3 mars 2016
Cour de cassation
Pourvoi n° 15-12.217

Deuxième chambre civile - Formation restreinte hors RNSM/NA

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2016:C200313

Titres et sommaires

RESPONSABILITE DELICTUELLE OU QUASI DELICTUELLE - Choses dont on a la garde - Exonération - Exonération totale - Cas de force majeure - Caractérisation - Appréciation souveraine - Portée

Ayant souverainement relevé que n'était ni imprévisible ni irrésistible la faute de la victime qui a chuté en tentant de remonter dans un train en phase de démarrage et dont les portes étaient fermées, une cour d'appel a pu en déduire que cette faute d'imprudence ne présentait pas les caractères de la force majeure, seule de nature à exonérer totalement le transporteur de sa responsabilité

RESPONSABILITE DELICTUELLE OU QUASI DELICTUELLE - Choses dont on a la garde - Exonération - Exonération totale - Cas de force majeure - Caractérisation - Défaut - Applications diverses


RESPONSABILITE DELICTUELLE OU QUASI DELICTUELLE - Choses dont on a la garde - Exonération - Exonération partielle - Faute de la victime - Caractérisation - Portée

Le gardien de la chose instrument du dommage est partiellement exonéré de sa responsabilité s'il prouve que la faute de la victime a contribué au dommage. Dès lors, viole l'article 1384, alinéa 1, du code civil, la cour d'appel qui déclare la Société nationale des chemins de fer français (SNCF) totalement responsable de l'accident alors qu'elle retenait que la victime avait commis une faute en effectuant une manoeuvre interdite et dangereuse

TRANSPORTS FERROVIAIRES - SNCF - Responsabilité civile - Responsabilité quasi délictuelle - Article 1384, alinéa 1, du code civil - Applications diverses - Chute d'une victime ayant tenté de remonter dans le train en phase de démarrage

Texte de la décision

CIV. 2

LI

COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 3 mars 2016


Cassation partielle


Mme FLISE, président


Arrêt n° 313 F-P+B

Pourvoi n° Q 15-12.217





R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par l'établissement public industriel et commercial (EPIC) SNCF mobilités, dont le siège est [Adresse 2],

contre l'arrêt rendu le 25 novembre 2014 par la cour d'appel de Lyon (1re chambre civile B), dans le litige l'opposant :

1°/ à M. [J] [E], domicilié [Adresse 1],

2°/ à la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de [Localité 1]-Pyrénées, dont le siège est [Adresse 3],

défendeurs à la cassation ;

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;

Vu la communication faite au procureur général ;

LA COUR, en l'audience publique du 28 janvier 2016, où étaient présents : Mme Flise, président, Mme Bohnert, conseiller référendaire rapporteur, M. Savatier, conseiller doyen, Mme Parchemal, greffier de chambre ;

Sur le rapport de Mme Bohnert, conseiller référendaire, les observations de la SCP Baraduc, Duhamel et Rameix, avocat de l'établissement public industriel et commercial SNCF mobilités, de la SCP Foussard et Froger, avocat de la caisse primaire d'assurance maladie de [Localité 1]-Pyrénées, de Me Le Prado, avocat de M. [E], l'avis de Mme Vassalo, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que le 23 novembre 2010, M. [E], qui était descendu d'un train à la gare d'arrivée de son voyage et avait commencé à se diriger vers la sortie, a été blessé à la suite d'une chute intervenue alors qu'il tentait de remonter dans ce train qui avait redémarré pour récupérer un bagage oublié ; que M. [E] a assigné la Société nationale des chemins de fer français (la SNCF) en responsabilité et en indemnisation de ses préjudices en présence de la caisse primaire d'assurance maladie de [Localité 1] ;

Sur le moyen unique, pris en sa première branche :

Attendu que la SNCF fait grief à l'arrêt de la déclarer seule et entière responsable des conséquences dommageables de l'accident, alors, selon le moyen, que le gardien d'une chose ayant joué un rôle actif dans la réalisation du dommage est exonéré de sa responsabilité de plein droit lorsque le dommage résulte de la faute exclusive de la victime qui revêt les caractères de la force majeure ; que tel est le cas lorsque, postérieurement à l'exécution du contrat de transport, une personne est victime d'un accident en tentant, en infraction avec la réglementation ferroviaire, de monter, après le signal du départ, dans le train dont les portes sont fermées et qui a commencé à rouler vers sa prochaine destination ; qu'en l'espèce, la SNCF faisait valoir que M. [E] avait commis une faute en tentant de remonter dans un train qui roulait vers sa prochaine destination, à une allure d'au moins 7 km/h et dont les portes étaient fermées ; qu'elle soulignait que cette tentative de monter dans un train en marche, pour récupérer des affaires oubliées, était à la fois irrésistible et imprévisible, rien ne permettant de supposer qu'une personne essaie de s'introduire dans un train alors même que plus personne n'était visible sur le quai et que le train s'était élancé une dizaine de secondes auparavant ; qu'elle en déduisait que la faute commise par M. [E] était la cause exclusive du dommage et, revêtant les caractères de la force majeure, justifiait le rejet de ses prétentions indemnitaires ; que la cour d'appel a constaté que M. [E] a "commis une faute en effectuant une manoeuvre interdite et dangereuse" ; qu'elle a néanmoins jugé la SNCF "entièrement responsable de l'accident" après avoir relevé que "cette faute ne présente pas les caractères de la force majeure" et qu'elle n'était "pas imprévisible, la SNCF étant régulièrement confrontée à ce type de comportement", ni "irrésistible puisque des moyens peuvent permettre d'empêcher les passagers de remonter dans le train dans ces conditions, comme la présence d'agents sur le quai" ; qu'en se prononçant ainsi, tandis qu'il résultait de ses constatations que M. [E] avait commis une faute qui était la cause exclusive de son dommage et revêtait les caractères de la force majeure, la cour d'appel a violé l'article 1384, alinéa 1, du code civil ;

Mais attendu qu'ayant d'abord retenu que M. [E] en tentant de remonter dans le train alors que celui-ci se trouvait dans sa phase de démarrage et que les portes avaient été fermées à l'initiative du contrôleur a commis une faute en effectuant une manoeuvre interdite et dangereuse, puis souverainement relevé que celle-ci n'était ni imprévisible, la SNCF étant régulièrement confrontée à ce type de comportement, ni irrésistible puisque des moyens peuvent permettre d'empêcher les passagers de remonter dans le train dans ces conditions, comme la présence d'agents sur le quai, ce qui n'était pas le cas le jour de l'accident, ou la mise en place de systèmes différents de fermeture des portes, la cour d'appel a pu déduire que la faute d'imprudence relevée à l'encontre de la victime ne présentait pas les caractères de la force majeure seule de nature à exonérer totalement la SNCF de sa responsabilité ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Mais sur le moyen unique, pris en sa seconde branche :

Vu l'article 1384, alinéa 1, du code civil ;

Attendu que le gardien d'une chose instrument du dommage est partiellement exonéré de sa responsabilité s'il prouve que la faute de la victime a contribué à son dommage ;

Attendu que pour déclarer la SNCF totalement responsable de l'accident, l'arrêt retient que M. [E] a commis une faute en effectuant une manoeuvre interdite et dangereuse mais que cette faute ne présente pas les caractères de la force majeure ;

Qu'en statuant ainsi la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales qui s'évinçaient de ses propres constatations, a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a déclaré la SNCF seule et entièrement responsable des conséquences dommageables de l'accident et condamné la SNCF à payer à M. [E] une provision de 25 000 euros, l'arrêt rendu le 25 novembre 2014, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Grenoble ;

Condamne M. [E] aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du trois mars deux mille seize.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Baraduc, Duhamel et Rameix, avocat aux Conseils, pour l'établissement public industriel et commercial SNCF mobilités.

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré la SNCF seule et entièrement responsable des conséquences dommageables de l'accident, d'avoir ordonné une expertise médicale et d'avoir condamné la SNCF à payer à M. [E] la somme de 25.000 ¿ à titre de provision à valoir sur la réparation de son préjudice corporel ;

AUX MOTIFS QUE le contrat de transport liant un passager à la SNCF, qui met à la charge de cette dernière une obligation de sécurité de résultat envers le passager, débute lorsque celui-ci commence à monter dans le train et prend fin lorsque le débarquement du passager et de ses bagages est terminé ; qu'il résulte des propres déclarations de M. [E] lors de son audition que ce dernier est descendu du train en gare de [Localité 2], qui constituait sa destination, qu'il a fait quelques pas sur le quai, que réalisant alors qu'il avait oublié un bagage il a tenté de remonter dans le train alors que celui-ci démarrait ; qu'il en résulte que le contrat de transport le liant à la SNCF avait pris fin puisqu'il avait débarqué du train et qu'il s'était avancé sur le quai pour rejoindre la sortie lorsqu'il s'est ravisé ; que sa tentative de remontée dans le train qui démarrait n'a pu faire naître un nouveau contrat de transport, alors qu'il était démuni de titre pour poursuivre un voyage au-delà de la gare de [Localité 2] ; que l'action de M. [E] ne peut dès lors être fondée sur la responsabilité contractuelle de la SNCF, dont il ne peut rechercher que la responsabilité délictuelle qui est engagée sur le fondement de l'article 1384 du code civil ; qu'il résulte des auditions du témoin [F], du contrôleur SNCF et de la victime, que M. [E] a tenté de remonter dans le train alors que celui-ci se trouvait dans sa phase de démarrage et que les portes avaient été fermées à l'initiative du contrôleur ; qu'il a ainsi commis une faute en effectuant une manoeuvre interdite et dangereuse ; que cependant cette faute ne présente pas les caractères de la force majeure puisque, d'une part, elle n'est pas imprévisible, la SNCF étant régulièrement confrontée à ce type de comportement, d'autre part, elle n'est pas irrésistible puisque des moyens peuvent permettre d'empêcher les passagers de remonter dans le train dans ces conditions, comme la présence d'agents sur le quai, ce qui n'était pas le cas le jour de l'accident, ou la mise en place de systèmes différents de fermeture des portes ; qu'en conséquence que la SNCF doit être déclarée entièrement responsable de l'accident ;

1°) ALORS QUE le gardien d'une chose ayant joué un rôle actif dans la réalisation du dommage est exonéré de sa responsabilité de plein droit lorsque le dommage résulte de la faute exclusive de la victime qui revêt les caractères de la force majeure ; que tel est le cas lorsque, postérieurement à l'exécution du contrat de transport, une personne est victime d'un accident en tentant, en infraction avec la réglementation ferroviaire, de monter, après le signal du départ, dans le train dont les portes sont fermées et qui a commencé à rouler vers sa prochaine destination ; qu'en l'espèce, la SNCF faisait valoir que M. [E] avait commis une faute en tentant de remonter dans un train qui roulait vers sa prochaine destination, à une allure d'au moins 7 km/h et dont les portes étaient fermées (concl., p. 10) ; qu'elle soulignait que cette tentative de monter dans un train en marche, pour récupérer des affaires oubliées, était à la fois irrésistible et imprévisible, rien ne permettant de supposer qu'une personne essaie de s'introduire dans un train alors même que plus personne n'était visible sur le quai et que le train s'était élancé une dizaine de secondes auparavant (concl., p. 11) ; qu'elle en déduisait que la faute commise par M. [E] était la cause exclusive du dommage et, revêtant les caractères de la force majeure, justifiait le rejet de ses prétentions indemnitaires ; que la cour d'appel a constaté que M. [E] a « commis une faute en effectuant une manoeuvre interdite et dangereuse » (arrêt, p. 4 § 4) ; qu'elle a néanmoins jugé la SNCF « entièrement responsable de l'accident » après avoir relevé que « cette faute ne présente pas les caractères de la force majeure » (arrêt, p. 4 § 5) et qu'elle n'était « pas imprévisible, la SNCF étant régulièrement confrontée à ce type de comportement », ni « irrésistible puisque des moyens peuvent permettre d'empêcher les passagers de remonter dans le train dans ces conditions, comme la présence d'agents sur le quai » (arrêt, p. 4 § 5) ; qu'en se prononçant ainsi, tandis qu'il résultait de ses constatations que M. [E] avait commis une faute qui était la cause exclusive de son dommage et revêtait les caractères de la force majeure, la cour d'appel a violé l'article 1384 alinéa 1er du code civil ;

2°) ALORS QUE, SUBSIDIAIREMENT, la faute commise par la victime est de nature à réduire ou supprimer son droit à réparation ; qu'en l'espèce, la SNCF faisait valoir que M. [E] avait commis une faute en tentant de remonter dans un train déjà en marche et que cette faute avait contribué à son préjudice et était de nature, « à tout le moins, à permettre un partage de responsabilité (concl., p. 12 § 6) ; que la cour d'appel a constaté que M. [E] avait « commis une faute en effectuant une manoeuvre interdite et dangereuse » (arrêt, p. 4 § 4) ; que la cour d'appel a néanmoins déclaré la SNCF « entièrement responsable de l'accident » après avoir relevé que « cette faute ne présente pas les caractères de la force majeure » (arrêt, p. 4 § 5) ; qu'en se prononçant ainsi, tandis que la faute de la victime n'a pas à revêtir les caractères de la force majeure pour réduire son droit à réparation, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, d'où il résultait que M. [E] avait commis une faute ayant contribué à son dommage, violant ainsi l'article 1384 alinéa 1er du code civil

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