3 mars 2020
Cour d'appel de Paris
RG n° 18/28501

Pôle 5 - Chambre 1

Texte de la décision

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 5 - Chambre 1



ARRÊT DU 03 MARS 2020



(n° 042/2020, 17 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général :18/28501 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B66WD



sur renvoi après cassation, par arrêt de la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de Cassation rendu le 10 juillet 2018 (pourvoi n°K16-23.694), d'un arrêt du pôle 5 chambre 2 de la Cour d'appel de PARIS rendu le 1er juillet 2016 (RG n°15/07856) rendu sur appel d'un jugement Tribunal de grande instance de Paris du 12 février 2015 (RG n°14/07309)







DEMANDERESSE À LA SAISINE



SAS [R] COMPAGNIE COMMERCIALE ET VITICOLE CHAMPENOISE

Immatriculée au registre du commerce et des sociétés de REIMS sous le numéro 490 341 062

Agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège

[Adresse 9]

[Localité 10]



Représentée par Me Charles-Hubert OLIVIER de la SCP LAGOURGUE & OLIVIER, avocat au barreau de PARIS, toque : L0029

Assistée de Me Annick LECOMTE de l'AARPI ALEZAN, avocat au barreau de PARIS, toque : P0401







DÉFENDERESSES À LA SAISINE



Madame [K] [R]

Née le [Date naissance 4] 1961 à [Localité 10] (51)

Demeurant [Adresse 5]

[Adresse 2]

BELGIQUE



Représentée par Me Frédéric INGOLD de la SELARL INGOLD & THOMAS - AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : B1055

Assistée de Me Stéphane GUERLAIN de la SEP ARMENGAUD - GUERLAIN, avocat au barreau de PARIS, toque : W07

















SELAFA MJA

Prise en la personne de Maître [I] [J], ès qualités de liquidateur de la SARL BM & VT- société à responsabilité limitée au capital de 10.000 euros,

Immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de Paris sous le n°504.587.346, dont le siège social est au [Adresse 7], qualité conférée par jugement du 12 mai 2015, ayant ouvert la liquidation judiciaire de la société BM & VT,

[Adresse 1]

[Localité 8]



N'ayant pas constitué avocat







COMPOSITION DE LA COUR :



Après le rapport oral dans les conditions de l'article 785 du code de procédure civile et en application des dispositions des articles 786 et 907 du même code, l'affaire a été débattue le 22 janvier 2020, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur David PEYRON, président de chambre et Madame Isabelle DOUILLET, conseillère chargée d'instruire l'affaire.



Ces magistrat ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur David PEYRON, président,

Madame Isabelle DOUILLET, conseillère,

Madame Laurence LEHMANN, conseillère, en remplacement de Monsieur François THOMAS, conseiller, empêché







Greffier, lors des débats : Mme Karine ABELKALON





ARRÊT :




Réputé contradictoire

par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

signé par David PEYRON, Président de chambre et par Karine ABELKALON, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.







***



























EXPOSÉ DU LITIGE



La société [R] COMPAGNIE COMMERCIALE ET VITICOLE CHAMPENOISE (SAS) (ci-après, la société [R] CCVC), immatriculée en 2006 au RCS de [Localité 10] sous le n°490341062, élabore et commercialise des champagnes sous la marque '[R]'. Holding du groupe [R], elle se présente comme la dépositaire de l'histoire de la Maison de Champagne [R].



Elle est notamment titulaire d'une marque dénominative française '[R]' dont elle invoque la renommée, déposée pour la première fois par la société SA [R] le 16 janvier 1968, régulièrement renouvelée depuis cette date et en dernier lieu le 11 juillet 2017, et actuellement enregistrée sous le n° 1 426 350 (ci-après, la marque 350) pour désigner des produits relevant des classes 32 et 33 et en particulier 'les vins de provenance française à savoir Champagne'.



Madame [K] [R] a, entre le 1er février 1986 et la date de son licenciement intervenu le 21 décembre 2006, lequel a été jugé sans cause réelle et sérieuse par jugement définitif du conseil de prud'hommes de Reims en date du 18 juin 2008, effectué sa carrière au sein de la SA [R] en qualité d'attachée de direction, puis comme directrice de la communication et du marketing, directrice du bureau de Paris et directrice du service et produits associés et enfin, comme directrice des relations extérieures de la société [R] (SAS). Elle indique qu'elle était présentée par les médias, en raison de sa personnalité et de ses compétences, comme l'égérie et l'ambassadrice des champagnes [R].



Actionnaire du groupe [R], Mme [K] [R] a, par acte sous-seing privé du 19 juillet 2005, donné mandat à son père, Monsieur [L] [R], de la représenter dans la cession de ses parts sociales. Ce dernier, par acte du 21 juillet 2005, a usé de la faculté de substitution qui lui avait été donnée par sa fille, au profit de Madame [V] [R] et de Monsieur [C] [P].



Aux termes d'un acte de cession de titres signé le 21 juillet 2005 entre, d'une part, la famille [R], la société de droit belge FIBELPAR et la société FONCIERE FINANCIERE ET DE PARTICIPATION, et d'autre part, la société de droit luxembourgeois SOF EUROPEAN HOTEL CO-INVEST HOLDINGS, cette dernière s'est vue céder le contrôle de la société GROUPE [R].



Cet acte de cession réglemente, en son article 10-4, les conditions de coexistence des droits respectifs de la famille [R], de l'acquéreur, de la société GROUPE [R], ainsi que de ses filiales, sur le nom de famille [R] et prévoit notamment, dans un article 10-4-2 : ' La Famille [R] s'engage irrévocablement au profit de l'Acheteur, de la société Groupe [R] ainsi que de ses Filiales à ne pas, dans quelque partie du monde que ce soit, directement ou indirectement, faire quelque usage du nom « [R] », que ce soit à titre de marque de commerce ou de service, de nom commercial, de nom de domaine ou autre, pour désigner et/ou promouvoir tout produit ou service en concurrence avec tout ou partie de l'Activité et/ou avec tout ou partie des produits ou services dérivant des opérations de l'Activité'.



Il comporte par ailleurs, en son article 10-5, une clause de non concurrence engageant la famille [R] pour une durée de 24 mois.



Le 14 février 2008, Mme [K] [R] a déposé la marque verbale française '[K] [Z]' enregistrée sous le n°3 556 674 pour designer les produits des classes 21, 29, 30, 32, 33, dont le champagne.







Pour permettre la distribution du champagne commercialisé sous cette marque, Mme [R] a créé avec un associé, la société BM & VT, immatriculée le 24 juin 2008 au RCS de Paris.



Mme [R] a par ailleurs procédé à la réservation du nom de domaine [011] le 4 mai 2007, qui héberge le site internet de la société BM & VT, ainsi que les noms de domaine suivants qui assurent une redirection vers ce dernier : [014], le 3 mai 2007 ; [015], le 26 mai 2008 ; [014], le 4 mai 2007 ; [015], le 26 mai 2008 ; [012], le 13 mai 2008 et [013], le 19 mai 2008.



La société [R] CCVC se dit bénéficiaire des engagements pris par les membres de la famille [R] relativement à l'utilisation de leur nom, aux termes de l'acte de cession du 21 juillet 2005, en tant qu'elle vient aux droits d'une société qu'elle a absorbée, également dénommée [R] CCVC, qui était une filiale de la société GROUPE [R] au jour de la signature de l'acte de cession.



Invoquant l'utilisation commerciale du nom [R] pour la vente et la promotion du champagne '[K] [Z]' et la mise en oeuvre d'une communication systématiquement axée sur le nom de famille [R] et sur l'image de la marque '[R]', la société [R] CCVC a, par courrier recommandé avec accusé de réception du 15 juillet 2010, mis en demeure Mme [R] et la société BM & VT de cesser toute utilisation de la marque de renommée, de la dénomination sociale ainsi que du nom commercial [R].



Ces dernières, par courriers officiels des 22 juillet et 6 octobre 2010, lui ont opposé 1'absence d'engagement de non concurrence les liant et le droit exclusif de Mme [K] [R] à utiliser son nom patronymique en le distinguant de la dénomination sociale et de la marque '[R]'.



C'est dans ces conditions, que par actes d'huissier des 8 et 21 mai 2014, la société [R] CCVC a fait assigner Mme [R] et la société BM & VT devant le tribunal de grande instance de Paris.





Par jugement contradictoire en date du 12 février 2015, le tribunal de grande instance de Paris a :




rejeté la fin de non-recevoir opposée par Mme [K] [R],

déclaré irrecevables les demandes de la société [R] CCVC au titre de la responsabilité contractuelle de Mme [R],

rejeté les demandes de la société [R] CCVC au titre de l'atteinte à la marque de renommée et de la concurrence déloyale et parasitaire,

rejeté les demandes reconventionnelles de Mme [R] et de la société BM & VT,

condamné la société [R] CCVC aux dépens et au paiement à Mme [R] et à la société BM &VT de la somme de 7 500 euros chacune en application de l'article 700 du code de procédure civile,

dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.




La société [R] CCVC a interjeté appel de ce jugement et a fait assigner en intervention forcée la SELAFA MJA prise en la personne de Maître [I] [J], ès qualités de mandataire liquidateur de la société BM &VT, désignée par jugement du tribunal de commerce de Paris du 12 mai 2015.







Cette cour (chambre 5-2), par un arrêt rendu le 1er juillet 2016, a :




infirmé le jugement en ce qu'il a déclaré irrecevables les demandes de la société [R] CCVC au titre de la responsabilité contractuelle de Mme [R] et rejeté la demande de cette société au titre des frais irrépétibles,

statuant à nouveau dans cette limite, dit qu'en employant à des fins commerciales, le nom [R] pour la vente et la promotion du champagne [K] [Z], sous la forme des noms de domaine [019], [020], [019], [017], et [018], Mme [R] a enfreint les stipulations de l'article 10-4 -2 de la convention de cession de titres du 21 juillet 2005,




en conséquence,


ordonné à Mme [R] :

de renoncer aux noms de domaine [013] et virginie-taittinger- champagne.com,

de cesser tout usage pour la commercialisation ou la promotion de vins de champagne, des noms de domaine [015], [015], [014] et [014], et ce, sous astreinte de 500 euros par jour de retard passé un délai d'un mois suivant la signification de l'arrêt,





condamné Mme [R] à verser à la société [R] CCVC la somme de 40 000 euros à titre de dommages et intéréts en réparation de son préjudice,

débouté Mme [R] de l'ensemble de ses demandes et rejeté toutes autres demandes,

condamné Mme [R] aux dépens et au versement à la société [R] CCVC de la somme de 10 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.




Sur le pourvoi formé par Mme [R], la Cour de cassation, dans un arrêt rendu le 10 juillet 2018, a :




cassé et annulé l'arrêt de la cour d'appel, mais seulement en ce qu'il a :

condamné Mme [R] pour avoir employé à des fins commerciales le nom [R] pour la vente et la promotion du champagne [K] [Z] sous la forme des noms de domaine [019], [020], [019], [020], [017] et [018], en violation des stipulations de l'article 10-4-2 de la convention de cession de titres du 21 juillet 2005,

rejeté les demandes de la société [R] CCVC

au titre de l'atteinte à la marque renommée '[R]' n° 1 426 350

et au titre du parasitisme,

statué sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile,

remis, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les a renvoyés devant la cour d'appel de Paris, autrement composée,

laissé à chacune des parties la charge de ses dépens et rejeté les demandes présentées sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.




La société [R] CCVC, par déclaration du 21 décembre 2018, a saisi cette cour désignée comme cour de renvoi.











Dans ses dernières conclusions numérotées 2, transmises le 30 septembre 2019, la société [R] CCVC demande à la cour :




de réformer le jugement du 12 février 2015 en ce qu'il :

a déclaré irrecevables ses demandes au titre de la responsabilité contractuelle de Mme [K] [R],

a rejeté ses demandes au titre de l'atteinte à la marque de renommée '[R]' n°1 426 350 et de la concurrence déloyale et parasitaire,

a rejeté sa demande au titre de ses frais irrépétibles,

l'a condamné à supporter les entiers dépens et à payer à Mme [R] et à la société BM & VT la somme de 7 500 euros chacune au titre de l'article 700 du code de procédure civile,




statuant à nouveau,


de juger que Mme [K] [R] est irrecevable et à tout le moins infondée à prétendre que la société [R] CCVC ne peut se prévaloir de l'acte de cession de titres du 21 juillet 2005, cette dernière étant bénéficiaire des engagements ainsi contractés au bénéfice de la société GROUPE [R] et des filiales de cette dernière,

de juger que la société [R] CCVC est recevable et bien fondée à se prévaloir du bénéfice des stipulations de l'article 10-4-2 de la convention de cession de titres du 21 juillet 2005,

de juger que la société [R] CCVC est recevable et bien fondée à invoquer la théorie de l'apparence pour opposer à Mme [K] [R] les stipulations de l'article 10-4-2 de la convention de cession de titres du 21 juillet 2005 et, en tout état de cause, que Mme [K] [R] a ratifié cette convention de cession de titres, dont l'ensemble des stipulations lui sont donc opposables,

en conséquence, de juger qu'en employant systématiquement, à des fins commerciales, le nom [R] pour la vente et la promotion du champagne [K] [Z], sous la forme de noms de domaine contenant ce nom et, dans certains cas, le mot 'champagne', dans ses déclarations reproduites sur le site Internet [K] [Z] et dans la presse, Mme [K] [R] a délibérément enfreint les stipulations de l'article 10-4-2 de la convention de cession de titres du 21 juillet 2005,

subsidiairement, de juger qu'en employant le nom patronymique [R] pour la vente et la promotion du champagne [K] [Z], sous la forme de noms de domaine contenant ce nom et, dans certains cas, le mot 'champagne', dans des déclarations reproduites sur le site Internet [K] [Z] et dans la presse, les intimées ont porté atteinte à la marque de renommée '[R]' n°1 426 350 au sens des dispositions de l'article L.713-5 du code de la propriété intellectuelle et engagé leur responsabilité in solidum à l'égard de la société [R] CCVC,

d'interdire à Mme [K] [R] toute exploitation commerciale directe ou indirecte du nom [R], sous quelque forme et à quelque titre que ce soit, pour toute activité liée au champagne ainsi qu'aux vins, et de lui ordonner de cesser tout usage pour la commercialisation ou la promotion de vins ou de vins de Champagne, des noms de domaine : [015], [015], [014], [014], et ce, sous astreinte de 5 000 euros par jour de retard et par infraction, passé un délai de quinze jours suivant la signification de l'arrêt à intervenir,

de juger qu'en axant systématiquement la promotion du vin de Champagne [K] [Z], sur la renommée de la marque '[R]', ainsi que sur l'image de [K] [R] au titre de son activité passée pour la promotion du champagne de marque '[R]', notamment par l'emploi non autorisé de cette marque, la société BM & VT et Mme [K] [R] ont porté atteinte à la marque de renommée '[R]' n°1 426 350 au sens des dispositions de l'article L.713-5 du code de la propriété intellectuelle et engagé leur responsabilité in solidum à l'égard de la société [R] CCVC,







de juger qu'en plaçant systématiquement l'activité de la société BM & VT et la promotion du champagne [K] [Z] dans le sillage de la notoriété et du prestige de la société [R], notamment par l'emploi de sa dénomination sociale et de son nom commercial, la société BM & VT et Mme [K] [R] ont porté atteinte aux droits de la société [R] CCVC sur sa dénomination sociale ainsi que sur son nom commercial et qu'elles se sont livrées à des actes de parasitisme engageant leur responsabilité in solidum à l'égard de la société [R] CCVC, en application des dispositions de l'article 1382 ancien du code civil,

d'interdire à Mme [R] de poursuivre de tels actes et lui ordonner de s'abstenir de toute référence à la société [R], à son nom commercial, à la marque '[R]', aux vins de Champagne [R] ainsi qu'aux fonctions exercées par Mme [R] au sein de la société [R] pour la commercialisation et la promotion, directe ou indirecte, de vins et de vins de Champagne, et ce, sous astreinte de 5 000 euros par jour de retard et par infraction, passé un délai de quinze jours suivant la signification de l'arrêt à intervenir,

de condamner Mme [R] à verser à la société [R] CCVC les sommes suivantes :

150 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice, aggravé par sa résistance abusive, résultant de la violation des stipulations de l'article 10-4-2 de la convention de cession de titres du 21 juillet 2005 et subsidiairement du préjudice causé à la marque de renommée '[R]' n°1 426 350 du fait de l'usage du patronyme [R] pour la commercialisation des vins de Champagne [K] [Z],

150 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant de l'atteinte à ses droits sur sa marque de renommée '[R]' n° 1 426 350 du fait de l'emploi non autorisé de cette marque pour la commercialisation et la promotion des vins de Champagne '[K] [Z]',

150 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant des actes de parasitisme et de l'atteinte à ses droits sur sa dénomination sociale et son nom commercial,

60 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,





d'ordonner à titre de réparation complémentaire des différents chefs de préjudice subis par la société [R] CCVC, la publication d'extraits de l'arrêt à intervenir ou de son dispositif, in extenso ou par extraits, à l'initiative de la société [R] CCVC, dans six revues ou magazines de son choix aux frais de Mme [R] et ce, à concurrence d'une somme de 8 000 euros hors taxes par publication,

de fixer la créance de la société [R] CCVC à l'encontre de la société BM & VT à la somme totale de 408 000 euros, augmentée des dépens, correspondant :

à hauteur de 150 000 euros à des dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant de l'atteinte à ses droits sur sa marque de renommée '[R]' n°1 426 350,

à hauteur de 150 000 euros à des dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant des actes de parasitisme et de l'atteinte à ses droits sur sa dénomination sociale et son nom commercial,

à hauteur de 48 000 euros au remboursement des frais de publication du dispositif de l'arrêt à intervenir,

à hauteur de 60 000 euros au montant de ses frais irrépétibles en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
















Dans ses dernières conclusions numérotées 3 transmises le 23 octobre 2019, Mme [R] demande à la cour :




de débouter la société [R] CCVC de son appel, et de toutes ses demandes,

de confirmer le jugement en toutes ses dispositions,

de dire par voie de conséquence que l'article 10-4-2 de l'acte de cession de titres du 21 juillet 2005 n'est pas opposable à Mme [R],

de dire que la société [R] CCVC n'est pas fondée à se prévaloir de l'acte de cession de titres du 21 juillet 2005,

de dire qu'en toute hypothèse Mme [R] était libre, à la date des faits considérés, de faire usage du terme [R] à sa guise, du fait de la prohibition des engagements perpétuels,

de débouter par voie de conséquence la société [R] CCVC de ses demandes en responsabilité contractuelle à l'encontre de Mme [R],

de dire que Mme [R] n'a commis aucune atteinte à la marque de renommée '[R]',




subsidiairement,


de constater que l'usage du signe '[K] [R]' procède d'un juste motif au sens de l'article L. 713-6 du code de la propriété intellectuelle qui doit être examiné à la lumière des articles 6, paragraphe 1 de la Directive 2008/95 du Parlement Européen et du Conseil du 22 octobre 2008 rapprochant les législations des états-membres sur les marques et de l'article 14, paragraphe 1 de la Directive UE 2015/2436,

de débouter par voie de conséquence la société [R] CCVC de l'intégralité de ses demandes visant à voir faire interdiction à Mme [R] de faire usage de son nom et de son prénom à des fins commerciales,

de dire que Mme [R] n'a commis aucun acte de concurrence déloyale parasitaire au préjudice de la société [R] CCVC et ce, au sens des articles 1240 et 1241 du code civil,

de débouter la société [R] CCVC de l'intégralité de ses demandes indemnitaires,

de condamner la société [R] CCVC à payer à Mme [R] la somme de 40 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.




La SELAFA MJA prise en la personne de Maître [I] [J], ès qualités de mandataire liquidateur de la société BM &VT n'a pas constitué avocat. La déclaration de saisine et les conclusions d'appel lui ont été signifiées les 16 janvier, 22 février et 21 juin 2019 à personne se déclarant habilitée à recevoir les actes. Le présent arrêt sera donc réputé contradictoire.



L'ordonnance de clôture a été rendue le 29 octobre 2019.






MOTIFS DE L'ARRÊT



En application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé, pour un exposé exhaustif des prétentions et moyens des parties, aux conclusions écrites qu'elles ont transmises, telles que susvisées.



A titre liminaire, la cour constate qu'elle n'est pas saisie, par le dispositif des conclusions de Mme [R], d'une fin de non-recevoir tirée d'un défaut d'intérêt ou de qualité à agir de la société appelante [R] CCVC en tant que celle-ci ne serait pas fondée à tirer des droits de la convention de cession de titres du 21 juillet 2005 à laquelle elle ne serait pas partie même indirectement, la demande de Mme [R] 'de dire que la société [R] CCVC n'est pas fondée à se prévaloir de l'acte de cession de titres du 21 juillet 2005" ne constituant pas une prétention au sens des dispositions de l'article 4 code de procédure civile.



Il sera par ailleurs rappelé qu'en vertu de l'article 472 du code de procédure civile, si le défendeur ne comparaît pas, il est néanmoins statué sur le fond, le juge ne faisant droit à la demande que dans la mesure où il l'estime régulière, recevable et bien fondée.



Sur la responsabilité contractuelle de Mme [K] [R] pour violation de l'article 10-4-2 de l'acte de cession de titres du 21 juillet 2005



La société [R] CCVC soutient que Mme [R] a engagé sa responsabilité du fait de la violation délibérée et récurrente des stipulations de l'article 10-4-2 de la convention du 21 juillet 2005 par l'emploi, au profit de la société BM & VT, du nom de famille [R] à des fins commerciales pour la vente et la promotion de vins de champagne. Elle argue notamment que la clause de l'article 10-4-2 est une clause de garantie d'éviction du fait personnel du vendeur, conforme aux articles 1625 et suivants du code civil, constituant une condition substantielle de la cession et dont la validité ne peut être mise en cause, que cette clause est opposable à Mme [R] en vertu de la théorie du mandat apparent dès lors que, eu égard au contenu et à l'objet de la clause en litige et au contexte de l'opération, ainsi qu'à la personne du mandataire, l'acquéreur a pu légitimement croire que M. [L] [R] et les sous-mandataires avaient le pouvoir d'engager Mme [R], comme les autres membres de la branche [L] [R], à l'égard de la convention de cession de titres en son entier, qu'à tout le moins, Mme [R] a ratifié les engagements souscrits en son nom et pour son compte par les sous-mandataires, en prenant nécessairement connaissance de la teneur de l'acte de cession de titres, ce que confirme le choix de la dénomination BM & VT et de la marque '[K] [Z]' pour les besoins de son activité. Elle soutient que Mme [R] a manqué à ses engagements contractuels en associant de façon systématique le nom [R] au champagne [K] [Z].



Mme [R] répond que le mandat donné à son père était un mandat spécial, limité à la vente des titres et ne donnant pas pouvoir au mandataire ou sous-mandataires de s'engager en son nom et pour son compte dans une convention lui interdisant d'utiliser son nom pour exercer une activité dans le domaine du champagne, que la théorie du mandat apparent invoquée par la société [R] CCVC est inopérante dans les circonstances de l'espèce, que comme l'a jugé la Cour de cassation, la clause litigieuse ne peut être assimilée à une clause de garantie d'éviction. Subsidiairement, elle conteste toute violation de l'article 10-4-2 de la convention de cession.



Ceci étant exposé, par acte sous seing privé du 19 juillet 2005, Mme [R] a donné mandat à son père, M. [L] [R], de la représenter lors de la cession de ses titres en ces termes :



'Je fais suite à la décision prise par le groupe CNP et les membres de la famille [R] parties au pacte d'actionnaires relatif à Groupe [R] en date du 25 juin 2002 et à ses avenants (le « Pacte d'Actionnaires »), de céder conjointement leurs Titres Groupe [R] soumis aux stipulations du Pacte d'Actionnaires, et de faire procéder à l'examen des manifestations d'intérêts reçues à cet égard dans le cadre d'un processus de cession de contrôle maîtrisé mené en concertation avec Groupe [R] et les sociétés de son groupe, processus auquel s'est joint la société FFP.

Je comprends qu'une cession de mes Titres Groupe [R] non soumis aux stipulations du Pacte d'Actionnaires (les « Titres Non Pactés ») dans le cadre de ce processus serait de nature à favoriser le succès de l'opération.

J'ai, dans ces conditions, le plaisir de vous confirmer mon engagement d'aliéner dans le cadre du processus en cours, concomitamment à la Cession des Titres Pactés des Membres de la Famille [R] et du groupe CNP et des Titres de FFP, mes Titres Non Pactés, pour autant que cette Cession soit réalisée moyennant une contrepartie au moins égale à la contrepartie reçue par les Membres de la Famille [R] et le groupe CNP à raison de la Cession de leurs Titres Pactés, et aux termes d'un contrat de cession qui serait signé au plus tard le 31 décembre 2005.

Je donne par les présentes tous pouvoirs, avec faculté de substitution, à Monsieur [L] [R], né le [Date naissance 3] 1927, demeurant [Adresse 6], à l'effet de :

' me représenter pour les besoins de l'exécution de la Cession de mes Titres Non Pactés ;

' signer en mon nom et pour mon compte tout acte, convention, avenant, ordre de mouvement, pièce ou document relatif ou nécessaire à la Cession de mes Titres Non Pactés, donner ou recevoir dans ce cadre en mon nom et pour mon compte tout engagement ou garantie, et plus généralement faire le nécessaire selon ce qu'il jugera utile ou approprié et accomplir toute formalité en vue de la réalisation de la Cession de mes Titres Non Pactés ou consécutivement à celle-ci. (...)'.



L'article 1987 du code civil dispose que le mandat est 'ou spécial et pour une affaire ou certaines affaires seulement, ou général et pour toutes les affaires du mandant'. Il résulte des articles 1988 et 1989 du même code que le mandat conçu en termes généraux n'embrasse que les actes d'administration, que s'il s'agit d'aliéner ou d'hypothéquer, ou de quelque autre acte de propriété, le mandat doit être exprès et que le mandataire ne peut rien faire au-delà de ce qui est porté dans son mandat.



En l'espèce, si le mandat de vente donné par Mme [R] à son père visait expressément la vente de ses titres (non pactés), c'est en des termes très généraux qu'il autorisait au surplus le mandataire à souscrire à 'tout engagement ou garantie, et plus généralement faire le nécessaire selon ce qu'il jugera utile ou approprié' en vue de la réalisation de la cession ou consécutivement à celle-ci. Le mandat en ce qu'il portait sur des actes autres que la vente des titres proprement dite, non précisément définis, était un mandat général et, de ce fait, n'emportait pas le pouvoir pour le mandataire, ou les sous-mandataires, de consentir une interdiction ou une limitation de l'usage par le mandant de son nom de famille, constitutives d'actes de disposition.



Le mandat donné par Mme [R] à son père ne contient aucune disposition, expresse ou implicite, relative à la restriction de l'usage de son nom patronymique telle qu'elle résulte de l'article 10-4-2 de l'acte de cession. Le tribunal a à cet égard justement relevé que cette restriction était d'autant plus considérable que Mme [R], qui a le droit, comme tout individu, de faire usage de son nom patronymique en toutes occasions, avait, au jour de la cession, une compétence et une expérience professionnelles acquises quasi exclusivement dans le domaine du champagne et au service des sociétés [R]. Il doit par conséquent être exclu qu'elle ait accepté, prévu ou même seulement envisagé que son père consentirait à la stipulation d'une telle clause. Pour cette raison, ne peut être soutenue par la société appelante la thèse, au demeurant écartée par l'arrêt de la Cour de cassation du 10 juillet 2018, selon laquelle la clause de l'article 10-4-2 doit s'analyser comme une clause de garantie d'éviction du fait personnel du vendeur opposable à Mme [R].



L'acte de cession du 21 juillet 2005 comporte en annexe 1 les noms des différents vendeurs par branche familiale et le nom de leur représentant, Mme [K] [R] apparaissant clairement représentée à l'acte de cession par M. [L] [R]. Ainsi, s'il n'est pas établi que le mandat donnée par Mme [R] à son père et les sous-mandats confiés par ce dernier à Mme [V] [R] et M. [C] [P] le 21 juillet 2005 aient été annexés au contrat de cession, les conditions de la représentation de chaque vendeur étaient expressément visées à ce contrat ainsi que l'ont retenu les premiers juges, et eu égard aux circonstances de la cession, notamment aux enjeux juridiques et financiers de l'opération et à la qualité des parties, une vérification de l'étendue des pouvoirs des représentants des vendeurs s'imposait à l'acheteur, la société de droit luxembourgeois SOF EUROPEAN HOTEL CO-INVEST HOLDINGS, filiale du groupe américain STARWOOD, assurément dotée d'un service juridique et conseillée de surcroît par un cabinet d'avocats de renom (cf. page 17 de l'acte de cession).

Dans ces conditions, c'est vainement que la société [R] CCVC, qui se dit l'ayant-droit de l'acheteur, invoquant le bénéfice de la théorie du mandat apparent, prétend qu'elle pouvait légitimement croire que M. [L] [R] avait le pouvoir d'engager sa fille quant à la limitation ou l'interdiction de l'usage de son nom pour des activités concurrentes.



C'est tout aussi vainement qu'il est soutenu que Mme [R] aurait personnellement ratifié la convention de cession et partant, la clause litigieuse. La démonstration d'une telle ratification ne peut en effet résulter du fait que Mme [R] a reçu l'acte conclu le 21 juillet 2005 - ce qui est vraisemblable comme le souligne la société appelante -, pas plus que de son choix d'une dénomination sociale (BM & VT) et d'une marque ('[K] [Z]') qui révélerait sa parfaite connaissance du contenu et de la portée de la clause ou encore du respect par elle de la clause de non-concurrence figurant à l'article 10-5 de la convention.



En conséquence, les restrictions relatives à l'usage du nom patronymique de Mme [R] que l'article 10-4-2 de l'acte de cession du 21 juillet 2005 contient ne peuvent être opposées à Mme [R].



Le jugement sera donc confirmé sur ce point, sauf à préciser que la société [R] CCVC sera déclarée recevable mais non fondée en ses demandes au titre de la responsabilité contractuelle, et non pas irrecevable.



Sur la responsabilité délictuelle de Mme [K] [R] et de la société BM & VT



Sur l'atteinte à la marque renommée '[R]'



La société [R] CCVC soutient que dans l'hypothèse où la cour dirait que les stipulations de l'article 10-4-2 de l'acte de cession ne sont pas opposables à Mme [R], elle devrait retenir, à titre subsidiaire, la responsabilité délictuelle in solidum des intimées du fait de l'atteinte portée à sa marque de renommée '[R]' n° 350 résultant de l'emploi du nom patronymique [R] aux fins de commercialisation et de promotion de vins de Champagne. Elle soutient par ailleurs, à titre principal, que les intimées ont aussi porté atteinte à la marque de renommé '[R]' n° 350 du fait des multiples références directes et explicites, faites sans autorisation, au champagne de marque '[R]'. Elle ajoute que les intimées ne peuvent se prévaloir d'un juste motif à l'usage du nom et de la marque '[R]' dès lors que cette notion requiert la bonne foi, inexistante en l'espèce. Elle argue à cet égard, notamment, que le nom [R] utilisé par les intimées ne correspond ni à la marque de leur produit, ni aux dénomination sociale, nom commercial ou enseigne de la société BM&VT, ni même au nom du représentant légal de cette société, que ce nom n'a pas été utilisé dans le contexte d'une homonymie mais pour conférer artificiellement la renommée de la marque '[R]' au champagne '[K] [Z]', que le dernier alinéa de l'article L. 713-6 du code de la propriété intellectuelle réserve le droit du titulaire de la marque de voir limiter ou interdire l'utilisation d'un signe identique ou similaire à sa marque en cas d'atteinte à celle-ci, ce qui est le cas en l'espèce, que les intimées ne peuvent davantage se prévaloir de dispositions de l'article 6-1-a) de la directive n°2008/95 (reprises à l'article 14-1-a) et 2 de la directive n°2015/2436) qui ne s'appliquent qu'en cas d'usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale.



Mme [R] conteste toute atteinte portée à la marque de renommée '[R]' et prétend qu'en tout état de cause, elle peut se prévaloir de justes motifs.









L'article L. 713-5 du code de la propriété intellectuelle dans sa version applicable aux faits de la cause, antérieure à l'ordonnance n°2019-1169 du 13 novembre 2019, dispose : 'La reproduction ou l'imitation d'une marque jouissant d'une renommée pour des produits ou services non similaires à ceux désignés dans l'enregistrement engage la responsabilité civile de son auteur si elle est de nature à porter préjudice au propriétaire de la marque ou si cette reproduction ou imitation constitue une exploitation injustifiée de cette dernière (...)'.



Cet article doit être interprété à la lumière de l'article 5 paragraphe 2 de la directive n° 2008/95/CE du 22 octobre 2008 rapprochant les législations des Etats membres sur les marques (remplacé par l'article 10-2-c) de la directive 2015/2436 du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2015) qui prévoit : 'Tout Etat membre peut également prescrire que le titulaire est habilité à interdire à tout tiers, en l'absence de son consentement de faire usage dans la vie des affaires d'un signe identique ou similaire à la marque pour des produits ou des services qui ne sont pas similaires à ceux pour lesquels la marque est enregistrée, lorsque celle-ci jouit d'une renommée dans l'Etat-membre et que l'usage du signe, sans juste motif, tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque ou leur porte préjudice'.



La reproduction ou l'imitation d'une marque jouissant d'une renommée pour des produits ou services identiques, similaires ou non à ceux désignés dans l'enregistrement, engage la responsabilité civile de son auteur si elle est de nature à porter préjudice au propriétaire de la marque ou si cette reproduction ou imitation constitue une exploitation injustifiée de cette dernière. Le profit indûment tiré de la renommée de la marque, qui est la conséquence d'un certain degré de similitude entre les signes en présence en raison duquel, sans les confondre, le public établit un lien entre les signes, doit être apprécié globalement en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d'espèce. Lorsque le titulaire de la marque renommée est parvenu à démontrer qu'il a été indûment tiré profit du caractère distinctif ou de la renommée de celle-ci, il appartient alors au tiers ayant fait usage d'un signe similaire à la marque renommée d'établir que l'usage d'un tel signe a un juste motif.



La CJUE, interrogée sur l'interprétation des dispositions de l'article 5 paragraphe 2 de la directive 89/104/CEE du Conseil du 21 décembre 1988 rapprochant les législations des Etats membres sur les marques (remplacée à droit constant par la directive communautaire n°2008/95/CE, elle-même remplacé par la directive n°2015/2436), a précisé dans un arrêt du 18 juin 2009, que les atteintes portées aux marques de renommée peuvent être de trois ordres : le préjudice porté au caractère distinctif de la marque, le préjudice porté à la renommée de la marque et enfin le profit indûment tiré du caractère distinctif ou de la renommée de la marque (L'Oréal, C-487/07).



La renommée de la marque '[R]' n° 350 qui désigne en particulier des 'vins de provenance française à savoir Champagne' n'est pas contestée et est en tout état de cause établie à suffisance par les pièces produites par la société appelante.



























Sur l'atteinte à la marque renommée invoquée subsidiairement à la demande concernant la faute contractuelle commise par Mme [R], résultant de l'usage commercial du patronyme [R]



La société [R] CCVC soutient que Mme [R] et la société BM & VT ont associé de façon systématique le nom [R] au champagne [K] [Z] dans le but de créer un lien entre les deux et de transférer vers leur produit la renommée du champagne [R], notamment au moyen de comparaisons sur leurs qualités respectives. Elle fait valoir que Mme [R] a ainsi réservé et mis à la disposition de la société BM & VT des noms de domaine incluant son nom [R], parfois en association avec le mot 'champagne', pour promouvoir et commercialiser le champagne [K] [Z] et que les intimées ont associé en permanence le nom [R] à la vente et à la promotion du champagne [K] [Z], tant sur le site Internet dédié à la vente de ce produit que dans le cadre des déclarations de Mme [R] à la presse, liées à la promotion du champagne [K] [Z].



Il ressort du procès-verbal de constat d'huissier établi le 10 avril 2014 que les noms de domaine [015], [015], [013], [014], [014], [012], tous réservés par Mme [R] aux dates indiquées supra, redirigeaient vers le site internet consacré au champagne [K] [Z] exploité par la société BM & VT avant que ce site ne soit fermé à l'occasion de la liquidation judiciaire de celle-ci. Par ailleurs, il résulte des procès-verbaux de constat d'huissier des 28, 29 avril 2010 et 21 mars 2014, d'une part, qu'étaient insérées sur le site internet de la société BM & VT, à la sous-rubrique '[K] [Z]', des accroches, reprises pour partie sur le contre étiquetage des bouteilles de champagne [K] [Z], telles que 'J'ai choisi pour moi cette cuvée avec exigence. Je lui ai donné mon nom' et 'Cuvée faite avec exigence. Champagne de caractère aux bulles fines. Je lui ai donné mon nom' et, d'autre part, que Mme [R] évoque son passé professionnel au sein de la société [R] ('Durant 21 ans, j'ai travaillé au Champagne [R] avec le désir de transmettre l'excellence de ses produits ainsi que leur style inimitable. Avec mon père [L] et tous les collaborateurs talentueux de l'entreprise, nous avons porté aux 4 coins du monde notre idée de la qualité, de l'exception Champenoise et d'un Savoir bien vivre à la française. Aujourd'hui, forte de mon expérience, de mon appétit de la vie et des bonnes choses, j'ai décidé de créer ma propre entreprise...'). Enfin, sont produits plusieurs articles de presse montrant que pour la promotion du champagne [K] [Z], Mme [R] faisait volontiers référence à son patronyme ('Je lui ai donné mon nom' ; 'Mon nom rassure le client. Il sait qu'il existe une tradition derrière et que je m'y connais. Je n'ai qu'une réputation' ; 'Mon nom m'a aidée de bien des façons, mais, par certains côtés, il a rendu les choses plus difficiles. Je ne peux pas me contenter de produire un bon champagne, il doit être incroyable.').



Ces éléments font ressortir que Mme [R], dans le cadre de la promotion de sa nouvelle activité professionnelle, a mis en avant à la fois son nom patronymique, son origine familiale et son expérience passée. Cependant, outre que cette communication est légitime, comme les premiers juges l'ont retenu, sauf à priver Mme [R] de la possibilité d'user de son nom de famille dans le cadre de son activité et d'évoquer son parcours professionnel, alors même qu'elle n'est pas à l'origine de la rupture de son contrat de travail au sein de la société [R], elle vise à établir un rapprochement entre l'identité et l'expérience de Mme [R] et le vin de champagne [K] [Z]. Ainsi, le nom [R] est systématiquement associé au prénom [K] dans les noms de domaine réservés et mis à la disposition de la société BM & VT, référence étant ainsi faite à une personne et non à une marque. Contrairement à ce qui est soutenu, le procès-verbal de constat des 28 et 29 avril 2010 effectué sur le site internet [016] ne met pas en exergue un 'Champagne [K] [R]', les mots 'Champagne' et '[K] [R]' étant présentés, dans un bandeau à gauche, sur des lignes distinctes permettant chacune le déroulé d'un menu différent, la rubrique 'Champagne' du bandeau ouvrant sur une nouvelle page consacrée au 'Champagne [K] [Z].'et la rubrique '[K] [R]' permettant d'accéder à des pages de présentation de Mme [R] dans lesquelles il n'est cité qu'une fois le 'Champagne [R]' par référence au passé professionnel de Mme [R] ('Durant 21 ans, j'ai travaillé au Champagne [R]...'), le champagne commercialisé étant toujours désigné sous le vocable 'Champagne [K] [Z]'. Cette communication ne conduit pas en soi le consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, à établir un lien entre la marque de renommée '[R]' et les usages incriminés du nom [R] par Mme [R].



La société appelante ne démontre pas que l'usage que Mme [R] fait ainsi du nom [R] porte préjudice au caractère distinctif de sa marque de renommée '[R]' ou à la renommée de cette marque ou consiste à tirer indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de ladite marque.



Sur l'atteinte à la marque renommée invoquée à titre principal, résultant des références faites au champagne de marque '[R]'



La société [R] CCVC soutient que les intimées ont tiré un profit indu de la renommée de sa marque en se référant explicitement et sans autorisation au champagne [R], et donc à la marque '[R]', pour faire la promotion du champagne [K] [Z] à travers l'image prestigieuse que véhicule la marque '[R]', et qu'elles ne justifient pas de justes motifs.



Sont versés aux débats plusieurs articles de presse, tous datés d'octobre 2013, dans lesquels Mme [R], à propos du champagne [K] [Z], fait référence au champagne [R] : 'En premier lieu je devais me laver la bouche du goût [R]' (Decanter.com, octobre 2013) ; 'Il a un goût différent, un marquage différent, et il n'a rien à voir avec leur produit. Mais, bien entendu, il est toujours fantastique' (Telegraph, octobre 2013) ; 'Je ne peux pas me contenter de produire un bon champagne, il doit être incroyable. Et je dois aller aux dégustations et m'assurer que tout le monde sait que c'est du champagne [K] [Z] et pas du [R], ou autrement je me noie dedans' (Telegraph, octobre 2013) ; 'Aucun raisin de ma production ne provient du même endroit que le champagne [R]' (Telegraph, octobre 2013) ; 'J'ai travaillé pendant 21 ans au sein de l'entreprise familiale des champagnes [R]. Mon père qui a dirigé la Maison [R] pendant 57 ans m'a tout appris (...) Mais vous savez, travailler avec son père, ce n'est pas toujours facile ! Ma formation en marketing et export m'a permis de me faire l'ambassadrice du Champagne [R] (...) Cependant lorsque le groupe a été vendu en 2005, je n'ai pas été gardée au sein de la Maison de Champagne. Il a donc fallu rebondir et j'ai eu l'idée de créer ma propre marque. Mais avant cela, j'ai dû 'dé-Taittingériser' mon palais car il ne s'agissait pas de faire une copie du champagne [R]' (lepetitjournal.com, octobre 2013) ; 'Au début, j'étais taittingerisée. J'ai passé deux mois à goûter des tas de vins, j'ai redécouvert toute la richesse de la Champagne. Pour créer un champagne totalement différent de celui de [R]. Sans cela, le risque aurait été de faire comme les copies : moins bien. Or j'ai été habituée à boire des choses trop bonnes, je n'avais pas envie de descendre en qualité. Mon objectif était de produire un champagne de même niveau' (Trends, octobre 2013).



















Dans l'arrêt L'Oréal précité du 18 juin 2009, la CJUE a précisé : ' Quant à la notion de 'profit indûment tiré du caractère distinctif ou de la renommée de la marque', également désignée sous les termes de 'parasitisme' et de 'free-riding', cette notion s'attache non pas au préjudice subi par la marque, mais à l'avantage tiré par le tiers de l'usage du signe identique ou similaire. Elle englobe notamment les cas où, grâce à un transfert de l'image de la marque ou des caractéristiques projetées par celle-ci vers les produits désignés par le signe identique ou similaire, il existe une exploitation manifeste dans le sillage de la marque renommée. (') Afin de déterminer si l'usage du signe tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque, il convient de procéder à une appréciation globale qui tienne compte de tous les facteurs pertinents du cas d'espèce, au nombre desquels figurent, notamment, l'intensité de la renommée et le degré de caractère distinctif de la marque, le degré de similitude entre les marques en conflit ainsi que la nature et le degré de proximité des produits ou des services concernés. S'agissant de l'intensité de la renommée et du degré de caractère distinctif de la marque, la Cour a déjà jugé que plus le caractère distinctif et la renommée de cette marque sont importants, plus l'existence d'une atteinte sera aisément admise. Il résulte également de la jurisprudence que plus l'évocation de la marque par le signe est immédiate et forte, plus est important le risque que l'utilisation actuelle ou future du signe tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque, ou leur porte préjudice.'.



En l'espèce, les références directes et explicites faites par Mme [R] au champagne de marque '[R]', que ce soit pour s'en distinguer ('Il a un goût différent, un marquage différent, et il n'a rien à voir avec leur produit' ; 'je dois... m'assurer que tout le monde sait que c'est du champagne [K] [Z] et pas du [R]' ; 'il ne s'agissait pas de faire une copie du champagne [R]' ; 'créer un champagne totalement différent de celui de [R]'... ) ou, dans une bien moindre mesure, s'en rapprocher ('je n'avais pas envie de descendre en qualité. Mon objectif était de produire un champagne de même niveau'), traduisent une volonté de communiquer par référence à la marque de renommée et d'établir un lien dans l'esprit du consommateur concerné entre le champagne commercialisé sous cette marque de renommée et le champagne [K] [Z]. Ce lien sera d'autant plus facilement établi que la marque '[R]' jouit d'une très grande renommée, non contestée, et que les produits en cause sont strictement identiques. Mme [R] ne peut utilement se retrancher derrière le caractère rédactionnel des articles de presse litigieux qui ne lui serait pas imputable dès lors que ses déclarations sont rapportées sous forme de citations et qu'en outre, elle revendique ces articles comme des investissements consacrés à la promotion du champagne [K] [Z]. Mme [R] et la société BM & VT qui distribuait le champagne [K] [Z] ont ainsi retiré un avantage de la renommée de la marque '[R]'.



Dans un arrêt Red Bull du 6 février 2014, la CJUE, répondant à une question préjudicielle portant sur l'interprétation de l'article 5, paragraphe 2 de la première directive 89/104 CEE du Conseil du 21 décembre 1988 rapprochant les législations des Etats-membres sur les marques (ledit article étant repris en substance à l'article 5 de la directive 2008/95 CE du 22 octobre 2008) a précisé : 'Néanmoins, la Directive 89/104 vise, d'une manière générale, à mettre en balance, d'une part, les intérêts du titulaire d'une marque à sauvegarder la fonction essentielle de celle-ci et, d'autre part, les intérêts d'autres opérateurs économiques à disposer de signes susceptibles de désigner leurs produits et services (...) Il s'ensuit que la protection des droits que le titulaire d'une marque tire de ladite Directive n'est pas inconditionnelle (...) Dans un système de protection des marques tel que celui adopté, sur le fondement de la Directive 89/104, par la convention Benelux, les intérêts d'un tiers à utiliser, dans la vie des affaires, un signe similaire à une marque renommée sont pris en considération, dans le contexte de l'article 5, paragraphe 2, de cette Directive, au travers de la possibilité pour l'utilisateur dudit signe d'invoquer un 'juste motif' (...) Il appartient aux tiers ayant fait usage d'un signe similaire à la marque renommée d'établir que l'usage d'un tel signe a un 'juste motif'.





Il en résulte que la notion de 'juste motif' ne saurait comprendre que des raisons objectivement impérieuses, mais peut également se rattacher aux intérêts subjectifs d'un tiers faisant usage d'un signe identique ou similaire à la marque renommée.' (C-65/12).



En l'espèce, comme l'ont retenu les premiers juges, Mme [R] a, jusqu'à son licenciement sans cause réelle et sérieuse en décembre 2006, effectué sa carrière au sein de la SA [R]. Aux termes du dossier de presse qu'elle produit, elle était présentée dans les médias durant cette carrière, comme l'ambassadrice des champagnes [R]. Au regard de ses compétences professionnelles, exclusivement développées au sein de l'entreprise familiale pour assurer la promotion de son champagne, il est logique et légitime que Mme [R] assure sa reconversion dans le domaine du champagne et que, pour ce faire, elle fasse état de son nom, de son origine familiale et de son parcours professionnel, ce qui la conduit nécessairement à évoquer le champagne de marque '[R]' qu'elle a servi pendant plus de vingt ans, essentiellement pour le distinguer du nouveau produit qu'elle commercialise. Par ailleurs, dans sa communication pour les besoins de sa nouvelle activité, tant sur le site de la société BM & VT que dans les noms de domaine de redirection qu'elle a réservés et ses déclarations à la presse (les citations litigieuses étant toutes d'octobre 2013, ce qui contredit l'assertion de la société appelante qui fait état de pratiques continues), elle a toujours utilisé son nom en l'associant à son prénom [K], lequel est d'ailleurs particulièrement mis en avant dans la marque '[K] [Z]' sous laquelle le champagne nouvellement produit était commercialisé. Enfin, il n'est pas prétendu que le contenu des déclarations de Mme [R] ne serait pas conforme à la réalité.



Ces circonstances, exclusives de toute mauvaise foi et de tout comportement contraire aux usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale de la part de Mme [R], constituent autant de justes motifs qui conduisent à écarter le grief d'atteinte à la marque de renommée'[R]' résultant de références faites au champagne de marque '[R]'.



En définitive, la cour partage en tout l'analyse du tribunal qui a estimé que si le nom de famille de Mme [R] a été certainement un atout dans le lancement de son champagne et l'a dispensée en partie des investissements qui auraient incombé à un concurrent inconnu, cet avantage a trouvé sa cause exclusive dans sa naissance et ses activités passées et non dans la captation de la renommée de la marque '[R]' ou des investissements opérés pour valoriser cette marque.



Ces considérations valent également pour la société BM & VT, créée pour permettre la distribution du champagne commercialisé sous la marque '[K] [Z]' et dont Mme [R] détenait 50 % des parts.



Pour l'ensemble des motifs qui viennent d'être exposés, le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté les demandes de la société [R] au titre de l'atteinte à sa marque de renommée.



Sur le parasitisme résultant de l'usage de la dénomination sociale et du nom commercial de la société [R] CCVC



La société [R] CCVC reproche à Mme [R] et à la société BM & VT des actes de parasitisme commis dans le cadre de la promotion du champagne [K] [Z], résultant des déclarations précitées de Mme [R] à la presse faisant systématiquement référence à sa dénomination sociale et à son nom commercial, notamment sous la forme 'la Maison [R]' ou encore 'l'entreprise familiale', et ce, dans le but manifeste, non pas simplement de rappeler le parcours professionnel de Mme [R], mais d'associer indûment ce champagne au prestige de la société [R] et d'en tirer un profit indu en la privant de surcroît de la maîtrise de sa propre communication.



Mme [R] répond en substance que les références incriminées au champagne [R] ont été effectuées au regard de son parcours professionnel et toujours en établissant un clair distinguo entre le champagne [K] [Z] et la société [R].



Le parasitisme, qui se fonde sur l'article 1240 du code civil qui dispose que tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer, consiste, pour un opérateur économique, à se placer dans le sillage d'un autre afin de tirer profit, sans rien dépenser, de ses efforts et de son savoir-faire, de la notoriété acquise ou des investissements consentis, indépendamment de tout risque de confusion.



Les raisons précédemment relevées qui conduisent au rejet des demandes de la société [R] CCVC au titre de l'atteinte à la marque de renommée '[R]' commandent de rejeter également les demandes formées au titre du parasitisme. Les références faites par Mme [R] au nom commercial et à la dénomination sociale de la société appelante - constitués, comme la marque de renommée, du seul nom [R] - sont en effet justifiées par la légitime évocation par l'intimée de ses origines familiales et de ses activités passées durant plus de vingt ans au service du champagne [R] et ne revêtent donc aucun caractère fautif, nonobstant le prestige et la notoriété incontestés acquis par ce nom commercial et cette dénomination sociale.



De plus, Mme [R] justifie des efforts d'investissement qui ont été consacrés par la société BM & VT, au cours des années 2012 et 2013, à la promotion du champagne [K] [Z], en frais de publicité, d'annonces et d'insertions, de catalogues et d'imprimés, ainsi qu'à l'occasion de foires, expositions et dégustations, pour une somme totale de 111 120 €.



Pour ces motifs, le jugement sera également confirmé en ce qu'il a rejeté les demandes de la société [R] au titre du parasitisme.



Sur les dépens et les frais irrépétibles



La société [R] CCVC, partie perdante, supportera la charge des dépens d'appel et sera condamnée à verser à Mme [R], qui a dû exposer des frais irrépétibles pour faire valoir ses droits, une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile qu'il est équitable de fixer à la somme de 10 000 euros.



Les dispositions prises sur les dépens et les frais irrépétibles de première instance seront confirmées.

PAR CES MOTIFS,



Statuant dans les limites de la cassation partielle et par arrêt réputé contradictoire,



Confirme le jugement du tribunal de grande instance de Paris du 12 février 2015, sauf à préciser que la société [R] CCVC sera déclarée recevable mais non fondée en ses demandes au titre de la responsabilité contractuelle,



Y ajoutant,



Condamne la société [R] CCVC aux dépens d'appel et au paiement à Mme [K] [R] de la somme de 10 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.





LE PRÉSIDENTLE GREFFIER

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