8 décembre 2016
Cour de cassation
Pourvoi n° 15-16.078

Chambre sociale - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2016:SO02170

Titres et sommaires

CONFLIT COLLECTIF DU TRAVAIL - Grève - Grève des services publics - Fin - Date - Détermination - Autorité habilitée - Portée

Si, dans les services publics, la grève doit être précédée d'un préavis donné par un syndicat représentatif et si ce préavis, pour être régulier, doit mentionner l'heure du début et de la fin de l'arrêt de travail, les salariés qui sont seuls titulaires du droit de grève ne sont pas tenus de cesser le travail pendant toute la durée indiquée par le préavis. Il en résulte que la seule constatation de l'absence de salariés grévistes ne permet pas à l'employeur, même en cas de préavis de durée illimitée, de déduire que la grève est terminée, cette décision ne pouvant être prise que par le ou les syndicats représentatifs ayant déposé le préavis de grève

CONFLIT COLLECTIF DU TRAVAIL - Grève - Grève des services publics - Conditions - Préavis - Indications obligatoires - Durée limitée ou illimitée - Cessation du travail sur toute la durée envisagée - Obligation des salariés gévistes (non) - Portée

Texte de la décision

SOC.

JL



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 8 décembre 2016




Cassation


M. FROUIN, président



Arrêt n° 2170 FS-P+B
sur le premier moyen

Pourvoi n° M 15-16.078







R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par le syndicat CGT cheminots de Vichy-Saint-Germain, dont le siège est [Adresse 2],

contre l'arrêt rendu le 3 février 2015 par la cour d'appel de Riom (4e chambre civile sociale), dans le litige l'opposant à l'entreprise Epic SNCF, devenue SNCF mobilités, établissement public à caractère industriel et commercial, dont le siège est [Adresse 1],

défenderesse à la cassation ;

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;

Vu la communication faite au procureur général ;

LA COUR, composée conformément à l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 25 octobre 2016, où étaient présents : M. Frouin, président, Mme Duvallet, conseiller référendaire rapporteur, M. Huglo, Mmes Geerssen, Lambremon, MM. Chauvet, Maron, Déglise, Mme Farthouat-Danon, M. Betoulle, Mmes Slove, Basset, conseillers, Mmes Wurtz, Sabotier, Salomon, Depelley, Barbé, M. Le Corre, Mmes Prache, Chamley-Coulet, conseillers référendaires, M. Weissmann, avocat général référendaire, Mme Hotte, greffier de chambre ;

Sur le rapport de Mme Duvallet, conseiller référendaire, les observations de la SCP Masse-Dessen, Thouvenin et Coudray, avocat du syndicat CGT cheminots de Vichy-Saint-Germain, de la SCP Monod, Colin et Stoclet, avocat de la SNCF mobilités, l'avis de M. Weissmann, avocat général référendaire, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que le syndicat CGT des cheminots de Vichy Saint-Germain a déposé le 14 décembre 2012 un préavis de grève illimité pour les vendredis à compter du 21 décembre 2012, entre 5 heures et 21 heures, pour l'établissement SNCF dénommé Eevan de Clermont-Ferrand assurant la vente de billets en gares ; que ce préavis a été suivi d'effet les trois vendredis suivants, les 22 et 29 décembre 2012 et 4 janvier 2013, puis les 12 avril et 31 mai 2013 ; que la SNCF mobilités a saisi le 19 septembre 2013 le tribunal de grande instance de demandes tendant à dire que le préavis a cessé de produire effet depuis le 11 janvier 2013 et que les arrêts de travail des 12 avril et 31 mai 2013 sont illicites et que le syndicat soit condamné, sous astreinte, à retirer ce préavis et à payer des dommages-intérêts pour les deux arrêts de travail illicites ;

Sur le premier moyen :

Vu l'article L. 2512-2 du code du travail ;

Attendu que si, dans les services publics, la grève doit être précédée d'un préavis donné par un syndicat représentatif et si ce préavis, pour être régulier, doit mentionner l'heure du début et de la fin de l'arrêt de travail, les salariés qui sont seuls titulaires du droit de grève ne sont pas tenus de cesser le travail pendant toute la durée indiquée par le préavis ; que l'absence de salariés grévistes au cours de la période visée par le préavis, même en cas de préavis de durée illimitée, ne permet pas de déduire que la grève est terminée, cette décision ne pouvant être prise que par le ou les syndicats représentatifs ayant déposé le préavis de grève ;

Attendu que pour dire que le préavis de grève avait cessé de produire ses effets à compter du 11 janvier 2013 et que les arrêts de travail des 12 avril et 31 mai suivants étaient illicites, l'arrêt retient que s'agissant d'un préavis donné pour une durée illimitée, ses effets ont nécessairement pris fin lors de la cessation de la grève caractérisée par la reprise du travail et l'absence de tout salarié gréviste le 11 janvier 2013, qu'admettre le contraire viderait de leur sens les dispositions de l'article L. 2512-2 du code du travail et placerait la SNCF dans l'impossibilité de respecter son obligation d'information des usagers et que le dépôt par le syndicat d'une nouvelle demande de concertation immédiate le 19 avril 2013 démontre qu'aucune négociation n'était en cours et que ce dernier avait bien conscience que les effets du préavis du 14 décembre 2012 avaient cessé ;

Qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

Et sur le second moyen :

Vu l'article L. 2512-2 du code du travail ;

Attendu que pour dire que le syndicat a commis un abus en ne donnant pas mainlevée du préavis du 14 décembre 2012 et le condamner à payer à la SNCF des dommages-intérêts, l'arrêt retient que le dispositif mis en place par le syndicat permettant de relancer à tout moment et sans aucune limitation dans le temps une grève qui se trouvait interrompue depuis plusieurs mois retirait au principe du préavis toute effectivité, vidant de leur sens les dispositions de l'article L. 2512-2 du code du travail et plaçait la SNCF dans l'impossibilité de respecter son obligation d'information des usagers et que le dépôt par le syndicat d'une nouvelle demande de concertation immédiate le 19 avril 2013 démontrait qu'aucune négociation n'était en cours et que ce dernier avait bien conscience que les effets du préavis du 14 décembre 2012 avaient cessé ;

Qu'en statuant ainsi, par des motifs insuffisants à caractériser l'existence d'un abus de la part du syndicat dans son droit de maintenir ou de lever son préavis de grève, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 3 février 2015, entre les parties, par la cour d'appel de Riom ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Limoges ;

Condamne la SNCF mobilités aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la SNCF mobilités à payer au syndicat CGT des cheminots de Vichy Saint-Germain la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du huit décembre deux mille seize.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Masse-Dessen, Thouvenin et Coudray, avocat aux Conseils, pour le syndicat CGT cheminots de Vichy-Saint-Germain

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR jugé que le préavis du 14 décembre 2012 avait cessé de produire effet à compter du 11 janvier 2013 ;

AUX MOTIFS QUE le syndicat CGT des cheminots de Vichy Saint Germain a déposé le 14 décembre 2012 pour l'établissement EEVAN de Clermont-Ferrand, un préavis de grève illimitée les vendredis à compter du 21 décembre, entre 5 heures et 21 heures ; que des arrêts de travail ont eu lieu les vendredis 21 et 28 décembre 2012 ainsi que les vendredis 4 et 11 janvier 2013 ; qu'aucun arrêt de travail n'a été constaté les vendredis suivants jusqu'à ce que le mouvement soit réactivé le 12 avril puis le 31 mai 2013, étant précisé que les agents de l'établissement concerné ayant pour activité la vente des titres de transport aux guichets, ceux-ci n'étaient pas soumis à l'obligation préalable de déclarer leur intention de participer à la grève prévue par le règlement RH n°0924 afin de permettre à la SNCF de respecté l'obligation d'informer les voyageurs 24 heures à l'avance et de permettre l'organisation du service ; que le préavis de grève produit ses effets pour la durée qu'il indique lorsqu'il s'agit d'une grève à durée limitée et jusqu'à la fin de la grève en cas de grève à durée illimitée ; que si seul le syndicat représentatif ayant déposé le préavis de grève peut proclamer la fin du mouvement, il n'en demeure pas moins en l'espèce que s'agissant d'un préavis donné pour une durée illimitée ses effets ont nécessairement pris fin lors de la cessation de la grève caractérisée par la reprise du travail et l'absence de tout salarié gréviste le 11 janvier 2013 ; qu'admettre le contraire et permettre au syndicat CGT de réactiver à tout moment un préavis qui n'avait plus d'effet depuis plusieurs semaines aboutirait à vider de leur sens les dispositions de l'article L. 2512-2 du code du travail et à rendre impossible pour la SNCF l'accomplissement de l'obligation d'information des usagers lui incombant ; que le fait que le syndicat CGT ait pris l'initiative le 19 avril 2013 de déposer une nouvelle demande de concertation immédiate avant de réactiver le mouvement de grève, démontre bien qu'il n'existait plus aucune négociation entre les parties intéressées, contrairement à ce qu'exige l'article L. 2512-2 alinéa 3 pendant la durée du préavis et que le syndicat CGT avait parfaitement conscience de ce que les effets du préavis déposé le 14 décembre 2012 avaient cessé ; qu'il s'ensuit que contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, les arrêts de travail des 12 avril et 31 mai 2013 étaient illicites ;

1/ ALORS QUE si, dans les services publics, la grève doit être précédée d'un préavis donné par un syndicat représentatif et si ce préavis, pour être régulier, doit mentionner l'heure du début et de la fin de l'arrêt de travail, les salariés qui sont seuls titulaires du droit de grève ne sont pas tenus de cesser le travail pendant toute la durée indiquée par le préavis ; que l'absence de tout gréviste même durant plusieurs mois sans qu'il ait été mis fin au mouvement de grève par le syndicat qui l'a initié ou par un protocole de fin de conflit est insusceptible de priver d'effet le préavis déposé ; qu'en considérant que la reprise du travail et l'absence de tout salarié gréviste avaient privé de tout effet le préavis déposé le 14 décembre 2012 et rendaient illicites les mouvements des 12 avril et 31 mai 2013, la cour d'appel a violé l'article L. 2512-2 du code du travail ;

2/ ALORS QUE en déclarant tout à la fois, d'un côté, que le syndicat CGT avait déposé une nouvelle demande de concertation le 19 avril 2013 avant de réactiver le mouvement et, de l'autre, que la grève avait repris le 12 avril 2013, la cour d'appel s'est contredite en méconnaissance de l'article 455 du code de procédure civile ;

3/ ALORS QUE le préavis de grève ne peut cesser de prendre effet que sur déclaration du syndicat qui l'a initié, non de manière implicite ; qu'en se fondant sur la demande de concertation du 19 avril 2013 faite par le syndicat CGT et l'absence de négociation entre les parties intéressées pour considérer que le syndicat avait parfaitement conscience de ce que les effets du préavis déposé le 14 décembre 2012 avaient cessé et que, par voie de conséquence, les mouvements des 12 avril et 31 mai 2013 étaient illicites, la cour d'appel a violé l'article L. 2512-2 du code du travail.

SECOND MOYEN DE CASSATION

Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit et jugé que le syndicat CGT des Cheminots de Vichy Saint Germain avait commis un abus de droit en ne donnant pas main levée de ce préavis dans un délai raisonnable après le 11 janvier 2013 et en appelant à des arrêts de travail les 12 avril et 31 mai 2013 sur la base de ce préavis, lui a fait injonction de donner main levée du préavis du 14 décembre 2012 sous astreinte de 75 € par jour pendant 6 mois à partir de la signification du présent jugement, ordonné l'exécution provisoire du jugement de ce chef, condamné le syndicat CGT des cheminots de vichy Saint-Germain au paiement de la somme de 1.000 € à titre de dommages-intérêts ;

AUX MOTIFS propres QUE le tribunal a à juste titre considéré que le syndicat CGT des Cheminots de Vichy Saint Germain avait eu un comportement abusif en ne donnant pas main levée du préavis déposé le 14 décembre 2012 et lui a fait injonction de donner main levée de ce préavis sous astreinte et a réparé par l'allocation d'une somme de 1.000 euros le préjudice occasionné à la SNCF par cet abus de droit ;

AUX MOTIFS adoptés QUE lorsqu'une grève illimitée se poursuit de fait telle que prévue dans le préavis – en l'espèce chaque vendredi – cette fonction de prévenance du préavis se maintient, puisque là la SNCF est alors à même d'en aviser ces usagers chaque semaine selon les modalités de son choix, et les perturbations qui en résultent sont inhérentes au principe même du droit de grève sans qu'elle puisse s'en plaindre ; que cependant il n'en va pas de même si le mouvement s'est de fait interrompu : en ce cas, et en présence d'un préavis illimité maintenu, la SNCF ne peut prévoir si tel vendredi sera ou non touché par un arrêt de travail, et ne peut donc informer utilement ses usagers ; qu'il est constant en l'espèce que, si la grève a été suivie les premières semaines, aucun gréviste n'a été comptabilisé à compter du vendredi 11 janvier ; que ce silence a duré trois mois, jusqu'au 12 avril où la grève a repris sans nouvel avertissement, puisqu'il n'y a eu de nouvelle DCI que le 19 avril ; qu'il n'y a pas eu de grève les vendredis suivants, jusqu'à l'action du vendredi 31 mai ; que ce faisant le syndicat a mis en place un système qui ôte au principe du préavis toute effectivité, puisqu'on fait il s'autorise ainsi à relancer à tout moment la grève pour tel vendredi de son choix sans avoir à en aviser la direction, et ce qui plus est sans aucune limitation dans le temps ; qu'alors que le processus normal eût été de déclarer dans un délai raisonnable la cessation d'effet d'un préavis qui n'était en fait plus suivi, pour le cas échéant relancer la procédure DCI et de préavis pour un nouveau mouvement, peu importe le point de savoir dans quelle mesure les revendications ont évolué ; que cette attitude caractérise de sa part un abus de droit manifeste et préjudiciable pour la SNCRI1 y a lieu d'en tirer toutes conséquences, d'une part pour y mettre fin, d'autre part pour indemniser la SNCF du préjudice subi ; que dès lors que seul le syndicat peut donner main levée de son préavis, il lui sera fait injonction d'y procéder sous l'astreinte fixée au dispositif ;

ALORS QUE l'article L. 2512-2, alinéa 4, du code du travail autorise les syndicats représentatifs au niveau national à déposer un préavis de grève illimité avec indication des jours et des horaires de grève ; que l'exercice de ce droit selon les modalités prévues par la loi ne peut dégénérer en abus que s'il est établi une entrave à la liberté de travail ou une atteinte à la sécurité du personnel ; que ne saurait constituer un abus de ce droit le fait pour la SNCF de ne pas pouvoir prévoir si un vendredi serait touché par un mouvement de grève, quand elle était préalablement informée qu'il était susceptible d'intervenir chaque vendredi entre 5 et 21 heures et avait donc la possibilité d'en informer les usagers à l'avance ; qu'en décidant que le comportement du syndicat CGT Cheminots était abusif, la cour d'appel a violé l'article L. 2512-2 du code du travail.

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