2 juin 2020
Cour d'appel d'Aix-en-Provence
RG n° 18/09312

Chambre 1-1

Texte de la décision

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-1



ARRÊT AU FOND

DU 02 JUIN 2020

DD

N° 2020/ 88













N° RG 18/09312 -

N° Portalis DBVB-V-B7C-BCRPW







[L] [M] épouse [D]

[K] [D]





C/



[J] [H] épouse [B]

[E] [A]

S.C.P. LETOUBLON-CAGNOLI-VIBERTI-[C]

SARL JBS CONSEIL





















Copie exécutoire délivrée

le :

à :





- Me Benoît VERIGNON

- Me Serge DREVET

- Me [C] GUEDJ











Décision déférée à la Cour :



Jugement du Tribunal de Grande Instance de DRAGUIGNAN en date du 11 Mai 2018 enregistré au répertoire général sous le n° 15/06205.





APPELANTS



Madame [L] [M] épouse [D]

née le [Date naissance 5] 1982 à [Localité 11]

de nationalité Française, demeurant [Adresse 8]



plaidant par Me Benoît VERIGNON, avocat au barreau de GRASSE



Monsieur [K] [D]

né le [Date naissance 3] 1979 à [Localité 11]

de nationalité Française, demeurant [Adresse 8]



plaidant par Me Benoît VERIGNON, avocat au barreau de GRASSE





INTIMES



Madame [J] [B] née [H]

née le [Date naissance 2] 1933 à [Localité 13], demeurant [Adresse 10]



plaidant par Me Serge DREVET de la SELAS CABINET DREVET, avocat au barreau de DRAGUIGNAN



Maître [E] [A] poursuites et diligences de son représentant légal en exercice domicilié ès qualité au siège social

demeurant [Adresse 8]



représenté par Me Paul GUEDJ de la SCP COHEN GUEDJ MONTERO DAVAL GUEDJ, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

et assisté de Me Hélène BERLINER de la SCP SCP D'AVOCATS BERLINER-DUTERTRE-LACROUTS, avocat au barreau de NICE,



S.C.P. LETOUBLON-CAGNOLI-VIBERTI-[C] Notaires Assosiés

demeurant [Adresse 1]



représenté par Me Paul GUEDJ de la SCP COHEN GUEDJ MONTERO DAVAL GUEDJ, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

et assistée de Me Hélène BERLINER de la SCP SCP D'AVOCATS BERLINER-DUTERTRE-LACROUTS, avocat au barreau de NICE,



SARL JBS CONSEIL, prise en la personne de son représentant légal

dont le siège social est au [Adresse 4]



représentée par Me André BAYOL, avocat au barreau de GRASSE substitué par Me Laurent ERNANDES, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

et assistée de Me Marie OUTERS-LEPAROUX, avocate au barreau de STRASBOURG,







COMPOSITION DE LA COUR





L'affaire a été débattue le 25 Février 2020 en audience publique. Conformément à l'article 804 du code de procédure civile, Madame Danielle DEMONT, Conseillère a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.



La Cour était composée de :



Madame Anne VIDAL, Présidente

Madame Anne DAMPFHOFFER, Conseiller

Mme Danielle DEMONT, Conseiller



qui en ont délibéré.



Greffier lors des débats : M. Rudy LESSI



Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 07 Avril 2020,



À cette date, le prononcé de la décision a été prorogé à ce jour suite aux mesures gouvernementales prévues par la loi n°2020-290 du 23 mars 2020 relative à l'état d'urgence sanitaire.





ARRÊT



Contradictoire,



Prononcé par mise à disposition au greffe le 02 Juin 2020,



Signé par Madame Anne VIDAL, Présidente et M. Rudy LESSI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.




***



















































Exposé du litige



Par acte authentique du 30 septembre 2008 dressé par Me [A], notaire à Aups, avec le concours de Me [C], notaire à [Localité 12], les époux [B] ont vendu en viager aux époux [D] par l'entremise de la société JBS Conseil, exerçant sous l'enseigne Viager Retraite, une maison d'habitation sise à [Adresse 8] au prix de 132'500 €, le bouquet initial étant de 70'000 € et la rente annuelle viagère s'élevant à 6000 €, soit 12 mensualités de 500 € chacune.



Se plaignant de ce que le bien acquis ne correspondait pas aux permis de construire délivrés en 1973 et 1978 et de ce qu'une partie de la construction avait été réalisée sans autorisation, par exploits des 8 et 9 juillet 2015, les époux [D] ont fait assigner Mme veuve [B], Me [A], la SCP de notaires Letoublon-Cagnolo-[C] dont Me [C] est membre, et la société JBS Conseils aux fins de d'obtenir avant-dire droit une expertise, et subsidiairement, leur condamnation solidaire à leur payer la somme de 50'000 € à titre de dommages et intérêts.



Par jugement en date du 11 mai 2018 le tribunal de grande instance de Draguignan a :

' rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action ;

' écarté la demande d'expertise ;

' rejeté toutes les demandes de dommages et intérêts présentées par des époux [D] ;

' rejeté l'ensemble des demandes indemnitaires reconventionnelles de Mme [J] [H] épouse [B] et de la SARL JBS conseil ;

' constaté que les appels en garantie sont sans objet ;

' condamné les époux [D] à payer à Mme [J] [H] épouse [B], à Me [E] [A], à la SCP Letoublon-Cagnolo-[C] et à la SARL JBS Conseils la somme de 2000 € chacun au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens avec distraction..



Le 4 juin 2018 Mme [L] [M] épouse [D] et M. [K] [D] ont relevé appel de cette décision.



Par conclusions du 23 janvier 2020 ils demandent à la cour :

' de confirmer le jugement entrepris sur le rejet de la fin de non-recevoir et de la demande au titre d'un prétendu abus de droit ;

le réformant pour le surplus,

' de dire que les époux [B] ont commis un dol ou une réticence dolosive ;

' de dire que les notaires, Me [E] [A] et la SCP Letoublon-Cagnolo-Viberti-[C] ont manqué à leur devoir de conseil en n'attirant pas leur attention sur le caractère illégal d'une grande partie de la construction objet de la vente ;

' de dire que l'agent immobilier, la SARL JBS conseil, a manqué à ses obligations professionnelles ;

' de dire qu'ils justifient de l'existence d'un préjudice direct et certain en lien de causalité avec les fautes reprochées aux divers intervenants à l'acte de vente ;

' de dire que les époux [D] ont perdu une perte de chance d'avoir pu négocier le bien à un prix moindre en raison de la construction illégale d'une superficie de l'ordre de 55 m² correspondant à plus de la moitié de la superficie totale du bien qui peut être évaluée à 60'000€ et que leur préjudice moral peut être chiffré à 20'000 € ;

' de condamner in solidum Mme [J] [H] épouse [B], Me [E] [A], la SCP Letoublon-Cagnolo-Viberti-[C], et la SARL JBS Conseil, à leur payer la somme de 80'000 € en réparation de leur préjudice, toutes causes de préjudices confondues, la somme de 5000 € pour la première instance et la même somme en cause d'appel au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens ;

' et de les débouter de toutes leurs demandes reconventionnelles.



Par conclusions du 11 avril 2019 Mme [J] [H] épouse [B] demande à la cour:

' de réformer le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté la fin de non-recevoir soulevée ;

' de déclarer irrecevable comme prescrite l'action engagée par les consorts [D] à son encontre ;

' de confirmer le jugement entrepris pour le surplus ;

à titre subsidiaire

' de dire qu'aucune réticence dolosive ne peut lui être reprochée ni l'existence d'un dommage en lien de causalité susceptible d'engager sa responsabilité ;



' de débouter les époux [D] de toutes leurs demandes ;

à titre très subsidiaire

' de dire que Mme [B] sera relevée et garantie de toutes sommes pouvant être mises à sa charge par Me [E] [A] et par la SARL JBS conseil ;

' la recevant en son appel incident, de réformer le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté ses demandes indemnitaires, et de condamner les époux [D] à lui payer la somme de 10'000 €

au titre de son préjudice matériel et moral subi du fait de la procédure abusive poursuivie en appel ;

' et en tout état de cause, de condamner solidairement les époux [D] à lui payer la somme de 5000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens avec distraction.



Par conclusions du 22 novembre 2018 Me [E] [A] demande à la cour de confirmer le jugement entrepris, de débouter les appelants de toutes leurs demandes à son encontre, et de condamner les appelants à lui payer la somme de 3000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens avec distraction.





Par conclusions du 21 janvier 2020 la SCP Letoublon-Cagnolo-Viberti-[C] demande à la cour :

' de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté les époux [D] de toutes leurs demandes et en ce qu'il a fait droit à la demande reconventionnelle de la SCP Letoublon-Cagnolo-Viberti-[C] ;

' de dire que l'action des époux [D] est prescrite, et partant, irrecevable ;

' de dire que Me [C] n'a commis aucun manquement fautif ayant causé le préjudice invoqué par les époux [D] et de débouter ces derniers de toutes leurs demandes dirigées contre la SCP Letoublon-Cagnolo-Viberti-[C] ;

' de débouter Mme [B] de ses demandes tendant à être relevée et garantie par la SCP Letoublon-Cagnolo-Viberti-[C] ;

' et de condamner les époux [D] ou tout succombant à lui payer la somme de 3000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens avec distraction.



Par conclusions du 11 janvier 2019 la SARL JBS Conseil demande à la cour :



' in limine litis, de constater l'irrecevabilité de l'action en raison de la prescription, de réformer le jugement entrepris, et de déclarer la demande des époux [D] irrecevable ;

à titre subsidiaire, au fond

' de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a débouté la société JBS Conseil de sa demande reconventionnelle ;

à titre infiniment subsidiaire

' de réduire à plus justes proportions le montant sollicité pour tenir compte de la seule perte d'une chance ;

' et en tout état de cause, de condamner les époux [D] à lui payer la somme de 10'000 € à titre de dommages intérêts pour procédure abusive et celle de 5000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens.



La cour renvoie aux écritures précitées pour l'exposé exhaustif des prétentions et moyens des parties.




Motifs





Attendu que l'acte authentique de vente du 30 septembre 2008 précise que le bien vendu consiste en « une maison de 3 pièces, cuisine, salle de bains, wc, véranda, garage, sur terrain d'environ 7500 m² avec remise en pierre, sur un terrain d'essence végétale locale, et terrain attenant cadastré (e) section G n° [Cadastre 6] et [Cadastre 7] » ; qu'il précise que le terrain se situe en zone non constructible (zone agricole) du plan d'occupation des sols de la commune approuvé le 30 octobre 1980 ; qu'il mentionne que deux permis de construire ont été obtenus le 7 mai 1973 et le 23 octobre 1978 ; que le permis de construire du 7 mai 1973 autorise la construction d'un chien abri agricole d'une surface totale de planchers de 35 m², et celui de 1978 autorise l'aménagement d'un logement d'une surface totale de planchers de 58,85 m² sous réserve de certaines modifications ;





Attendu que les époux [D] appelants font valoir au soutien de leurs demandes que la villa a une superficie de 110 m² alors que le permis n'autorise que 58,85 m² et que la partie construite sans autorisation concerne la véranda, le garage et l'une des 3 pièces de la maison, une chambre;



Attendu qu'il leur est opposé par les défendeurs d'abord un moyen tiré de la prescription de leur action ;



Mais attendu que le tribunal a déjà exactement répondu que la preuve n'est pas rapportée que les époux [D] acquéreurs auraient eu connaissance de la différence entre la superficie de leur villa et les permis de construire délivrés avant de se procurer ces derniers auprès des services de la mairie d'[Localité 9] le 24 décembre 2014 ; qu'en effet la lecture de l'acte authentique et des documents annexés ne permettait pas aux acquéreurs d'avoir connaissance de cette différence, les permis de construire n'étant pas joints à l'acte authentique de vente et le certificat d'urbanisme repris dans l'acte n'ayant pu les renseigner sur ce point ;



Attendu que les époux [D] n'ont donc connu les faits leur permettant d'exercer leur action au sens de l'article 2224 du code civil, qu'à compter du 24 décembre 2014, de sorte qu'ils ont régulièrement fait délivrer l'acte introductif d'instance le 9 juillet 2015, avant l'expiration du délai quinquennal de l'action ;



Attendu que le jugement qui a rejeté la fin de non recevoir tirée de la prescription doit donc être confirmé ;



Attendu que les époux [B] vendeurs du bien l'ont fait édifier ; qu'ils n'ont jamais fait état de ce qu'ils avaient réalisé des travaux sans autorisation ;

Qu'ils ont déclaré à l'acte authentique, en page 15, que leur villa n'avait fait l'objet d'aucuns travaux depuis moins de 10 ans, ce que le certificat d'urbanisme délivré le 16 mai 2008, annexé à l'acte, confirmait ;



Attendu que les époux acquéreurs produisent en cause d'appel des plans établis par Mme [I], architecte DPLG, qui établit que la partie du bâtiment construite illégalement occupe une superficie de 54,9 m², soit 52,53 % de la superficie totale du bien immobilier laquelle s'élève à 104,5 m² ;

Que ces relevés sont corroborés par le procès-verbal de constat qui a été dressé par la société d'huissier Odin-Melique le 1er février 2017, le jour de prise de possession des lieux par les époux [D], après renonciation par Mme [B] à son droit d'usage et d'habitation suite à son admission en EPHAD ;

Que celle-ci ne discute pas ces éléments factuels ;



Attendu que la partie de la villa illégalement construite, qui correspond à l'extension de la maison par la construction d'une véranda, d'un garage et d'une chambre, figure pourtant dans la désignation en page 3 de leur titre de propriété ; que page 19 de leur titre il est indiqué que le bien a fait l'objet de l'obtention de deux permis de construire non annexés à l'acte ;



Attendu que les époux [D] acquéreurs démontrent qu'en réalité le 25 juillet 1977 les consorts [B] avaient sollicité l'extension de la surface de l'abri agricole pour la porter à 104,4 m² , ce qui leur avait été refusé par un arrêté du 20 octobre 1977 et qu'ils ont donc construit au mépris de ce refus, en parfaite connaissance de cause ;



Que les vendeurs-constructeurs ont ainsi sciemment dissimulé à leurs acquéreurs que leur maison avait été pour moitié édifiée sans autorisation ; que cette réticence dolosive a déterminé les époux [D] à contracter ; que ces derniers sont fondés à solliciter la réparation du préjudice qui en est résulté ;



Attendu, s'agissant de l'agent immobilier, que celui-ci est responsable de la publication d'une annonce faisant mention expressément que la villa litigieuse avait une surface habitable de 110 m² (« Au pays de la truffe, pour les amoureux de la nature, à seulement 1 km du village, charmante maison de 110 m² (') » ;









Que la SARL JBS conseil, qui admet avoir été le rédacteur de la promesse de vente, a eu en main les permis de construire ; que sur la réclamation du notaire, Me [A], du 3 septembre 2008, l'agent immobilier a répondu : « L'indication des permis de construire figure au paragraphe premier de la page 3 du compromis dont la copie vous a été adressée. Les originaux de ces documents sont à la possession de votre client qui nous les avait communiqués en son temps ; vous noterez que ces permis ont quasiment plus de 30 ans. » ;



Attendu que l'agent immobilier a manqué de professionnalisme ; qu'ayant une parfaite connaissance de la teneur des permis de construire et des lieux pour les avoir visités à plusieurs reprises, il ne pouvait que constater que le permis de construire délivré en 1978 comportait à l'évidence une surface habitable moitié moindre et qu'il manquait manifestement sur le plan du permis la véranda, le garage et une troisième pièce ;



Attendu que ce professionnel de l'immobilier a donc engagé sa responsabilité civile délictuelle; que sa négligence a laissé croire aux époux acquéreurs que les permis qui avaient été délivrés en 1973 et 1978 autorisaient la construction des 110 m² que l'agent immobilier proposait à la vente ;



Attendu que sans la faute de JBS Conseil, le dol commis par les vendeurs n'aurait pas pu prospérer, de sorte que leurs fautes respectives ayant également concouru à la réalisation du dommage, l'agent immobilier sera condamné in solidum avec la venderesse à réparer le dommage causé aux époux [D] ;





Attendu enfin, s'agissant de la responsabilité des notaires, qu'il est constant qu'un notaire n'a pas à opérer de déplacement sur les lieux pour vérifier l'état de l'immeuble vendu et sa consistance;

Qu'au cas d'espèce, ni les déclarations des vendeurs ni le certificat d'urbanisme délivré par la mairie d'[Localité 9] le 16 mai 2008 ne permettaient à Me [C] ou à Me [A] de suspecter qu'une irrégularité avait été commise à l'occasion de la construction du bien ;



Qu'en particulier, même si Me [A], qui l'a réclamé par une lettre adressée à l'agent immobilier le 3 septembre 2008, avait eu connaissance du contenu du permis de construire accordé en 1978 et notamment du plan joint, ceux-ci ne faisaient pas apparaître de discordance entre la surface habitable autorisée et la désignation du bien immobilier objet de la vente qu'il passait, dans la mesure où il ne ressort d'aucun élément probant que l'un ou l'autre des notaires connaissaient la surface exacte du bien, laquelle n'est mentionnée ni à la promesse de vente ni à l'acte qu'il a instrumenté ;



Qu'il ne peut davantage être reproché aux notaires de ne pas avoir réclamé un certificat de conformité des travaux effectués en 1978, cette prescription n'ayant été instaurée qu' après 1983 et ayant disparu en 2005 au profit d'un système déclaratif ;



Attendu qu'aucun manquement à leurs obligations professionnelles ne peut être retenu contre les officiers ministériels ; qu'il s'ensuit le rejet de toutes les demandes formées contre eux et notamment celle de Mme [B] d'être relevée et garantie par le notaire, alors que son dol n'est pas le fait du notaire ;



Attendu que les défendeurs à l'action indemnitaire soutiennent que leurs agissements n'ont pu causer aucun dommage, faute de risque de démolition de la construction édifiée ;



Attendu qu'en effet, il est exactement soutenu que les époux [D] ne risquent plus aucune sanction pénale, dans la mesure où la prescription de l'action publique est de 3 ans à compter de l'achèvement des travaux ;

Que de même, si le juge civil peut être saisi d'une action en responsabilité et ordonner la démolition d'une construction illégale, l'action en démolition fondée sur l'article L480-13 du code de l'urbanisme est soumise à un délai de prescription de 10 ans à compter de l'achèvement des travaux pour une construction antérieure au 18 juin 2008 ;



Attendu ensuite, s'agissant de la sanction administrative encourue, c'est-à-dire d'abord d'une éventuelle action de la commune pour assurer le respect des règles permettant le fonctionnement des services publics ou régissant les activités soumises par la loi à la surveillance de l'administration dans un but d'intérêt général, si cette action est imprescriptible, elle demeure peu probable en l'espèce, le raccordement au réseau de la construction litigieuse n'étant pas discuté par les parties ;



Attendu qu'en revanche lorsque des travaux importants doivent être engagés sur un immeuble dont tout ou partie a été édifié sans permis de construire, la demande d'autorisation doit concerner non seulement les travaux engagés, mais encore régulariser ceux déjà effectués sans permis ;



Attendu que les époux acquéreurs, qui n'invoquent pas le risque de démolition du bien qu'ils ont acquis, font donc exactement valoir que le propriétaire d'une construction illégale ne peut pas faire sur le bien acquis des travaux importants sans une régularisation préalable ;



Que la venderesse prétend que cette sanction administrative qui permet à une commune de s'opposer à toute nouvelle autorisation de travaux sur le bien litigieux tant que la construction irrégulière n'est pas régularisée, ne serait pas applicable en présence d'une irrégularité concernant une construction réalisée en vertu d'un permis de construire et achevée depuis plus de 10 ans selon l'article L 111-12 al. 1 du code de l'urbanisme ;



Mais attendu que la prescription administrative décennale ne s'applique pas aux travaux qui sont réalisés sans permis et qui bouleversent l'économie du permis de construire obtenu ;



Attendu qu'en effet depuis la loi n° 2006-8 72 du 13 juillet 2006, lorsqu'une construction est achevée depuis plus de 10 ans, le refus de permis de construire ou de déclaration de travaux pour des travaux nouveaux ne peut plus être fondée sur l'irrégularité de la construction initiale au regard du droit de l'urbanisme, mais qu'il en va différemment dans les cas particuliers énumérés à l'article L 111-12 de loi, et notamment « ' e) Lorsque la construction a été réalisée sans permis de construire » ;



Attendu que cette disposition vise la situation d'une construction irrégulière, au premier rang desquelles se trouve celle qui a été réalisée différemment du permis, quand la modification bouleverse l'économie du projet notamment parce qu'elle en modifie complètement soit son ampleur (SHON), soit sa nature ;



Qu'au cas d'espèce, la construction a fait l'objet d'un permis, mais ce qui a été construit par les époux [B] est très différent de ce qui a été autorisé, la SHON étant quasiment double de celle autorisée ; que dès lors la prescription administrative décennale ne s'applique pas et que la situation du bien ne peut être régularisée que par la délivrance d'un nouveau permis ;



Attendu que des travaux nouveaux peuvent donc être refusés aux acquéreurs par l'autorité publique en se fondant sur l'irrégularité de la construction initiale au regard du droit de l'urbanisme ; que la mairie d'[Localité 9] a déjà fait connaître le 30 avril 2015 aux époux [D] que « leur projet de régularisation d'une villa de 110 m² nécessite l'obtention d'un permis de construire et que le terrain se situait en zone 'A' au PLU, zone strictement réservée aux exploitations agricoles » ;



Attendu que par ailleurs une attestation de la mairie de la commune d'[Localité 9] datée du 10 novembre 2015 établit qu'en cas de sinistre les droits à reconstruire ne seront que ceux des 58, 85 m² autorisés par le permis de construire délivré le 23 octobre 1978, le bien étant édifié en zone agricole ; que seuls des travaux confortatifs des constructions existantes sont autorisés ;



Que l'absence de recours actuel contre des constructions édifiées et l'allégation selon laquelle que les acquéreurs auraient déjà transformé le garage en pièce habitable sont inopérants à cet égard ;



Attendu que les époux [D] qui ne peuvent régulariser la situation de leur bien immobilier qui ne peut faire l'objet ni de travaux modificatifs (une extension étant déjà exclue par la situation du bien en zone agricole), ni d'une reconstruction à l'identique en cas de sinistre, et qui ne pourront revendre au prix du marché en raison de ces graves empêchements, subissent un dommage direct, actuel et certain ouvrant droit à réparation ;



Attendu qu'il s'ensuit la réformation du jugement qui a rejeté toutes leurs demandes indemnitaires;



Attendu que les acquéreurs, qui ne réclament pas la réparation du préjudice entier issu de la perte de valeur du bien immobilier qu'ils ont acquis, et qui ne réclament pas la nullité pour vice du consentement, sont fondés à soutenir que s'ils avaient eu connaissance du caractère illégal des constructions réalisées et de l'inconstructibilité attachée à la personne même du bénéficiaire de la construction, ils n'auraient pas acquis le bien dans les mêmes conditions, voire auraient renoncé à la vente si les vendeurs avaient refusé de diminuer le prix de vente en considération du défaut de la construction et prétendu en obtenir le même prix qu'une construction légale ;



Attendu que le dol des vendeurs et le manque de professionnalisme de l'agent immobilier ont fait perdre une chance de négocier en connaissant la perte de superficie autorisée, de l'ordre de 54,9 m², soit 52,53 % de la superficie du bien immobilier ;



Attendu que la perte d'une chance ne pouvant équivaloir à la chance perdue, ce préjudice sera entièrement réparé par l'octroi de la somme de 40'000 € à titre de dommages intérêts, étant observé que les époux acquéreurs ont l'usage précaire de la superficie illégale acquise ;



Et attendu que les époux [D] ont subi divers tracas ; que ce préjudice moral sera réparé par l'octroi de la somme de 5000 € à titre de dommages-intérêts ;



Attendu que la venderesse et l'agent immobilier seront donc condamnés in solidum à leur verser la somme de 45'004 0 € à titre de dommages-intérêts, toutes causes de préjudices confondues, étant relevé que Mme [B] ne peut prétendre être relevée et garantie par la société JBS Conseil, le dol lui étant personnellement imputable ;





Attendu qu'il y a lieu de réformer pour large part le jugement déféré ;

Que l'action des appelants prospérant, aucun abus du droit d'ester en justice de leur part ne peut être retenu ;











PAR CES MOTIFS



La cour statuant publiquement contradictoirement et en dernier ressort,





Infirme le jugement déféré en ce qu'il a rejeté toutes les demandes de dommages et intérêts présentées par les époux [D] et les a condamnés à payer à Mme [J] [H] veuve [B], à Me [E] [A], à la SCP Letoublon-Cagnolo-[C] et à la SARL JBS Conseils la somme de 2000 € chacun au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens avec distraction,



Confirme le jugement déféré pour le surplus,



Statuant à nouveau des chefs infirmés et ajoutant





Condamne in solidum Mme [J] [H] veuve [B] et la SARL JBS Conseil à payer à Mme [L] [M] épouse [D] et à M. [K] [D], ensemble, la somme de 45 000 € à titre de dommages et intérêts, toutes causes de préjudices confondues,



Rejette toutes les demandes dirigées contre Me [E] [A] et contre la SCP Letoublon-Cagnolo-[C],



Déboute Mme [J] [H] veuve [B] et la SARL JBS Conseil de leurs demandes reconventionnelles tendant à l'octroi de dommages intérêts,



Déboute Mme [J] [H] veuve [B] de son appel en garantie contre la SARL JBS Conseil,



Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au profit de Me Philippe Ménard et de la SCP Letoublon-Cagnolo-[C],



Condamne in solidum Mme [J] [H] veuve [B] et la SARL JBS Conseil à payer à Mme [L] [M] épouse [D] et à M. [K] [D], ensemble, la somme de 3000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens, et dit que ceux-ci pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.







LE GREFFIERLE PRESIDENT

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