5 avril 2016
Cour de cassation
Pourvoi n° 13-22.491

Chambre commerciale financière et économique - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2016:CO00248

Titres et sommaires

UNION EUROPEENNE - Coopération judiciaire en matière civile - Compétence judiciaire, reconnaissance et exécution des décisions - Règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 - Article 6, point 1 - Conditions - Connexité entre les demandes - Cas - Demandes inscrites dans une même situation de fait et de droit

En application de l'article 6, point 1, du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, une personne domiciliée sur le territoire d'un Etat membre peut être attraite, s'il y a plusieurs défendeurs, devant le tribunal du domicile de l'un d'eux, lorsque les demandes sont liées entre elles par un rapport si étroit qu'il y a un intérêt à les instruire et à les juger en même temps afin d'éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément. Méconnaît cette règle la cour d'appel qui l'écarte au motif que l'harmonisation du droit communautaire dans le domaine en cause exclut le risque de solutions inconciliables, alors qu'elle avait relevé que les demandes s'inscrivaient dans une même situation de fait et de droit, ce qui caractérisait un tel risque

Texte de la décision

COMM.

LM

COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 5 avril 2016


Cassation


Mme MOUILLARD, président


Arrêt n° 248 FS-P+B

Pourvoi n° R 13-22.491




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par la société Decathlon, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2],

contre l'arrêt rendu le 19 avril 2013 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 2), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société Delta Sport Handelskontor GmbH, société de droit allemand, dont le siège est [Adresse 5]),

2°/ à la société Lidl Stiftung & Co KG, société de droit allemand, dont le siège est [Adresse 4]),

3°/ à la société Lidl UK GmbH, société de droit anglais, dont le siège est [Adresse 1] (Royaume-Uni),

4°/ à la société Lidl Belgium GmbH & Co KG, société de droit belge, dont le siège est [Adresse 3]),

défenderesses à la cassation ;

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;

Vu la communication faite au procureur général ;

LA COUR, composée conformément à l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 2 février 2016, où étaient présents : Mme Mouillard, président, M. Grass, conseiller rapporteur, Mme Riffault-Silk, conseiller doyen, Mmes Laporte, Bregeon, M. Fédou, Mmes Darbois, Orsini, Poillot-Peruzzetto, M. Sémériva, Mme Bélaval, conseillers, M. Contamine, Mmes Tréard, Le Bras, M. Gauthier, conseillers référendaires, M. Mollard, avocat général référendaire, M. Graveline, greffier de chambre ;

Sur le rapport de M. Grass, conseiller, les observations de la SCP Hémery et Thomas-Raquin, avocat de la société Decathlon, de la SCP Célice, Blancpain, Soltner et Texidor, avocat des sociétés Lidl Stiftung & Co KG, Lidl UK GmbH et Lidl Belgium GmbH & Co KG, de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société Delta Sport Handelskontor GmbH, l'avis de M. Mollard, avocat général référendaire, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Sur le moyen unique :

Vu l'article 6, point 1, du règlement (CE) n° 44/2001, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale ;

Attendu qu'aux termes de ce texte, une personne domiciliée sur le territoire d'un Etat membre peut être attraite, s'il y a plusieurs défendeurs, devant le tribunal du domicile de l'un d'eux, à condition que les demandes soient liées entre elles par un rapport si étroit qu'il y a un intérêt à les instruire et à les juger en même temps afin d'éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société Decathlon a assigné devant le tribunal de grande instance de Paris les sociétés de droit français Lidl SNC (la société Lidl), de droit allemand Lidl Stiftung & Co KG (la société Lidl Stiftung), de droit anglais Lidl UK GmbH (la société Lidl UK) et de droit belge Lidl Belgium GmbH & Co KG (la société Lidl Belgium) pour des actes de contrefaçon et de concurrence déloyale relatifs à un équipement de golf qu'elle commercialise sous la dénomination de Ygolf et pour lequel elle a déposé, le 18 novembre 2008, un modèle communautaire, enregistré le 18 février 2009, relatif à la tête des clubs composant le kit Ygolf ; que les sociétés Lidl Stiftung, Lidl UK et Lidl Belgium ainsi que la société Delta Sport Handelskontor GmbH (la société Delta Sport), fournisseur des têtes de club de golf commercialisées par les sociétés Lidl et intervenue volontairement à l'instance, ont soulevé devant le juge de la mise en état l'incompétence du juge français pour connaître des faits de contrefaçon commis en dehors du territoire français ;

Attendu que pour déclarer le tribunal de grande instance de Paris incompétent pour statuer sur les demandes formées par la société Decathlon contre les sociétés Lidl Stiftung, Lidl UK, Lidl Belgium, l'arrêt constate que la demande de la société Decathlon à l'égard des sociétés Lidl et de leur fournisseur concerne un modèle communautaire déposé, est dirigée contre des codéfendeurs qui appartiennent au même groupe, exercent sous la même enseigne, ont le même fournisseur du produit litigieux, et vise la vente sur le territoire de l'Union européenne d'un seul et même produit revêtu de la même marque, distribué au public selon les mêmes présentations, au moyen notamment de sites Internet comportant des noms de domaines proches, tous enregistrés au nom de la société Lidl Stiftung et reliés par un site Internet commun à tous les pays concernés par la présente action, www.lidl.com ; qu'il relève que nonobstant l'indépendance territoriale des faits de contrefaçon reprochés, la demande formée par la société Decathlon à l'égard de chacune des sociétés intimées s'inscrit dans une même situation de fait et que les demandes sont liées entre elles par un lien étroit ; qu'il retient que, cependant, cette situation de fait, dès lors qu'il s'agit du même titre communautaire, s'inscrit dans une même situation de droit en raison de l'harmonisation du droit communautaire en cette matière, de sorte que rien ne permet d'affirmer qu'il existe un risque de solutions inconciliables si les causes étaient jugées séparément ;

Qu'en statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que les demandes s'inscrivaient dans une même situation de fait et de droit, ce qui caractérisait un risque de solutions inconciliables si elles étaient jugées séparément, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 19 avril 2013, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;

Condamne les sociétés Lidl Stiftung & Co KG, Lidl UK GmbH, Lidl Belgium GmbH & Co KG et Delta Sport Handelskontor GmbH aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette leurs demandes et les condamne à payer à la société Decathlon la somme globale de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du cinq avril deux mille seize, signé par Mme Mouillard, président, et par Mme Riffault-Silk, conseiller doyen, qui en a délibéré, en remplacement de M. Grass, conseiller rapporteur, empêché.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Hémery et Thomas-Raquin, avocat aux Conseils, pour la société Decathlon

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré le Tribunal de Grande Instance de PARIS incompétent pour statuer sur les demandes formées par la société DECATHLON contre les sociétés LIDL Belgium GmbH & Co KG, LIDL UK GmbH et LIDL Stiftung & Co KG pour ce qui concerne les actes de contrefaçon commis sur les territoires belge, anglais et allemand, renvoyé la société DECATHLON à mieux se pourvoir et de l'avoir condamnée au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et des dépens ;

AUX MOTIFS QUE « l'article 8-1 du Règlement CE n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 (anciennement article 6-2 du Règlement CE n° 44/2001) qui dispose : « Une personne domiciliée sur le territoire d'un Etat membre peut être aussi attraite : 1) s'il y a plusieurs défendeurs, devant le tribunal du domicile de l'un d'eux, à condition que les demandes soient liées entre elles par un rapport si étroit qu'il y a intérêt à les instruire et à les juger en même temps afin d'éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément » est une exception au principe de la compétence du tribunal du domicile du défendeur ; que cette compétence spéciale [qui] déroge au principe de la compétence des juridictions de l'Etat membre sur le territoire duquel le défendeur a son domicile, prévu à l'article 4-1 (anciennement 2 du Règlement CE n° 44/2001 précité) dudit règlement, doit être interprétée façon stricte ; qu'en l'espèce, la demande de la société DECATHLON à l'égard de l'ensemble des sociétés LIDL et de leur fournisseur concerne un modèle communautaire déposé ; que cette demande est dirigée contre des codéfendeurs qui appartiennent au même groupe, qui exercent sous la même enseigne, ont le même fournisseur du produit litigieux, et incrimine la vente sur le territoire de l'Union européenne d'un seul et même produit revêtu de la même marque, distribué au public selon les mêmes présentations, au moyen notamment de sites Internet comportant des noms de domaines proches, tous enregistrés au nom de la société LIDL Stiftung et reliés par un site Internet commun à tous les pays concernés par la présente action, www.lidl.com ; qu'il s'ensuit que nonobstant l'indépendance territoriale des faits de contrefaçon reprochés, la demande formée par la société DECATHLON à l'égard des sociétés intimées s'inscrit dans une même situation de fait et les demandes sont liées entre elles par un lien étroit ; que cependant, cette situation de fait, dès lors qu'il s'agit du même titre communautaire, s'inscrit dans une même situation de droit en raison de l'harmonisation du droit communautaire en cette matière, de sorte que rien ne permet d'affirmer qu'il existe un risque de solutions inconciliables si les causes étaient jugées séparément ; qu'il s'ensuit qu'il convient en conséquence, par substitution de motifs, de confirmer l'ordonnance entreprise » (cf. arrêt p. 7 et 8) ;

ALORS QU'en application de l'article 6, point 1, du Règlement CE n° 44/2001 du 22 décembre 2000, un défendeur peut être attrait, « s'il y a plusieurs défendeurs, devant le tribunal du domicile de l'un d'eux, à condition que les demandes soient liées entre elles par un rapport si étroit qu'il y a un intérêt à les instruire et à les juger en même temps afin d'éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément » ; qu'afin que des décisions puissent être considérées comme contradictoires, il ne suffit pas qu'il existe une divergence dans la solution du litige, il faut encore que cette divergence s'inscrive dans le cadre d'une même situation de fait et de droit ; que si l'identité des fondements juridiques des actions introduites contre les différents défendeurs n'est pas une condition indispensable pour l'application de cet article, en sorte qu'une différence de fondements juridiques entre ces actions ne fait pas en soi obstacle à son application, l'identité de leur fondement juridique est un facteur pertinent de nature à justifier d'un risque de décisions inconciliables et non à exclure ce risque ; qu'en retenant au contraire, en l'espèce, que bien que les demandes formées par la société DECATHLON à l'égard des sociétés intimées s'inscrivent « dans une même situation de fait » et que les demandes soient « liées entre elles par un lien étroit », « rien ne permet d'affirmer qu'il existe un risque de solutions inconciliables si les causes étaient jugées séparément » dès lors que « le même titre communautaire » étant en cause, cette situation de fait « s'inscrit dans une même situation de droit en raison de l'harmonisation du droit communautaire en cette matière », la Cour d'appel a violé l'article 6 précité du Règlement CE n° 44/2001 du 22 décembre 2000, ensemble l'article 79 du Règlement CE n° 6/2002 du 12 décembre 2001 sur les dessins ou modèles communautaires.

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