25 février 2016
Cour de cassation
Pourvoi n° 14-29.903

Troisième chambre civile - Formation restreinte hors RNSM/NA

ECLI:FR:CCASS:2016:C300272

Texte de la décision

CIV.3

FB



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 25 février 2016




Rejet


M. CHAUVIN, président



Arrêt n° 272 F-D

Pourvoi n° T 14-29.903







R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par :

1°/ M. [K] [O],

2°/ Mme [Z] [Y] épouse [O],

domiciliés tous deux [Adresse 10],

contre l'arrêt rendu le 28 octobre 2014 par la cour d'appel de Rennes (1re chambre), dans le litige les opposant :

1°/ à Mme [M] [R] épouse [E], domiciliée [Adresse 7],

2°/ à M. [B] [E], domicilié [Adresse 9],

3°/ à M. [C] [E], domicilié [Adresse 2],

4°/ à Mme [S] [E] épouse [F], domiciliée [Adresse 6],

5°/ à Mme [T] [I] [U] épouse [E], domiciliée [Adresse 3],

6°/ à M. [Q] [E], domicilié [Adresse 4],

7°/ à M. [D] [E], domicilié [Adresse 8],

8°/ à Mme [G] [E] épouse [W], domiciliée [Adresse 5],

9°/ à M. [J] [B] [E], domicilié [Adresse 1],

pris tous cinq en qualité d'héritiers de [J] [E],

défendeurs à la cassation ;

Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;

Vu la communication faite au procureur général ;

LA COUR, en l'audience publique du 26 janvier 2016, où étaient présents : M. Chauvin, président, Mme Brenot, conseiller rapporteur, Mme Fossaert, conseiller, M. Dupont, greffier de chambre ;

Sur le rapport de Mme Brenot, conseiller, les observations de Me Delamarre, avocat de M. et Mme [O], de la SCP Rousseau et Tapie, avocat de Mme [M] [E], et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Rennes 28 octobre 2014), que les époux [O], propriétaires d'une parcelle cadastrée section BZ n° [Cadastre 1], accédaient à leur parcelle en traversant celle appartenant aux consorts [E], cadastrée à la même section n° [Cadastre 2] ; que, se plaignant de ce que les consorts [E] ont fait obstacle à leur libre passage par la construction d'une véranda, d'un portail en fer forgé et d'un mur à l'entrée de la propriété et par le dépôt d'objets divers, les époux [O] les ont assignés en reconnaissance, à leur profit, d'une servitude de passage par destination du père de famille d'une largeur de 2,60 mètres et en condamnation à libérer l'assiette de la servitude ;

Attendu que les époux [O] font grief à l'arrêt de dire que la servitude légale s'exerçait sur un passage d'une largeur de 1,66 mètre à travers la cour de la parcelle n° [Cadastre 2], à pieds, en empruntant les marches et en utilisant le portail, alors, selon le moyen :

1°/ que les juges du fond ne peuvent dénaturer les pièces claires et dépourvue de toute ambiguïté soumises à leur appréciation ; que le propriétaire du fonds débiteur de la servitude ne peut rien faire qui tende à en diminuer l'usage, ou à le rendre plus incommode ; qu'il ne peut changer l'état des lieux, ni transporter l'exercice de la servitude dans un endroit différent de celui où elle a été primitivement assignée ; que, dans la présente espèce, pour conclure que les époux [O] demandaient aux propriétaires du fonds servant d'aggraver la servitude et qu'ils ne faisaient pas qu'exercer un droit existant à leur profit depuis la division des fonds, la cour d'appel a retenu que les époux [O] ne démontraient pas que le fonds dominant était, à l'origine, une exploitation agricole et que la servitude n'était pas entravée par un mur et un portail ; que, pourtant, un acte de donation-partage du 3 septembre 1896 fait apparaître que les deux fonds en cause appartenaient à l'origine à une exploitation agricole et que l'entrée du fonds servant était alors libre de toute entrave afin de permettre le travail agricole ; que, dès lors, la servitude d'origine devait s'étendre sur toute la largeur du passage, soit 2,92 mètres ; qu'en considérant néanmoins que les époux [O] ne démontraient pas que la servitude ne pouvait être limitée à 1,66 mètre, la cour d'appel a dénaturé l'acte de donation-partage du 3 septembre 1896 et violé ainsi l'article 1134 du code civil ;

2°/ que le propriétaire du fonds débiteur de la servitude ne peut rien faire qui tende à en diminuer l'usage, ou à le rendre plus incommode ; qu'il ne peut changer l'état des lieux, ni transporter l'exercice de la servitude dans un endroit différent de celui où elle a été primitivement assignée ; qu'à supposer même que la servitude soit réservée à des piétons, cette circonstance n'autorise pas pour autant les propriétaires du fonds servant à utiliser la servitude comme un espace privatif, en y faisant construire une véranda qui limite nécessairement le passage ; qu'en considérant pourtant que la véranda ne devait pas être supprimée, sans rechercher si la nouvelle assiette résultant de la présence de cet édifice présentait les mêmes commodités que l'assiette précédente, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 701 du code civil ;

3°/ que le propriétaire du fonds débiteur de la servitude ne peut rien faire qui tende à en diminuer l'usage, ou à le rendre plus incommode ; qu'il ne peut changer l'état des lieux, ni transporter l'exercice de la servitude dans un endroit différent de celui où elle a été primitivement assignée ; que pour limiter l'assiette de la servitude des époux [O] à une largeur de 1,66 mètre, les juges du fond ont retenu à tort qu'un mur, des marches et un portillon étaient présents depuis les années 1950 ; qu'en se prononçant ainsi, sans rechercher l'assiette d'origine de la servitude, tandis que les époux [O] rappelaient que le mur situé à l'entrée du fonds servant avait été agrandi et que le portail avait été réduit de façon à limiter la taille de l'entrée à 1,30 mètre, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 701 du code civil ;

Mais attendu qu'ayant retenu que les époux [O] ne rapportaient pas la preuve que le passage piétonnier qui existait avant la division du fonds pour se rendre d'une parcelle à l'autre et dont les signes apparents étaient des marches donnant directement sur la voie publique, une murette et un portail en bois d'une largeur de 2,60 mètres, la cour d'appel, qui a procédé aux recherches prétendument omises et n'a pas dénaturé l'acte du 3 septembre 1896, a légalement justifié sa décision ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne M. et Mme [O] aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande des époux [O] et les condamne à payer la somme de 3 000 euros à Mme [M] [E] ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-cinq février deux mille seize.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par Me Delamarre, avocat aux Conseils, pour M. et Mme [O].

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé le jugement entrepris en ce qu'il a dit que la servitude légale s'exerçait par un passage d'une largeur de 1,66 mètre à travers la cours de la parcelle n° [Cadastre 2], à pieds, en empruntant les marches et en utilisant le portail ;

AUX MOTIFS PROPRES QUE

« Celle-ci n'a jamais été déterminée et constitue le point de litige principal entre les parties, les propriétaires du fonds dominant reprochant à ceux du fonds servant de faire obstacle à leur libre passage par la construction d'une véranda, l'utilisation d'une partie du passage comme jardin avec encombrement de meubles de jardin et pose d'un fil à linge gênant la circulation ; que seule l'assiette de la servitude légale de passage pour cause d'enclave se détermine par trente ans d'usage continu ; qu'en conséquence, le moyen de prescription acquisitive soulevé par les consorts [E] est inopérant ; qu'en revanche, dans la mesure où M. et Mme [O] revendiquent un passage libre de toute entrave leur permettant de bénéficier d'une servitude par libre accès sur la voie publique sur toute la largeur de la surface existant entre les deux bâtiments de la propriété [E], il leur appartient de prouver qu'ils ne demandent pas ainsi aux propriétaires du fonds servant d'aggraver la servitude mais ne font qu'exercer un droit qui existait au profit du leur depuis la division des fonds ; que M. et Mme [O] qui se bornent à indiquer qu'à l'origine, sur les fonds en litige existait une ferme et donc une activité agricole nécessitant un passage à toute occurrence, qui, selon les usages locaux en vigueur dans le département du Finistère, est d'une largeur de 2,66 mètres, ne rapportent pas la preuve de cette activité agricole ayant nécessité un passage de cette largeur, ni de dispositions prises lors de la division des fonds pour déterminer ainsi l'assiette de la servitude ; qu'avant l'acquisition de leur fonds par les époux [O] en 1985, les marches donnant directement accès à la voie publique existaient, ce qui implique un seul passage piétonnier, ainsi qu'il résulte des attestations de M. [H] [V], qui indique qu'en 1953 il s'est rendu chez la grand-mère de son épouse en vacances et que la cour existait comme elle est aujourd'hui, "avec la murette et en haut des marches un portail en bois", et de M. [A] [N] et Mme [L] [P] qui attestent dans le même sens, sans être contredites par des témoignages inverses ; qu'en effet, les attestations communiquées aux débats par M. et Mme [O] s'abstiennent de tout commentaire sur l'existence ou l'absence de marches et évoquent, comme cela n'est pas contesté, la présence de la véranda, du portail fermant à clé et de la table de jardin entravant le passage vers la propriété de M. et Mme [O] ; qu'aussi, ces derniers ne rapportent pas la preuve de l'existence au moment de la division d'un passage autre que piétonnier qui de ce fait, sera fixé comme l'ont fait les premiers juges, à une largeur de 1,66 mètres ; qu'en conséquence, les dispositions du jugement relatives à la détermination de l'assiette et les conditions d'accès par le portail et l'obligation d'installer un interphone seront confirmées de même que celles ayant débouté les époux [O] de leurs demandes de remise en état du passage, de destruction de la véranda, du mur et des marches, d'enlèvement du fil à linge et du mobilier de jardin ainsi que de leur demande de dommages et intérêts » ;

ET AUX MOTIFS EVENTUELLEMENT ADOPTES QU'

« En l'espèce, il résulte de l'expertise et des conclusions des parties que le fonds des époux [O] cadastré BZ n°[Cadastre 1] est enclavé et qu'il bénéficie de ce fait d'une servitude de passage légale sur la parcelle des consorts [E] cadastrée n°[Cadastre 2] ; qu'il résulte de l'article 685 du Code civil que l'assiette et le mode de servitude de passage pour cause d'enclave sont déterminés par trente ans d'usage continu ; que l'article 2261 du Code civil précise que pour pouvoir prescrire, il faut une possession continue et non interrompue, paisible, publique et non équivoque ; qu'en l'espèce, l'expert indique que "les constructions qui limitent l'assiette de la cour ont été édifiées il y a plus de trente ans" ; qu'il résulte également des autres pièces versées au dossier, et notamment des attestations de Messieurs [V] et [N] et de Mesdames [P] et [X], que le mur, les marches et un portillon sont présents depuis les années 1950 ; que ni le permis de construire, ni l'ancien cadastre, ni les plans y compris le plan de masse de 1957, ni les attestations versées par les demandeurs ne prouvent le contraire ; que de même, il n'est nullement démontré qu'un passage destiné aux véhicules, quels qu'ils soient, ait un jour existé ; qu'ainsi, pendant plus de trente ans, de manière continue, non interrompue, paisible, publique et non équivoque, le passage s'est réalisé à pieds, en utilisant le portail et en empruntant les escaliers ; que de plus, s'il résulte du rapport d'expertise que la construction d'une véranda a diminué la largeur disponible de la cour de 0,80 mètre au sol, passant de 2,92 mètres à 2,12 mètres de largeur utile, cette véranda a été édifiée en 1990 ; que le passage sur une largeur de 2,92 mètres est donc impossible depuis plus de dix ans ; qu'ainsi, la prescription sur un passage de 2,92 mètres de large ne saurait être qualifiée de continue au sens des articles 685 et 2261 du Code civil ; que partant, [K] [O] et [Z] [Y] ne peuvent se prévaloir de l'acquisition par prescription d'une telle assiette de servitude ; qu'en conséquence, par effet de la prescription, l'assiette et le mode de servitude sont les suivants : le passage se réalise à travers la cour se trouvant sur la parcelle n°[Cadastre 2], à pieds, en empruntant les marches et en utilisant le portail ; que dès lors, il n'y a pas lieu d'ordonner la destruction de la véranda, du mur et des marches ; que par ailleurs, l'article 701 dispose que le propriétaire du fonds débiteur de la servitude ne peut rien faire qui tende à en diminuer l'usage ou à le rendre plus incommode ; qu'en l'espèce, s'agissant des objets présents dans la cour, les photographies versées aux débats démontrent que la table de jardin et le fil à linge n'empêchent pas les époux [O] d'emprunter le passage piétonnier ; que les demandeurs disposent en effet d'un espace suffisamment large pour passer à pieds en contournant les objets déposés par les consorts [E] ; que dès lors, il n'y a pas lieu d'ordonner que le fil à linge et le mobilier de jardin soit enlevés et il n'y a pas lieu de condamner les consorts [E] à remettre en état le passage ; que s'agissant du portail, d'une part, le remplacement d'un portail en bois par un portail en fer forgé ne modifie pas le passage ; que d'autre part, à la suite de l'ordonnance de référé du 9 septembre 2009, les consorts [E] ont ôté le barillet de la serrure et le système de fermeture du portail n'est plus opérationnel ; que la servitude bénéficiant au fonds d'[K] et [Z] [O] n'est donc pas entravée par l'existence de ce portail non fermé à clé ; qu'il n'y a donc pas lieu à condamnation des consorts [E] à enlever le portail ; qu'enfin, puisque cette servitude constitue l'unique accès la propriété des époux [O], il convient que le passage à pieds soit d'une largeur suffisante pour que des objets encombrants puissent être transportés vers la propriété des époux [O] ; que la largeur de 1,66 mètres recommandée par l'expert apparaît pertinente ; qu'en conséquence, compte tenu de l'ensemble de ces éléments, l'assiette de la servitude sera fixée de la manière suivante: le passage, d'une largeur de 1,66 mètres, se réalise à travers la cour de la parcelle n°[Cadastre 2], à pieds, en empruntant les marches et en utilisant le portail » ;

ALORS, D'UNE PART, QUE

Les juges du fond ne peuvent dénaturer les pièces claires et dépourvue de toute ambiguïté soumises à leur appréciation ; que le propriétaire du fonds débiteur de la servitude ne peut rien faire qui tende à en diminuer l'usage, ou à le rendre plus incommode ; qu'il ne peut changer l'état des lieux, ni transporter l'exercice de la servitude dans un endroit différent de celui où elle a été primitivement assignée ; que, dans la présente espèce, pour conclure que les époux [O] demandaient aux propriétaires du fonds servant d'aggraver la servitude et qu'ils ne faisaient pas qu'exercer un droit existant à leur profit depuis la division des fonds, la Cour d'appel a retenu que les exposants ne démontraient pas que le fonds dominant était, à l'origine, une exploitation agricole et que la servitude n'était pas entravée par un mur et un portail ; que, pourtant, un acte de donation-partage du 3 septembre 1896 fait apparaître que les deux fonds en cause appartenaient à l'origine à une exploitation agricole et que l'entrée du fonds servant était alors libre de toute entrave afin de permettre le travail agricole ; que, dès lors, la servitude d'origine devait s'étendre sur toute la largeur du passage, soit 2,92 mètres ; qu'en considérant néanmoins que les époux [O] ne démontraient pas que la servitude ne pouvait être limitée à 1,66 mètre, la Cour d'appel a dénaturé l'acte de donation-partage du 3 septembre 1896 et violé ainsi l'article 1134 du Code civil ;

ALORS, D'AUTRE PART ET EN TOUT ETAT DE CAUSE, QUE

Le propriétaire du fonds débiteur de la servitude ne peut rien faire qui tende à en diminuer l'usage, ou à le rendre plus incommode ; qu'il ne peut changer l'état des lieux, ni transporter l'exercice de la servitude dans un endroit différent de celui où elle a été primitivement assignée ; qu'à supposer même que la servitude soit réservée à des piétons, cette circonstance n'autorise pas pour autant les propriétaires du fonds servant à utiliser la servitude comme un espace privatif, en y faisant construire une véranda qui limite nécessairement le passage ; qu'en considérant pourtant que la véranda ne devait pas être supprimée, sans rechercher si la nouvelle assiette résultant de la présence de cet édifice présentait les mêmes commodités que l'assiette précédente, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 701 du Code civil ;

ALORS, ENFIN, QUE

Le propriétaire du fonds débiteur de la servitude ne peut rien faire qui tende à en diminuer l'usage, ou à le rendre plus incommode ; qu'il ne peut changer l'état des lieux, ni transporter l'exercice de la servitude dans un endroit différent de celui où elle a été primitivement assignée ; que pour limiter l'assiette de la servitude des époux [O] à une largeur de 1,66 mètre, les juges du fond ont retenu à tort qu'un mur, des marches et un portillon étaient présents depuis les années 1950 ; qu'en se prononçant ainsi, sans rechercher l'assiette d'origine de la servitude, tandis que les époux [O] rappelaient que le mur situé à l'entrée du fonds servant avait été agrandi et que le portail avait été réduit de façon à limiter la taille de l'entrée à 1,30 mètre, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 701 du Code civil.

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