30 mars 2016
Cour de cassation
Pourvoi n° 13-85.765

Chambre criminelle - Formation plénière de chambre

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2016:CR01313

Titres et sommaires

FRAIS ET DEPENS - Condamnation - Frais non recouvrables - Article 475-1 du code de procédure pénale - Auteur de l'infraction - Pluralité d'auteurs - Solidarité - Obligation - Nature - Solidarité de l'article 480-1 du code de procédure pénale (non) - Obligation in solidum

La solidarité édictée par l'article 480-1 du code de procédure pénale pour les restitutions et les dommages-intérêts n'est pas applicable au paiement des frais non recouvrables visés à l'article 475-1 du même code, lesquels ne peuvent donner lieu qu'à une condamnation in solidum

SOLIDARITE - Domaine d'application - Auteur de l'infraction - Pluralité d'auteurs - Condamnation - Frais non recouvrables - Article 475-1 du code de procédure pénale (non)

SOLIDARITE - Obligation in solidum - Cas - Auteur de l'infraction - Pluralité d'auteurs - Condamnation - Frais non recouvrables - Article 475-1 du code de procédure pénale

Texte de la décision

N° S 13-85.765 FP-P+B

N° 1313

SL
30 MARS 2016


CASSATION PARTIELLE SANS RENVOI


M. GUÉRIN président,






R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________




LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, a rendu l'arrêt suivant :

CASSATION PARTIELLE sans renvoi sur les pourvois formés par M. [S] [K], Mme [H] [U], épouse [K], la société SU 69, SOS Ambulances 69, contre l'arrêt de la cour d'appel de Lyon, 7e chambre, en date du 29 mai 2013, qui, pour travail dissimulé, a condamné les deux premiers à trois mois d'emprisonnement avec sursis et 10 000 euros d'amende, la troisième à 5 000 euros d'amende, et a prononcé sur les intérêts civils ;

La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 18 février 2016 où étaient présents : M. Guérin, président, M. Talabardon, conseiller rapporteur, MM. Pers, Straehli, Castel, Soulard Finidori, Monfort, Fossier, Raybaud, Mme Caron, M. Steinmann, Mmes Chaubon, Schneider, conseillers de la chambre, Mme Harel-Dutirou, M. Laurent, Mme Pichon, conseillers référendaires ;

Avocat général : M. Lagauche ;

Greffier de chambre : M. Bétron ;

Sur le rapport de M. le conseiller référendaire TALABARDON, les observations de la société civile professionnelle GATINEAU et FATTACCINI, de la société civile professionnelle MASSE-DESSEN, THOUVENIN et COUDRAY, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général LAGAUCHE ;


Joignant les pourvois en raison de la connexité ;

Vu le mémoire commun aux demandeurs et le mémoire en défense produits ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, L. 8221-1 et L. 8221-5 du code du travail (anciens L. 324-9, L. 324-10 du code du travail), préliminaire, 459, 512, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, défaut de réponse à conclusions, manque de base légale :

"en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a déclaré les prévenus coupables du délit de travail dissimulé par mention sur les bulletins de salaires d'un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement effectué ;

"aux motifs que Mme [C] a fait état de carnets de route dont les mentions concernant les heures étaient falsifiées ; que Mme [M] [F] a expliqué que sa hiérarchie lui demandait de refaire quasi systématiquement ses carnets de bord car les feuilles de route mentionnaient des éléments différents ; que M. [E] [T] a également déclaré qu'il avait commencé à noter ses heures sur les feuilles de route, qui étaient alors déchirées par la hiérarchie, et qu'il avait fini par demander à la régulation le nombre d'heures qu'il fallait qu'il note, puis notait par devers lui les heures réellement effectuées pour savoir où il en était et réclamer ensuite son dû ; que M. [E] [B] a également fait état de modification par la hiérarchie des carnets de route ; que Mme [V] [D] a indiqué que Mme [U], épouse [K], après vérification du nombre d'heures supplémentaires réellement effectuées demandait aux salariés de modifier leurs carnet de route, M. [K] régularisant la situation de façon annuelle par les arrêtés de compte dont elle indiquait qu'ils ne couvraient pas la totalité des heures effectuées permettant ainsi de ne pas payer les cotisations et d'éviter de se mettre dans l'illégalité au regard des dépassements d'horaires ; que M. [I], régulateur au sein de la société, a déclaré que M. [K] corrigeait les feuilles journalières des chauffeurs, les mentions d'heures de fin de service, et demandait ensuite au chauffeur de modifier son carnet de route ; qu'il résulte suffisamment de cet ensemble d'éléments l'existence d'un système de minoration du nombre d'heures supplémentaires officielles permettant aux prévenus de mentionner sur les bulletins de paie un nombre d'heures de travail conforme à l'application de l'accord-cadre du 4 mai 2000, et inférieur à celui réellement effectué, le caractère intentionnel ne faisant aucun doute compte tenu des modifications par ou à la demande de M. [K] ou de son épouse des documents remis par les salariés ;

"1°) alors que la charge de la preuve de la culpabilité des prévenus incombe à la partie poursuivante et que le doute profite aux accusés ; que les seules déclarations d'anciens salariés, en conflit avec leur employeur, ou de salariés dont les dires n'ont été corroborés par aucun élément matériel, ne sont pas susceptibles de caractériser à elles seules la matérialité du délit de travail dissimulé par mention sur le bulletin de paie d'un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement effectué ; qu'en déduisant l'existence de l'infraction reprochée des seules et uniques déclarations de quelques salariés, lesquelles étaient non seulement fermement contestées par les prévenus, mais n'étaient de surcroît corroborées par aucun élément matériel, aucune discordance n'étant rapportée entre les bulletins de salaire et les feuilles de route produits à la procédure, la cour d'appel a méconnu les principes gouvernant la charge de la preuve, ensemble la présomption d'innocence, et privé sa décision de toute base légale ;

"2°) alors que les juges du fond sont tenus de répondre aux chefs péremptoires des conclusions dont ils sont régulièrement saisis ; qu'en l'espèce, dans leurs conclusions régulièrement déposées, les prévenus contestaient toute valeur probante aux accusations proférées par MM. [R], [O], [B], et Mmes [D] et [C] à leur encontre, dans la mesure où ces salariés étaient, d'une part, en conflit ouvert avec les époux [K], et d'autre part, qu'il a été démontré par la procédure que les salariés en question n'avaient pas hésité à produire des documents falsifiés et à procéder à des affirmations purement mensongères dans le seul but de nuire à leur ancien employeur ; qu'en se bornant à déduire la matérialité du délit de travail dissimulé des accusations proférées par ces salariés, sans même s'interroger, comme elle y était invitée par les conclusions, sur leur véracité au regard du contexte bien particulier ainsi invoqué, la cour d'appel s'est abstenue de répondre à un argument déterminant des conclusions de ces derniers, privant de ce fait sa décision de toute base légale" ;

Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 8221-1 et L. 8221-5 du code du travail (L. 324-9, L. 324-10 du code du travail), 459, 512, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de réponse à conclusions, défaut de motifs et manque de base légale :

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré les prévenus coupables du délit de travail dissimulé pour ne pas avoir procédé aux déclarations devant être faites aux organismes de protection sociale de tout ou partie des heures supplémentaires des salariés de l'entreprise ;

"aux motifs que le contrôle de l'URSSAF effectué sur la période du 1er juin 1999 au 30 avril 2002 avait permis de constater que des arrêtés de comptes et transactions avaient été conclus avec plusieurs salariés suite aux revendications de ces derniers, notamment, en matière d'heures supplémentaires non rémunérées, les sommes versées n'ayant pas été soumis à cotisations ; que la chambre sociale de la cour d'appel de Lyon a, par un arrêt en date du 22 février 2005, confirmé les redressements effectués par l'URSSAF pour ces versements d'heures supplémentaires par le biais de protocoles transactionnels ; que M. [A], responsable du département recouvrement de l'URSSAF, entendu le 31 mai 2007, a déclaré qu'un nouveau contrôle avait été diligenté portant sur la période courant à compter du 1er janvier 2003, contrôle non clôturé à la date de l'audition, qui avait permis de relever à nouveau des indemnités transactionnelles sous l'intitulé "arrêtés de compte" dans le but de régulariser des heures supplémentaires et des repos compensateurs sans s'acquitter des cotisations correspondantes, M. [A] indiquant que pour l'année 2005 avait été relevé un montant de 20 900 euros de salaires dissimulés ; que des protocoles ont été signés sous la forme d'arrêtés de compte pour heures supplémentaires non réglées et repos compensateur avec Mme [Z] les 25 février 2006 et 5 septembre 2006, avec M. [X] [L] le 30 décembre 2005, avec M. [T] les 22 octobre 2005 et 21 avril 2006, moyennant paiement à ces salariés de sommes portant sur plusieurs centaines d'euros ; que l'examen des pièces produites au dossier de Mme [F] démontre que de tels protocoles ont été établis, sous l'intitulé "arrêtés de compte" les 11 mai et 27 décembre 2005 (l'exemplaire présent au dossier étant signé par M. [K] et non par Mme [F]), faisant état de manière identique en préambule des demandes de la salariée de paiement de rappels d'heures supplémentaires non réglées et repos compensateur, du souhait de celle-ci de saisir la juridiction prud'homale et de pressions morales et physiques alléguées par Mme [F], enfin de la contestation par la société SU 69 SOS ambulances 69 des prétentions de Mme [F] qui n'apportait pas la preuve, notamment, de la réalité des heures supplémentaires, l'ensemble conduisant à un accord valant transaction définitive par versement d'une indemnité de 800 euros dans le premier document, de 2 400 euros dans le deuxième ; que figurent également dans ces pièces un autre document daté du 27 décembre 2005, intitulé "protocole transactionnel" signé par la salariée et Mme [U], épouse [K], pour la société SU 69 portant également transaction sur la base de 2 400 euros, dont le préambule fait état d'une promesse qui n'aurait pas été tenue de confier de plus grandes responsabilités à Mme [F], le versement de l'indemnité de 2 400 euros emportant pour les parties renonciation irrévocable à tous les droits ou actions ou indemnités de quelque nature qu'elles soient qui résulteraient de l'exécution du contrat de travail de Mme [F] ; qu'un document identique figure également au dossier de Mme [F], concernant le même chef de litige, l'indemnité étant de 3 600 euros ; qu'il convient de noter que deux protocoles transactionnels pour des motifs exactement identiques au précédent, ont été signés le 23 décembre 2005 par MM. [P] et [Y], pour des sommes de 1 600 euros pour le premier et de 1 200 euros pour le second, les protocoles étant à ce point interchangeables que celui signé par M. [P] mentionne en dernière page une renonciation irrévocable à quelques actions ou indemnités que ce soit qui résulteraient de l'exécution du contrat de travail de M. [Y] ; que la séquence de ces documents illustre l'évolution de la pratique des prévenus, dans laquelle les "arrêtés de compte" antérieurs ont été remplacés par des protocoles transactionnels sur des fondements fallacieux évitant que soit évoqué le problème des heures supplémentaires et permettant de contourner les règles sanctionnées par l'arrêt du 22 février 2005 susmentionné ; que le procès-verbal de l'URSSAF du 27 juin 2008 relevait le caractère quelque peur curieux de certains motifs invoqués (non notification du droit à la formation alors que celui-ci pouvait se cumuler sur une durée de six ans qui n'était pas écoulée) pour justifier d'une indemnité transactionnelle ; qu'il résulte de façon suffisante de l'ensemble de ces éléments, outre les déclarations des salariés, que les prévenus ont continué au cours de la période de la prévention la pratique d'arrêtés transactionnels visant à payer sous forme "d'indemnités" des heures supplémentaires qui dépassaient les limites fixées par le droit du travail et l'accord-cadre du 4 mai 2000, qu'ils faisaient ainsi échapper aux déclarations et cotisations sociales ; qu'il y a lieu en conséquence d'entrer en voie de condamnation contre les trois prévenus, les faits ayant été commis par M. [K] au nom et pour le compte de la société SU 69 SOS ambulances 69 ; qu'il y a lieu, compte tenu du nombre de salariés concernés de prononcer contre M. [K] et Mme [U], épouse [K], une peine de trois mois d'emprisonnement assortis du sursis et de confirmer contre les trois prévenus les peines d'amende prononcées par le tribunal ; que la publication du jugement n'apparaît pas nécessaire ;

"1°) alors que seules les indemnités transactionnelles ayant pour objet exclusif le paiement d'heures supplémentaires ou du droit au repos compensateur suite à des revendications salariales, sont susceptibles de relever du délit de travail dissimulé par non déclaration d'heures supplémentaires ; que tel ne peut être le cas d'indemnités transactionnelles ayant pour objet de mettre un terme à d'autres litiges existants entre la société SU 69 et les salariés concernés, comme la promesse non tenue de confier de plus grandes responsabilités, ou l'existence de pressions morales, expressément constatées par les énonciations de l'arrêt attaqué ; qu'en se bornant à qualifier de fallacieux les fondements ainsi évoqués, quand ces protocoles avaient autorité de chose jugée en dernier ressort et qu'aucune partie signataire ne les avait remis en cause devant la juridiction prud'homale, et sans pour autant établir qu'ils avaient pour but exclusif le règlement d'heures supplémentaires, la cour d'appel a dénaturé les termes de ces protocoles transactionnels et privé sa décision de toute base légale ;

"2°) alors que les juges du fond sont tenus de répondre aux chefs péremptoires des conclusions dont ils sont régulièrement saisis ; qu'en l'espèce, dans ses conclusions régulièrement déposées, la société SU 69 invoquait le fait qu'en s'abstenant de toutes observations pendant plus de dix-huit mois après son contrôle opéré le 30 juin 2006, l'URSSAF avait implicitement accepté la validité des opérations antérieures au 30 juin 2006 ; qu'en se bornant à retenir comme constitutifs du délit de travail dissimulé des protocoles transactionnels conclus avant cette date, sans même répondre à cet argument déterminant de nature à les exclure du champ de la prévention, la cour d'appel a privé sa décision de base légale et méconnu les textes visés au moyen" ;

Les moyens étant réunis ;

Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel a, sans insuffisance ni contradiction, répondu aux chefs péremptoires des conclusions régulièrement déposées devant elle et caractérisé, en tous leurs éléments, tant matériel qu'intentionnel, les délits de travail dissimulé, dont elle a déclaré les prévenus coupables ;

D'où il suit que les moyens, qui reviennent à remettre en question l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne sauraient être accueillis ;

Mais sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 475-1, 480-1 et 591 du code de procédure pénale, manque de base légale :

"en ce que l'arrêt attaqué a condamné solidairement les époux [K] et la société SU 69 à verser aux parties civiles différentes sommes au titre de l'article 475-1 du code de procédure pénale ;

"alors que la solidarité édictée par l'article 480-1 du code de procédure pénale pour les restitutions et dommages et intérêts n'est pas applicable au paiement des frais non recouvrables de l'article 475-1 du code de procédure pénale ; qu'en condamnant solidairement les prévenus, à payer 1 000 euros à chacune des parties civiles sur le fondement de l'article 475-1 du code de procédure pénale, la cour d'appel a méconnu les textes précités" ;

Vu les articles 475-1 et 480-1 du code de procédure pénale ;

Attendu que la solidarité édictée par le second de ces textes pour les restitutions et les dommages-intérêts n'est pas applicable au paiement des frais non recouvrables, lesquels ne peuvent donner lieu qu'à une condamnation in solidum ;

Attendu que l'arrêt condamne solidairement les prévenus à verser les sommes allouées aux parties civiles au titre de l'article 475-1 du code de procédure pénale ;

Mais attendu qu'en prononçant ainsi, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé ;

D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ; qu'elle aura lieu sans renvoi, la Cour de cassation étant en mesure d'appliquer directement la règle de droit et de mettre fin au litige, ainsi que le permet l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire ;

Par ces motifs :

CASSE et ANNULE, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Lyon, en date du 29 mai 2013, mais en ses seules dispositions ayant prononcé solidairement les condamnations des prévenus au titre de l'article 475-1 du code de procédure pénale, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

DIT que les condamnés sont tenus in solidum au paiement des sommes allouées au titre de l'article 475-1 du code de procédure pénale ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

FIXE à 4 000 euros la somme globale que M. et Mme [K] et la société SU 69 devront payer aux parties représentées par la société civile professionnelle Masse-Dessen-Thouvenin-Coudray, avocat à la Cour, au titre de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Lyon et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le trente mars deux mille seize ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.

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