16 mars 2016
Cour de cassation
Pourvoi n° 14-23.589

Chambre sociale - Formation de section

Publié au Bulletin - Publié au Rapport

ECLI:FR:CCASS:2016:SO00555

Titres et sommaires

CONTRAT DE TRAVAIL, RUPTURE - Licenciement - Nullité - Cas - Violation par l'employeur d'une liberté fondamentale - Applications diverses - Droit d'agir en justice - Exercice - Exercice par le salarié - Etendue - Portée

Est nul comme portant atteinte à une liberté fondamentale le licenciement intervenu en raison d'une action en justice introduite par le salarié

PROTECTION DES DROITS DE LA PERSONNE - Libertés fondamentales - Domaine d'application - Droit d'agir en justice - Droit exercé par le salarié - Atteinte - Détermination - Portée

Texte de la décision

SOC.

FB



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 16 mars 2016




Cassation partielle


M. FROUIN, président



Arrêt n° 555 FS-P+B+R

Pourvoi n° E 14-23.589







R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par M. [Y] [R], domicilié [Adresse 1],

contre l'arrêt rendu le 25 juin 2014 par la cour d'appel de Montpellier (4e chambre sociale), dans le litige l'opposant à la société Schneider electric protection et contrôle, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 2],

défenderesse à la cassation ;

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;

Vu la communication faite au procureur général ;

LA COUR, composée conformément à l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 9 février 2016, où étaient présents : M. Frouin, président, M. David, conseiller référendaire rapporteur, M. Chollet, conseiller doyen, MM. Ludet, Mallard, Mmes Goasguen, Vallée, Guyot, Aubert-Monpeyssen, Schmeitzky-Lhuillery, MM. Rinuy, Schamber, Ricour, conseillers, MM. Alt, Flores, Mmes Wurtz, Ducloz, Brinet, MM. Silhol, Belfanti, Mme Ala, conseillers référendaires, Mme Robert, avocat général, Mme Piquot, greffier de chambre ;

Sur le rapport de M. David, conseiller référendaire, les observations de la SCP Masse-Dessen, Thouvenin et Coudray, avocat de M. [R], de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de la société Schneider electric protection et contrôle, l'avis de Mme Robert, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Sur les deux moyens réunis, qui sont recevables :

Vu les articles L. 1221-1 du code du travail et 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Attendu qu'est nul comme portant atteinte à une liberté fondamentale le licenciement intervenu en raison d'une action en justice introduite par le salarié ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. [R] a été engagé, selon contrat à durée déterminée du 1er juillet 2009, par la société Areva T & D production en qualité de technicien sur ligne de production puis d'approvisionneur gestionnaire ; qu'avant le terme de ce contrat il a été engagé le 29 décembre 2010 par la société Panda services en qualité de gestionnaire approvisionneur de production et mis à la disposition de la société Areva T & D production, dont l'activité a été reprise par la société Schneider electric protection et contrôle ; qu'il a conclu le 29 juin 2011 avec cette société un contrat à durée déterminée portant sur le même poste et ayant pour terme le 31 décembre 2012 ; que le salarié a saisi au fond la juridiction prud'homale aux fins notamment d'obtenir la requalification de la relation de travail en contrat à durée indéterminée ; que par ordonnance de référé du 20 décembre 2012, le conseil de prud'hommes de Montpellier a ordonné à l'employeur de maintenir le contrat de travail jusqu'à la décision à intervenir au fond ; que le 22 mars 2013, l'employeur a remis au salarié une lettre l'informant de ce qu'il accédait à sa demande de requalification de la relation de travail et le convoquant à un entretien préalable à un éventuel licenciement ; qu'il a licencié le salarié pour insuffisance professionnelle le 19 avril 2013 ;

Attendu que pour débouter le salarié de ses demandes principales tendant à la nullité du licenciement, à sa réintégration et au paiement de sommes à titre de salaire et de dommages-intérêts pour absence d'exécution de bonne foi du contrat de travail, l'arrêt retient, d'abord que si l'ordonnance de référé du 20 décembre 2012 avait prévu, à titre de mesure conservatoire, que la société devait sous astreinte, maintenir le contrat de travail de M. [R] jusqu'à décision au fond à intervenir du bureau de jugement concernant la demande en requalification des relations contractuelles en contrat à durée indéterminée, les conditions de cette ordonnance ont été respectées durant l'instance de sorte que les dispositions de celle-ci ont épuisé leurs effets et que les droits fondamentaux de ce salarié ont été respectés, ensuite que la réintégration après le licenciement d'un salarié ne bénéficiant pas d'une protection légale ne peut être ordonnée en l'état de la législation et que les droits fondamentaux du salarié n'ont pas été compromis par la volonté unilatérale de l'employeur de mettre fin au contrat à durée indéterminée dans les conditions de forme prévues par la loi avec l'énonciation d'un motif précis par une lettre alors en effet que tout contrat à durée indéterminée peut être rompu à l'initiative de l'un ou l'autre des cocontractants sauf à répondre d'un abus par la sanction de dommages intérêts ;

Qu'en statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses énonciations que l'employeur n'avait pas, en licenciant le salarié le 19 avril 2013, respecté les dispositions de l'ordonnance de référé qui prescrivaient la poursuite du contrat de travail jusqu'à intervention de la décision au fond du conseil de prud'hommes, prononcée le 23 juillet 2013, la cour d'appel, qui s'est abstenue de rechercher si l'employeur avait utilisé son pouvoir de licencier en rétorsion à l'action en justice du salarié, a violé les textes susvisés ;

Et attendu que la cassation de l'arrêt, en ce qu'il rejette la demande d'annulation du licenciement, entraîne par voie de dépendance nécessaire la cassation des chefs de dispositif condamnant l'employeur au paiement d'une somme en réparation du préjudice consécutif au licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et ordonnant le remboursement des indemnités de chômage ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il ordonne la requalification des contrats à durée déterminée en contrat à durée indéterminée, condamne la société Schneider electric protection et contrôle à payer à M. [R] la somme de 2 283,75 euros à titre d'indemnité de requalification et celle de 3 000 euros à titre de dommages-intérêts pour comportement fautif aggravant une situation de précarité, l'arrêt rendu le 25 juin 2014, entre les parties, par la cour d'appel de Montpellier ; remet, en conséquence, sur les points restant en litige, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Toulouse ;

Condamne la société Schneider electric protection et contrôle aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société Schneider electric protection et contrôle à payer à M. [R] la somme de 3 000 euros et rejette sa demande ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du seize mars deux mille seize.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Masse-Dessen, Thouvenin et Coudray, avocat aux Conseils, pour M. [R].

PREMIER MOYEN DE CASSATION :

Le moyen reproche à l'arrêt attaqué d'AVOIR débouté M. [R] de ses demandes tendant à voir dire et juger que son licenciement était nul et à ce qu'il soit en conséquence ordonné à la société Schneider Electric Protection & Contrôle de le réintégrer dans ses effectifs, à son poste de travail ou à un poste équivalent ainsi qu'à lui verser les rappels de salaire courant du 24 juillet 2013 jusqu'à la date de sa réintégration effective.

AUX MOTIFS QUE la réintégration après le licenciement d'un salarié ne bénéficiant pas d'une protection légale ne peut être ordonnée en l'état de la législation ; qu'en outre les droits fondamentaux de M. [R] n'ont pas été compromis par la volonté unilatérale de l'employeur de mettre fin au contrat à durée indéterminée dans les conditions de forme prévues par la loi avec renonciation d'un motif précis par une lettre ; qu'en effet tout contrat à durée indéterminée peut être rompu à l'initiative de l'un ou l'autre des cocontractants sauf à répondre d'un abus par la sanction de dommages intérêts ; que cette argumentation, quant à l'existence d'une nullité du licenciement, n'est donc pas fondée ;

ALORS QUE le licenciement d'un salarié prononcé en raison de l'action en justice qu'il a engagée à l'encontre de son employeur est nul et de nul effet ; qu'il appartient au juge de rechercher, au-delà des énonciations de la lettre de licenciement, la cause exacte de la rupture de la relation de travail ; qu'en l'espèce, il était constant que la société Schneider Electric Protection & Contrôle avait, pour des motifs dont l'arrêt relève qu'ils étaient dénués de caractère réel et sérieux, procédé au licenciement de M. [R] concomitamment à l'engagement d'une instance tendant à la requalification de ses contrats à durée déterminée successifs en contrat de travail à durée indéterminée ; qu'en se refusant dès lors à examiner le moyen tiré de la nullité du licenciement de M. [R] au motif que seuls des dommages et intérêts pouvaient lui être alloués et que sa réintégration ne pouvait être ordonnée en dès lors qu'il ne bénéficiait pas d'une protection légale, la cour d'appel, qui a méconnu l'étendue de ses pouvoirs, a violé l'article L.1121-1 du Code du travail, ensemble les articles 6 § 1 la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 5 c) de la convention n° 158 de l'Organisation internationale du travail.

SECOND MOYEN DE CASSATION :

Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR débouté M. [R] de sa demande de dommages et intérêts en réparation du préjudice qu'il avait subi du fait de la méconnaissance, par la société Schneider Electric Protection & Contrôle, de son obligation d'exécuter de bonne foi le contrat de travail.

AUX MOTIFS QUE l'ordonnance de la formation de référé du conseil de prud'hommes du 20 décembre 2012 avait prévu que, à titre de mesure conservatoire, la société Schneider Electric devait, sous astreinte, maintenir le contrat de travail de M. [R] jusqu'à décision sur le fond à intervenir du bureau de jugement du conseil de prud'hommes de Montpellier concernant la demande en requalification des relations contractuelles en contrat à durée indéterminée ; que les conditions ayant été respectées durant l'instance les dispositions de cette ordonnance ont épuisé leurs effets et les droits fondamentaux de M. [R] ont été préservés ;

ALORS QU'en l'espèce, il était constant que, par ordonnance en date du 20 décembre 2012, la formation de référé du Conseil de prud'hommes de Montpellier avait ordonné le maintien du contrat de travail de M. [R] dans l'attente du jugement à intervenir relativement à la demande de requalification qu'il avait par ailleurs formée sur le fond ; qu'il résultait également des énonciations de l'arrêt attaqué que nonobstant l'ordonnance ainsi rendue, la société Schneider Electric Protection & Contrôle, tout en reconnaissant que M. [R] était titulaire d'un contrat de travail à durée indéterminée, avait, quelques jours avant l'audience de bureau de jugement, engagé à son encontre une procédure de licenciement, avant de lui notifier la rupture de son contrat de travail, tandis que l'affaire avait été mise en délibéré par le Conseil de prud'hommes ; qu'en déboutant dès lors M. [R] de sa demande de dommages et intérêts, au motif que la société Schneider Electric Protection & Contrôle s'était conformé aux dispositions de l'ordonnance du 20 décembre 2012, quand il s'évinçait au contraire de ses propres constatations que l'employeur s'était abstenu de maintenir le contrat de travail de M. [R] en lui notifiant son licenciement avant que le conseil de prud'hommes ne se soit prononcé sur sa demande de requalification, la Cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil.

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