'exécution tant de sa part que de la part du club en faisant valoir que :

- il s'est mis à la disposition du club en acceptant d'être photographié et de mettre son image à disposition de la société RCF Rugby, en se rendant aux diverses convocations médicales dont il a fait l'objet ou en participant aux repas pris en commun par les joueurs,

- il a participé à l'entraînement des joueurs,

- le club lui a remis un livret d'accueil, une tenue, un badge d'accès, une voiture, un logement et a utilisé son image en communiquant sur son site.



Le club soutient qu'il n'y a eu aucun commencement d'exécution dès lors qu'il s'est opposé à ce que M. [Z] participe aux entraînements, ce qui constitue l' obligation essentielle de celui-ci en qualité de joueur, que l'utilisation de son image ne répondait qu'à une communication promotionnelle et que lui-même ne l'a pas rémunéré dès lors que la mise à disposition du véhicule ressortait de la décision de la société Toyota et n'était pas prévue au contrat de travail et que le logement a été mis à sa disposition par erreur.



La cour relève en premier lieu que M. [Z] ne rapporte pas la preuve qu'il a participé à l'entraînement des joueurs. En effet, il est établi au dossier que celui-ci n'a commencé que le 13 juillet 2015, jour de la reprise de la saison et que ce jour là, le club savait déjà que son médecin, le Dr [M] refusait de délivrer le certificat attestant de l'absence de contre-indication à la pratique du rugby dans les compétitions professionnelles ainsi que cela ressort des attestations du directeur adjoint du club (M. [O]) et du directeur sportif (M. [S]) selon lesquelles ils en ont été avisés dès le 10 juillet. En outre, l'entraîneur et plusieurs joueurs attestent de leur côté, l'un d'entre eux interprétant d'ailleurs sans ambiguité un SMS confus que communique M. [Z] et l'autre revenant sur une attestation contraire, également communiquée par l'appelant, que M. [Z] n'a pas participé à l'entraînement ni en salle de musculation ni sur le terrain de jeu. Enfin, les vidéos et photos produites par M. [Z] ainsi que le procès-verbal d'huissier analysant une vidéo ne suffisent pas à démontrer le contraire puisqu'il en ressort que le salarié se tenait seul dans une salle ou se photographiait avec son téléphone portable, ce dernier point étant incompatible avec un entraînement professionnel comme l'atteste l'entraîneur du club.



S'agissant de la mise à disposition du véhicule, l'employeur dans son courrier du 10 juin 2015 écrit que le véhicule est mis à disposition du joueur par la société Toyota dans le cadre d'un contrat de prêt entre cette société et le club et que lui-même ne mettait aucun véhicule à disposition du joueur si le contrat de prêt venait être rompu. Il ne peut donc valablement être soutenu que la mise à disposition de ce véhicule constitue un avantage en nature d'autant qu'il n'est pas prévu au contrat.



En revanche, s'agissant de la mise à disposition du logement si elle n'est pas non plus prévue au contrat de travail, la cour relève que le courrier du 10 juin 2015 mentionne expressément que cette mise à disposition s'analyse comme un avantage en nature d'une valeur de 538,20 euros et la société RCF Rugby qui l'invoque ne rapporte pas la preuve que cette mise à disposition est intervenue par erreur d'autant qu'elle porte la même date que le contrat de travail, peu important que M. [Z] n'ait pas signé le courrier comme on le lui demandait.



Par ailleurs, le 13 juillet 2015, alors que la direction du club savait que le médecin du club refusait de délivrer le certificat médical attestant de l'absence de contre-indication à la pratique du rugby dans les compétitions professionnelles, le club a remis à M. [Z] un livret d'accueil, un badge d'accès au club et, le lendemain, lui a fait parvenir un planning des repas communs, les seules considérations humanitaires mises en avant par le club ne suffisant pas à démontrer qu'il ne s'agissait pas de l'exécution du contrat de travail.





Enfin, il est constant que le club a communiqué le 6 juillet 2015 en diffusant sur son site des photographies de M. [Z] et annoncé son arrivée alors que cette utilisation de son image, même dans le cadre de la promotion commerciale du club n'est que la conséquence du contrat de travail signé par les parties.



Pour l'ensemble de ces raisons la cour considère que le contrat de travail a reçu un commencement d'exécution peu important que le club n'ait pas renoncé expressément à la réalisation de la condition suspensive de délivrance du certificat médical dès lors que le commencement d'exécution du contrat de travail implique nécessairement cette renonciation.



Sur l'absence d'homologation du contrat de travail :



A titre subsidiaire, la société RCF Rugby soutient que le contrat de travail est caduc à défaut d'avoir été homologué par la ligue nationale de rugby et que, contrairement à ce que soutient M. [Z], ce défaut d'homologation est parfaitement opposable à celui-ci dès lors que même si elle avait transmis le contrat de travail à la Ligue, celle-ci n'aurait pas homologué le contrat en raison de l'absence de certificat médical attestant de l'absence de contre-indication à la pratique du rugby dans les compétitions professionnelles.



M. [Z] soutient que le défaut d'homologation ne peut lui être opposé puisqu'il est la conséquence d'une abstention fautive de l'employeur lequel ne justifie d'aucune preuve de la contre-indication à la pratique du rugby dans les compétitions professionnelles et a fait obstruction à son recours devant la commission médicale de la ligue.



Il est constant que le contrat n'a pas été homologué, que l'obligation de le faire homologuer reposait sur l'employeur et que :

- l'article 7 du contrat de travail prévoit que tout contrat non homologué est dépourvu d'existence et d'effet,

- la convention collective du rugby professionnel stipule à son article 2.2.1du titre II, chapître I que le contrat entre en vigueur à la date et aux conditions prévues au contrat sous réserve de son homologation,

- l'article 74 titre VI chapitre 2 du règlement de la LNR indique « l'homologation des contrats des joueurs des clubs professionnels est subordonnée à l'envoi à la LNR d'un certificat médical établissant l'absence de contre-indication à la pratique du rugby dans les compétitions professionnelles. Ce certificat médical est effectué sous la responsabilité du médecin habilité par le club [']',

- l'article 3.1 de l'annexe 3 du règlement administratif de la LNR précise que parmi les pièces nécessaires à l'homologation des contrats des joueurs figure le « certificat médical établi suivant le modèle fourni par la LNR' indiquant que le joueur ne présente aucune contre-indication à la pratique du rugby. »



Il est également constant que cette homologation s'analyse juridiquement comme une condition suspensive du contrat de travail.



Contrairement à ce que soutient le salarié, ce défaut d'homologation du contrat de travail lui est opposable puisqu'il ne résulte pas d'une abstention fautive de l'employeur dès lorsqu'à défaut de certificat médical attestant de l'absence de contre-indication à la pratique du rugby le dossier n'était pas complet et que l'homologation n'aurait donc pas été prononcée, que M. [Z] ne justifie pas avoir exercé un quelconque recours auprès de la commission médicale de la ligue comme il en avait la possibilité en application de l'article 5.34.b.2 de la convention collective aux fins de désignation d'un médecin expert, et que la condition suspensive étant irréalisable du fait du refus du médecin du club d'établir le certificat médical, le club ne peut valablement se voir reprocher l'absence de transmission du contrat à la ligue.



La cour dira en conséquence qu'à défaut d'homologation, le contrat de travail de M. [Z] est caduc et privé d'effet, en application de l'article 1304 du code civil recodifié.

Il en résulte que la rupture des relations contractuelle ne s'analyse pas comme la rupture abusive d'un contrat de travail dès lors que celui-ci n'a pas pu produire d'effet de sorte que M. [Z] sera débouté de l'ensemble des demandes qu'il présentait à ce titre et que le jugement sera confirmé de ce chef.



Sur les autres demandes :



Sur la demande de rappel de salaire pour la période du 1er au 23 juillet 2013 et les congés payés y afférents :



La demande sera rejetée, la cour retenant que le contrat de travail était caduc et privé d'effet. Le jugement sera donc confirmé de ce chef.



Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens :



M. [Z] sera condamné aux entiers dépens de l'instance et la cour ne fera pas application de l'article 700 du code de procédure civile en faveur de l'une ou l'autre des parties.



PAR CES MOTIFS :



La cour, statuant contradictoirement et par mise à disposition au greffe,



Ecarte des débats les pièces communiquées par la société RCF Rugby sous les numéros 1,16,17 et 18 de son bordereau de communication de pièces,



Confirme le jugement dans toutes ses dispositions,



Y ajoutant :



Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile en faveur de l'une ou l'autre des parties,



Condamne M. [W] [Z] aux entiers dépens.





LA GREFFIÈRELA PRÉSIDENTE

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