17 février 2016
Cour de cassation
Pourvoi n° 14-26.632

Première chambre civile - Formation restreinte hors RNSM/NA

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2016:C100140

Titres et sommaires

SEPARATION DES POUVOIRS - Compétence judiciaire - Domaine d'application - Litige relatif à un contrat de droit privé - Contrat de droit privé - Caractérisation - Cas - Bail de droit commun consenti par une personne de droit privé à une personne de droit public - Condition

Viole la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III une cour d'appel qui, pour décliner la compétence de la juridiction judiciaire, retient qu'une convention de location, portant sur un immeuble à usage de résidence pour personnes âgées, conclue entre un centre communal d'action sociale et une association ne peut s'analyser en un contrat de droit privé, alors que, selon ses propres constatations, le centre communal d'action sociale avait délégué à une autre association la gestion de ladite résidence, ce dont il résultait que le contrat litigieux avait seulement été conclu pour les besoins du service public


SEPARATION DES POUVOIRS - Compétence judiciaire - Exclusion - Cas - Litige relatif à un contrat administratif - Contrat administratif - Définition - Contrat contenant une clause exorbitante du droit commun - Caractérisation - Défaut - Applications diverses

La clause exorbitante du droit commun est celle qui, notamment par les prérogatives reconnues à la personne publique contractante dans l'exécution du contrat, implique, dans l'intérêt général, qu'il relève du régime exorbitant des contrats administratifs. Dès lors, viole la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III une cour d'appel qui retient le caractère exorbitant du droit commun d'une clause qui ne conférait un avantage qu'à la personne privée contractante

Texte de la décision

CIV. 1

LG



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 17 février 2016




Cassation partielle


Mme BATUT, président



Arrêt n° 140 F-P+B+I

Pourvoi n° N 14-26.632







R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par M. [X] [L], domicilié [Adresse 1], agissant en qualité de liquidateur judiciaire de l'Association nationale d'équipements sociaux (ANRES),

contre l'arrêt rendu le 15 septembre 2014 par la cour d'appel de Versailles (4e chambre), dans le litige l'opposant au centre communal d'action sociale de la commune de Louvres, dont le siège est [Adresse 2],

défenderesse à la cassation ;

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;

Vu la communication faite au procureur général ;

LA COUR, en l'audience publique du 19 janvier 2016, où étaient présentes : Mme Batut, président, Mme Canas, conseiller référendaire rapporteur, Mme Kamara, conseiller doyen, Mme Laumône, greffier de chambre ;

Sur le rapport de Mme Canas, conseiller référendaire, les observations de la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat de M. [L], ès qualités, de la SCP Tiffreau, Marlange et de La Burgade, avocat du centre communal d'action sociale de la commune de Louvres, l'avis de M. Drouet, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que, par acte sous seing privé du 26 mai 2007, l'Association nationale d'équipements sociaux (l'ANRES) a donné à bail au centre communal d'action sociale de Louvres (le CCAS) un immeuble à usage de résidence pour personnes âgées, moyennant le paiement de redevances mobilières et immobilières annuelles ; que l'[P] a été placée en liquidation judiciaire par un jugement du 17 mai 2011 ; que M. [L], agissant en qualité de mandataire judiciaire à cette liquidation, a assigné le CCAS en paiement de redevances arriérées ; que ce dernier a soulevé l'incompétence de la juridiction judiciaire au profit de la juridiction administrative ;

Sur le moyen unique, pris en sa première branche :

Vu la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;

Attendu que, pour décliner la compétence de la juridiction judiciaire et renvoyer les parties à mieux se pourvoir, l'arrêt retient que, bien que le CCAS ait confié, suivant délégation de service public, à l'association ANRES gestion, devenue GES association, la gestion du foyer-logement pour personnes âgées, la convention de location conclue entre l'[P] et le CCAS ne peut s'analyser en un contrat de droit privé, dès lors qu'elle porte sur l'établissement dans lequel doit être exercée la mission de service public du délégataire ;

Qu'en statuant ainsi, alors que, selon ses propres constatations, le CCAS avait délégué à une autre association la gestion de l'établissement en cause, ce dont il résultait que le contrat de location litigieux avait seulement été conclu pour les besoins du service public, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

Et sur le moyen unique, pris en ses deuxième et troisième branches :

Vu la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;

Attendu que la clause exorbitante du droit commun est celle qui, notamment par les prérogatives reconnues à la personne publique contractante dans l'exécution du contrat, implique, dans l'intérêt général, qu'il relève du régime exorbitant des contrats administratifs ;

Attendu que, pour statuer comme il vient d'être dit, l'arrêt retient que le contrat de location comporte une clause exorbitante du droit commun, son article 4 stipulant que, compte tenu de la spécificité des locaux donnés à bail, le locataire n'aura pas la possibilité de donner congé au cours du bail et que si, contrairement à cet engagement, il entendait y mettre fin, il serait tenu au paiement des redevances jusqu'au terme prévu, lesdites redevances devenant alors immédiatement exigibles ;

Qu'en statuant ainsi, alors que la clause litigieuse ne conférait un avantage qu'à la personne privée bailleresse, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déclare recevable l'exception d'incompétence soulevée par le centre communal d'action sociale de Louvres, l'arrêt rendu le 15 septembre 2014, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ; remet, en conséquence, sauf sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris ;

Condamne le centre communal d'action sociale de Louvres aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-sept février deux mille seize.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat aux Conseils, pour M. [L], ès qualités

Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR dit que l'affaire relève de la juridiction administrative et d'AVOIR renvoyé les parties à mieux se pourvoir ;

AUX MOTIFS QUE le Centre Communal d'Action Sociale de Louvres fait grief au jugement d'avoir rejeté l'exception d'incompétence soulevée, exception dont Maître [L], ès qualités, soulève l'irrecevabilité, aux motifs que le CCAS est un établissement public administratif communal ou intercommunal, mais que le contrat de location entre l'[P] et le CCAS ne comporte aucune clause exorbitante du droit commun, que l'association [P] n'assure aucune mission de service public, qu'il y a lieu de constater que le contrat soumis à la juridiction n'est pas un contrat de droit public et qu'en conséquence le tribunal de grande instance est compétent, alors que les clauses du contrat ne sont pas d'ordre public pour la compétence, alors que l'appréciation du tribunal ne tient pas compte de l'indivisibilité de l'opération, le contrat conclu entre le CCAS et [P] étant indivisible de celui conclu entre CCAS et l'association GES Association qui est un contrat de délégation de service public, alors que [P] avait une mission de conseil et qu'elle a proposé le montage juridique et financier, alors que ce qui est en cause, en l'espèce, c'est bien le service public du logement des personnes âgées, alors que tout ce dispositif a été élaboré, proposé par [P] en vue de lui permettre l'accueil des personnes âgées ce qui constitue bien une mission de service public, le CCAS exerçant bien une mission de service public, l'objet principal étant la gestion de la résidence de personnes âgées qui est une mission d'ordre public de façon incontestable et que le contrat de mise à disposition du bien par [P] au CCAS n'est qu'un accessoire, alors que la cour n'est pas liée par la qualification que les parties ont entendu donner du contrat qui les liait, le contrat passé revêtant la qualification de contrat administratif, alors que le contrat contient une clause exorbitante de droit commun dans son article 4 concernant l'absence de faculté de résiliation, alors que la répartition des compétences entre ordres de juridictions est une question d'ordre public à laquelle les parties ne sauraient déroger conventionnellement ; (¿) qu'il résulte des différents actes précédemment rappelés, que la commune de [Localité 1], personne publique, a donné à bail emphytéotique à l'association [P] un terrain à bâtir afin qu'y soit construite une résidence pour personnes âgées, ce qui relève d'une mission de service public, en sorte que l'association [P] participait à une mission de service public ; qu'après achèvement de la construction prévue par cet acte, l'association [P] a conclu un contrat de location avec le CCAS, personne publique dépendant budgétairement de la commune de [Localité 1], relatif à la résidence pour personnes âgées ; que, malgré la délégation à l'association [P] Gestion de la gestion du foyer logement pour personnes âgées, attachée au CCAS, suivant délégation de service public, la convention de location entre l'association [P] et le CCAS ne peut s'analyser en un contrat de droit privé relevant de la juridiction judiciaire puisque la convention porte sur l'établissement dans lequel doit être exercée la mission de service public du délégataire ; qu'en outre, ce contrat de location comporte une clause exorbitante du droit commun stipulant en son article 4 "compte tenu de la spécificité d'utilisation des locaux donnés à bail, il est expressément convenu entre les parties que le locataire n'aura pas la possibilité de donner congé au cours du bail", que "si contrairement à cet engagement il entendait mettre fin au bail, il serait tenu au paiement des redevances jusqu'au terme prévu au bail, elles deviendraient alors immédiatement exigibles" ; qu'il s'ensuit que le présent litige ne relève pas de la compétence de la juridiction judiciaire mais de celle de la juridiction administrative, nonobstant toute clause conventionnelle contraire ; que le jugement est, en conséquence, infirmé, l'exception d'incompétence étant fondée ; que les parties sont donc renvoyées à mieux se pourvoir ;

1) ALORS QUE ne présente pas un caractère administratif le contrat dont l'objet ne constitue pas l'exécution même d'un service public et qui ne fait pas participer directement le cocontractant privé à cette exécution ; qu'au cas d'espèce, en retenant, pour décliner la compétence des juridictions judiciaires, que le contrat de bail conclu entre l'[P] et le CCAS de Louvres le 26 mai 2007, qui stipulait pourtant expressément que la première, qui n'assurait aucune prestation de services, ne participait pas au fonctionnement de l'établissement et que le contrat était de droit privé et non de droit public, présentait néanmoins un caractère administratif, motif pris de ce que cette convention portait sur l'immeuble dans lequel était exercée la mission de service public d'accueil des personnes âgées, quand elle relevait par ailleurs que la gestion de l'établissement avait été confiée à une autre association, la cour d'appel, qui n'a identifié aucune participation directe du cocontractant privé de l'administration à l'exécution même du service public, a commis un excès de pouvoir et violé la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;

2) ALORS QUE la clause exorbitante du droit commun, susceptible de conférer un caractère administratif au contrat qui la contient, s'entend d'une clause qui, notamment par les prérogatives reconnues à la personne publique contractante dans l'exécution du contrat, implique, dans l'intérêt général, qu'il relève du régime exorbitant des contrats administratif ; qu'au cas d'espèce, en jugeant encore, pour décliner la compétence des juridictions judiciaires, que le contrat de bail conclu le 26 mai 2007 entre l'[P] et le CCAS de Louvres contenait une clause exorbitante, soit son article 4 stipulant que le preneur n'aurait pas la possibilité de donner congé au cours du bail sauf à être tenu du paiement immédiat des redevances restant dues jusqu'au terme initial du contrat, quand cette clause, qui ne prévoyait aucune prérogative particulière au profit de la personne publique dans un but d'intérêt général, ne conférait un avantage qu'à la personne privée bailleresse, la cour d'appel a de ce point de vue encore commis un excès de pouvoir et violé la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;

3) ALORS, subsidiairement, QUE ne revêt pas un caractère exorbitant du droit commun la clause d'un contrat de bail à durée déterminée qui se borne à interdire au preneur la résiliation unilatérale sauf à devoir payer les loyers restant à courir jusqu'au terme initial du contrat ; qu'au cas d'espèce, en décidant le contraire pour retenir le caractère administratif du contrat de bail du 26 mai 2007 et décliner la compétence des juridictions judiciaires, la cour d'appel a en tout état de cause commis un excès de pouvoir et violé la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III.

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