20 mai 2020
Cour d'appel de Paris
RG n° 17/11672

Pôle 6 - Chambre 9

Texte de la décision

Copies exécutoiresREPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 9



ARRET DU 20 MAI 2020

(n° , pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 17/11672 - N° Portalis 35L7-V-B7B-B4DRM



Décision déférée à la Cour : Jugement du 27 Juillet 2017 -Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de PARIS - RG n° F13/16423





APPELANT



Monsieur [U] [T]

[Adresse 2]

[Localité 4]



Représenté par Me Stéphane VACCA, avocat au barreau de PARIS, toque : E0795







INTIMÉE



SAS ACCENTURE

[Adresse 1]

[Localité 3]



Représentée par Me Philippe THOMAS du PARTNERSHIPS DECHERT (Paris) LLP, avocat au barreau de PARIS, toque : J096







COMPOSITION DE LA COUR :



En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 04 Mars 2020,en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Sandra ORUS, première présidente de chambre, chargée du rapport.



Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Madame Sandra ORUS, première présidente de chambre

Madame Graziella HAUDUIN, présidente de chambre

Madame Françoise SALOMON, présidente de chambre







Greffier, lors des débats : Madame Anouk ESTAVIANNE













ARRET :

- contradictoire

- mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile

- signé par Madame Sandra ORUS, présidente et par Madame Anouk ESTAVIANNE greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.




RAPPEL DES FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES



M. [U] [T] a été engagé par la SAS Accenture suivant contrat à durée indéterminée à compter du 3 juillet 2006, en qualité de médecin du travail.



Par déclaration reçue au greffe le 12 novembre 2013, M. [T] a saisi le conseil de Prud'hommes de Paris aux fins d'obtenir la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l'employeur.



Après avoir été convoqué à un entretien préalable, suivant lettre recommandée avec accusé de réception du 18 avril 2014, M. [T] a été licencié pour inaptitude suivant lettre recommandée avec accusé de réception du 26 août 2014.



En dernier lieu, sa moyenne de salaire brut s'élevait à 8 434 euros.



L'entreprise, qui employait habituellement environ 3 700 salariés en France lors de la rupture de la relation contractuelle, applique la convention collective des bureaux d'études techniques, des cabinets d'ingénieurs-conseils et des sociétés de conseils.



Estimant avoir été victime de harcèlement moral et ne pas avoir été rempli de l'intégralité de ses droits, M. [T] a saisi, le 8 novembre 2013, le conseil de prud'hommes de Paris qui, par jugement rendu le 27 juillet 2017, notifié le 29 août 2017, auquel la cour se réfère pour l'exposé de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties :

-S'est déclaré compétent pour statuer sur les différentes demandes de M. [T] ;

- A débouté M. [T] de l'integra1ite de ses demandes ;

- A rejeté la demande de la société Accenture au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- A condamné M. [T] aux entiers dépens de l'instance.



Le 19 septembre 2017, M. [T] a interjeté appel du jugement.



Par conclusions transmises le 11 septembre 2018 par voie électronique, auxquelles il est fait expressément référence, M. [T] demande à la cour de :

Infirmer le jugement du conseil de prud'hommes du 27/07/2017 en toutes ses dispositions et rejuger comme suit :

- En réparation du non-respect de l'obligation de sécurité : condamner société Accenture à verser à M. [T] la somme de 100 000 euros à titre de dommages-intérêts ;

- En réparation du harcèlement moral : condamner société Accenture à verser à M. [T] la somme de 250 000 euros à titre de dommages-intérêts ;

- En réparation de discrimination subie : condamner société Accenture à verser à M. [T] la somme de 72 000 euros à titre de dommages-intérêts ;

- Au titre de l'article 1343-2 du Code civil., assortir les condamnations des intérêts de retard au taux légal à compter de la saisine du Conseil de prud'hommes, avec capitalisation des intérêts ;



- Au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, condamner société Accenture à la somme de :

* 6 000 euros pour la procédure de 1ère instance ;

* 4 000 euros pour la procédure d'appel ;

* 2 000 euros pour la procédure d'incident diligentée par société Accenture en appel ;

- Condamner société Accenture aux entiers dépens dans les procédures de 1ère instance et d'appel.



Par conclusions transmises le 21 juin 2018 par voie électronique, auxquelles il est fait expressément référence, la société Accenture demande à la cour de :

A titre principal':

- Confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Paris prononcé le 27 juillet 2017 en toutes ses dispositions, et en conséquence de déclarer :

- que la Société a respecté son obligation de sécurité de résultat,

- que M. [T] n'a subi aucun harcèlement moral au sein de la Société,

- que M. [T] n'a subi aucune discrimination,

En conséquence :

- Débouter M. [T] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions.

A titre reconventionnel':

- Condamner M. [T] à verser à la Société, 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile';

- Condamner M. [T] aux dépens.

La clôture de l'instruction est intervenue le 6 janvier 2020 et l'affaire a été plaidée le 4 mars 2020.




MOTIFS



Le salarié fait grief à l'employeur d'avoir manqué à son obligation de sécurité, d'avoir été harcelé moralement et d'avoir été victime de discrimination salariale.



Sur les manquements à l'obligation de sécurité



En vertu des dispositions de l'article L.4121-1 du code du travail, l'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.



M. [T], qui exerçait en qualité de médecin du travail au sein de l'entreprise, estime que la convention de forfait jours à laquelle il était soumis est nulle.



La cour relève que si le contrat de travail fait référence à un salaire annuel calculé sur la base de 218 jours travaillés, faisant donc explicitement référence à un forfait jours applicable, l'employeur ne justifie pas avoir pris les dispositions nécessaires de nature à garantir que l'amplitude et la charge de travail du salarié restaient raisonnables et assuraient une bonne répartition, dans le temps, du travail, et donc, à assurer la protection de la sécurité et de la santé du salarié; qu'au surplus, il n'est pas établi, au regard des pièces soumises ,que le salarié a bénéficié, chaque année, d'un entretien avec son supérieur hiérarchique au cours duquel sont évoquées l'organisation et la charge de travail de l'intéressé et l'amplitude de ses journées de travail. La convention de forfait jours est en conséquence déclarée nulle.



M. [T] fait valoir qu'il a alerté en vain à plusieurs reprises son employeur sur sa charge de travail, le service médical étant en sous effectif, que le stress engendré par cette situation n'a pas été pris en compte, que sa santé s'est dégradée, que le travail accompli n'a pas été reconnu par sa hiérarchie laquelle n'a offert au salarié aucune perspective d'évolution professionnelle.



Comme le premier juge, la cour relève toutefois que les alertes sur la dégradation de l'état de santé de M. [T] ne sont apparues qu'à partir de juin 2013, les précédents messages adressés à la hiérarchie étant restés centrés sur des demandes de promotion non satisfaites, le salarié exprimant explicitement son attachement à la société et à la mission qui était la sienne.



La cour constate en revanche qu'à partir d'août 2013, le salarié fait expressément référence dans ses courriels à une souffrance psychologique et à des idées noires, situation dont s'empare l'employeur qui alerte immédiatement le médecin du travail de M. [T] sur la gravité de la situation , ce qui contredit l'allégation du salarié selon laquelle la société n'a pas apporté de réponse à une situation de souffrance avérée.



Le salarié fait également valoir que l'employeur n'apportait aucune réponse à ses demandes relatives au dysfonctionnement du service médical au sein de l'entreprise et à ses perspectives professionnelles.



Or, la cour relève des pièces produites par le salarié que celui-ci s'est félicité de ce que le suivi des salariés en souffrance était parfaitement assuré et qu'un climat de confiance était instauré avec le service médical, se louant de «'l'écoute'» et la «'disponibilité'» de sa hiérarchie «' avec le souci constant de respecter la déontologie médicale'», tout en objectant à l'employeur sa frustration de ne pas obtenir une promotion et accéder au niveau hiérarchique de senior manager.



Il résulte ainsi des seuls constats du salarié dans ses propres correspondances, que si le bilan qu'il tire de son action sur la gestion des risques psychosociaux est plutôt satisfaisant puisqu'il conclut régulièrement à la confiance et à l'écoute apportées par sa hiérarchie, le sujet principal de ses préoccupations est la stagnation de son évolution professionnelle.



Or, c'est dans le cadre de ses prérogatives de direction, que la hiérarchie, lui répond, en avril 2013, que la perspective d'une évolution n'est pas envisagée «' à moyen terme'» aux niveaux sollicités par le salarié.



Il en ressort que M. [T] ne démontre pas que l'employeur a laissé sans suite ses demandes relatives à ses recommandations de médecin du travail et à ses demandes sur ses perspectives professionnelles.



L'ensemble de ces éléments met en évidence un comportement de l'employeur conforme à son obligation de sécurité,



Le grief du manquement de l'employeur à cette obligation est en conséquence écarté, par confirmation du jugement ainsi que les demandes subséquentes en dommages-intérêts .



Sur le harcèlement moral



Aux termes de l'article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir des agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.



L'article L.1154-1 du même code prévoit qu'en cas de litige, le salarié concerné présente des faits laissant présumer l'existence d'un harcèlement et il incombe alors à l'employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.



M. [T] soutient que la société n'a pas suivi ses recommandations relatives aux salariés et a porté atteinte à son indépendance, a entravé l'enquête du CHSCT sur les conditions de management du service médical en refusant la présentation de son rapport devant cette instance, a fait des pressions dans l'exercice de ses fonctions et pour démissionner, a opposé divers obstacles et entraves à l'étude de son poste ainsi qu'à sa visite de reprise, a menti à la CPAM et aux élus sur l'origine de la dégradation de son état de santé, a adopté à son encontre des brimades diverses telles les remboursements de frais professionnels, comportement qui a conduit à une dégradation de son état de santé.



Ces éléments pris dans leur ensemble laisse présumer l'existence d'un harcèlement.



Comme il a été rappelé dans les précédents développements, l'employeur établit que le salarié a souligné dans plusieurs courriels le climat de confiance entretenu entre le service médical et la direction ainsi que l'implication de cette dernière pour apporter son aide aux problématiques de santé, indiquant dans son courrier du 29 novembre 2012 au président : «' je suis parfaitement fier de travailler avec ma hiérarchie directe, [S] [R], notamment, qui a toujours respecté mon statut et mon indépendance'», en contradiction avec le grief d'une volonté systématique de la hiérarchie ne pas suivre les préconisations et avis médicaux en matière d'aptitude ou inaptitude des salariés et de le mettre à l'écart; il établit au surplus que la responsable des ressources humaines a pris en compte, à l'issue des réunions extraordinaires du CHSCT, des réclamations du médecin relatives au suivi des fiches pour inaptitude dès le mois de février 2013, ce dont le médecin a pris acte dans plusieurs courriels de l'année 2013.



L'employeur justifie encore par les pièces versées, sans être contredit, qu'un interlocuteur privilégié du médecin du travail, désigné au sein du service des ressources humaines, a été désigné à l'issue d'une réunion du CHSCT pour répondre aux sollicitations du médecin; que de nombreuses réunions ont été organisées avec des responsables projet pour trouver des solutions appropriées aux difficultés soulevées par ce dernier sur l'organisation du service, desquelles il ne pouvait sérieusement soutenir qu'elles participaient à une conduite de harcèlement ou de mise à l'écart délibérée; il établit en outre que l'enquête diligentée par le CHSCT, à la demande du salarié, a été conduite en toute indépendance avec un membre de la direction et un membre du CHSCT, sans que le salarié ne puisse démontrer par le moindre élément que la société serait intervenue pour retarder la mise en oeuvre de cette enquête, alors que l'employeur rappelle que le salarié, lors du CHSCT du 23 juillet 2013, interrogé sur l'enquête interne qu'il avait demandée, avait précisé qu'il était nécessaire d'attendre son retour de vacances pour en traiter.



La société produit encore les évaluations du salarié qui mettent en évidence une appréciation élogieuse de son travail , d'un climat collaboratif et impliqué; il est relevé que le salarié écrit lui- même à sa hiérarchie, le 17 avril 2013:' « [O] m'a expliqué en réunion qu'il ne souhaitait pas me voir partir, ce qui me réjouis et conforte mon impression'» en contradiction avec l'allégation d'une pression pour le pousser vers la sortie qui n'est rapportée par aucun élément du dossier.



Enfin, l'employeur relève, sans contradiction utile, qu'il n'est rapporté aucune pièce justifiant d'une pression de l'employeur dans la conduite du dossier médical pour inaptitude, notamment dans sa volonté de retarder voire empêcher la visite de reprise, établissant qu'elle a eu lieu devant le médecin choisi par le salarié, dans les trois jours de la reprise; qu'enfin le mensonge de la hiérarchie sur l'origine de la dégradation de l'état de santé de M. [T] n'est pas étayé.



De l'ensemble de ces éléments, par confirmation des appréciations du premier juge, la cour relève que les décisions prises par l'employeur sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement; que notamment les certificats médicaux qui mettent en évidence une dégradation de l'état de santé ne font que relayer les déclarations du patient et son ressenti comme le relève justement le premier juge,



Par confirmation du jugement, le grief de harcèlement est en conséquence rejeté comme les demandes de dommages-intérêts présentées à ce titre.



Sur la discrimination



Le salarié soutient que le système de rémunération imposé par la société Accenture était contraire au principe d'indépendance tel qu'il relève du code de déontologie médicale et qu'il a été en outre sanctionné pour s'être ouvert auprès du CHSCT de l'absence de la charge de travail.



La cour relève toutefois que le salarié ne rapporte aucun fait de nature à laisser présumer l'existence d'une discrimination salariale et syndicale.



Au surplus, l'employeur établit sans être utilement contredit, qu'il n'existe aucun engagement de sa part envers M. [T] concernant une quelconque promotion salariale, ni ses fonctions, ni son niveau de responsabilité n'ayant connu une évolution particulière justifiant ses demandes réitérées et que, contrairement à ce qu'il soutient, l'impossibilité de satisfaire le salarié sur sa demande de promotion récurrente lui a été clairement notifiée par sa hiérarchie, dès le mois d'avril 2013; qu'au regard des études comparatives avec les rémunérations des médecins du travail en service autonome, la rémunération de M. [T] était largement supérieure à la moyenne ; que la prime de 2012 accordée à M. [T] était située dans la tranche haute des primes accordées dans l'entreprise; que la part variable de son salaire a diminué en 2013 en raison de sa période d'absence; que le salarié a refusé la proposition de supprimer la part variable de sa rémunération, nécessairement soumise à l'évaluation de la hiérarchie, et ce, dans le but de répondre à une plus grande garantie d'indépendance, avec une augmentation de son salaire fixe; qu'enfin, le seul extrait du compte rendu du 14 février 2014 produit au débat, relatif à une réunion du CHSCT, est inexploitable pour étayer le grief d'une discrimination de l'employeur liée à une proximité alléguée entre M. [T] et le CHSCT;



Confirmant le jugement, la cour écarte le grief de discrimination et les demandes de dommages-intérêts de ce chef.



Succombant au principal, M. [T] est condamné aux dépens.



En équité, chacune des parties conservera la charge de ses frais irrépétibles.





PAR CES MOTIFS



La cour,



Confirme, le jugement en toutes ses dispositions.



Condamne, M. [U] [T] aux dépens.



Rejette, toute autre demande.





LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE

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