1 février 2017
Cour de cassation
Pourvoi n° 15-27.245

Première chambre civile - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2017:C100144

Titres et sommaires

FILIATION - Actions relatives à la filiation - Actions en contestation de la filiation - Délai de forclusion - Interruption ou suspension - Demande en justice - Portée

Si le délai de forclusion prévu par l'article 333, alinéa 2, du code civil peut être interrompu par une demande en justice, conformément à l'alinéa 1 de l'article 2241 du même code, l'action en contestation de la filiation doit, à peine d'irrecevabilité, être dirigée contre le parent dont la filiation est contestée et contre l'enfant

FILIATION - Actions relatives à la filiation - Actions en contestation de la filiation - Recevabilité - Conditions - Détermination - Portée


FILIATION - Actions relatives à la filiation - Actions en contestation de la filiation - Possession d'état conforme au titre - Délai de cinq ans - Droit au respect de la vie privée et familiale - Compatibilité - Appréciation abstraite

Justifie légalement sa décision une cour d'appel qui procède, en l'absence de conclusions précises et étayées sollicitant la mise en balance des intérêts en présence et l'examen du caractère excessif, au regard du but légitime poursuivi, de l'atteinte portée au droit au respect de la vie privée et familiale par la disposition légale critiquée, au contrôle in abstracto qui lui était demandé, au regard de l'intérêt supérieur de l'enfant

Texte de la décision

CIV. 1

FB



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 1er février 2017




Rejet


Mme BATUT, président



Arrêt n° 144 FS-P+B+I

Pourvoi n° Z 15-27.245







R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par :

1°/ M. [J] [B],

2°/ Mme [I] [E],

domiciliés tous deux [Adresse 1],

contre l'arrêt rendu le 22 septembre 2015 par la cour d'appel de Paris (pôle 1, chambre 1), dans le litige les opposant :

1°/ à Mme [L] [T], domiciliée [Adresse 2], prise en qualité d'administrateur ad hoc de [M] [F],

2°/ à M. [S] [F], domicilié [Adresse 3],

défendeurs à la cassation ;

Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;

Vu la communication faite au procureur général ;

LA COUR, composée conformément à l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 3 janvier 2017, où étaient présents : Mme Batut, président, Mme Guyon-Renard, conseiller référendaire rapporteur, M. Matet, conseiller doyen, MM. Hascher, Reynis, Mme Reygner, M. Vigneau, Mme Bozzi, conseillers, MM. Mansion, Roth, Mmes Mouty-Tardieu, Le Cotty, Gargoullaud, conseillers référendaires, M. Sassoust, avocat général, Mme Pecquenard, greffier de chambre ;

Sur le rapport de Mme Guyon-Renard, conseiller référendaire, les observations de la SCP Masse-Dessen, Thouvenin et Coudray, avocat de M. [B] et de Mme [E], de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. [F], l'avis de M. Sassoust, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 22 septembre 2015), que [M] [F] a été inscrit sur les registres de l'état civil comme étant né le [Date naissance 1] 2007 de M. [F] et Mme [E], qui l'avaient reconnu avant sa naissance ; que M. [B] a assigné M. [F] en contestation de paternité le 14 novembre 2012, puis la mère de l'enfant, en qualité de représentante légale, le 28 février 2013 ; qu'un jugement du 17 décembre suivant a désigné un administrateur ad hoc aux fins de représenter l'enfant ;

Sur le premier moyen :

Attendu que Mme [E] et M. [B] font grief à l'arrêt de déclarer l'action en contestation de paternité irrecevable alors, selon le moyen, que les délais de prescription comme de forclusion peuvent être interrompus par une demande en justice ; qu'en affirmant que le délai quinquennal prévu par la loi était un délai de forclusion pour en déduire qu'il était insusceptible d'interruption et de suspension et qu'il n'avait donc pu être interrompu par l'assignation délivrée le 14 novembre 2012, la cour d'appel a violé les articles 333, alinéa 2, et 2241 du code civil ;

Mais attendu que, si le délai de forclusion prévu par l'article 333, alinéa 2, du code civil peut être interrompu par une demande en justice, conformément à l'alinéa premier de l'article 2241 du même code, l'action en contestation de paternité doit, à peine d'irrecevabilité, être dirigée contre le père dont la filiation est contestée et contre l'enfant ; que, la cour d'appel ayant constaté que [M] [F] n'avait pas été assigné dans le délai de cinq ans suivant sa naissance, il en résulte que l'action était irrecevable, l'assignation du 14 novembre 2012, dirigée contre le seul père légal, à l'exclusion de l'enfant, n'ayant pu interrompre le délai de forclusion ; que, par ce motif de pur droit, substitué, dans les conditions de l'article 1015 du code de procédure civile, à ceux critiqués, la décision se trouve légalement justifiée de ce chef ;

Sur le second moyen :

Attendu que Mme [E] et M. [B] font le même grief à l'arrêt alors, selon le moyen, que l'auteur de la contestation soutenait que la Convention européenne des droits de l'homme faisait prévaloir, en matière de filiation, la mise en conformité de la filiation juridique à la réalité biologique, et que les règles de prescription ou la conformité du titre et de la possession d'état ne pouvaient faire échec à son droit au recours devant les tribunaux tendant à privilégier la réalité biologique sur la filiation juridique ; qu'en affirmant que n'était pas contraire à l'intérêt supérieur de l'enfant la décision du législateur qui, à l'expiration d'une période de cinq ans pendant laquelle le père juridique s'est comporté de façon continue, paisible et non équivoque comme le père de l'enfant, avait fait prévaloir la vérité sociologique en ne permettant pas de rechercher quel était le père biologique, sans rechercher si, en vertu de la Convention européenne des droits de l'homme, celui qui se prétendait être le père avait le droit de faire primer la vérité biologique, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Mais attendu que M. [B] s'est borné, dans ses conclusions d'appel, à invoquer la prééminence de la vérité biologique ; qu'après avoir constaté la possession d'état de l'enfant à l'égard de M. [F], l'arrêt énonce que le législateur a choisi de faire prévaloir la réalité sociologique à l'expiration d'une période de cinq ans pendant laquelle le père légal s'est comporté de façon continue, paisible et non équivoque comme le père de l'enfant, ce qui ne saurait être considéré comme contraire à l'intérêt supérieur de celui-ci ; que la cour d'appel, qui a ainsi procédé à la recherche prétendument omise, a légalement justifié sa décision ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne M. [B] et Mme [E] aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette leur demande et les condamne in solidum à payer à M. [F] la somme de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du premier février deux mille dix-sept.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Masse-Dessen, Thouvenin et Coudray, avocat aux Conseils, pour M. [B] et Mme [E].

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Le moyen reproche à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré un tiers (M. [B], exposant) irrecevable en son action en contestation de la paternité de l'auteur d'une reconnaissance (M. [F]) vis-à-vis de l'enfant reconnu ;

AUX MOTIFS QUE, selon l'article 332 du code civil, la paternité pouvait être contestée en rapportant la preuve que le mari ou l'auteur de la reconnaissance n'était pas le père ; que cependant l'article 333 du code civil disposait que, « lorsque la possession d'état (était) conforme au titre, seuls p(ouvaient) agir l'enfant, l'un de ses père et mère ou celui qui se prétendait le parent véritable. L'action se prescri(vait) par cinq ans à compter du jour où la possession d'état avait cessé ou du décès du parent dont le lien (étai)t contesté ; (que) nul, à l'exception du ministère public, ne p(ouvait) contester la filiation lorsque la possession d'état conforme au titre a(vait) durée au moins cinq ans depuis la naissance ou la reconnaissance, si elle a(vait) été faite ultérieurement » ; qu'en l'espèce, si un délai de moins de cinq ans s'était écoulé entre la naissance de l'enfant [M] (le 25 décembre 2007) qui avait fait l'objet d'une reconnaissance prénatale de M. [F] et l'assignation en contestation de paternité engagée par M. [B] (le 14 novembre 2012), ce n'était que le 28 février 2013, soit postérieurement à ce délai, que la mère de l'enfant mineur dont la filiation était contestée, avait été assignée ès qualités de représentante légale de [M] [F], quand l'action en contestation de paternité devait être dirigée à la fois contre le père et contre l'enfant, étant observé que l'administrateur ad hoc de celui-ci n'avait été désigné que par jugement du 17 décembre 2013 ; que, s'agissant d'un délai non de prescription mais de forclusion et en tant que tel insusceptible d'interruption et de suspension, c'était vainement que M. [B] et Mme [E] soutenaient que l'assignation du 14 novembre 2012 avait interrompu le délai de cinq ans de l'article 333, alinéa 2, du code civil (arrêt attaqué, p. 3, alinéas 5 à 10, et p. 4, alinéa 1) ;

ALORS QUE les délais de prescription comme de forclusion peuvent être interrompus par une demande en justice ; qu'en affirmant que le délai quinquennal prévu par la loi était un délai de forclusion pour en déduire qu'il était insusceptible d'interruption et de suspension et qu'il n'avait donc pu être interrompu par l'assignation délivrée le 14 novembre 2012, la cour d'appel a violé les articles 333, alinéa 2, et 2241 du code civil.

SECOND MOYEN DE CASSATION (SUBSIDIAIRE)

Le moyen reproche à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré un tiers (M. [B], exposant) irrecevable en son action en contestation de la paternité de l'auteur d'une reconnaissance (M. [F]) vis-à-vis de l'enfant reconnu ;

AUX MOTIFS QUE Mme [E] se prévalait encore de l'intérêt supérieur de l'enfant à voir établir « sa véritable filiation » quand la décision du législateur qui, à l'expiration d'une période de cinq ans pendant laquelle le père juridique s'était comporté de façon continue, paisible, et non équivoque comme le père de l'enfant, avait fait prévaloir la vérité sociologique, en ne permettant plus de rechercher s'il était ou non le père biologique, ne pouvait être considérée comme contraire à cet intérêt supérieur ; qu'à cet égard, l'évaluation psychologique susvisée comme l'entretien de l'enfant avec l'administrateur ad hoc démontraient que l'enfant était pris dans un conflit de loyauté et qu'il importait de lui donner une réponse pérenne quant à l'identité de son père ; qu'ainsi il convenait de confirmer le jugement qui avait déclaré M. [B] irrecevable en son action en contestation de la paternité de M. [F] vis-à-vis de l'enfant [M] [F] (arrêt attaqué, p. 5, alinéas 1 et 2) ;

ALORS QUE l'auteur de la contestation soutenait (v. ses conclusions signifiées le 11 juin 2015, pp. 18 et 19) que la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme faisait prévaloir, en matière de filiation, la mise en conformité de la filiation juridique à la réalité biologique, et que les règles de prescription ou la conformité du titre et de la possession d'état ne pouvaient faire échec à son droit au recours devant les tribunaux tendant à privilégier la réalité biologique sur la filiation juridique ; qu'en affirmant que n'était pas contraire à l'intérêt supérieur de l'enfant la décision du législateur qui, à l'expiration d'une période cinq ans pendant laquelle le père juridique s'est comporté de façon continue, paisible et non équivoque comme le père de l'enfant, avait fait prévaloir la vérité sociologique en ne permettant pas de rechercher quel était le père biologique, sans rechercher si, en vertu de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, celui qui se prétendait être le père avait le droit de faire primer la vérité biologique, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

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