29 novembre 2016
Cour de cassation
Pourvoi n° 15-86.712

Chambre criminelle - Formation plénière de chambre

Publié au Bulletin - Publié au Rapport

ECLI:FR:CCASS:2016:CR05697

Titres et sommaires

PEINES - Peines correctionnelles - Peines d'emprisonnement sans sursis prononcées par la juridiction correctionnelle - Conditions - Motivation - Nécessité de la peine et caractère manifestement inadéquat de toute autre sanction - Etendue - Détermination - Portée

Il résulte de l'article 132-19 du code pénal que le juge qui prononce une peine d'emprisonnement sans sursis doit en justifier la nécessité au regard de la gravité de l'infraction, de la personnalité de son auteur et du caractère manifestement inadéquat de toute autre sanction. Encourt la censure l'arrêt qui, pour prononcer une peine de trois ans d'emprisonnement, retient que la gravité des faits et la personnalité du prévenu rendent nécessaire le prononcé d'une peine d'emprisonnement ferme et que toute autre sanction serait manifestement inadéquate, sans s'expliquer sur les éléments de la personnalité du prévenu qu'elle a pris en considération pour fonder sa décision et sur le caractère inadéquat de toute autre sanction

PEINES - Prononcé - Emprisonnement sans sursis - Motif - Peine prononcée par la juridiction correctionnelle - Motivation - Nécessité de la peine et caractère manifestement inadéquat de toute autre sanction - Etendue - Détermination - Portée

JUGEMENTS ET ARRETS - Motifs - Peine prononcée par la juridiction correctionnelle - Emprisonnement sans sursis - Motivation - Nécessité de la peine et caractère manifestement inadéquat de toute autre sanction - Etendue - Détermination - Portée

Texte de la décision

N° N 15-86.712 FP-P+B+R+I

N° 5697

SL
29 NOVEMBRE 2016


CASSATION PARTIELLE


M. GUÉRIN président,





R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________




LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, a rendu l'arrêt suivant :

CASSATION PARTIELLE et désignation de juridiction sur le pourvoi formé par M. [M] [J], contre l'arrêt de la cour d'appel de Nancy, chambre correctionnelle, en date du 13 octobre 2015, qui sur renvoi après cassation (Crim., 27 mars 2013, n° 12-82.868), pour complicité d'importation de marchandises prohibées, l'a condamné à trois ans d'emprisonnement et 50 000 euros d'amende, et a ordonné une mesure de confiscation ;

La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 17 novembre 2016 où étaient présents : M. Guérin, président, Mme Chaubon, conseiller rapporteur, MM. Pers, Straehli, Castel, Soulard, Buisson, Fossier, Moreau, Mmes de la Lance, Drai, Schneider, M. Ricard, conseillers de la chambre, Mme Harel-Dutirou, M. Laurent, Mme Chauchis, M. Talabardon, conseillers référendaires ;

Avocat général : Mme Le Dimna ;

Greffier de chambre : Mme Zita ;

Sur le rapport de Mme le conseiller CHAUBON, les observations de la société civile professionnelle WAQUET, FARGE et HAZAN, avocat en la Cour, et les conclusions de Mme l'avocat général LE DIMNA ;


Vu le mémoire et les observations complémentaires produits ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, des articles 695-16 et suivants du code de procédure pénale, et des principes régissant le mandat d'arrêt européen, notamment du principe de spécialité, des articles 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale :

"en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a déclaré M. [J] coupable de complicité d'importation illicite d'héroïne, substance classée comme stupéfiant du 27 octobre 2007 au 9 avril 2009 ;

"aux motifs que par conclusions développées à l'audience devant la cour, l'avocat du prévenu fait valoir les poursuites du mandat d'arrêt européen concernent un certain "[T]" pour une période du 1er janvier 2007 au 9 avril 2009, que M. [J] n'est pas "[T]", que seuls MM. [Z] [X] et [O] [W] sont visés dans le mandat d'arrêt européen, que M. [J] doit en conséquence être mis hors de cause, seul le nommé "[T]" pouvant faire l'objet d'une condamnation pénale ; que le mandat d'arrêt européen délivré le 3 novembre 2009 concerne bien M. [J], né le [Date naissance 1] 1989 à [Localité 3] ayant demeuré [Adresse 1] à [Localité 3] et des faits de cession, offre de stupéfiants et de complicité d'importation de produits stupéfiants, commis entre le 1er janvier 2007 et le 9 avril 2009 à [Localité 2] et [Localité 1] ; qu'il convient de constater que les autorités néerlandaises ont accordé la remise de M. [J], nommément désigné, aux autorités françaises et les faits pour lesquels il est jugé n'excèdent pas ceux pour lesquels la remise a été accordée ; que, dès lors, le fait que le surnom de « [T] » ait été attribué à tort dans le mandat d'arrêt européen, à M. [J] est sans incidence sur la validité de la procédure et des poursuites à son égard ; que, de plus, il ressort des déclarations même du prévenu, en litige avec le véritable "[T]", qu'il s'était emparé de plusieurs des téléphones portables de celui-ci et s'était fait passer pour lui ; qu'il y a donc lieu de considérer que M. [J] est bien la personne visée par le jugement du tribunal d'Amsterdam du 29 janvier 2009 qui autorise sa remise pour des faits d'importation et trafic de stupéfiants pour lesquels sa remise a été sollicitée, étant au surplus observé, ainsi que l'indique le juge hollandais, que la question de savoir si M. [J] est ou non réellement "[T]" n'est plus qu'une question de preuve soumise au juge français ; que les investigations réalisées et particulièrement les auditions circonstanciées qui ont été précédemment développées, des ressortissants français ayant importé des produits stupéfiants ont démontré qu'avait été mis en place par "[T]" et d'autres personnes dont M. [J] dont le surnom était "[R]" et que certains ont qualifié comme étant un de ses adjoints puis comme son successeur, un système de vente de produits stupéfiants dans des appartements, selon une procédure stricte permettant de ne pas attirer l'attention des autorités policières néerlandaises, en évitant de faire tourner autour des lieux de vente des véhicules immatriculés en France et d'identifier des personnes parlant français ; que les personnes identifiées comme étant en lien avec ce trafic de stupéfiants indiquent de manière similaire un mode opératoire par lequel le prévenu et ce à compter de l'année 2007, entrait en contact avec des personnes de nationalité française dans le but d'acquérir des produits stupéfiants sur le sol néerlandais pour les transporter en France et les guidait jusqu'au lieu où elles pouvaient réaliser leurs acquisitions ; que les explications de M. [J] sur les circonstances l'ayant amené à se trouver en possession de la ligne téléphonique identifiée comme étant celle du dénommé "[T]" et sur ses intentions quant à l'orientation de certains clients français vers un autre fournisseur de stupéfiants sont démenties par l'ensemble de la procédure ; que ces investigations ont permis de mettre en évidence que M. [J] a pu par son action permettre et faciliter l'importation sur le sol français de stupéfiants, et qu'il a, notamment, permis de ce fait l'approvisionnement du trafic national pour lequel, par ordonnance, en date du 22 juillet 2009, MM. [W] et [X] ont notamment été renvoyés devant le tribunal correctionnel aux fins d'y être jugés mais aussi l'importation de produits stupéfiants par d'autres ressortissants français parmi lesquels MM. [F] [A], [I] [Y], Mmes [C] [U], [P] [V], [N] [G] et M. [L] [E] ; que l'ensemble de ces éléments permet de retenir dans les liens de la prévention M. [J] du chef de complicité d'importation illicite d'héroïne, substance classée comme stupéfiant, ayant dans un premier temps eu le rôle d'adjoint du nommé "[T]" puis l'ayant par la suite remplacé ;

"1°) alors que, dès lors qu'une personne est remise aux autorités judiciaires françaises en vertu d'un mandat d'arrêt européen, pour avoir commis à titre personnel certains faits, le principe de spécialité interdit à la juridiction française, après qu'il a été reconnu que la personne livrée n'était pas la personne recherchée aux termes du mandat d'arrêt européen, de la juger pour ces faits ou des faits identiques ou parallèles ;

"2°) alors que la demande figurant dans le mandat d'arrêt européen adressé aux autorités néerlandaises indiquait que la personne recherchée par les autorités françaises pour les faits commis entre le 1er janvier 2007 et le 9 avril 2009 était un certain "[T]", qui seul pouvait donc, pour ces faits, faire l'objet d'une condamnation pénale en France ; que la cour d'appel qui constate que M. [J] n'était pas "[T]" mais qu'il aurait eu le rôle d'adjoint du nommé "[T]", puis l'aurait par la suite remplacé, en d'autres termes qu'il ne s'agissait pas de la même personne, ne pouvait statuer sur sa culpabilité pour des faits, objets dudit mandat d'arrêt européen sans violer les textes susvisés et le principe de spécialité et sans excéder ses pouvoirs" ;

Attendu que, pour juger que M. [J] est la personne visée par le jugement du tribunal d'Amsterdam du 29 janvier 2009 qui a autorisé sa remise aux autorités françaises, l'arrêt retient que le mandat d'arrêt européen du 3 novembre 2009 a été délivré à son encontre notamment pour complicité d'importation de produits stupéfiants et que le fait que le surnom de "[T]" lui ait été attribué à tort est sans incidence sur la validité de la procédure et des poursuites à son égard ; que les juges ajoutent qu'il ressort de ses propres déclarations qu'étant en litige avec le nommé "[T]", il s'était emparé de plusieurs téléphones portables de celui-ci et s'était fait passer pour lui ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations, la cour d'appel a justifié sa décision, sans excéder ses pouvoirs et sans méconnaître le principe de spécialité et la disposition conventionnelle invoqués ;

D'où il suit que le moyen doit être écarté ;

Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, des articles 113-2, 113-5, 113-6, 121-6, 121-7, 222-36, 222-41 et suivants du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale :

"en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a déclaré M. [J] coupable de complicité d'importation illicite d'héroïne, substance classée comme stupéfiant, du 27 octobre 2007 au 9 avril 2009 ;

"aux motifs que contrairement à ce qui est soutenu par l'avocat du prévenu, il n'y a pas lieu de remettre en cause la compétence de la juridiction française, la juridiction compétente pour juger le fait principal étant compétente pour juger le complice, quelle que soit sa nationalité et quel que soit le lieu où les actes de complicité se sont accomplis ; qu'en conséquence, la cour infirmera le jugement rendu par le tribunal correctionnel de Châlons-en-Champagne, en date du 15 juin 2011, et statuant à nouveau, M. [J] sera déclaré coupable de complicité d'importation illicite d'héroïne, substance classée comme stupéfiant, du 27 octobre 2007 au 9 avril 2009 ;

"1°) alors que le juge français n'est pas compétent pour statuer sur la culpabilité éventuelle d'un étranger n'ayant commis que des actes de complicité à l'étranger ; qu'en statuant sur la culpabilité de M. [J], citoyen de nationalité néerlandaise, pour des faits de complicité d'importation de stupéfiants qu'il aurait commis à [Localité 1] et à [Localité 2], la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et excédé ses pouvoirs ;

"2°) alors que ne constitue pas un acte de complicité d'importation en France de produits stupéfiants le processus mis en place aux Pays-Bas consistant en un système de vente de produits stupéfiants, dans des appartements au Pays-Bas, et en guidant les acquéreurs vers des lieux de vente et des fournisseurs dans ce pays exclusivement ; que ce processus avait en effet uniquement pour but de maintenir secrets les lieux de vente et l'identité des dealers néerlandais et non d'aider les acheteurs français à franchir la frontière sans encombre ; qu'en retenant la culpabilité de M. [J] du chef de complicité d'importation en France sans caractériser à sa charge la moindre participation à un fait d'importation, la cour d'appel a de nouveau méconnu les textes susvisés" ;

Attendu que, pour déclarer M. [J] coupable des faits qui lui sont reprochés, l'arrêt retient que, d'une part, la juridiction compétente pour juger le fait principal l'est aussi pour juger le complice, quels que soient sa nationalité et le lieu où les actes de complicité ont été accomplis, d'autre part, les investigations réalisées ont mis en évidence que le prévenu a pu, par son action, permettre et faciliter l'importation de produits stupéfiants par des ressortissants français et l'approvisionnement du trafic national ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations, la cour d'appel a, sans méconnaître la disposition conventionnelle invoquée, justifié sa décision ;

D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;

Mais sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 132-19 et 132-24 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale :

"en ce que l'arrêt attaqué a condamné M. [J] à trois ans d'emprisonnement et à une amende de 50 000 euros ;

"aux motifs que les faits dont le prévenu a été reconnu coupable présentent un caractère de gravité certain ; que M. [J] a participé à un trafic de produits stupéfiants, de l'héroïne, d'une grande ampleur ; qu'en termes géographiques puisque touchant le grand Est de la France ; qu'impliquant un grand nombre de consommateurs, 2 700 contacts ayant été recensés ; que les enquêteurs ont évalué à 24,5 kilos l'héroïne à destination de la France au cours des transactions réalisées avec les clients français qui ont généré des profits extrêmement importants ; que la gravité des faits et la personnalité du prévenu rendent nécessaire le prononcé d'une peine d'emprisonnement ferme, toute autre sanction serait manifestement inadéquat ; que dans ces conditions, il y a lieu de condamner M. [J] à trois ans d'emprisonnement, outre à une amende de 50 000 euros, compte tenu du profit résultant du trafic mis en place ;

"alors qu'aux termes des articles 132-19 et 132-24 du code pénal dans leur rédaction applicable à la cause, en matière correctionnelle, aucune peine d'emprisonnement sans sursis ne peut être prononcée qu'en dernier recours si la gravité de l'infraction et la personnalité de son auteur rendent cette peine nécessaire et si toute autre sanction est manifestement inadéquate, les juges devant en outre, lorsqu'ils prononcent une peine d'emprisonnement sans sursis, spécialement motiver leur décision non seulement au regard des faits de l'espèce et de la personnalité de leur auteur, mais également de sa situation matérielle, familiale et sociale ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a prononcé une peine d'emprisonnement ferme sans avoir, au préalable, caractérisé en quoi toute autre sanction était manifestement inadéquate, ni sur l'impossibilité d'organiser le cas échéant une mesure d'aménagement de peine, et sans s'expliquer davantage en quoi la situation matérielle, familiale et sociale de l'intéressé ne faisait pas obstacle à l'application de cette peine privative de liberté, privant ainsi sa décision de toute base légale" ;

Vu l'article 132-19 du code pénal ;

Attendu qu'il résulte de ce texte que le juge qui prononce une peine d'emprisonnement sans sursis doit en justifier la nécessité au regard de la gravité de l'infraction, de la personnalité de son auteur et du caractère manifestement inadéquat de toute autre sanction ;

Attendu que pour condamner M. [J] à la peine de trois ans d'emprisonnement, l'arrêt retient qu'il a participé à un trafic de produits stupéfiants, de l'héroïne, d'une grande ampleur en termes géographiques puisque touchant le grand Est de la France, impliquant un grand nombre de consommateurs, 2 700 contacts ayant été recensés ; que les enquêteurs ont évalué à 24,5 kilos l'héroïne à destination de la France au cours des transactions réalisées avec les clients français qui ont généré des profits extrêmement importants ; que les juges en déduisent que la gravité des faits et la personnalité du prévenu rendent nécessaire le prononcé d'une peine d'emprisonnement ferme et que toute autre sanction serait manifestement inadéquate ;

Mais attendu qu'en prononçant par ces seuls motifs, sans s'expliquer sur les éléments de la personnalité du prévenu qu'elle a pris en considération pour fonder sa décision et sur le caractère inadéquat de toute autre sanction, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée du texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé ;

D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;

Par ces motifs :

CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Nancy, en date du 13 octobre 2015, mais en ses seules dispositions relatives aux peines, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et, pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée ;

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Metz, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Nancy et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-neuf novembre deux mille seize ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.

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