30 avril 2020
Cour d'appel de Versailles
RG n° 19/00574

3e chambre

Texte de la décision

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 61B



3e chambre



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 30 AVRIL 2020



N° RG 19/00574



N° Portalis DBV3-V-B7D-S5ND



AFFAIRE :



CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DES HAUTS DE SEINE



C/



SAS LABORATOIRES SERVIER INDUSTRIE

...







Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 04 Octobre 2018 par le Tribunal de Grande Instance de NANTERRE

N° Chambre : 2ème

N° RG : 16/06423



Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :









Me Jean-michel HOCQUARD



Me Christophe DEBRAY

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE TRENTE AVRIL DEUX MILLE VINGT

prorogé du VINGT SIX MARS DEUX MILLE VINGT,

La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :



CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DES HAUTS DE SEINE

[Adresse 2]

[Localité 6]

agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège



Représentant : Me Jean-michel HOCQUARD, Postulant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0087 - N° du dossier 320415

Représentant : Me Françoise MARTIN, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0087 - N° du dossier 320415



APPELANTE



****************



1/ SAS LABORATOIRES SERVIER INDUSTRIE

[Adresse 5]

[Localité 3]

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège



2/ SAS LES LABORATOIRES SERVIER

N° SIRET : 085 480 796

[Adresse 4]

[Localité 7]

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège



Représentant : Me Christophe DEBRAY, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 627 - N° du dossier 19051

Représentant : Me Nathalie CARRERE de la SCP PONS ET CARRERE, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : A193



INTIMEES





****************



Composition de la cour :



En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 06 Février 2020 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Marie José BOU Président et Madame Françoise BAZET, Conseiller chargé du rapport.



Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :



Madame Marie-José BOU, Président,

Madame Françoise BAZET, Conseiller,

Madame Caroline DERNIAUX, Conseiller,



Greffier, lors des débats : Madame Claudine AUBERT


FAITS ET PROCÉDURE



Mme [M] [H], assurée auprès de la CPAM des Hauts-de-Seine, a présenté en 1999 une hypertension artérielle pulmonaire primitive.



Prétendant avoir suivi un traitement par le médicament Médiator, de 1995 à 1999, commercialisé par les Laboratoires Servier, Mme [H] a assigné, par acte du 19 mai 2011, les sociétés Les Laboratoires Servier et Les Laboratoires Servier Industrie devant le juge des référés du tribunal de grande instance de Nanterre qui, par ordonnance du 12 juillet 2011, a désigné M. [R], en qualité d'expert. Celui-ci a déposé son rapport le 31 mars 2014.



Mme [H] ainsi que ses proches, ont, par actes d'huissier des 5 et 8 septembre 2014, assigné devant le tribunal de grande instance de Nanterre, les sociétés Les Laboratoires Servier et Les Laboratoires Servier Industrie (les laboratoires Servier) ainsi que la CPAM des Hauts-de-Seine afin de faire constater la responsabilité des laboratoires dans les conséquences dommageables consécutives à la prise du Médiator dont Mme [H] a été victime.



Mme [H] est décédée le [Date décès 1] 2015.



Par ordonnance du 29 mai 2015, le juge de la mise en état a déclaré parfait le désistement d'instance et d'action des parties et a constaté l'extinction de l'instance et le dessaisissement du tribunal.



Par ordonnance du 15 septembre 2015, le juge de la mise en état a modifié la précédente ordonnance rendue et a constaté que le désistement d'instance et d'action était partiel, ne concernant que le lien d'instance entre les consorts [H] et la société Les Laboratoires Servier et a dit que l'instance se poursuivait entre les laboratoires Servier et la CPAM des Hauts-de-Seine.



Par ordonnance du 29 novembre 2016, le juge de la mise en état a rejeté la demande de sursis à statuer formée par les laboratoires.



Par jugement du 4 octobre 2018, le tribunal a :



- débouté les laboratoires Servier de leur demande de révocation de l'ordonnance de clôture et la CPAM des Hauts-de-Seine de sa demande de renvoi de l'instance devant le juge de la mise en état,

- dit que la CPAM des Hauts-de-Seine ne rapporte pas la preuve que les conditions de la responsabilité des laboratoires Servier sont réunies,

- débouté en conséquence la CPAM des Hauts-de-Seine de l'ensemble de ses demandes

- condamné la CPAM des Hauts-de-Seine aux entiers dépens,

- dit n'y avoir lieu à ordonner l'exécution provisoire de la décision,

- rejeté pour le surplus des demandes.



Par acte du 24 janvier 2019, la CPAM des Hauts-de-Seine a interjeté appel et demande à la cour, par dernières écritures du 6 janvier 2020, de :



- infirmer le jugement dont appel en toutes ses dispositions,



Statuant à nouveau,



- constater la responsabilité exclusive des laboratoires Servier dans les conséquences dommageables consécutives à la prise du médicament Médiator, dont a été victime Mme [H],

En conséquence,



- condamner in solidum les laboratoires Servier à lui verser la somme de 429 411,21 euros au titre du remboursement des prestations versées à feu Mme [H],



- condamner in solidum les mêmes à lui régler les intérêts au taux légal sur la somme de 285 907,83 euros à compter du 13 mai 2015 et pour le surplus à compter du 8 janvier 2016, ces intérêts formant anatocisme à l'expiration d'une année conformément à l'article 1343-2 du code civil,



- constater que les laboratoires Servier sont également redevables de l'indemnité forfaitaire prévue à l'alinéa 9 de l'article L376-1 du code de la sécurité sociale dont le montant a été actualisé par arrêté du 27 décembre 2019 à la somme de 1 091 euros et les condamner in solidum à en assurer le versement,



- condamner in solidum les mêmes à lui régler la somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,



- débouter les mêmes de leur demande faite en application de l'article 700 du code de procédure civile,



- condamner in solidum les mêmes au paiement des entiers dépens de première instance et d'appel, avec recouvrement direct



Par dernières écritures du 7 janvier 2020, les laboratoires Servier demandent à la cour de :



A titre principal :



- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la CPAM de l'ensemble de ses demandes, faute pour elle de démontrer que les conditions de leur responsabilité sont réunies,



- condamner la CPAM au paiement d'une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens, avec recouvrement direct



A titre subsidiaire :



- juger qu'à la date à laquelle Mme [H] aurait été exposée au Médiator, entre 1995 et 1999, l'état des connaissances scientifiques ne permettait pas à la société Les Laboratoires Servier d'avoir connaissance du risque d'HTAP associé à la prise du médicament, de sorte que les informations contenues dans la notice de celui-ci ne pouvaient faire mention de ce risque,



- juger en conséquence que la société Les Laboratoires Servier est fondée à se prévaloir des dispositions de l'article 1245-10-4° du code civil prévoyant une exonération de responsabilité pour risque de développement,



- débouter en conséquence la CPAM de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions.



A titre plus subsidiaire :





- juger que la CPAM n'établit pas que les prestations servies postérieurement au 16 janvier 2012 sont en lien avec la prise du Mediator,



- la débouter en conséquence de ses demandes de prise en charge des dites prestations, à savoir :




hospitalisations :





du 7 juin 2012 : 1 950 euros

du 20 février 2013 : 595,05 euros

du 30 juin au 2 août 2013 : 10 749 euros

du 1er au 4 avril 2014 : 5 850 euros

du 9 au 11 avril 2014 : 3 900 euros

du 5 au 13 mai 2014 : 15 600 euros

du 24 au 27 juin 2014 : 5 850 euros

du 11 au 13 juillet 2014 : 1 759,72 euros

du 14 juillet au 1er août 2014 : 35 100 euros

du 19 au 25 décembre 2014 : 11 700 euros

du 25 décembre 2014 au [Date décès 1] 2015 : 59 154,69 euros





frais médicaux et pharmaceutiques : 44 486,60 euros





frais de transport du 11 juillet 2014, d'un montant de 770,85 euros




- juger que sont sans lien avec le fait dommageable les hospitalisations suivantes :




hospitalisation du 4 au 5 septembre 2003 : 4 119,26 euros

hospitalisation du 31 mars au 20 avril 2010 : 24 700 + 7 435,95 + 7 600 euros

hospitalisation du 20 au 29 avril 2011 : 5 470,64 euros

hospitalisation du 16 au 24 mai 2011 : 9 951,52 euros

hospitalisation du 18 août au 1er septembre 2011 : 7 280 euros

hospitalisation du 11 au 16 novembre 2011 : 5 758 euros




- en conséquence, fixer comme suit le montant de la créance dont la CPAM justifie :




frais d'hospitalisation exposés avant le 12 janvier 2012 en lien avec le fait dommageable : 168 246,79 euros




- débouter la CPAM des Hauts-de-Seine de ses plus amples demandes.



A titre plus subsidiaire encore :



- juger que les frais de transport du 11 juillet 2014 ne seront remboursés que dans la limite de 65% soit à hauteur de 501,05 euros,



- débouter en conséquence la CPAM de ses plus amples demandes.



La cour renvoie aux écritures des parties en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile pour un exposé complet de leur argumentation.



L'ordonnance de clôture a été rendue le 9 janvier 2020.




SUR QUOI, LA COUR



Le tribunal a rejeté les demandes formées par la CPAM des Hauts de Seine au motif qu'outre le fait qu'elle n'en précisait pas le fondement juridique, elle ne démontrait pas que Mme [H] ait pris le médicament Mediator, ni qu'elle ait subi des dommages en lien direct et certain avec ce médicament. Le tribunal a observé que la CPAM des Hauts de Seine ne développait aucun moyen de droit ou de fait de nature à établir la responsabilité des laboratoires Servier dans la survenance des dommages qu'aurait subis Mme [H] du fait de la prise du Mediator et qu'elle ne produisait pas de pièces médicales ou d'éléments de preuve de cette responsabilité, notamment le rapport d'expertise médicale évoqué dans ses écritures.



La CPAM des Hauts de Seine précise tout d'abord qu'elle fonde ses demandes sur l'article L376-1 du code de la sécurité sociale, lui donnant la faculté d'exercer dans les limites des sommes qu'elle a payées à son assurée, les droits dont cette dernière était titulaire contre les laboratoires Servier et notamment ceux résultant de l'article 1245 du code civil (anciennement 1386-1 et suivants) au titre de la responsabilité extracontractuelle du fait des produits défectueux.



La CPAM rappelle que le Médiator est un médicament dont le principe actif est le Benfluorex, qu'il a été fabriqué et commercialisé en France à partir de 1976 par la société Les Laboratoires Servier et a fait l'objet d'une autorisation de mise sur le marché comme adjuvant au régime adapté chez les personnes diabétiques présentant une surcharge pondérale. Elle souligne que postérieurement à sa commercialisation, plusieurs enquêtes de pharmacovigilance ont mis en évidence une augmentation des risques de valvulopathie et d'hypertension artérielle pulmonaire (HTAP) chez les patients traités par Benfluorex. Elle affirme que ce lien entre la prise du Mediator et les valvulopathies et HTAP développées fut consacré , dés 1995, par de nombreuses études de médecins et experts et que l'AFSSAPS a décidé, le 24 novembre 2009 de suspendre, puis de retirer l'autorisation de mise sur le marché de ce médicament le 20 juillet 2010.



La CPAM des Hauts de Seine affirme que le Médiator n'a jamais offert la sécurité à laquelle les victimes pouvaient légitimement s'attendre, que les laboratoires Servier ont d'une part sciemment détourné les indications thérapeutiques du médicament en tentant de faire la démonstration de l'action de la molécule sur le métabolisme des lipides et des glucides en vue de sa reconnaissance en qualité de médicament anti-diabétique et d'autre part omis de mentionner certains effets indésirables sur la notice destinée au grand public, tels que l'hypertension artérielle pulmonaire et les valvulopathies.



Elle avance que si la cour estimait que les conditions de la responsabilité sur le fondement des articles 1245 et suivants du code civil n'étaient pas réunies, il sera fait droit à ses demandes sur le fondement de la responsabilité pour faute de l'article 1240 du code civil.



Elle ajoute que les laboratoires Servier ont conclu avec les consorts [H] un accord qui vaut reconnaissance de leur responsabilité et auquel elle n'a pas été associée. Cette transaction lui permet, du fait de la subrogation, de prétendre au remboursement de sa créance voire au versement d'une pénalité sans avoir à démontrer la responsabilité du tiers responsable.



Les laboratoires Servier répliquent que la mise en jeu de leur responsabilité impose que deux conditions soient réunies : l'imputabilité du dommage allégué au traitement en cause et l'existence d'un fait générateur de responsabilité à l'origine du dommage, en l'espèce un défaut du produit.



S'agissant de l'imputabilité du dommage au traitement allégué, les intimées font valoir que la CPAM ne produit aucune pièce établissant la réalité du traitement allégué et notamment les pièces justifiant de la prescription et de la délivrance de Médiator, ou de son remboursement à Mme [H], les attestations de débours et d'imputabilité étant insuffisantes à rapporter cette preuve.



Les laboratoires Servier observent que le rapport de l'IGAS de janvier 2011, sur lequel se fonde l'appelante, appelle de sérieuses critiques dés lors qu'il a été établi sans même que ses auteurs aient jugé utile de recueillir leurs explications et après des travaux menés dans la précipitation. Elles affirment que le professeur [X] [G], qu'elles avaient mandaté, a établi un rapport qui souligne les incohérences et les inexactitudes scientifiques du rapport de l'IGAS.



Elles poursuivent en soulignant que s'il est admis que le caractère anormalement dangereux d'un produit peut être déduit de l'insuffisance des informations et mises en garde figurant sur celui-ci, le défaut n'est pas caractérisé si, lors de la mise en circulation du produit, les données acquises de la science ne permettaient pas de porter à la connaissance du public un risque qui s'est pourtant révélé ultérieurement.



Si, comme il est soutenu, Mme [H] a suivi un traitement par Médiator entre 1995 et 1999, les intimées affirment que le suivi de pharmacovigilance mis en place en 1995 n'a pas permis d'identifier de risque cardiovasculaire avant 2009, ce qui ressort des comptes-rendus de la commission nationale de pharmacovigilance de 2005 et 2007. Elles font valoir que ce sont les données actualisées des études dont les résultats ont été connus en 2009 ainsi qu'une publication parue également en 2009 qui ont conduit à la décision de retirer au médicament son autorisation de mise sur le marché en raison d'un risque de cardiotoxicité identifié à cette date, observant que la communauté scientifique a considéré jusqu'en 2011 que peu de cas de troubles cardiaques étaient rapportés et sans lien causal avéré.



Les laboratoires Servier concluent que la CPAM des Hauts de Seine ne démontre pas que le médicament présentait un caractère défectueux et qu'en tout état de cause ils rapportent la preuve d'une cause d'exonération pour risque de développement sur le fondement de l'article 1245-10 4° du code civil.



* * *



- Sur le caractère défectueux du Médiator



Le Médiator, ayant pour indication initiale le traitement des hypertriglycéridémies et du diabète de type2, mais étant de fait également prescrit dans un but d'amaigrissement, a été commercialisé par la société Les laboratoires Servier en France à partir de 1976, après autorisation de mise sur le marché (AMM) en 1974. Ce médicament a fait l'objet d'une décision de suspension d'AMM en novembre 2009, puis de retrait en juin 2010, en raison de sa toxicité cardio-vasculaire, caractérisée par un risque d'hypertension artérielle pulmonaire et de valvulopathies, et de son efficacité modeste dans la prise en charge du diabète de type 2. L'AFSSAPS (Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé) a invité en décembre 2010 tous les patients traités par Médiator, recensés par les données des CPAM, à consulter, en raison notamment d'un risque de mauvais fonctionnement des valves cardiaques.



Le législateur a créé, par la loi du 29 juillet 2011, un mécanisme d'indemnisation amiable des personnes traitées par Benfluorex. Au cas présent, les laboratoires Servier ont indemnisé les proches de Mme [H], décédée le [Date décès 1] 2015.



Il y a donc lieu de juger, ce qui n'est pas sérieusement discuté par les intimées, que le Médiator est un produit défectueux, comme n'offrant pas la sécurité à laquelle ses utilisateurs peuvent légitimement s'attendre, en ce que, d'une part les risques afférents à son utilisation dépassent son intérêt thérapeutique, et, d'autre part, ces mêmes risques n'ont été portés à la connaissance ni des médecins ni des patients.



- Sur l'exposition de Mme [H] au Mediator et l'imputabilité du dommage au médicament



Les laboratoires Servier ont indemnisé les proches de Mme [H]. Ils indiquent dans leurs écritures que s'ils se sont publiquement engagés à 'indemniser les personnes ayant souffert des effets indésirables du Médiator', cet engagement moral ne saurait s'analyser en une reconnaissance de responsabilité au sens juridique du terme. Toutefois, la cour observe que, comme l'écrivent les intimées, l'indemnisation n'a bénéficié qu'aux personnes ayant souffert des effets indésirables du Médiator, de sorte que l'indemnisation des proches de Mme [H] induit une reconnaissance implicite de ce que celle-ci avait pris ce médicament.



En tout état de cause, l'expert, M. [R], a noté, en page 6 de son rapport, que les ordonnances du docteur [N] des 1er octobre 1996, 24 octobre 1998, 8 décembre 1998 et celle du docteur [Z] du 20 mai 1999 comportaient des prescriptions de Médiator à raison de 3 comprimés par jour et que la lettre du docteur [N] suggérait une continuité de 52 mois entre juin 1995 et 1999. L'expert observe également que le compte rendu d'hospitalisation du 3 mai 1999 mentionnait le Médiator comme faisant partie du traitement usuel de Mme [H].



L'exposition au médicament se trouve ainsi suffisamment établie.



Le diagnostic de HTAP a été posé lors de l'hospitalisation de Mme [H] du 3 mai au 10 mai 1999.



L'expert conclut ainsi : 'En ce qui concerne Madame [M] [H], le diagnostic est formel de par les investigations menées à l'Hôpital [8]. S'il en était besoin, il est même affirmé histologiquement par l'analyse du poumon explanté. Aucune autre étiologie d'hypertension pulmonaire n'ayant été retrouvée malgré le bilan exhaustif réalisé, seul le Médiator peut être considéré dans le cas de Madame [M] [H] comme associé au développement de l'hypertension pulmonaire'. Cette hypertension est exclusive, sans valvulopathie associée, elle est initiale et ne complique aucune autre pathologie connue. Elle a un rôle majeur dans l'ensemble de la pathologie de Mme [H], ayant conduit à 'une transplantation pulmonaire qui est donc une complication de l'hypertension pulmonaire et l'ensemblede la transplantation et des complications est à rattacher à une complication du Médiator, la transplantation ne constitue qu'un des traitements'.



Il n'est pas développé par les intimées de critique pertinente de nature à remettre en cause ces conclusions et il sera jugé que la preuve est ainsi suffisamment rapportée que les dommages subis par Mme [H] sont imputables au Médiator.





- Sur l'exonération de responsabilité



L'article 1386-11 du code civil (devenu l'article 1245-10) dispose que le producteur est responsable de plein droit à moins qu'il ne prouve que l'état des connaissances scientifiques et techniques au moment où il a mis le produit en circulation n'a pas permis de déceler ce défaut.



La connaissance personnelle qu'ont pu avoir, ou non, les Laboratoires Servier du défaut lors de la mise en circulation du médicament administré à Mme [H] est donc indifférente. Il doit seulement être recherché si les données scientifiques disponibles entre 1995 et 1999, période d'exposition de Mme [H], permettaient aux Laboratoires Servier de déceler le défaut.



Il importe de préciser que les seules pièces utiles, s'agissant de l'exonération de responsabilité, dont dispose la cour sont celles versées aux débats par les laboratoires Servier. En effet, la CPAM des Hauts de Seine s'est contentée de verser aux débats des décisions, rendues notamment par cette cour, dans lesquelles il est effectivement fait référence à des publications scientifiques pouvant aller dans un sens autre que celles produites par les intimés. Mais il convient de rappeler que ces décisions de justice ne permettent pas de tenir pour exclue l'exonération alléguée, le juge ne pouvant statuer par voie de dispositions générales, observation étant de surcroît faite que ces décisions concernent des périodes d'exposition au Mediator postérieures à celles qui intéressent présentement la cour.



La commercialisation du Médiator a débuté, en France, en août 1976. A compter de l'année 1995, il a fait l'objet d'une enquête de pharmacovigilance confiée au Centre régional de pharmacovigilance de [Localité 9], afin notamment de procéder à l'évaluation régulière du rapport bénéfice-risque.



Le point d'information publié par l'AFSSAPS le 16 novembre 2010 permet de revenir sur les raisons de la mise en place de cette enquête de pharmacovigilance et de retenir les éléments d'information suivants :



Le Médiator (chlorhydrate de Benfluorex) était initialement classifié en tant qu'hypolipidémiant. Son indication a été validée en 1987 en tant qu'adjuvant dans les régimes adaptés aux personnes présentant des hypertriglycéridémies. Puis en 1990, a été validée une nouvelle indication en diabétologie. En 1988, les laboratoires Servier ont demandé à l'AFSSAPS une nouvelle indication thérapeutique dans le traitement du diabète de type 2, qui n'a pas été accordée du fait de l'insuffisance de données d'efficacité.



Le Benfluorex a une structure chimique apparentée à celle des dérivés fenfluraminiques anorexigènes de type Isoméride. Le retrait en France de l'Isoméride et du Pondéral en 1997 a fait suite à la démonstration d'une augmentation du risque d'HTAP. Il est notable que lorsque les fenfluramines ont été retirées du marché, il n'y avait alors pas pour le Benfluorex de tableau d'HTAP ni de valvulopathies comparables à ceux mis en évidence avec les dérivés fenfluraminiques. Toutefois la présence d'un métabolite commun pouvait inspirer deux types d'inquiétudes : on pouvait craindre que le Médiator soit utilisé comme coupe-faim à la place des médicaments anorexigènes retirés du marché, raison pour laquelle le Benfluorex fut interdit dés 1996 dans les préparations magistrales, et on ne pouvait exclure, malgré les différences de classe thérapeutique et de mécanisme d'action principale, que la présence d'un métabolite commun avec les anorexigènes retirés du marché puisse être à l'origine de risques de lésions cardio-vasculaires analogues à celles qui avait été détectées pour les anorexigènes en 1997 aux Etats-Unis. L'Agence a donc mis en place à partir de 1998 un suivi de pharmacovigilance. Les mécanismes pharmacologiques susceptibles d'induire de tels effets n'ont été pleinement élucidés que dans le courant des années 2000.



La commission nationale de pharmacovigilance a considéré, en 2005, que 'compte tenu de l'incidence des HTAP idiopathiques (1 à 2 cas par million et par an) le nombre de cas d'HTAP idiopathiques apportés dans l'enquête ne constitue pas un signal significatif de toxicité du Médiator dans la classe organe cardio-vasculaire'( pièce n°10 des intimées).



La commission renouvelait le même avis le 27 mars 2007 (pièce n°11).



Le 14 juin 2010, la commission européenne décidait de procéder au retrait du Médiator. Les conclusions scientifiques qui ont conduit à cette décision mentionnent que 'la décision de l'autorité compétente française était fondée sur les résultats actualisés d'une étude de pharmacovigilance, les données préliminaires de 3 études cliniques (l'étude rétrospective cas-témoin réalisée dans un hôpital de [Localité 10], l'essai Régulate et les données du fonds national d'assurance maladie française) et d'une publication récente (K. [S] Fenfluramine-like cardiovascular side-effetcs of benfluorex, Eur Respir J 2009; 33:684-688), qui ont décelé un risque de maladies des valves cardiaques et d'hypertension artérielle pulmonaire (HTAP) chez les patients traités par le benfluorex'. Or, ces publications sont toutes bien postérieures à la période d'exposition de Mme [H].



Il doit donc être admis que les laboratoires Servier sont fondés à invoquer, pour la période d'exposition concernée, le bénéfice de l'exonération de responsabilité prévue par l'article 1386-11 du code civil.



La CPAM des Hauts de Seine ne peut par ailleurs valablement soutenir que la transaction conclue entre les consorts [H] et les laboratoires Servier, que la cour ne connaît pas et en ignore donc les termes, suffit à fonder sa demande.



L'article L376-4 du code de la sécurité sociale dispose que la caisse de sécurité sociale de l'assuré est informée du règlement amiable intervenu entre l'assuré et le tiers responsable ou l'assureur. L'assureur ou le tiers responsable ayant conclu un règlement amiable sans respecter cette obligation ne peuvent opposer à la caisse la prescription de leur créance. Ils versent à la caisse, outre les sommes obtenues par celle-ci au titre du recours subrogatoire prévu à l'article L.376-1, une pénalité qui est fonction du montant de ces sommes et de la gravité du manquement à l'obligation d'information, dans la limite de 50 % du remboursement obtenu.



Ce texte n'interdit pas aux Laboratoires Servier d'invoquer le bénéfice de l'exonération de responsabilité.



La CPAM des Hauts de Seine fonde subsidiairement sa demande sur l'article 1382 du code civil (devenu l'article 1240) qui suppose la démonstration d'une faute imputable aux laboratoires Servier. Force est de constater que l'appelante ne consacre aucun développement particulier à ce fondement juridique.



Il y a lieu en conséquence de juger que les demandes formées par la CPAM des Hauts de Seine à l'encontre des laboratoires Servier ne sont pas fondées.



Le jugement sera confirmé en toutes ses dispositions.



La CPAM des Hauts de Seine, qui succombe, sera condamnée aux dépens d'appel avec recouvrement direct.



L'équité ne commande pas l'application de l'article 700 du code de procédure civile au bénéfice des Laboratoires Servier.



PAR CES MOTIFS



La cour,



Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions.



Y ajoutant,



Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile.



Condamne la CPAM des Hauts de Seine aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.



- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.



- signé par Madame Marie-José BOU, Président et par Monsieur Alexandre GAVACHE, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.



Le Greffier,Le Président,

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