10 février 2016
Cour de cassation
Pourvoi n° 15-84.152

Chambre criminelle - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2016:CR00374

Titres et sommaires

CHAMBRE DE L'INSTRUCTION - Ordonnances - Appel - Appel de la personne mise en examen - Ordonnance de renvoi - Ordonnance renvoyant devant le tribunal correctionnel rejetant implicitement une demande d'irrecevabilité de constitution de partie civile - Ordonnance à caractère complexe - Saisine de la chambre de l'instruction - Etendue - Détermination

Lorsqu'elle est saisie d'une ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel intervenue sans que le juge d'instruction ait statué sur la contestation de la recevabilité d'une constitution de partie civile, la chambre de l'instruction est tenue d'annuler cette ordonnance, qui présente un caractère complexe, d'évoquer et de procéder au règlement de l'entier dossier de la procédure d'information à l'égard de toutes les personnes mises en examen

CHAMBRE DE L'INSTRUCTION - Pouvoirs - Evocation - Cas - Appel de la personne mise en examen - Ordonnance de renvoi - Ordonnance renvoyant devant le tribunal correctionnel rejetant implicitement une demande d'irrecevabilité de constitution de partie civile - Ordonnance à caractère complexe - Conditions - Détermination

Texte de la décision

N° E 15-84.152 FS-P+B

N° 374

FAR
10 FÉVRIER 2016


CASSATION


M. GUÉRIN président,





R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________




LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, a rendu l'arrêt suivant :

CASSATION et désignation de juridiction sur les pourvois formés par M. [N] [H], M. [V] [K], contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 1re section, en date du 18 juin 2015, qui, dans l'information suivie contre, le premier, des chefs de complicité d'abus de biens sociaux et recels, le second, du chef d'abus de biens sociaux, a rejeté leur contestation de recevabilité de constitution de parties civiles ;

La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 13 janvier 2016 où étaient présents : M. Guérin, président, M. Moreau, conseiller rapporteur, MM. Castel, Raybaud, Mme Caron, M. Stephan, conseillers de la chambre, M. Laurent, Mme Carbonaro, M. Béghin, conseillers référendaires ;

Avocat général : M. Le Baut ;

Greffier de chambre : Mme Hervé ;

Sur le rapport de M. le conseiller MOREAU, les observations de la société civile professionnelle WAQUET, FARGE et HAZAN, de la société civile professionnelle GATINEAU et FATTACCINI, de la société civile professionnelle BORÉ et SALVE DE BRUNETON et de la société civile professionnelle SPINOSI et SUREAU, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général LE BAUT, Me WAQUET et Me BORÉ ayant eu la parole en dernier ;


Joignant les pourvois en raison de la connexité ;

Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;

Sur le premier moyen de cassation, proposé par la société civile professionnelle Waquet, Farge, Hazan pour M. [H], pris de la violation des articles 87, 186, 206, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale, ensemble excès de pouvoir :

"en ce que l'arrêt attaqué a dit mal-fondés les appels portant sur la recevabilité des constitutions de parties civiles et ne s'est pas prononcé sur le règlement de l'information ;

"aux motifs que la saisine de la chambre de l'instruction est fixée par l'arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 26 novembre 2014 qui a annulé en toutes ses dispositions une ordonnance du président de la chambre de l'instruction du 27 juin 2014 qui avait déclaré non admis les appels interjetés par les avocats de MM. [H] et [K], les 18 juin 2014 et 23 juin 2014, contre l'ordonnance de renvoi et de non-lieu partiel du 12 juin 2014 ; que la chambre criminelle de la Cour de cassation a annulé ladite ordonnance communément appelée de "filtre" du 27 juin 2014, au motif que MM. [H] et [K], personnes mises en examen, avaient adressé aux juges d'instruction, par des mémoires datés respectivement des 7 mai et 2 juin 2014, des contestations de la recevabilité des parties civiles constituées dans le présent dossier ; que l'ordonnance du 12 juin 2014 était intervenue sans qu'il ait été statué sur ces demandes ; que l'ordonnance de renvoi comportait en conséquence un rejet implicite et présentait le caractère d'une décision complexe susceptible d'appel de la part des personnes mises en examen ; que la chambre criminelle de la Cour de cassation a dans ces conditions annulé en toutes ses dispositions l'ordonnance du 27 juin 2014 et constaté que, du fait de l'annulation prononcée, la chambre de l'instruction se trouvait saisie des appels interjetés, les 18 juin et 23 juin 2014 ; qu'au soutien de son appel contre l'ordonnance du 12 juin 2014, l'avocat de M. [H] avait joint, le 23 juin 2014, des observations écrites tendant à l'admission de son recours en justifiant le caractère complexe de la décision contestée, qui était ainsi, selon lui, susceptible d'appel, en précisant que les magistrats avaient omis de statuer sur la contestation de la recevabilité des parties civiles, à savoir les ayants droit des victimes de l'attentat de Karachi, contestation qui figurait dans les observations écrites déposées après notification du réquisitoire définitif du 2 juin 2014 ; qu'il résulte de tout ce qui précède que la chambre de l'instruction n'est pas saisie en suite d'un arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation prononçant l'annulation de l'ordonnance de renvoi et de non-lieu partiel du 12 juin 2014, mais uniquement des conséquences de celle de l'ordonnance dite de filtre du 27 juin 2014 ; qu'il doit être constaté qu'à l'appui de l'appel de MM. [H] et [K], il n'est soutenu par les avocats aucune cause de nullité de la procédure entachant l'ordonnance de renvoi du 12 juin 2014, mais uniquement des moyens tendant à la contestation de la recevabilité des constitutions de parties civiles, mais également dénonçant la prescription des faits reprochés, les charges retenues contre les deux mis en examen appelants, invoquant la décision du Conseil constitutionnel du 11 octobre 1995 ou encore réclament un sursis à statuer en attente de la saisine de la Cour de justice de la République, tous arguments qui relèvent du débat devant la juridiction de jugement ; qu'ainsi, si les deux appels sont recevables et que la chambre de l'instruction a le pouvoir en vertu de l'article 206 du code de procédure pénale de constater des nullités de procédure, tel n'est pas le débat soumis par les avocats des deux mis en examen appelants qui utilisent leur recours pour obtenir un non-lieu en se prévalant de la prescription, de la décision du Conseil constitutionnel du 11 octobre 1995, en discutant des charges et de celles retenues au visa des procès-verbaux de mise en examen dressés ; qu'en conséquence, conformément à l'article 186 du code de procédure pénale, les dispositions de l'ordonnance portant renvoi devant le tribunal correctionnel, ce qui inclut le débat sur la décision du Conseil constitutionnel du 11 octobre 1995, la prescription et les charges, ainsi que les critiques portées contre la pièce cotée D33-16-35 qualifiée de faux, n'ont pas à être soumises à la chambre de l'instruction, les mis en examen ne pouvant pas en interjeter appel et les contestations ci-dessus visées revenant exclusivement à la juridiction de jugement ; que cette solution exclut qu'il soit donné une suite favorable à la demande de réouverture des débats présentée par courrier de l'avocat de M. [H] expédié à la chambre de l'instruction, en cours de délibéré le 11 juin 2015 ; qu'une autre solution viendrait à permettre un détournement des prescriptions du code de procédure pénale ; que le Conseil constitutionnel a considéré que l'article 186 dudit code était conforme aux droits de la défense, car ne privant pas les mis en examen de tout recours ; que la chambre de l'instruction n'est en l'espèce saisie que de la seule question de la recevabilité des constitutions de parties civiles, laquelle recevabilité avait fait expressément l'objet des observations jointes à l'appel interjeté par l'avocat de M. [H] ;

"alors que constatant le caractère complexe d'une ordonnance de renvoi et son omission de statuer sur la contestation d'une constitution de partie civile, la chambre de l'instruction est tenue d'annuler l'ordonnance attaquée et, évoquant, de statuer sur la recevabilité de la constitution de partie civile et de procéder au règlement de l'entier dossier de la procédure d'information ; qu'en l'espèce, le caractère complexe de l'ordonnance de renvoi et l'omission de statuer dont elle est entachée ressortent tant de la motivation de l'arrêt de la chambre de l'instruction que de l'arrêt de la Cour de cassation la saisissant ; qu'en n'en prononçant pas l'annulation, et en ne procédant en conséquence pas au règlement de l'information, la chambre de l'instruction n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et n'a pas épuisé sa compétence" ;

Sur le premier moyen de cassation, proposé par la société civile professionnelle Gatineau et Fattaccini pour M. [K], pris de la violation des articles 186, 206, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale :

"en ce que l'arrêt attaqué a affirmé n'être saisi que de la seule question de la recevabilité des constitutions de partie civile, et refusé de statuer sur les moyens dénonçant la prescription des faits reprochés et remettant en cause les charges retenues contre M. [K] du chef d'abus de biens sociaux ;

"aux motifs que la saisine de la chambre de l'instruction est fixée par l'arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 26 novembre 2014 qui a annulé en toutes ses dispositions une ordonnance du président de la chambre de l'instruction du 27 juin 2014 qui avait déclaré non admis les appels interjetés par les avocats de MM. [H] et [K], les 18 juin 2014 et 23 juin 2014, contre l'ordonnance de renvoi et de non-lieu partiel du 12 juin 2014 ; que la chambre criminelle de la Cour de cassation a annulé ladite ordonnance communément appelée de « filtre » du 27 juin 2014, au motif que MM. [H] et [K], personnes mises en examen, avaient adressé aux juges d'instruction, par des mémoires datés respectivement des 7 mai et 2 juin 2014, des contestations de la recevabilité des parties civiles constituées dans le présent dossier ; que l'ordonnance du 12 juin 2014 était intervenue sans qu'il ait été statué sur ces demandes ; que l'ordonnance de renvoi comportait en conséquence un rejet implicite et présentait le caractère d'une décision complexe susceptible d'appel de la part des personnes mises en examen ; que la chambre criminelle de la Cour de cassation a dans ces conditions annulé en toutes ses dispositions l'ordonnance du 27 juin 2014 et constaté que, du fait de l'annulation prononcée, la chambre de l'instruction se trouvait saisie des appels interjetés, les 18 juin et 23 juin 2014 ; qu'au soutien de son appel contre l'ordonnance du 12 juin 2014, l'avocat de M. [H] avait joint, le 23 juin 2014, des observations écrites tendant à l'admission de son recours en justifiant le caractère complexe de la décision contestée, qui était ainsi, selon lui, susceptible d'appel, en précisant que les magistrats avaient omis de statuer sur la contestation de la recevabilité des parties civiles, à savoir les ayants droit des victimes de l'attentat de Karachi, contestation qui figurait dans les observations écrites déposées après notification du réquisitoire définitif du 2 juin 2014 ; qu'il résulte de tout ce qui précède que la chambre de l'instruction n'est pas saisie en suite d'un arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation prononçant l'annulation de l'ordonnance de renvoi et de non-lieu partiel du 12 juin 2014, mais uniquement des conséquences de celle de l'ordonnance dite de filtre du 27 juin 2014 ; qu'il doit être constaté qu'à l'appui de l'appel de MM. [H] et [K], il n'est soutenu par les avocats aucune cause de nullité de la procédure entachant l'ordonnance de renvoi du 12 juin 2014, mais uniquement des moyens tendant à la contestation de la recevabilité des constitutions de parties civiles, mais également dénonçant la prescription des faits reprochés, les charges retenues contre les deux mis en examen appelants, invoquant la décision du Conseil constitutionnel du 11 octobre 1995 ou encore réclament un sursis à statuer en attente de la saisine de la Cour de justice de la République, tous arguments qui relèvent du débat devant la juridiction de jugement ; qu'ainsi, si les deux appels sont recevables et que la chambre de l'instruction a le pouvoir en vertu de l'article 206 du code de procédure pénale de constater des nullités de procédure, tel n'est pas le débat soumis par les avocats des deux mis en examen appelants qui utilisent leur recours pour obtenir un non-lieu en se prévalant de la prescription, de la décision du Conseil constitutionnel du 11 octobre 1995, en discutant des charges et de celles retenues au visa des procès-verbaux de mise en examen dressés ; qu'en conséquence, conformément à l'article 186 du code de procédure pénale, les dispositions de l'ordonnance portant renvoi devant le tribunal correctionnel, ce qui inclut le débat sur la décision du Conseil constitutionnel du 11 octobre 1995, la prescription et les charges, ainsi que les critiques portées contre la pièce cotée D 33-16-35 qualifiée de faux, n'ont pas à être soumises à la chambre de l'instruction, les mis en examen ne pouvant pas en interjeter appel et les contestations ci-dessus visées revenant exclusivement à la juridiction de jugement ;

"alors que lorsqu'elle statue sur le règlement d'une procédure, la chambre de l'instruction est saisie de l'entier dossier et se doit d'examiner les moyens proposés par le mis en examen à l'appui de son appel déclaré recevable contre l'ordonnance de renvoi ; qu'après avoir admis la recevabilité de l'appel de M. [K] en raison du caractère complexe de l'ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel, laquelle avait implicitement rejeté sa demande d'irrecevabilité des constitutions de partie civile, la chambre de l'instruction a estimé n'être saisie que de la seule question de la recevabilité des constitutions de partie civile, à l'exclusion des moyens dénonçant la prescription des faits reprochés et les charges retenues contre le mis en examen appelant, lesquels relevaient, selon elle, du débat devant la juridiction de jugement ; qu'en statuant ainsi quand il lui appartenait de se prononcer, en raison de la nature même de l'ordonnance entreprise, sur le règlement de la procédure, la chambre de l'instruction a méconnu les textes visés au moyen et privé sa décision de toute base légale" ;

Les moyens étant réunis ;

Vu les articles 186, 206 et 595 du code de procédure pénale ;

Attendu qu'il se déduit des textes précités que, lorsqu'elle est saisie d'une ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel intervenue sans que le juge d'instruction ait statué sur la contestation de la recevabilité d'une constitution de partie civile, la chambre de l'instruction est tenue d'annuler cette ordonnance qui présente un caractère complexe, d'évoquer et de procéder au règlement de l'entier dossier de la procédure d'information à l'égard de toutes les personnes mises en examen ;

Attendu que, par ordonnance du 12 juin 2014, MM. [H] et [K] ont été renvoyés par les juges d'instruction devant le tribunal correctionnel sous la prévention, le premier, de complicité d'abus de biens sociaux, recels d'abus de biens sociaux, et, le second, d'abus de biens sociaux ; qu'ils ont interjeté appel de cette décision au motif que les juges d'instruction avaient omis de statuer sur leur contestation de la recevabilité des constitutions de partie civile ; que l'ordonnance de non-admission des appels rendue par le président de la chambre de l'instruction de Paris a été annulée par arrêt du 26 novembre 2014 de la chambre criminelle, qui a renvoyé leur examen devant ladite chambre de l'instruction ;

Attendu qu'après avoir admis la recevabilité des appels de MM. [H] et [K] en raison du caractère complexe de l'ordonnance de renvoi, l'arrêt attaqué retient que les deux mis en examen n'ont pu relever appel de l'ordonnance de renvoi qu'en raison de l'omission de statuer sur la contestation de la recevabilité des constitutions de partie civile et qu'en conséquence sa compétence est limitée à ce seul objet, sans devoir annuler l'ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel et sans avoir à se prononcer sur le règlement de la procédure ;

Mais attendu qu'en statuant ainsi, la chambre de l'instruction a méconnu les textes susvisés et le principe susvisé ;

D'où il suit que la cassation est encourue ;

Qu'en application de l'article 612-1 du code de procédure pénale et dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, la cassation aura effet à l'égard de toutes les parties à la procédure qui ne se sont pas pourvues ;

Par ces motifs, et sans qu'il ait lieu d'examiner les autres moyens de cassation proposés :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, en date du 18 juin 2015, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;

ETEND la cassation à l'égard de toutes les parties à la procédure qui ne sont pas pourvues ;

RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Lyon, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

Et pour le cas où ladite chambre de l'instruction déclarerait qu'il existe contre les mis en examen des charges suffisantes à l'égard des chefs de la poursuite ;

REGLANT de juges par avance, ordonne dès à présent le renvoi des prévenus devant le tribunal correctionnel de Paris ;

DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale au profit des parties civiles représentées par la société civile professionnelle Boré et Salve de Bruneton ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le dix février deux mille seize ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.

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