4 juin 2020
Cour d'appel de Douai
RG n° 18/06301

CHAMBRE 1 SECTION 2

Texte de la décision

République Française

Au nom du Peuple Français





COUR D'APPEL DE DOUAI



CHAMBRE 1 SECTION 2



ARRÊT DU 04/06/2020





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N° de MINUTE :

N° RG 18/06301 - N° Portalis DBVT-V-B7C-R7DU



Décision rendue le 15 octobre 2018

par l'Institut National de la Propriété Industrielle de [Localité 3]

Arrêt avant dire droit du 16 janvier 2020 rendu par la cour d'appel de Douai





REQUÉRANTE



[Adresse 4]

représentée par son maire, Monsieur [P] [S]

[Adresse 6]

[Localité 5]



représentée par Me Eric Laforce, membre de la SELARL Eric Laforce, avocat au barreau de Douai

assistée de Me Abramovitch, avocat au barreau de Dijon





DÉFENDEURS



Association Evreux Ensemble

prise en la personne de son président

ayant son siège social [Adresse 2]

[Localité 5]



représentée par Maître Jean-François Morant, avocat au barreau de Paris



Etablissement Public l'Institut Nationale de la Propriété Industrielle

prise en la personne de son directeur

ayant son siège social [Adresse 1]

[Localité 3]



représenté par Monsieur [Z] [B], chargé de mission



DÉBATS à l'audience publique du 11 février 2020 tenue par Sophie Tuffreau magistrat chargé d'instruire le dossier qui a entendu seule les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 786 du code de procédure civile).

Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.





GREFFIER LORS DES DÉBATS : Betty Moradi



COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ



Catherine Bolteau-Serre, président de chambre

Sophie Tuffreau, conseiller

Jean-François Le Pouliquen, conseiller



ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 04 juin 2020 après prorogation du délibéré en date du 30 avril 2020 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Catherine Bolteau-Serre, président et Delphine Verhaeghe, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.



OBSERVATIONS ÉCRITES DU MINISTÈRE PUBLIC : 31 janvier 2020



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L'association Évreux ensemble a déposé le 28 mai 2018 auprès de l'Institut national de la propriété intellectuelle, ci-après INPI, une demande d'enregistrement n° 18 4 456 448 portant sur la marque verbale Rock in Evreux dans les classe numéros 35 et 41.



Le 21 août 2018, la commune d'Évreux a formé opposition à l'enregistrement de cette marque en se prévalant de droits sur la marque non déposée Rock in Évreux.



Par décision du 15 octobre 2018, le directeur général de l'INPI a déclaré cette opposition irrecevable.



La commune d'Évreux a formé un recours contre cette décision le 20 novembre 2018.



La commune d'Évreux, le directeur de l'INPI et l'association Évreux ensemble ont été convoqués par le greffe par lettre recommandée avec accusé de réception pour l'audience du 1er avril 2019, date à laquelle l'affaire a été renvoyée pour être plaidée au 2 septembre 2019.




Le dossier a été communiqué le 18 juillet 2019 au ministère public, lequel l'a visé le 13 juin 2019, sans observation.



L'affaire, mise en délibéré au 23 octobre 2019, a fait l'objet d'une réouverture des débats à l'audience du 12 novembre 2019.



*

* *



Dans ses conclusions déposées le 20 décembre 2018 et développées oralement lors de l'audience du 12 novembre 2019, la commune d'Évreux demande à la cour de déclarer recevable son appel, d'infirmer la décision du 15 octobre 2018 prise par le directeur général de l'INPI, de faire droit à son opposition et de condamner l'association Évreux ensemble à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens.



Dans ses observations déposées au greffe le 5 juin 2019 et développées oralement lors de l'audience du 17 juin 2019, le directeur général de l'INPI, régulièrement représenté à l'audience, soutient son mémoire aux termes duquel il fait valoir que sa décision est bien fondée en ce l'opposition est irrecevable.







Dans ses conclusions déposées au greffe le 11 mars 2019 et développées oralement lors de l'audience du 17 juin 2019, l'association Évreux ensemble demande à la cour de :

'à titre liminaire, déclarer le recours de la commune d'Évreux irrecevable

'au fond, à titre principal, confirmer la décision du directeur général de l'INPI du 15 octobre 2018

'à titre subsidiaire, dire que la commune d'Évreux n'avait pas qualité pour former opposition et déclarer l'opposition irrecevable

'en toute hypothèse, condamner la commune d'Évreux à lui payer la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.



Par arrêt du 16 janvier 2020, la cour d'appel a ordonné la réouverture des débats à l'audience du 11 février 2020 afin de permettre aux parties de présenter leurs observations sur la recevabilité de la demande subsidiaire de l'association Évreux ensemble tendant à voir dire que la commune d'Évreux n'avait pas qualité pour former opposition, ainsi que de l'ensemble de ses pièces.



Par note déposée le 29 janvier 2020, le directeur de l'INPI a fait valoir que, d'une part, cette demande formée par l'association Évreux ensemble n'a pas été formulée au stade de la procédure d'opposition et que, d'autre part, le code de la propriété intellectuelle ne prévoit pas la possibilité de former une demande incidente.




MOTIFS DE LA DÉCISION



I'Sur l'étendue de la saisine de la cour d'appel



Le recours contre une décision rendue par le directeur général de l'INPI sur opposition à une demande d'enregistrement de marque n'ayant pas d'effet dévolutif, la cour d'appel ne peut statuer sur des moyens et pièces qui n'ont pas été soumis à ce dernier. Elle ne peut par ailleurs qu'annuler ou confirmer la décision du directeur de l'INPI.



Lors de la procédure de demande d'enregistrement, l'association Évreux ensemble n'a fait valoir aucune observation et n'a pas déposé de pièces.



Dans ces conditions, la demande de l'association Évreux ensemble tendant à voir dire que la commune d'Évreux n'avait pas qualité pour former opposition, moyen qui n'a pas été développé devant le directeur de l'INPI, n'est pas recevable.



Seront également déclarées irrecevables les pièces qu'elle produit pour la première fois dans le cadre de ce recours.



II'Sur la recevabilité du recours formé par la commune d'Évreux



Dans ses observations déposées au greffe le 4 mars 2019, le directeur de l'INPI soulevait l'irrecevabilité du recours formé par la commune d'Évreux transmis via le RPVA en faisant valoir qu'aux termes des dispositions de l'article R411-21 du code de la propriété intellectuelle, le recours contre une décision de l'INPI « est formé par une déclaration écrite adressée ou remise en double exemplaire au greffe de la cour ['] ».



L'association Évreux ensemble ajoute que les dispositions du code de la propriété intellectuelle dérogent aux règles du code de procédure civile.







À cet égard, l'envoi ou la remise au greffe de la cour d'appel, en application de l'article R. 411-21 du code de la propriété intellectuelle, de la déclaration de recours formé contre la décision du directeur général de l'INPI rendue à l'occasion de la délivrance, du rejet ou du maintien d'un titre de propriété industrielle, et, le cas échéant, de l'exposé des moyens déposé dans le mois suivant la déclaration, peuvent être effectués conformément aux dispositions du titre vingt et unième du livre premier du code de procédure civile relatives à la communication par voie électronique et au sens de l'arrêté du garde des Sceaux du 5 mai 2010.



Le recours formé par la commune d'Évreux à l'encontre de la décision du directeur de l'INPI du 15 octobre 2018 par RPVA sera donc déclaré recevable.



III' Sur la recevabilité des pièces 16 à 25 versées par la commune d'Évreux



Aux termes de l'article L712-4 du code de la propriété intellectuelle «opposition à la demande d'enregistrement peut être faite auprès du directeur de l'Institut national de la propriété industrielle par :

1° Le propriétaire d'une marque enregistrée ou déposée antérieurement ou bénéficiant d'une date de priorité antérieure, ou le propriétaire d'une marque antérieure notoirement connue ».



Dans le cadre du présent recours, la commune d'Évreux demande à la cour d'accueillir les pièces que le directeur de l'INPI n'a pas retenues à l'appui de son opposition qui, selon elle, démontre la notoriété de la marque antérieure dont elle est titulaire.



À cet effet, elle fait valoir que, d'une part, la plate-forme de l'INPI n'autorise la production que de cinq documents, sans qu'un quelconque texte légal ou réglementaire ne permette une telle limitation et que, d'autre part, il ne saurait lui être opposé la tardiveté de la production de ces documents complémentaires démontrant la notoriété nationale de la marque alors qu'elle n'était ni techniquement ni procéduralement en mesure de les produire avant la réplique au projet de décision d'irrecevabilité de l'INPI.



Aux termes de l'article L712-4 du code de la propriété intellectuelle, le titulaire des droits antérieurs dispose d'un délai de deux mois à compter de la publication de la demande d'enregistrement pour pouvoir former opposition.



Selon les dispositions de l'article R. 712-14 du code de la propriété intellectuelle, l'opposition doit être présentée par écrit et préciser l'exposé des moyens sur lesquels elle repose.



Selon la décision du directeur général de l'INPI n° 2016-69 du 15 avril 2016 à laquelle renvoie l'article R. 712-26 du même code, l'opposant doit fournir, « si la marque antérieure est une marque non déposée, mais notoire, les pièces établissant son existence et sa notoriété, et en définissant la portée ».



En l'espèce, la marque verbale Rock in Évreux a été déposée le 28 mai 2018 par l'association Évreux ensemble et a fait l'objet d'une publication le 22 juin 2018.



Le délai pour former opposition expirait donc le 22 août 2018.



La commune d'Évreux a formé opposition le 21 août 2018 produisant à l'appui de celle-ci cinq pièces.







Le directeur de l'INPI a communiqué aux parties un projet d'irrecevabilité le 4 septembre 2018, indiquant à la commune d'Évreux qu'elle disposait d'un délai d'un mois pour présenter ses observations tout en précisant que « ces observations ne peuvent consister à régulariser l'acte d'opposition ».



En réponse à ce projet, la commune d'Évreux a déposé des observations le 3 octobre 2018 auxquelles elle a annexé les pièces 6 à 27.



Pour justifier du refus de ces pièces, le directeur de l'INPI se prévaut de ce qu'elles ont été fournies en dehors du délai pour former opposition et de ce qu'aucune disposition du code de la propriété intellectuelle ne prévoit la possibilité de compléter ou de régulariser une opposition et ce alors même que les pièces justificatives doivent être jointes à ladite opposition.



À cet égard, l'article R712-16 du code de la propriété intellectuelle, qui prévoit qu'un « projet est notifié aux parties auquel un délai est imparti pour en contester éventuellement le bien-fondé » et qu'il est « statué sur l'opposition au vu des dernières observations », ne prévoit pas la possibilité de déposer de nouvelles pièces à l'appui desdites observations.



Toutefois, cette possibilité n'est pas formellement écartée par ce texte.



Par ailleurs, dans la mesure où le directeur de l'INPI a donné la possibilité à l'opposant de fournir ses observations sur le projet d'irrecevabilité qui lui a été notifié, il apparaît de l'intérêt même de la procédure d'enregistrement des marques que l'opposant puisse fournir à l'appui de ses observations les pièces les éclairant.



Dans ces conditions, les pièces 6 à 27, annexées aux observations de la commune d'[Localité 5] du 3 octobre 2018, doivent être déclarées recevables et, de ce fait, les pièces 16 à 35 de la présente procédure.





IV - Sur la notoriété de la marque antérieure Rock in [Localité 5]



Il appartient à la commune d'Évreux, qui invoque la notoriété de la marque Rock In Évreux, d'établir son existence et sa notoriété.



À l'appui de son opposition, la commune d'Évreux faisait valoir être à l'origine de la création du festival de musique dénommé Rock in Évreux et donc de la marque Rock in Évreux, dont la notoriété, régionale et même nationale, se trouvait selon elle établie par les chiffres de la fréquentation du festival, l'intensité des différents moyens de communication déclinant la marque, le recours à des réseaux de distribution nationaux des billets ainsi que l'exploitation des noms de domaine propriété de la commune contenant cette marque.



Elle ajoutait que les produits et services couverts par le dépôt de la marque verbale Rock in Évreux étaient identiques à ceux couverts par la marque notoire revendiquée par la commune d'Évreux puisqu'ils portaient sur l'exploitation du festival Rock in Évreux.



Dans le cadre du présent recours, la commune d'Évreux soutient démontrer la notoriété de la marque antérieure sur une large fraction du territoire national au regard de l'intensité des différents moyens de communication déclinant la marque Rock in Évreux et de la couverture nationale par de multiples médias. Elle ajoute que c'est par une erreur de droit que le directeur de l'INPI a considéré que la notoriété d'un festival local devait être démontrée sur une large fraction du territoire national, sans considération du public et du territoire pertinent spécifique d'un festival local dont la marque renvoie à un territoire déterminé.



À cet égard, la notoriété d'une marque non enregistrée doit s'apprécier auprès du public concerné par les produits et services en cause et la marque doit être connue par une large fraction du public concerné, sur tout le territoire ou une partie substantielle de celui-ci.



Aux termes de ses écritures, la commune d'Évreux reconnaît que ce festival, créé sous la marque Rock in Évreux en 2017, prenait la suite du festival « le Rock dans tous ses états » fondé en 1983 qui disposait d'une notoriété régionale et même nationale pour avoir été un des pionniers des festivals rock en France. L'ambition même de ce festival était donc de dépasser le cadre purement local de la ville d'[Localité 5] et de se faire connaître et reconnaître à travers la France.



Le public concerné, à savoir les habitués des festivals de rock, ne saurait donc être limité au territoire d'[Localité 5]. Il appartient donc à la commune d'Évreux de démontrer la notoriété de la marque Rock In Évreux sur le territoire national ou tout au moins une grande partie de celui-ci.



En l'espèce, les éléments produits par la commune d'Évreux à l'appui de ses observations au projet d'irrecevabilité font état de réservations de places du festival Rock in Évreux à travers toute la France, de publicité dans les gares, sur des supports nationaux (magazines Rock And Folk, Rolling Stones et Fnac) mais également d'émission de radio nationale (émission Carnet de campagne sur France Inter) et des sites nationaux spécialisés dans les festivals, concerts ou musiques (concerts and Co., Digitik, Panda Ticket, Festicket) diffusant des informations sur ce festival.



La commune d'Évreux démontre également la diffusion d'informations sur le festival dans des quotidiens ou magazines régionaux couvrant une large fraction du territoire national (Ouest-France, [Localité 7] Normandie, magazine de la région Normandie).



Cette diffusion nationale sur de multiples supports contrebalance ainsi le caractère récent de la marque (2017) et permet d'établir la notoriété de la marque Rock in [Localité 5] sur le territoire français dans les deux classes visées par l'enregistrement, la classe 35, à savoir la vente de services publicitaires tels que la vente ou la location d'espaces de temps publicitaires, sponsoring, mécénat,' et la classe 41, à savoir la vente de produits d'activités culturelles ou de places de spectacle.



La décision du directeur de l'INPI OPP 18-3535 du 15 octobre 2018 sera dès lors annulée.



V' Sur les demandes accessoires



Les parties seront déboutées de leurs demandes respectives au titre des frais irrépétibles.



PAR CES MOTIFS



La Cour, statuant publiquement, par arrêt mis à disposition au greffe,



Déclare recevable le recours formé par la commune d'Évreux contre la décision du directeur de l'INPI 18-3535 du 15 octobre 2018 ;



Déclare irrecevable la demande subsidiaire de l'association Évreux ensemble tendant à voir dire que la commune d'Évreux n'avait pas qualité pour former opposition ;



Déclare irrecevables les pièces déposées par l'association Évreux ensemble ;



Déclare recevables les pièces n° 16 à 35 produites par la commune d'Évreux devant la cour ;



Annule la décision OPP 18-3535 prise par le directeur général de l'INPI le 15 octobre 2018 ;



Déboute les parties de leurs demandes au titre des frais irrépétibles ;



Dit que la présente décision sera notifiée par le greffe aux parties et au directeur général de l'INPI.







Le greffier,Le président,

Delphine Verhaeghe.Catherine Bolteau-Serre.

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