9 novembre 2016
Cour de cassation
Pourvoi n° 15-25.873

Première chambre civile - Formation de section

Publié au Bulletin - Publié au Rapport

ECLI:FR:CCASS:2016:C101245

Titres et sommaires

ETAT - Responsabilité - Fonctionnement défectueux du service de la justice - Faute lourde - Définition - Contrôle d'identité selon des critères tirés de caractéristiques physiques associées à une origine, réelle ou supposée, sans aucune justification objective préalable

Une faute lourde de l'Etat, au sens de l'article L. 141-1 du code de l'organisation judiciaire, doit être regardée comme constituée lorsqu'il est établi qu'un contrôle d'identité a été réalisé selon des critères tirés de caractéristiques physiques associées à une origine, réelle ou supposée, sans aucune justification objective préalable. La charge de la preuve est aménagée en ce qu'il appartient à celui qui s'en prétend victime d'apporter des éléments de fait de nature à traduire une différence de traitement et laissant présumer l'existence d'une discrimination, et, le cas échéant, à l'administration de démontrer, soit l'absence de différence de traitement, soit que celle-ci est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. Les juges apprécient souverainement si celui qui s'en prévaut rapporte la preuve de faits de nature à traduire une différence de traitement laissant présumer l'existence d'une discrimination dans le choix de la personne. Une cour d'appel, qui constate que les études et informations statistiques produites attestent de la fréquence de contrôles d'identité effectués, selon des motifs discriminatoires, sur une même catégorie de population appartenant aux "minorités visibles", c'est-à-dire déterminée par des caractéristiques physiques résultant de son origine ethnique, réelle ou supposée, et se fonde sur un témoignage pour retenir que les opérations de contrôle ont visé, durant une heure trente, de façon systématique et exclusive, un type de population en raison de sa couleur de peau ou de son origine, en déduit souverainement que la victime apporte des éléments de nature à traduire une différence de traitement laissant présumer l'existence d'une discrimination. Un cour d'appel, qui, au regard d'une telle présomption, estime souverainement que l'Agent judiciaire de l'Etat ne démontre pas en quoi ce contrôle d'identité était justifié par des circonstances objectives, étrangères à toute discrimination, en déduit exactement que la responsabilité de l'Etat se trouve engagée sur le fondement de l'article L. 141-1 du code de l'organisation judiciaire

ETRANGER - Contrôles - Contrôle d'identité sur le fondement de l'article 78-2, alinéa 1, du code de procédure pénale - Choix de la personne contrôlée - Caractère discriminatoire - Preuve - Etendue - Détermination

ETRANGER - Contrôles - Contrôle d'identité sur le fondement de l'article 78-2, alinéa 1, du code de procédure pénale - Choix de la personne contrôlée - Caractère discriminatoire - Appréciation souveraine

ETRANGER - Contrôles - Contrôle d'identité sur le fondement de l'article 78-2, alinéa 1, du code de procédure pénale - Choix de la personne contrôlée - Caractère discriminatoire - Applications diverses - Contrôle systématique et exclusif durant une heure trente d'un type de population en raison de sa couleur de peau ou de son origine

ETAT - Responsabilité - Fonctionnement défectueux du service de la justice - Faute lourde - Exclusion - Cas - Contrôle d'identité justifié par des circonstances objectives, étrangères à toute discrimination

Texte de la décision

CIV. 1

CF



COUR DE CASSATION
______________________


Audience du 9 novembre 2016




Rejet


Mme BATUT, président



Arrêt n° 1245 FS-P+B+R+I

Pourvoi n° G 15-25.873






R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par l'Agent judiciaire de l'Etat, domicilié [Adresse 2],

contre l'arrêt rendu le 24 juin 2015 par la cour d'appel de Paris (pôle 2, chambre 1), dans le litige l'opposant à M. [B] [B], domicilié [Adresse 1],

défendeur à la cassation ;

Intervenant volontaire : le Défenseur des droits, domicilié [Adresse 3],

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;

Vu la communication faite au procureur général ;

LA COUR, composée conformément à l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 4 octobre 2016, où étaient présents : Mme Batut, président, Mme Gargoullaud, conseiller référendaire rapporteur, M. Matet, conseiller doyen, MM. Hascher, Reynis, Mme Reygner, M. Vigneau, Mme Bozzi, M. Acquaviva, conseillers, Mme Guyon-Renard, MM. Mansion, Roth, Mmes Mouty-Tardieu, Le Cotty, Azar, conseillers référendaires, Mme Ancel, avocat général référendaire, Mme Pecquenard, greffier de chambre ;

Sur le rapport de Mme Gargoullaud, conseiller référendaire, les observations et plaidoiries de la SCP Meier-Bourdeau et Lécuyer, avocat de l'Agent judiciaire de l'Etat, de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de M. [B], les observations orales, en intervention, de la SCP Thouin-Palat et Boucard, pour le Défenseur des droits, l'avis de Mme Ancel, avocat général référendaire, auquel les avocats ont été invités à répliquer, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 24 juin 2015, n° 346/2015) et les productions, que, le 6 décembre 2011, le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Nanterre a pris des réquisitions sur le fondement de l'article 78-2, alinéa 6, du code de procédure pénale, dans sa rédaction alors applicable, tendant à faire procéder, dans des lieux déterminés du quartier de La Défense, le 10 décembre 2011, de 13 heures à 24 heures, à des contrôles d'identité aux fins de rechercher des auteurs de violences volontaires, vols de véhicules ou dans les véhicules, infractions à la législation sur les stupéfiants, sur les armes et sur les étrangers ; qu'en exécution de ces réquisitions, les services de police ont procédé au contrôle de l'identité de MM. [B], [O] et [K], lequel n'a donné lieu à aucune suite judiciaire ou administrative ; qu'invoquant le fonctionnement défectueux du service public de la justice résultant du caractère discriminatoire du contrôle en raison de son origine, de son apparence physique ou de son appartenance ethnique, M. [B] a assigné l'Agent judiciaire de l'Etat en réparation de son préjudice moral, sur le fondement de l'article L. 141-1 du code de l'organisation judiciaire ;

Attendu que l'Agent judiciaire de l'Etat fait grief à l'arrêt de le condamner à verser à M. [B] la somme de 1 500 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral, alors, selon le moyen :

1°/ que, hormis l'hypothèse du déni de justice, la responsabilité de l'Etat ne peut être engagée pour réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service public de la justice, et notamment de l'action de la police judiciaire, qu'en cas de faute lourde définie comme toute déficience caractérisée par un fait ou une série de faits traduisant l'inaptitude du service public de la justice à remplir la mission dont il est investi ; qu'il résulte des constatations de l'arrêt que, parmi les contrôles d'identité réalisés le 1er octobre 2011 en exécution d'une réquisition du procureur de la République prise sur le fondement de l'article 78-2, alinéa 6, du code de procédure pénale, des officiers de police judiciaire ont été amenés à contrôler l'identité de M. [B] dans le respect des conditions posées par cette réquisition tenant au lieu, à la date et au motif du contrôle ; qu'en jugeant pourtant que ce contrôle d'identité caractériserait l'inaptitude du service de la police judiciaire à remplir sa mission, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé l'article L. 141-1 du code de l'organisation judiciaire ;

2°/ que le justiciable qui conteste la légalité du contrôle d'identité dont il a été l'objet dispose à la fois de recours en annulation des procédures éventuellement engagées à leur suite et, comme l'atteste la procédure engagée par le défendeur au pourvoi, d'une action en responsabilité contre l'Etat sur le fondement de l'article L. 141-1 du code de l'organisation judiciaire, actions lui permettant de contester le motif du contrôle ; qu'en retenant pourtant que la loi en matière de contrôles d'identité ne respecterait pas suffisamment le droit à un recours juridictionnel effectif faute de traçabilité de ces contrôles, ce qui justifierait un aménagement des règles de preuve de l'atteinte aux droits de la personne et au principe d'égalité, la cour d'appel a violé, par fausse application, l'article 13 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

3°/ que le principe énoncé à l'article 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales n'a pas d'existence autonome mais assure l'exercice non discriminatoire des droits et libertés reconnus par la Convention ; qu'en jugeant que la preuve de la non-discrimination dans la réalisation du contrôle d'identité devait obéir à la mise en oeuvre que la Cour européenne des droits de l'homme fait de ce texte, sans préciser le droit ou la liberté reconnu par la Convention dont la jouissance n'aurait pas été assurée conformément aux dispositions de l'article 14 de celle-ci, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de ce texte et de l'article L. 141-1 du code de l'organisation judiciaire ;

4°/ que pour juger que les services de police judiciaire avaient commis une faute lourde en réalisant un contrôle d'identité discriminatoire, la cour d'appel s'est bornée à retenir, en plus de l'attestation d'un témoin, les conclusions tirées de statistiques, par nature générales et impropres à caractériser une circonstance grave, précise et concordante avec les faits spécifiques à établir ; qu'en ne relevant pas un faisceau de circonstances graves, précises et concordantes établissant la différence de traitement dont M. [B] se disait victime, la cour d'appel a alors privé sa décision de bases légales au regard de l'article L. 141-1 du code de l'organisation judiciaire ;

5°/ qu'en retenant, pour juger que les services de police judiciaire avaient commis une faute lourde en contrôlant l'identité de M. [B] pour un motif discriminatoire, que l'Agent judiciaire de l'Etat n'établirait pas les circonstances précises et particulières justifiant la réalisation de ce contrôle d'identité, pendant le temps auquel M. [Y] y avait assisté aux abords du centre commercial des Quatre temps à La Défense, sur une population choisie du fait de son origine supposée étrangère, sans rechercher, comme il résultait des conclusions de l'Agent judiciaire de l'Etat, si ce contrôle ne s'inscrivait pas légitimement dans l'exécution des réquisitions du parquet qui avait ordonné la recherche d'infractions à la législation sur les étrangers, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 141-1 du code de l'organisation judiciaire ;

Mais attendu que la faute lourde résultant d'une déficience caractérisée par un fait ou une série de faits traduisant l'inaptitude du service public de la justice à remplir la mission dont il est investi, au sens de l'article L. 141-1 du code de l'organisation judiciaire, doit être regardée comme constituée lorsqu'il est établi qu'un contrôle d'identité présente un caractère discriminatoire ; que tel est le cas, notamment, d'un contrôle d'identité réalisé selon des critères tirés de caractéristiques physiques associées à une origine, réelle ou supposée, sans aucune justification objective préalable ;

Qu'il appartient à celui qui s'en prétend victime d'apporter des éléments de fait de nature à traduire une différence de traitement laissant présumer l'existence d'une discrimination, et, le cas échéant, à l'administration de démontrer, soit l'absence de différence de traitement, soit que celle-ci est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination ;

Attendu, d'abord, que l'arrêt constate que les études et informations statistiques produites attestent de la fréquence de contrôles d'identité effectués, selon des motifs discriminatoires, sur une même catégorie de population appartenant aux « minorités visibles », c'est-à-dire déterminée par des caractéristiques physiques résultant de son origine ethnique, réelle ou supposée ; que, se fondant sur un témoignage, il retient que les opérations de contrôle ont visé, durant une heure trente, de façon systématique et exclusive, un type de population en raison de sa couleur de peau ou de son origine ; que la cour d'appel en a souverainement déduit que M. [B] apportait des éléments de nature à traduire une différence de traitement laissant présumer l'existence d'une discrimination ;

Attendu, ensuite, que la cour d'appel, qui n'avait pas à procéder à une recherche qui ne lui était pas demandée, a souverainement estimé que l'Agent judiciaire de l'Etat ne démontrait pas en quoi ce contrôle d'identité était justifié par des circonstances objectives, étrangères à toute discrimination ; qu'elle en a exactement déduit que la responsabilité de l'Etat se trouvait engagée sur le fondement de l'article L. 141-1 du code de l'organisation judiciaire ;

D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Laisse les dépens à la charge du Trésor public ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé le neuf novembre deux mille seize par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Meier-Bourdeau et Lécuyer, avocat aux Conseils, pour l'Agent judiciaire de l'Etat.

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR condamné l'Agent judiciaire de l'Etat à verser à M. [B] la somme de 1.500 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral ;

AUX MOTIFS QUE le contrôle d'identité est l'injonction ou la sommation, faite à une personne physique par un agent de la force publique, fonctionnaire de police ou militaire de la gendarmerie, de justifier de son identité par tout moyen ; que les conditions autorisant un agent de la force publique ou un militaire de gendarmerie à effectuer un contrôle d'identité sont définies par l'article 78-2 du code de procédure pénale qui prévoit trois situations : * alinéa 1 : "Les officiers de police judiciaire et, (¿) peuvent inviter à justifier, par tout moyen, de son identité toute personne à l'égard de laquelle existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner : - qu'elle a commis ou tenté de commettre une infraction ; - ou qu'elle se prépare à commettre un crime ou un délit ; - ou qu'elle est susceptible de fournir des renseignements utiles à l'enquête en cas de crime ou délit ; - ou qu'elle fait l'objet de recherches ordonnées par l'autorité judiciaire" ; * alinéa 2 : "Sur réquisitions écrites du procureur de la république aux fins de recherche et de poursuite d'infractions qu'il précise, l'identité de toute personne peut être également contrôlée, selon les mêmes modalités, dans les lieux et pour une période de temps déterminée par ce magistrat (......)", le Conseil Constitutionnel, dans sa décision n° DC 93-323 du 5 août 1993, ayant précisé que le procureur de la République doit dans ses réquisitions "définir précisément les conditions dans lesquelles les procédures de contrôle et de vérification d'identité qu'il prescrit doivent être effectuées" ; * alinéa 3 : "L'identité de toute personne, quel que soit son comportement, peut également être contrôlée, selon les modalités prévues au premier alinéa, pour prévenir une atteinte à l'ordre public, notamment à la sécurité des personnes ou des biens", le Conseil Constitutionnel dans le même arrêt du 5 août 1993 ayant rappelé que l'autorité de police doit être en mesure de "justifier, dans tous les cas, des circonstances particulières établissant le risque d'atteinte à l'ordre public qui a motivé le contrôle" ; que néanmoins la mise en oeuvre d'un contrôle d'identité fondée sur les dispositions de l'article 78-2 du code de procédure pénale, au-delà même de la question de sa légalité, doit avoir été opérée dans le respect des droits fondamentaux de la personne et donc du principe de l'égalité de traitement entre les personnes, sans discrimination tenant notamment à la race, l'apparence physique ou l'origine ; que ce principe de non-discrimination est au coeur de la protection internationale des droits de l'homme ; que dans le prolongement de la Déclaration Universelle des droits de l'homme du 10 décembre 1948, il est consacré par la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale du 21 décembre 1965, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966, la Charte des droits fondamentaux de l'Union Européenne du 7 novembre 2002, la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme ; que la CJUE, en matière de discrimination, applique le droit de l'Union au regard des textes internationaux, nationaux et de la Convention Européenne des droits de l'Homme, rappelant que les Etats, non seulement doivent s'abstenir de discriminer mais ont également l'obligation de prendre toute mesure nécessaire afin d'éviter toute discrimination dont la CEDH a jugé dans l'arrêt [X] contre Russie, du 13 décembre 2005, que "la discrimination raciale est une forme de discrimination particulièrement odieuse qui exige une vigilance spéciale et une réaction vigoureuse de la part des autorités (....)" ; que tout autant ce principe de l'égalité de traitement et de son corollaire, celui de la non-discrimination est consacré en droit interne, par la Constitution de 4 octobre 1958 qui, en son article 1, dispose que "La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion", mais également par la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen du 26 août 1789 et par l'alinéa 1 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, ces deux derniers textes ayant valeur constitutionnelle ; que dès lors si le juge judiciaire, sur ces trois formes de contrôle d'identité : droit commun de l'alinéa 1, sur réquisition de l'alinéa 2, à titre préventif de l'alinéa 3, est amené à exercer son contrôle sur le respect par les autorités de police, des exigences légales et des limites fixées par le Conseil Constitutionnel, il lui appartient également, outre ce contrôle de la stricte légalité des contrôles d'identité opérés, de s'assurer que ceux-ci ont été exécutés dans le respect des droits fondamentaux de la personne, selon des critères objectifs, étrangers notamment, à la couleur de la peau et/ou l'origine des personnes contrôlées ; que le Conseil Constitutionnel a rappelé dans sa décision du 5 août 1993 "qu'il revient à l'autorité judiciaire gardienne de la liberté individuelle de contrôler en particulier les conditions relatives à la légalité, à la réalité et à la pertinence des raisons ayant motivé les opérations de contrôle et de vérification d'identité" ; que M. [B] [B] a fait l'objet d'un contrôle d'identité en application des dispositions de l'article 78-2 alinéa 2 du code de procédure pénale ; que cette mesure constitue une action de police judiciaire qui relève, contrairement à ce que soutient l'appelant, du domaine du service public de la justice dont celui-ci est ainsi devenu, quoiqu'il le conteste, un usager auquel l'article L. 141-1 du code de l'organisation judiciaire, qui concerne non seulement les actes effectués par les magistrats mais accomplis dans le cadre défini par le code de procédure pénale, ainsi que les enquêtes sur les crimes ou délits flagrants et les enquêtes préliminaires, ouvre une action lui permettant de rechercher la responsabilité de l'Etat en ce qu'il prévoit que "L'Etat est tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service public de la justice" ; que certes ce texte dispose que "cette responsabilité n'est engagée que par une faute lourde ou un déni de justice", la faute lourde devant s'entendre comme une déficience caractérisée par "un fait ou une série de faits traduisant l'inaptitude du service public de la justice à remplir la mission dont il est investi" ; que néanmoins la jurisprudence apprécie cette notion en prenant en compte le devoir professionnel méconnu par l'agent qui en est l'auteur et les effets du dysfonctionnement pour la victime, au regard de ce qu'elle était en droit d'attendre du service public de la justice ; qu'au regard des principes fondamentaux résultant tant des normes internationales, qu'européennes que nationales, précédemment énoncées, il est acquis qu'un contrôle d'identité, opéré sur des motifs discriminatoires fondés notamment sur la race ou l'origine, porterait fondamentalement atteinte au principe d'égalité de traitement que toute personne est légitimement en droit d'attendre du service public de la justice ; qu'une violation aussi flagrante des droits fondamentaux de la personne ne peut dès lors que constituer une faute lourde engageant directement la responsabilité de l'Etat, de sorte que l'exigence posée par l'article L. 141-1 de l'organisation judiciaire tenant à la caractérisation de celle-ci ne constitue pas un obstacle à l'action dont dispose la personne qui s'en dit victime ; que cependant pour être pleinement effectif, le recours au juge judiciaire tel que rappelé par le Conseil Constitutionnel, s'exerçant sur le fondement dudit article L. 141-1 doit s'inscrire dans un régime juridique permettant la démonstration, par l'intéressé, des faits qu'il estime arbitraires ou abusifs ; que la problématique au cas d'espèce résulte de ce que le contrôle litigieux n'a donné lieu à la rédaction d'aucun procès-verbal, qu'il n'a pas été enregistré, ni fait l'objet d'un récépissé ; que telle qu'établie, la loi en matière de contrôle d'identité qui n'aboutit pas à la constatation d'une infraction, ne prévoit aucune obligation de traçabilité ; que cette situation constitue dès lors une entrave au contrôle juridictionnel, susceptible en elle-même de priver la personne concernée de la possibilité de contester utilement la mesure en cause et son caractère éventuellement discriminatoire et va à l'encontre de la jurisprudence développée par la Cour européenne sur l'article 13 de la Convention Européenne portant sur le droit à un recours effectif ; que l'appelant soutient en conséquence la nécessité d'un aménagement de la charge de la preuve, tel que l'a énoncé la Cour européenne dans diverses décisions (arrêts [S], [X], [N]) ; qu'il invoque également sur ce point la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 qui en son article 4 dispose que "Toute personne qui s'estime victime d'une discrimination directe ou indirecte présente devant la juridiction compétente les faits qui permettent d'en présumer l'existence. Au vu de ces éléments, il appartient à la partie défenderesse de prouver que la mesure en cause est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination" ; que le champ d'application de la loi du 27 mai 2008, qui a modifié plusieurs articles du code du travail, ainsi que l'article 225-3 du code pénal, est défini par son article 2 qui énonce : "1° Toute discrimination (.....) est interdite en matière de protection sociale, de santé, d'avantages sociaux, d'éducation, d'accès aux biens et services ou de fournitures de biens et services ; 2° Toute discrimination (....) est interdite en matière d'affiliation et d'engagement dans une organisation syndicale ou professionnelle, y compris d'avantages procurées par elle, d'accès à l'emploi, d'emplois, de formation professionnelle et de travail, y compris de travail indépendant ou non salarié, ainsi que de conditions de travail et de promotion professionnelle" ; que cette loi a été prise dans le but de compléter la transposition de différentes directives communautaires, toutes en lien direct ou indirect avec le droit du travail : - directive 2000/43/CE du Conseil du 29 juin 2000 : lutte contre les discriminations dans le domaine de l'emploi, de la protection sociale, du relèvement du niveau de la qualité de la vie, de la cohésion économique et sociale et de la solidarité ; - directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2009 : création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail ; - directive 2002/73/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 septembre 2002 : modifie une directive relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes, en ce qui concerne l'accès à l'emploi, à la formation et à la promotion professionnelle, et les conditions de travail ; - directive 2004/113/CE du Conseil du 13 décembre 2004 : mise en oeuvre du principe de l'égalité de traitement entre les femmes et les hommes dans l'accès à des biens et services et la fourniture de biens et services (dans le domaine économique et financier) ; - directive 2006/CE du Parlement européen et du Conseil du 5 juillet 2006 : "mise en oeuvre du principe de l'égalité des chances et de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d'emploi et de travail" ; qu'ainsi au regard de son domaine d'application, des directives européennes précitées, des discussions parlementaires et travaux préparatoires, il n'apparaît pas que la loi du 27 mai 2008 dont le domaine d'application est circonscrit à la matière sociale et aux relations professionnelles, ait vocation à s'appliquer au présent litige ; que néanmoins pour être adéquate, la voie de recours ouverte par l'article L. 141-1 du code de l'organisation judiciaire, nécessite dès lors que la preuve de l'atteinte aux droits de la personne et au principe d'égalité, puisse être rapportée, conformément à la jurisprudence de la Cour européenne, par un faisceau de circonstances graves, précises et concordantes, l'autorité publique devant quant à elle démontrer le caractère justifié de la différence de traitement ; qu'en l'espèce, outre les statistiques d'ordre général qui, contrairement à ce que soutient l'agent judiciaire de l'Etat, constituent un élément d'appréciation en ce qu'elles révèlent qu'est "sur contrôlée" une population jeune, masculine, portant des vêtements qui sont ceux à la mode dans la jeune génération issue des quartiers défavorisés et appartenant aux minorités visibles, situation notamment dénoncée par un rapport de la Commission européenne contre le racisme et l'intolérance de juin 2010, M. [B] [B] produit aux débats une attestation délivrée par M. [F] [Y], témoin de son interpellation ; que cette personne déclare : "J'ai observé au total une dizaine de personnes contrôlées durant 1h 30 environ. C'était uniquement des hommes noirs et des arabes âgés entre 18 et 35 ans. Elles étaient habillées classiquement (jeans, survêtements). Il n'y a eu aucune arrestation. Pour choisir les personnes à contrôler, les policiers observaient la foule. Une fois la personne sélectionnée, un agent se mettait au milieu de son chemin puis tendait son bras et sa main en direction du lieu où s'exécutait le contrôle. J'étais situé à 10 mètres du lieu du contrôle, je pouvais donc parfois entendre les échanges entre les personnes contrôlées et les policiers, généralement les policiers répondaient < hé oui c'est la vie >, lorsque les personnes contrôlées cherchaient à connaître les raisons de ce contrôle (....)" ; que ce témoignage démontre que le contrôle d'identité litigieux a ainsi était exécuté en tenant compte de l'apparence physique de l'intéressé et de son appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie ou une race ; que si la régularité du contrôle dont M. [B] [B] a fait l'objet n'est pas contestée au regard des dispositions de l'alinéa 2 de l'article 78-2 du code de procédure pénale dans le cadre duquel il s'est déroulé, sur réquisitions du procureur de la République près le tribunal de grande instance de Nanterre, au motif de "l'affluence, la spécificité et la sensibilité du site de la Défense", il demeure en revanche que l'autorité publique ne peut démontrer en quoi le contrôle systématique et exclusif d'un type de population, en raison de la couleur de sa peau ou de son origine, tel qu'il a été relaté par M. [F] [Y] était justifié par des circonstances précises et particulières ; qu'à défaut d'une telle preuve, peu important par ailleurs que le contrôle en cause se soit déroulé sans que n'aient été tenus de propos humiliants ou insultants, les faits dénoncés par M. [B] présentent un caractère discriminatoire qui engage la responsabilité de l'Etat ; que dès lors M. [B] [B] est fondé à obtenir la réparation du préjudice moral qui en est résulté, lequel sera réparé par l'allocation d'une somme de 1 500 euros ;

1°) ALORS QUE, hormis l'hypothèse du déni de justice, la responsabilité de l'Etat ne peut être engagée pour réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service public de la justice, et notamment de l'action de la police judiciaire, qu'en cas de faute lourde définie comme toute déficience caractérisée par un fait ou une série de faits traduisant l'inaptitude du service public de la justice à remplir la mission dont il est investi ; qu'il résulte des constatations de l'arrêt que, parmi les contrôles d'identité réalisés les 10 et 11 décembre 2011 en exécution de réquisitions du procureur de la République prises sur le fondement de l'article 78-2 al. 6 du code de procédure pénale, des officiers de police judiciaire ont été amenés à contrôler l'identité de M. [B] dans le respect des conditions posées par cette réquisition tenant au lieu, à la date et au motif du contrôle ; qu'en jugeant pourtant que le contrôle d'identité dont M. [B] avait été l'objet caractériserait l'inaptitude du service de la police judiciaire à remplir sa mission, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé l'article L. 141-1 du code de l'organisation judiciaire ;

2°) ALORS QUE le justiciable qui conteste la légalité du contrôle d'identité dont il a été l'objet dispose à la fois de recours en annulation des procédures éventuellement engagées à leur suite et, comme l'atteste la procédure engagée par le défendeur au pourvoi, d'une action en responsabilité contre l'Etat sur le fondement de l'article L. 141-1 du code de l'organisation judiciaire, actions lui permettant de contester le motif du contrôle ; qu'en retenant pourtant que la loi en matière de contrôles d'identité ne respecterait pas suffisamment le droit à un recours juridictionnel effectif faute de traçabilité de ces contrôles, ce qui justifierait un aménagement des règles de preuve de l'atteinte aux droits de la personne et au principe d'égalité, la cour d'appel a violé, par fausse application, l'article 13 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

3°) ALORS QUE le principe énoncé à l'article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales n'a pas d'existence autonome mais assure l'exercice non-discriminatoire des droits et libertés reconnus par la Convention ; qu'en jugeant que la preuve de la non-discrimination dans la réalisation du contrôle d'identité devait obéir à la mise en oeuvre que la Cour européenne des droits de l'homme fait de ce texte, sans préciser le droit ou la liberté reconnu par la Convention dont la jouissance n'aurait pas été assurée conformément aux dispositions de l'article 14 de celle-ci, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de ce texte et de l'article L. 141-1 du code de l'organisation judiciaire ;

4°) ALORS QU'en toute hypothèse, pour juger que les services de police judiciaire avaient commis une faute lourde en réalisant un contrôle d'identité discriminatoire, la cour d'appel s'est bornée à retenir, en plus de l'attestation d'un témoin, les conclusions tirées de statistiques, par nature générales et impropres à caractériser une circonstance grave, précise et concordante avec les faits spécifiques à établir ; qu'en ne relevant pas un faisceau de circonstances graves, précises et concordantes établissant la différence de traitement dont M. [B] se disait victime, la cour d'appel a alors privé sa décision de bases légales au regard de l'article L. 141-1 du code de l'organisation judiciaire ;

5°) ALORS QU' en retenant, pour juger que les services de police judiciaire avaient commis une faute lourde en contrôlant l'identité de M. [B] pour un motif discriminatoire, que l'Agent judiciaire de l'Etat n'établirait pas les circonstances précises et particulières justifiant la réalisation de ce contrôle d'identité, pendant le temps auquel M. [Y] y avait assisté aux abords du centre commercial des Quatre Temps à La Défense, sur une population choisie du fait de son origine supposée étrangère, sans rechercher, comme il résultait des conclusions de l'Agent judiciaire de l'Etat, si ce contrôle ne s'inscrivait pas légitimement dans l'exécution des réquisitions du parquet qui avait ordonné la recherche d'infractions à la législation sur les étrangers, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 141-1 du code de l'organisation judiciaire.

Vous devez être connecté pour gérer vos abonnements.

Vous devez être connecté pour ajouter cette page à vos favoris.

Vous devez être connecté pour ajouter une note.