3 février 2016
Cour de cassation
Pourvoi n° 14-29.198

Première chambre civile - Formation restreinte hors RNSM/NA

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2016:C100087

Titres et sommaires

OFFICIERS PUBLICS OU MINISTERIELS - Huissier de justice - Clerc - Assermentation - Compétence du tribunal - Etendue - Détermination

Le tribunal, saisi aux fins d'assermentation et d'homologation de l'habilitation d'un clerc d'huissier de justice, est compétent pour connaître, par voie d'exception, de la validité des avis de la chambre départementale des huissiers de justice, émis en application des articles 10 de la loi du 27 décembre 1923 relative à la suppléance des huissiers blessés et à la création des clercs assermentés et 2 du décret n° 92-984 du 9 septembre 1992

OFFICIERS PUBLICS OU MINISTERIELS - Huissier de justice - Clerc - Habilitation à procéder aux constats - Homologation - Compétence du tribunal - Etendue - Détermination

Texte de la décision

CIV. 1

FB



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 3 février 2016




Cassation


Mme BATUT, président



Arrêt n° 87 F-P+B

Pourvoi n° B 14-29.198







R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par :

1°/ Mme [Z] [F], domiciliée [Adresse 3],

2°/ M. [C] [L], domicilié [Adresse 1],

contre le jugement rendu le 1er décembre 2014 par le tribunal de grande instance de Grenoble (chambre 3.4), dans le litige les opposant :

1°/ à la chambre départementale des huissiers de justice de l'Isère, dont le siège est [Adresse 2],

2°/ au procureur de la République près le tribunal de grande instance de Grenoble, domicilié en cette qualité en son parquet, [Adresse 4],

défendeurs à la cassation ;

Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;

Vu la communication faite au procureur général ;

LA COUR, en l'audience publique du 5 janvier 2016, où étaient présentes : Mme Batut, président, Mme Verdun, conseiller rapporteur, Mme Kamara, conseiller doyen, Mme Laumône, greffier de chambre ;

Sur le rapport de Mme Verdun, conseiller, les observations de la SCP Garreau, Bauer-Violas et Feschotte-Desbois, avocat de Mme [F] et de M. [L], de Me Le Prado, avocat de la chambre départementale des huissiers de justice de l'Isère, l'avis de M. Sudre, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Attendu, selon le jugement attaqué, que Mme [F], huissier de justice, a saisi un tribunal de grande instance de demandes aux fins d'assermentation et d'homologation de l'habilitation à procéder aux constats de M. [L], clerc au sein de son étude ; que le procureur de la République, se fondant sur les avis défavorables de la chambre départementale des huissiers de justice de l'Isère (la chambre départementale), objet de délibérations du 24 janvier 2014, s'est opposé aux demandes, par voie de réquisitions écrites ; que, lors des débats, tenus en présence du ministère public, de M. [L] et de Mme [F], celle-ci, assistée d'un avocat, a soulevé la nullité des avis émis par la chambre départementale, résultant, soit de la nullité d'un rapport d'inspection dont ils auraient été « la suite nécessaire », soit de l'absence de motifs entachant ses délibérations ;

Sur le moyen unique, pris en sa première branche :

Attendu que Mme [F] et M. [L] font grief au jugement de rejeter les demandes, alors, selon le moyen, que le tribunal, saisi d'une demande relative à l'assermentation d'un clerc, doit statuer en chambre du conseil si bien que le jugement attaqué, qui mentionne que le tribunal a statué en audience publique, a violé l'article 10 de la loi du 27 décembre 1923 relative à la suppléance des huissiers blessés et à la création des clercs assermentés ;

Mais attendu qu'aux termes de l'article 458, alinéa 2, du code de procédure civile, aucune nullité ne peut être soulevée pour inobservation des règles de publicité prévues par l'article 451 du même code, si elle n'a pas été invoquée au moment du prononcé du jugement par simples observations dont il est fait mention au registre d'audience ; qu'il n'est pas allégué que de telles observations aient été formulées ; d'où il suit que le moyen n'est pas recevable ;

Mais sur le même moyen, pris en sa deuxième branche :

Vu l'article 49 du code de procédure civile ;

Attendu que, pour refuser de se prononcer sur la demande de Mme [F] tendant à l'annulation des avis émis par la chambre départementale, le jugement retient que le tribunal n'est pas la juridiction d'appel de la validité de ces délibérations ;

Qu'en statuant ainsi, alors que le tribunal, saisi aux fins d'assermentation et d'homologation de l'habilitation d'un clerc d'huissier de justice, était compétent pour connaître, par voie d'exception, de la validité des avis de la chambre départementale, émis en application des articles 10 de la loi du 27 décembre 1923 relative à la suppléance des huissiers blessés et à la création des clercs assermentés et 2 du décret n° 92-984 du 9 septembre 1992, le tribunal a violé le texte susvisé ;

Et sur le même moyen, pris en sa troisième branche :

Vu l'article 455 du code de procédure civile ;

Attendu que, pour rejeter les demandes, le tribunal relève que la chambre départementale a émis des avis défavorables au regard des pratiques professionnelles de M. [L], au motif, notamment, qu'il ne pouvait pas ignorer l'impossibilité dans laquelle il était de procéder à certains actes en raison de sa situation statutaire ; qu'il ajoute que des négligences et des inexactitudes dans la rédaction des actes sont, de la même manière, stigmatisés dans un rapport d'inspection en date du 20 mars 2013, pour en déduire que, nonobstant les nullités procédurales soulevées par Mme [F], il doit être objectivement constaté que les conditions relatives à la probité de ce clerc posent question et, en toute hypothèse, sont sujettes à caution selon ses propres pairs ;

Qu'en statuant ainsi, sans répondre aux conclusions de Mme [F], qui invoquait l'irrégularité du rapport de contrôle sur lequel s'était fondée la chambre départementale des huissiers de justice pour émettre ses avis, le tribunal, qui s'est lui-même fondé sur ce rapport pour apprécier la probité de l'intéressé, a méconnu les exigences du texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la dernière branche du moyen :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, le jugement rendu le 1er décembre 2014, entre les parties, par le tribunal de grande instance de Grenoble ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit jugement et, pour être fait droit, les renvoie devant le tribunal de grande instance de Valence ;

Laisse les dépens à la charge du Trésor public ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite du jugement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du trois février deux mille seize.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Garreau, Bauer-Violas et Feschotte-Desbois, avocat aux Conseils, pour Mme [F] et M. [L].

Le moyen reproche au jugement attaqué d'avoir rejeté la requête de Maître [F] du 15 mars 2012 tendant à ce que M. [L] soit nommé en qualité de clerc significateur et de clerc habilité aux constats,

AUX MOTIFS

« Attendu que Me [F] soutient que Monsieur [L] remplit les conditions requises afin d'exercer les fonctions de clerc habilité à dresser des constats ;

Attendu qu'il doit être constaté que la chambre départementale des huissiers de l'Isère a rendu deux avis défavorables le 23 janvier 2014 à l'assermentation de Monsieur [L] ; que ces avis étaient motivés notamment par le fait que Monsieur [L] avait reconnu procéder à la signification d'actes et à l'établissement de procès-verbaux de constat alors qu'il ne bénéficiait d'aucune assermentation ni d'habilitation valable ;

Attendu qu'il est constant que le tribunal n'est pas la juridiction d'appel de la validité des délibérations de la chambre départementale des huissiers de justice ;

Attendu que le présent litige s'inscrit dans la requête de Me [F] aux fins de voir nommé Monsieur [L] clerc significateur et habilité aux constats ;

Attendu que le chambre départementale émet des avis défavorables au regard des pratiques professionnelles de l'intéressé et notamment concernant le fait qu'il ne pouvait pas ignorer l'impossibilité de procéder à certains actes en l'état de sa situation statutaire ; que de la même façon des négligences et des inexactitudes dans la rédaction des actes sont stigmatisés dans un rapport d'inspection en date du 20 mars 2013 ;

Attendu qu'il ressort de ces éléments que les instances disciplinaires et de contrôle de la profession concluent que Monsieur [L] n'a pas les qualités requises pour qu'il soit fait droit à la requête de Me [F] ; que nonobstant les nullités procédurales soulevées concernant la procédure suivie par la chambre départementale des huissiers de justice, il doit être objectivement constaté que les conditions relatives à la probité de l'intéressé posent question et, en toute hypothèse, sont sujettes à caution selon ses propres pairs ; qu'il y a donc lieu de rejeter la requête de Me [F] »

ALORS QUE D'UNE PART, le tribunal, saisi d'une demande relative à l'assermentation d'un clerc, doit statuer en chambre du conseil si bien que le jugement attaqué, qui mentionne que le tribunal a statué en audience publique, a violé l'article 10 de la loi du 27 décembre 1923 relative à la suppléance des huissiers blessés et à la création des clercs assermentés,

ALORS QUE D'AUTRE PART, le juge de l'action est le juge de l'exception et se trouve investi du droit de statuer sur les questions soulevées au cours de l'instance qui, proposées au principal, auraient échappé à sa compétence de sorte que le tribunal qui a refusé d'examiner la validité des avis de la chambre départementales des huissiers de justice en considérant qu'il n'était pas la juridiction d'appel de la validité de ces délibérations, a violé, par refus d'application, l'article 49 du code de procédure civile,

ALORS QUE ENSUITE, le défaut de réponse à conclusions équivaut à un défaut de motifs si bien que faute d'avoir répondu au moyen tiré de l'irrégularité du rapport de contrôle sur lequel s'était fondée la chambre départementale des huissiers de justice pour rendre son avis sur la demande de nomination de M. [L] (conclusions, p. 4 à 6), le tribunal, qui s'est lui-même fondé sur ce rapport pour apprécier la probité de l'intéressé, a méconnu l'article 455 du code de procédure civile ;

ET ALORS QUE ENFIN, ne peut être nommé clerc d'huissier habilité à procéder aux constats l'auteur de faits contraires à l'honneur, à la probité ou aux bonnes moeurs de sorte que pour refuser la nomination de M. [L] au motif que les conditions relatives à la probité de l'intéressé posaient question et, en toute hypothèse, étaient sujettes à caution selon ses propres pairs, le tribunal qui n'a pas précisé les raisons l'ayant amené à considérer que M. [L] ne présentait pas les garanties de probité exigées et qui n'a pas constaté que l'intéressé avait été l'auteur de faits contraires à cette exigence de probité, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1er du décret n° 92-984 du 9 septembre 1992 relatif aux conditions de nomination des clercs d'huissiers de justice habilités à procéder aux constats.

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